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La formation à distance : des finalités en tension

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HAL Id: edutice-00001312

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Submitted on 6 Jan 2006

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Françoise Thibault

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Françoise Thibault. La formation à distance : des finalités en tension. Les TIC au coeur de

l’enseignement à distance, Actes de la journée d’étude du 12 novembre 2002, organisée par le Labora-

toire Paragraphe, Nov 2002, France. �edutice-00001312�

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La formation à distance : des finalités en tension

Françoise THIBAULT

On a peut-être beaucoup écrit sur les vertus ou le "lourd passé" (Noble, 2000) de la formation à distance mais comme le rappelle Carmen Compte dans le présent ouvrage, on a assurément trop souvent oublié d'en questionner les finalités. Tous ces écrits, qu'ils émanent de chercheurs, d'experts, de journalistes ou de politiques, ont, pour certains, permis d'opérer des distinctions fondamentales à la compréhension d'une modalité particulière de formation, mais ont, pour d'autres, participé à une grande opération de brouillage décelable dans la langue elle-même. Remettre sur le métier la question des finalités et traquer ce qu'Armand Mattelart (2002) appelle "les mots de passe" – mots si polysémiques que leurs différents sens se noient dans une approximation peu propice à l'échange d'idées -, tels sont les deux projets sur lesquels se fonde notre propos.

La formation à distance, pour quoi faire?

LA FINALITE ECONOMIQUE

L'article de David F.Noble, historien à l'université York de Toronto, publié dans le monde diplomatique en avril 2000, continue, en France notamment, à faire l'objet de nombreuses citations dans la littérature scientifique ou la littérature spécialisée consacrée à la formation à distance (par exemple Archambault, 2002, et Glikman, 2002). Sorti en France au moment où la presse grand public comme la presse spécialisée en éducation et/ou dans les technologies de l'information et de la communication laissent une place

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croissante1 aux annonces concernant la création de "campus virtuels", ce papier rompt avec le discours ambiant teinté d'admiration, fréquemment sans retenue, pour les nouvelles potentialités des techniques informatiques les plus récentes qui laissent espérer de beaux lendemains pour la formation.

Située dans le contexte nord-américain, l'histoire de la formation à distance retracée par David F.Noble commence dans les années 1880 par le développement de l'enseignement par correspondance assuré par des établissements privés à but lucratif. Fonctionnant en dehors de toute réglementation, ces entreprises spécialisées dans les qualifications professionnelles pour le commerce et l'industrie sont florissantes à la fin des années 20. Campagnes de marketing offensives, recours à des personnels temporaires mal rémunérés et surtout paiement du client au début de la formation constituent les ingrédients propices à la réalisation de sérieux profits mais peu favorables à la qualité de la formation dispensée. Les 2,6%

d'étudiants qui terminent leur formation, selon l'étude de John Noffsinger2 réalisée en 1926 sur soixante-quinze établissements, attestent de la médiocrité du service rendu à l'usager. En 19303, ce sont les programmes universitaires d'enseignement à distance qui sont critiqués pour "leurs réclames extravagantes et trompeuses". Lancée dès les années 1890, cette proposition faite aux étudiants d'étudier "à domicile" rallie, dans les années vingt, soixante-treize établissements d'enseignement supérieur américains.

Le discrédit qui fait suite aux publications de Flexner participera à la marginalisation progressive de cette activité dans les universités qui perdurera pourtant jusqu'à l'avènement de l'Internet. Au-delà du genre quelque peu pamphlétaire4 de cet article très documenté, qui vise à compromettre la formation à distance en la réduisant à l'exercice d'une activité commerciale dont la rentabilité repose sur les mauvaises qualités du service proposé à l'étudiant, sa focalisation sur le fonctionnement économico-social permet de souligner une des finalités de la formation à distance.

A la question du pourquoi développer une offre de formation à distance, certains acteurs sociaux ont donc répondu très tôt qu'il s'agissait pour eux

"de créer une nouvelle activité commerciale". Il faut rappeler ici que cette

1 Les dépêches de l'AEF, l'Agence Française pour l'Education et la Formation, envoyées par courriel aux abonnés, permettent de vérifier ce phénomène.

2 Citée par David F.Noble : Noffsinger J., Correspondence Schools, MacMillan Company, New York, 1926.

3 Cité par David F.Noble : Flexner A., Universities, Oxford University Press, New York, 1930

4 Il conviendrait pour échapper au pamphlet d'entreprendre, entre autre chose, une véritable analyse de l'activité et des conditions de fonctionnement des différentes entités chargées de la formation à distance dans les universités américaines pendant toute cette période. Il est peu vraisemblable que l'appât du gain ait été, pour l'ensemble des personnes impliquées dans ces formations, l'unique mobile de développement de ces dispositifs.

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finalité économique qui marque l'histoire de la formation à distance, n'est pas propre à ce type de formation. Dans tous les secteurs où le service public d'enseignement et de formation n'a pas répondu à la demande ou aux besoins des usagers, se sont très rapidement développés des secteurs marchands : on pense, en France, par exemple aux cours du soir, cours d'été, semaines intensives pour l'apprentissage des langues – et plus spécifiquement de l'anglais - proposées par une myriade de petites ou grosses entreprises privées depuis qu'on exige la pratique d'une langue étrangère5 dans de nombreux profils de postes. On peut aussi évoquer l'expansion du marché du cours particulier, tellement importante en France qu'elle a fait l'objet, en décembre dernier, de plusieurs déclarations politiques6, émanant soit du ministre et de son entourage, soit des associations de parents d'élèves. Dans l'enseignement supérieur, c'est dans les disciplines à fort taux de sélection que fleurissent ces pratiques : en médecine par exemple, le passage de la première année à la seconde est si exigeant qu'il a généré un véritable marché "de la réussite"7. Au-delà de ces quelques exemples, retenons que si la formation à distance a constitué, dès l'origine et avec l'apparition du timbre-poste, un mode privilégié pour développer un secteur marchand dans le domaine de l'éducation et de la formation, elle est loin d'en avoir eu le monopole ni même de représenter, au moins en France, le secteur le plus lucratif. D'autant moins, qu'avec la deuxième guerre mondiale, les politiques publiques d'éducation se sont intéressées à la formation à distance en poursuivant d'autres finalités.

LA FINALITE SOCIALE

En effet, c’est par un décret, que le gouvernement français crée, le 2 décembre 1939, un service d'enseignement primaire supérieur, secondaire et post-scolaire par correspondance. Lié à la situation sociale de l’époque, ce centre doit permettre aux enfants exilés dans les campagnes de recevoir à domicile, l’enseignement dispensé dans les lycées et collèges, classiques et modernes. Conformément aux règles du centralisme français, le premier

5 La demande n'est pas uniquement liée aux exigences du monde du travail. Elle est aussi suscitée par l'explosion, ces quinze dernières années de nouvelles pratiques touristiques cherchant à "découvrir le monde" pour reprendre l'expression très présente dans les catalogues de Nouvelles Frontières.

6 Cf. dépêches de l'AEF, décembre 2002

7 "Pour réussir vos examens", titre d'une petite plaquette publicitaire distribuée à l'entrée de l'UFR de médecine de Paris V, en septembre 2001.

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centre créé est situé dans un lycée parisien, il sert les élèves de la zone occupée. Très vite, s’impose l’idée de créer un autre centre pour les élèves de la zone non occupée : elle se traduit par la création du centre de Clermont-Ferrand qui sera fermé quelques années plus tard. Le 10 octobre 1945, la presse et la radio annoncent que le centre va ouvrir des cours gratuits pour les prisonniers, déportés, engagés volontaires, mobilisés, maquisards, travailleurs en Allemagne, victimes des lois d’exception. C’est cette ordonnance de 1945 qui va entraîner, dans les années 47, 48, 49, un afflux d’adultes pour lesquels il faut rattraper le temps de la guerre et participer, avec la formation, à la reconstruction de la France.

L’enseignement par correspondance, concernant presque dès l’origine les jeunes comme les adultes, est présenté pour reprendre les expressions du Recteur Moreau8 comme « la bouée de sauvetage jetée aux « naufragés du savoir », la « roue de secours » d’un système éducatif.

"Centre national d'enseignement par correspondance" en 1944, "Centre national d'enseignement par correspondance, radio et télévision" en 1953,

"Centre national de télé-enseignement" en 1959, puis de nouveau "Centre national d'enseignement par correspondance en 1979, il est depuis 1986, le

"Centre national d'enseignement à distance". Comme l'a montré V.Glikman (2002), ces changements de nom traduisent surtout des variations de conception quant à la place et aux types de techniques utilisées pour communiquer avec les élèves et les adultes en formation. En effet, même si le public du CNED a assez profondément changé ces vingt dernières années (Perriault, 1990), accueillant un nombre de plus en plus important d'adultes9, cet établissement a gardé son statut d'établissement public sous tutelle du ministère de l'Education nationale. Malgré l'augmentation importante de la part d'autofinancement10 qui atteint aujourd'hui plus de 60%11 du budget de l'établissement, l'implication de l'Etat reste une donnée

8Préface de l'ouvrage de Jacques Perrault (1996) p.9

9 A partir des années 80, le nombre d'adulte inscrits n'a cessé de croître. Ainsi, en 2001, sur un total de 350 000 inscrits, le CNED a accueilli plus de 70% d’adultes et 30% de mineurs (relevant de l’enseignement scolaire) qui sont pour plus de la moitié des enfants qui fréquentent normalement écoles, collèges, lycées et qui, selon les propos du recteur Moreau dans la préface déjà citée, "attendent de l’établissement d’enseignement à distance, soutien, rattrapage ou complément de formation. »

10 Les recettes de l'établissement proviennent essentiellement des frais d'inscription auxquels s'ajoute la vente de produits éducatifs (cassettes vidéos, ouvrages, produits multimédias).

11 Ce chiffre, extrait des comptes de l'année 2000 du CNED, est à prendre avec une certaine précaution. Il fait l'objet de nombreuses discussions entre le Ministère et l'établissement, le premier estimant que l'ensemble des salaires pris en charge par le ministère n'est pas intégré dans ce calcul, le second estimant qu'un certain nombre d'emplois correspondant à des réinsertions de personnel ne participe pas pleinement à l'activité de l'établissement. Dans tous les cas, l'accroissement du phénomène d'autofinancement reste avéré.

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essentielle. Initialement de l’ordre du "soin palliatif"12, la vocation sociale du CNED, bien que s'étant transformée en s'ouvrant vers de nouveaux publics et en diversifiant progressivement ces dispositifs, a contribué à penser la formation à distance comme un moyen de proposer ce que l'enseignement présentiel n'est pas en mesure de faire. Cette image positive pour qui est attaché à l'existence d'un service public d'enseignement et de formation présente un revers quelque peu négatif. Pensée par cette histoire institutionnelle, comme un succédané à la formation dispensée en présence, la formation à distance a souvent été le parent pauvre des politiques éducatives nationales. A contrario, dans des grands pays comme le Canada ou l’Australie, l’enseignement par correspondance a été reconnu très rapidement comme un mode de formation à part entière et la vocation sociale souvent revendiquée. Cette conception a trouvé sa traduction dans des investissements publics qui n'ont pas eu d'équivalents en France.

C'est dans une logique proche de celle qui a prévalu à la création du CNED, qu'ont été conçus, dans les années 70, les centres de télé-enseignement universitaires (CTEU). Initiés par le ministère de l'Education nationale, ces services implantés dans vingt-deux universités françaises avaient initialement comme objectif de permettre à des instituteurs ou à des professeurs de collège en activité, et donc dans l'impossibilité de suivre des formations universitaires, d'acquérir les diplômes nécessaires à leur changement de grade. C'est l'époque où les collèges se développent et où le système éducatif a massivement besoin de personnel pour enseigner dans ces nouveaux établissements. Très proches des actions de promotion sociale, les CTEU ont permis, en proposant des préparations à différents DEUG et licences, à de nombreux professeurs d'enseignement général de collège (PEGC) d'être reconnus dans leur nouvelle fonction. La fin, de ce qui était appelé au sein des instances ministérielles "le plan PEGC", n'a pas entraîné la disparition des CTEU. Les effectifs d'étudiants inscrits ont continué d'augmenter pendant les années 90 pour atteindre jusqu'à 30 000 étudiants. Malgré le recul des inscriptions ces quatre dernières années (comparable à la baisse du nombre d'étudiants inscrits dans les universités sur l'ensemble du territoire français), les CTEU demeurent des entités actives au sein des établissements d'enseignement supérieur. Pourtant, leur situation n'est pas simple. Soutenus financièrement, de façon spécifique13, par la direction générale de l'enseignement supérieur jusqu'en 1996, ils dépendent depuis lors de la politique de leur établissement. Cette ré- orientation politique et comptable a souvent eu pour effet de diminuer assez

12 Propos du Recteur Moreau

13 En 1995, l'Etat apportait, en plus des postes créés au fil du temps, 35 MF par an à l'ensemble des centres.

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notablement leurs moyens14. De plus, à partir de 1998, l'engouement pour les technologies de l'information et de la communication et les injonctions multiples pour les introduire dans l'éducation et la formation, ont eu tendance à jeter un discrédit sur ce type de dispositifs composés d'envoi de documents papiers, de documents audio et de séances de regroupement d'étudiants consacrées à des cours ou à des activités d'accompagnement du travail personnel. Sans vouloir prétendre analyser dans ce texte, le phénomène de longévité des CTEU, les entretiens que nous avons réalisés avec quelques-uns de leurs responsables, montrent l'existence d'une culture commune construite sur des valeurs partagées où la finalité sociale de l'enseignement à distance reste un élément majeur. Permettre à des étudiants qui n'ont pas la possibilité de fréquenter l'université ou apporter à ceux qui sont inscrits dans les cursus traditionnels une aide complémentaire à un tarif identique à celui d'une inscription classique, s'avèrent être des objectifs partagés par bon nombre de directeurs et directrices. En faisant quelque peu l'impasse sur cette finalité, les derniers travaux de l'IREDU (2002), s'ils permettent de comparer empiriquement les coûts de l'enseignement à distance aux coûts de l'enseignement en présence dans les centres des universités de Besançon, Reims, Dijon, Strasbourg II, et Nancy-II, ne disent rien de ce que nous proposons de nommer "l'efficacité sociale"15 de ces dispositifs. Il faudrait pour cela engager de longues enquêtes auprès des usagers de ces dispositifs et se donner les moyens de mesurer la place que la formation a prise dans leur existence. Quand l'AEF titre16 : "L'enseignement à distance universitaire français présente des inefficacités importantes par rapport à l’enseignement traditionnel et à ses homologues étrangers, selon une étude de l'IREDU", le risque est bien confirmé qu’inefficacité signifie inefficacité économique. La focalisation sur la question des coûts met à l'écart la notion d’"efficacité sociale". Sans qu'elle soit pour l'heure confirmée par des travaux de recherche sur les publics des CTEU,

"l'efficacité sociale" de la formation à distance demeure une finalité majeure, ancrée dans une histoire institutionnelle et sociale qu'il est imprudent d'ignorer lorsque l'on s'attache à la compréhension du phénomène.

14 Jusqu'à 40% de budget en moins pour certains centres.

15 Appliquée à la formation à distance, on entend pas "efficacité sociale", le fait que ces dispositifs spécifiques peuvent, plus que d'autres dispositifs de formation ou d'éducation, voire à l'exclusion d'autres, permettre à certaines personnes d'accéder à des connaissances données, des modes d'appropriation spécifiques de la culture ou enfin à des niveaux de qualification.

16 Dépêche du 27-05-2002

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LA FINALITE HEURISTIQUE ET INTERVENTIONNISTE17

L'explicitation de la troisième finalité, moins souvent développée que les deux finalités précédemment évoquées nous semble pourtant de nature à mieux comprendre le fait social qu'est la mise en œuvre de la formation à distance. En effet, la dimension que nous qualifions d'"heuristique et interventionniste" que cette dernière a acquise notamment avec la diversification des médias utilisés et qu'elle continue à conserver pour les chercheurs qui travaillent dans le domaine de l'éducation, nous semble constitutive de son développement. Ainsi, si certains acteurs sociaux ont souhaité ouvrir un secteur économique, si d'autres ont voulu étendre l'accès à la formation vers de nouveaux publics, d'autres encore, appartenant au champ de la recherche18, ont eu pour projet, en développant des dispositifs de formation à distance de mieux comprendre les processus cognitifs, sociaux et affectifs à l'œuvre dans les situations d'apprentissage pour pouvoir proposer de nouveaux modes d'organisation et de fonctionnement de la formation. Moins encadrée par les règles strictes qui gèrent la formation en présence, la formation à distance a souvent ouvert un espace de liberté propice à l'expérimentation pédagogique le plus souvent associée à des expérimentations techniques. Certes, les laboratoires de recherche de l’Open University britannique n’ont jamais eu d’équivalent en France, ni par le nombre de chercheurs impliqués ni par les budgets octroyés, pourtant des travaux de recherche ont été menés, depuis plus de trente ans dans certains cas, par des chercheurs engagés dans le domaine et par quelques équipes d’appartenance disciplinaire différente19. L’analyse de l'ensemble de ces travaux dépasse les contours de cet article. Parmi eux, nous nous proposons de prendre trois exemples pour souligner la double finalité de leurs travaux : en éclairant un certain nombre de processus, ils infléchissent les représentations de la formation à distance – voire les politiques éducatives - et l’évolution des techniques mêmes.

Le Centre Université - Economie d' Education Permanente (CUEEP) fournira notre premier exemple. Institut chargé de la formation continue à l'Université de Lille 1, ce centre a été créé en 1968, il se situe dans la mouvance de l'Education Permanente et s'appuie sur les mouvements de pensée qui aboutissent aux accords interprofessionnels et à la loi de 1971 sur la formation professionnelles continue. Intervenant à tous les niveaux de

17 Au sens de volonté d'intervenir pour un groupe ou un individu. L'usage de ce mot dans ce texte écarte toute connotation péjorative.

18 Le nombre croissant de chercheurs dans le domaine de l'éducation et des technologies de l'information et de communication est une donnée à prendre en compte pour apprécier ce phénomène.

19 Les disciplines les plus impliquées : sciences de l’éducation, sciences de l’information et de la communication informatique, psychologie sous l’angle des sciences cognitives notamment.

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formation tant en enseignement général qu'en enseignement professionnel, la particularité de cet institut est de s'être doté d'un laboratoire de recherche (Trigone) centré sur la formation permanente des adultes. Les approches disciplinaires sont diverses : psychologie cognitive, sociologie de l’éducation, pédagogie, informatique, didactique des disciplines, économie et droit de l’éducation… Souvent cité pour les travaux conduits sur l'individualisation de la formation en lien avec l'usage des technologies informatiques, Trigone participe aujourd'hui à la consolidation du concept de "systèmes d’apprentissage flexible et à distance" en menant une recherche sur les activités coopératives et sur les systèmes informatiques susceptibles d'assister les utilisateurs. Sa réflexion sur l'ingénierie des formations ouvertes place, au cœur de sa démarche, les concepts de

"formation en alternance" et "d'auto formation éducative" mis en œuvre par les technologies de l'information et de la communication. Ainsi, résultant d'un métissage de la culture informatique et de la culture de la formation permanente, Trigone participe, par l'ensemble de ces travaux, à une conceptualisation de la formation à distance assez proche de celle qui est proposée par l'Open University et qui tend à faire référence20 au sein de la Commission européenne. Dans le même temps Trigone interagit sur les dispositifs de formation mis en place par le CUEEP. Ainsi, la finalité que nous avons qualifiée "d'heuristique et interventionniste" nous semble doublement caractériser cette approche tant elle trouve des applications sur le terrain de l'établissement comme dans les milieux d'experts qui infléchissent les politiques européennes.

C'est de l'histoire du CNED que nous extrairons notre deuxième exemple.

Chercheur dans le laboratoire de recherche et de développement puis directeur du laboratoire de recherche sur l'industrie de la connaissance (LARIC) de ce même établissement, Jacques Perriault a mené, pendant plus de 10 ans21, de nombreux travaux centrés sur les pratiques des utilisateurs.

Ils l'ont incité, entre autre chose, à énoncer plusieurs critères qui contribuent à l'élaboration d'une réponse pertinente pour l'usager. Ainsi, plasticité, adaptativité à l'usage et flexibilité sont les exigences auxquelles, selon lui, les formations à distance doivent répondre pour satisfaire les utilisateurs (Perriault, 1996). Cette conception de la formation à distance, alimentée par des observations et des expérimentations techniques et pédagogiques, trouve un écho, dès 1993, auprès de la Commission européenne. L'organisation d'un atelier de réflexion, les 7 et 8 octobre 1993 à Poitiers sur le site du CNED, sur le développement de l'éducation et de la formation ouverte et à distance a rassemblé une cinquantaine d'experts de la CEE. A la lecture des grandes lignes du rapport de synthèse écrit par Jacques Perriault, on retrouve la plupart des constats qu'il avait lui-même

20 Cf. le programme européen Socrates par exemple

21 Entre 1985 et 1998, le LARIC a été créé en 1994

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faits : reconnaissance d'une mutation en train de se faire, existence de nouveaux besoins de formation, nécessité de conforter une communauté scientifique sur le sujet. On peut y lire également des préconisations qu'il avait déjà exprimées : adaptativité de l'offre de formation, intégration de la place des utilisateurs, et qui trouvent leurs prolongements dans des actions plus récentes de la commission autour du "programme d'éducation tout au long de la vie" et du "plan e-learning". Comme les travaux du CUEEP, ces recherches ont donc un impact direct sur le champ lui-même, en le définissant et en participant activement à l'orientation des politiques dont il pourra être l'objet.

Nous terminerons cette rapide analyse fondée sur quelques exemples de pratiques de recherche en évoquant le travail de Roxana Ologeanu sur la visioconférence dans l'enseignement supérieur (2002). A partir de l'observation des multiples expérimentations de visioconférence menées dans les établissements d'enseignement supérieur entre 1990 et 2001, l'auteur montre, dans le cadre d'une réflexion plus générale sur l'innovation, comment de nouveaux modes de collaboration se sont mis en place entre tous les acteurs. Impulsées par des industriels, ces expérimentations ont été menées par des acteurs éducatifs (enseignants-chercheurs en informatique et ingénieurs) qui, par leurs usages et leurs recherches, ont progressivement infléchi les développements techniques. Cette appropriation éducative d'une innovation technologique destinée à développer le télé-enseignement a été accompagnée par la constitution d'un réseau composé de chercheurs et d'ingénieurs : le groupe Visio22. Tout comme dans les deux exemples précédents, le groupe, par sa production, interagit sur le dispositif global.

Dans cet exemple, l'interaction est centrée sur les choix techniques et repose sur le partage d'observations et sur l'échange d'informations pour la mise en œuvre des services. Si le groupe Visio peut, par ses exigences inquiéter les industriels, il est légitime de se demander si, sans lui, les expérimentations de visioconférence dans les universités se poursuivraient à cette échelle.

TISSAGE ET METISSAGE

C'est pour respecter certaines exigences de l'exposé que nous avons opéré un strict distinguo entre les trois finalités de la formation à distance que nous souhaitions développer : économique, sociale et

"heuristique/interventionniste", il nous faut souligner que bien souvent l'action des différents acteurs ressort de la poursuite de plusieurs finalités.

22 http://www.univ-valenciennes.fr/CRU/Visio/groupevisio.html

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Ainsi, contrairement à la description faite par David F.Noble (2000), certaines institutions privées de formation à distance ont joué un rôle non négligeable dans la promotion sociale en France. C'est ce que souligne Viviane Glikman (2002) et c'est ce que nous avons pu constater lors d'entretiens que nous avons réalisés avec d'anciens étudiants de "L'Ecole Universelle"23. Dans le même ordre idée, comme l'a montré Latour (1995, 1996), le travail du chercheur est dépendant de nombreux paramètres sociaux dont notamment un ensemble de valeurs. Même si la preuve reste à faire, il n'est pas déraisonnable d'émettre l'hypothèse qu'il existe une culture commune dominante reposant sur des valeurs partagées au sein des chercheurs qui travaillent sur la formation à distance. En effet, nombreux sont ceux qui considèrent que l'accès à la formation et au savoir est un droit qui devrait être offert à tous les individus. C'est au service d'un tel projet social qu'ils mettent leurs travaux de recherche. Sans recourir à un exercice par trop systématique d'associations, nous tenons, pour finir, à mentionner l'alliance des finalités économique, heuristique et interventionniste. En effet, sans préjuger des résultats d'un travail consacré au domaine de la recherche et développement appliqués à l'éducation aujourd'hui, et en s'appuyant sur les travaux antérieurs de Pierre Moeglin sur le satellite éducatif (Moeglin, 1994), on ne peut ignorer le phénomène d'instrumentalisation des expérimentations éducatives24 mises en œuvre par certains groupes industriels dans le dessein d'orienter leur politique de production et de servir leurs intérêts économiques.

EN CONCLUSION

Travaillé par des forces antagonistes, le développement de la formation à distance s'avère donc être un phénomène social complexe25 qui mérite toutes les vigilances tellement la probabilité d'imbriquer les finalités est

23 Extrait d'un entretien réalisé en janvier 2002 auprès d'un homme de 72 ans qui a suivi des cours à l'Ecole Universelle au milieu des années 50 : "Je n'avais pas beaucoup de diplôme.

C'est ma femme qui m'a inscrit dans cette école. Moi je ne connaissais pas et quand je suis rentré au service des impôts, j'ai compris qu'il fallait que je travaille si je voulais monter. J'ai beaucoup appris. Au début, c'était difficile mais j'ai réussi mes concours."

24 "Encore doit-on rappeler de quel processus expérimental il s'agit en l'occurrence. Portant moins sur les réalisations elles-mêmes que sur leurs conditions et leur préparation, son objectif est surtout de mettre en évidence comment et à quel prix peut être atteint le stade d'une organisation fonctionnelle reposant sur la coordination des ressources, la division du travail et la standardisation des tâches en vue de la structuration d'une véritable offre de services et de programmes." (Moeglin, 1994, p.264)

25 C'est bien aussi de complexité dont il est question dans l'article que Brigitte Albéro a écrit pour cet ouvrage quand elle montre les liens entre le projet politique, le projet pédagogique, le projet ingénierique et le projet social.

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grande. Cette imbrication est susceptible de tisser de vastes filets dans lesquels peuvent se perdre le projet de formation et les personnes auquel il est destiné. D'autant plus qu'avec le mouvement de médiatisation de la communication (Miège, 1997) qui s'est amplifié dans le champ de l'éducation ces dernières années26, on assiste à une prolifération de discours qui s'accompagne de nombreux glissements lexicaux de nature à troubler les esprits. Ainsi, le syntagme "e-learning" tend à s'imposer dans bon nombre de ces textes. Entendu comme un synonyme "d'apprentissage en ligne"27, il renvoie tout à la fois à un modèle pédagogique, organisationnel et politique de la formation28. Comme l'a rappelé Alain Chaptal (2002), ce terme qui s'est imposé à partir de 1997, est importé d'Amérique du Nord.

Primitivement, il désignait la formation à distance utilisant les technologies de l'Internet. C'est au début de l'année 2000 que l'administration Clinton l'utilise comme un slogan pour valoriser son plan quadriennal pour le développement des technologies de l'information et de la communication dans l'enseignement. Le sens s'est alors élargi : le "e-learning" qualifie "la totalité du champ des technologies éducatives"29. C'est dans ce sens qu'il sera repris, la même année, par la Commission des communautés européennes. Doté de nombreuses vertus, le "e-learning" fait bien partie, par sa polysémie, de ces mots de passe qui court-circuitent les débats en mélangeant objectifs et moyens. Au-delà de ce phénomène, le recours à un tel syntagme est, pour nous, de nature à enfermer la formation à distance dans une approche formatée qui rend les technologies incontournables et rejettent la question des finalités de la formation au placard des vieilleries de la pensée.

26 En France, avec le lancement du Plan d'Action Gouvernemental pour l'entrée de la France dans la Société de l'Information (PAGSI) lancé en 1998, ou au niveau européen par des programmes comme Socrates, Prometeus, Gruntvig….

27 Résolution du Conseil de l'Union européenne du 13 juillet 2001.

28 Cf. F.Thibault, 2003, Le e-learning dans le tourbillon de la rhétorique internationale (à paraître).

29 Op.cit. A.Chaptal

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Bibliographie

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Références

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