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Diversités régionales d’application de lutte intégrée en culture de pomme de terre en fonction de la variabilité
des populations de nématodes à kystes
Didier Mugniery
To cite this version:
Didier Mugniery. Diversités régionales d’application de lutte intégrée en culture de pomme de terre
en fonction de la variabilité des populations de nématodes à kystes. Agronomie, EDP Sciences, 1982,
2 (7), pp.629-640. �hal-02721133�
Diversités régionales d’application de lutte intégrée en
culture de pomme de terre en fonction de la variabilité des populations de nématodes à kystes
Didier MUGNIERY
Madeleine OGER
I.N.R.A., Laboratoire de Recherches de la Chaire de Zoologie de l’E.N.S.A. de Rennes, F-35650 Le Rheu
RÉSUMÉ La lutte intégrée contre les nématodes à kystes de la pomme de terre passe par l’étude des caractéristiques biologiques et écologiques des diverses populations régionales. On peut considérer que chaque population Solanum
tuberosum
, constitue
unécotype particulier : chacun peut être caractérisé par une agressivité particulière, un taux
Globodera rostochiensis, d’éclosion, avec ou sans pomme de terre, différent,
untaux de multiplication et une vitesse de développement
Globodera p all i da ,
!!"!!’
propres. En fonction de l’une ou l’autre
oude l’ensemble de ces caractéristiques, on peut appliquer une
Variabilité
P! ’ 1 a, rotation telle qu’il n’y ait pas de dégâts
surpomme de terre et telle que les populations du sol régressent.
Ecotype, Divers
caspratiques sont envisagés et étudiés : cultures maraîchères de Noirmoutier, St-Malo, Ile de Ré et
Lutte intégrée.
MBéziers , et, pour chacun, une solution différente tenant compte des exigences biologiques et économiques est
!! !!!!!’
indiquée.
SUMMARY Regional diversity in the application of integrated control to potato as a result of variation in potato cyst nematode populations
Solanum tuberosum , The success of
any integrated control aimed at the potato cyst nematodes involves study of the biological and
Globodera rostochiensis , ecological characteristics of various regional populations. Each such population may be considered as
aGlobodera pallida , separate ecotype : each
canbe distinguished by a particular aggressiveness,
adifferent hatching rate according Variability, to the presence
orabsence of potato, and its
ownmultiplication rate and speed of development.
Ecotype,
! Depending on any
orall of these characteristics,
aparticular rotation may be chosen to give no damage to Integrated control. potato and
adecrease in soil populations.
Various practical cases are examined : early potatoes in Noirmoutier, St-Malo, lie de R6 and Bdziers. A different solution is proposed, for each one, taking into account biological and economic constraints.
1. INTRODUCTION
La lutte intégrée contre les nématodes à kystes de la
pomme de terre, Globodera rostochiensis Woll. et Globo- dera pallida Stone correspond à un modèle simple pour trois raisons principales :
1) Leur gamme d’hôtes est très restreinte. Pratiquement
seules les espèces des genres Solanum et Lycopersicum sont multiplicatrices. Le non-retour de la pomme de terre sur la même sole constitue d’emblée un moyen de lutte qui devrait
être prédominant si des raisons économiques n’interve-
naient pas.
2) Sur pomme de terre primeur et en climat tempéré, ces
nématodes sont pratiquement, sauf exception, les seuls
ennemis animaux qui limitent le rendement. Dans les conditions culturales classiques, il existe peu d’interactions
avec d’autres pathogènes ou prédateurs. J ATAL A &
Tu R
xErrsTEEtv (1977) montrent cependant que Phoma sp.
retarde et limite le développement de G. pallida. CO RBE TT
& H IDE (1971) démontrent l’existence d’une synergie entre
G. rostochiensis et Verticillium dalhiae Kleb. On peut donc,
en général, se baser sur le fait qu’en lutte intégrée, les
mesures prises ne visent que les nématodes à kystes.
3) Contrairement à ce que l’on observe chez d’autres genres voisins, Heterodera et Meloidogyne, l’impact des
ennemis naturels sous nos climats est généralement très peu
important. Pratiquement, c’est un paramètre dont on peut parfaitement ne pas tenir compte.
4) Leur mobilité est très restreinte : ils restent donc dans les parcelles qu’ils contaminent. L’utilisation de méthodes
d’échantillonnage standardisées permet de connaître
l’importance de leurs populations avec une marge d’erreur
connue (M UGNIERY & Z AO U C H I , 1976). Comme
d’éventuels apports extérieurs ne peuvent pas perturber les
populations en place, on peut déterminer, en conditions de
culture, le seuil d’apparition des dégâts et étudier la
dynamique des populations. Tout ceci est encore facilité
sous les climats tempérés par l’existence d’une seule généra-
tion par culture : il n’y a donc pas de chevauchements de
générations qui compliqueraient ce genre d’étude.
A partir de ces bases, on peut déterminer la nuisibilité et
les facteurs de nuisibilité des populations en place et
calculer l’effet sur les populations de différentes opérations
culturales ou chimiques susceptibles d’être appliquées dans
la pratique. Ces études analytiques permettent d’élaborer
un système de rotation durant lequel les dégâts sur pomme de terre sont réduits et à la suite duquel les populations de
nématodes déclinent. Il est évident que la rotation proposée
doit tenir compte des caractéristiques économiques et écologiques des régions concernées : type de variétés culti- vées localement pour des problèmes de marché, dates de plantation et dates de récolte variables selon les conditions
climatiques locales, etc... De plus, selon les régions de production, les deux espèces de nématodes en cause se trouvent diversement réparties (MUGNIE R Y, 1974). On conçoit l’importance de ce fait quand on sait qu’il n’existe de cultivars résistants commercialisables qu’à l’égard de
G. rostochiensis. Enfin, certaines caractéristiques biologi-
ques des populations sont à considérer : une différence
d’agressivité entraîne des seuils de nuisibilité différents, la vitesse de déclin d’une population et son taux de multiplica-
tion sur pomme de terre influent sur la fréquence de retour
de cette culture, les vitesses de développement lentes ou rapides rendent les réalisations de cultures pièges possibles
ou non, etc.
Toutes ces variations de réponse modifient plus ou moins profondément la balance finale entre multiplication et
diminution des populations. A chaque population doit correspondre un système de lutte intégrée particulier. Ce
sont donc ces différences et leurs conséquences que nous
envisagerons.
II. VARIABILITÉ DES POPULATIONS
A. Variabilité de l’éclosion des nématodes
Les exsudats radiculaires de la pomme de terre provo- quent l’éclosion des kystes. Cependant, en l’absence de tout
végétal hôte, on assiste à une éclosion naturelle qui entraîne
une diminution de la population infestante.
1. Éclosion sans plante-hôte
On admet en général qu’en zone tempérée, le pourcen- tage d’éclosion se situe vers 30-33 p. 100 (H UIJ SMAN, 1961) ; S TONE et al. (1973) indiquent des pourcentages de 18 à 20 p. 100 pour G. pallida ; S TELTER (1970) se base sur une
moyenne de 50 p. 100. Dans les conditions naturelles, les
chutes de populations, consécutives à la culture d’une plante
non hôte ou à une jachère, correspondent en fait à l’effet
cumulé de l’éclosion naturelle et de la mortalité des oeufs
non éclos, en particulier sous l’effet de facteurs climatiques
défavorables : température et sécheresse. En Algérie, les
cultures non hôtes de printemps et d’automne entraînent des chutes de population de 30-33 p. 100, mais la jachère
estivale détruit 50 p. 100 des oeufs (M U GNIE RY & Z AOUCHI , 1973), ce qui aboutit à 80 p. 100 de réduction annuelle.
ScIItiLTE
R (1976) obtient au Maroc des résultats compara- bles. En France, selon les zones et les populations, tout peut varier assez profondément. G. rostochiensis, à Noirmoutier,
et G. pallida, à Saint-Malo, voient leurs populations chuter
de 40 p. 100 annuellement (M UGNIERY , 1978a). Les essais
réalisés à Béziers en 1979 avec G. pallida mettent en
évidence des chutes de population de 50 p. 100 entre février et juillet.
Le type de plante non hôte peut largement influer sur la
chute de population. T IMOFEEV & PO NIN (1975) indiquent
une diminution importante de population de G. rostochien- sis après lupin. Cependant, dans l’Ouest de la France
(Kermat), cette même plante non hôte ne fait pas diminuer de plus de 20 p. 100 les populations de G. pallida. Le même pourcentage a été trouvé sur cette population en 1979 et
1980 après ray-grass, cependant qu’une culture de carotte
permettait de réduire de 28 p. 100 le niveau de contamina- tion du sol.
Pour assainir le sol de la même manière, il faudrait donc compter avec G. pallida, 2 ans en Algérie, 5 ans à Béziers et
9 ans à Kermat.
2. Éclosion avec plante-hôte
Les exsudats radiculaires de la pomme de terre provo- quent l’éclosion des oeufs contenus dans les kystes. En général, G. rostochiensis éclot plus fortement que
G. pallida (P ARROT & BERRY, 1975). Mais le végétal
utilisé influe fortement sur l’importance de l’éclosion.
Solanum acaule Bitt., S. stoloniferum Schlechtd et Bché et
surtout S. demissum Lindl ne provoquent pratiquement pas d’éclosions chez G. rostochiensis (WEISCHE1!:, 1968). Au
niveau des cultivars de pomme de terre, d’énormes différen-
ces existent :
«Tarpan » fait beaucoup plus éclore G. rosto-
chiensis que « Broca » (MALEC & B AGACZYK , 1978).
«
Renaciamento
»favorise plus l’éclosion de G. pallida que celle de G. rostochiensis, ces 2 espèces éclosant très mal
avec « Parina », « Pinaza » et « Ruckü » (Ja,T,aLA et al. , 1977).
«Désirée »,
«Record »,
«Pentland Ivory »,
«Maris Piper » et
«Arran Banner » provoquent chez G. rostochien- sis des pourcentages d’éclosion de 55, 58, 65, 68 et 80 p. 100. Mais dans les mêmes conditions, on n’obtient
pour ces mêmes cultivars que 64, 26, 75, 55 et 68 p. 100 avec G. pallida (E VANS & FRANCO, 1979).
Avec un cultivar et une population de nématodes donnés,
d’autres facteurs influent sur l’éclosion. La structure du sol et son humidité sont des facteurs bien connus qui agissent
sur l’oxygénation et la pression osmotique des oeufs. Les exsudats radiculaires de certaines adventices stimulent, en présence de pomme de terre, l’éclosion de G. rostochiensis, tandis que d’autres l’inhibent partiellement, parfois de
moitié (MÂ Gl , 1970).
Tous ces exemples montrent bien que, pour une popula-
tion donnée, le choix du cultivar a une influence marquée
sur l’éclosion. En France, les cultures pièges de
«Sirtema »,
faites à Noirmoutier et à St-Malo contre G. rostochiensis et G. pallida, provoquent l’éclosion et donc la mort de 85 p. 100 et 60 p. 100 respectivement des nématodes.
A St-Malo, vis-à-vis de G. pallida, « Ostara » et « Sir-
tema » provoquent le même taux d’éclosion (M U G NIERY , 1978a). A Kermat, avec G. pallida, le pourcentage d’éclo- sion est de 82 p. 100 après
«Sirtema » et
«Ackersegen ».
Mais, à Béziers, avec G. pallida, l’éclosion naturelle induite par « Ostara » ne dépasse pas 50 p. 100 comme pour
«
Favorita
»à l’lie de Ré vis-à-vis de G. rostochiensis.
B. Variabilité du taux de multiplication
Après pomme de terre-hôte, on observe une multiplica-
tion des nématodes qui a été modélisée par divers auteurs :
SEINHORST (1967), RAEUBER & STELTER (1970), JONES
(1965), Mu!NIEttY (1976). Dans presque tous ces modèles,
la population initiale P(i) intervient, ainsi que le taux d’éclosion naturel après pomme de terre, te. Le modèle que
nous avons établi correspond à la formule :
Nous avons déjà vu que le taux d’éclosion, te, dépend de
la population considérée et des cultivars utilisés. Dans le cas
extrême où toute la population endoradiculaire est détruite,
le taux de multiplication observé correspond naturellement
au complément à 100 du pourcentage d’éclosion.
Le taux d’éclosion étant fixé, on conçoit que toute variation des coefficients a et b fasse varier profondément le
taux de multiplication observé. De fait, un certain nombre de facteurs peuvent agir et certains sont contrôlables.
1. Les facteurs climatiques
En général, plus ceux-ci sont défavorables au végétal, plus les dommages dus aux nématodes sont graves
(MuGroERY (1975). Dans de telles conditions, le déve- loppement post-embryonnaire s’effectue très mal et l’on peut aboutir à une destruction très importante des némato- des endoradiculaires (fig. 1).
2. Le cultivar
Celui-ci intervient selon ses capacités génétiques pro- pres : absence totale de résistance, résistance partielle ou
résistance totale. En cas de résistance totale, les nématodes
se développent mal et aucun ne parvient au stade femelle adulte. La multiplication sur le végétal est donc réduite à 0 et, après culture, l’inoculum résiduel correspond aux néma-
todes n’ayant pas éclos (M UGNIERY , 1978a). La résistance partielle qui provoque un blocage des larves L, dans les
racines et une réversion du sexe en faveur des mâles
(M UGNIERY
, 1982) conduit à limiter le nombre de femelles
produites (tabl. 1) et donc l’importance de la génération qui
en résulte (fig. 2).
Le cultivar intervient également par ses capacités agrono-
miques qui lui permettent d’héberger et de faire développer
en femelles des quantités variables de nématodes. D EN O
UDEN (1974) classe 10 cultivars non résistants selon leur
capacité multiplicatrice. EvANS & FRANCO (1979) indiquent quels sont les taux de multiplication de G. rostochiensis et de G. pallida sur divers cultivars. M UGNIERY (1976) montre
que le cultivar précoce
«Sirtema
»multiplie toujours moins
les nématodes que le cultivar plus tardif « Roseval », et conseille, en lutte intégrée, l’usage évident de cultivars peu
multiplicateurs.
La durée de végétation est un facteur prédominant à considérer, surtout en zone maraîchère spécialisée dans.la production de primeur. Plus cette durée est courte, plus le
coefficient b diminue et plus le taux de multiplication est
faible (fig. 2) et inversement (G RAIN G ER , 1964). Quand on parvient à récolter avant la maturation des femelles, on
détruit par le fait même l’ensemble de la population
endoradiculaire et l’on annule les deux coefficients a et b.
Dans ces conditions, comme avec un cultivar totalement
résistant, le taux d’évolution de la population correspond au complément à 100 du pourcentage d’éclosion observée.
C
ARLSSON & V IDEGARD (1971) utilisent cette caractéristi- que en semant au printemps des tubercules sans valeur et en
détruisant les plantes après un mois de végétation. GRAIN-
GER (1964), VAN DER BRANDE & d’HERDE (1964),
M
UGNIERY (1978a) cultivent des variétés très hâtives et les récoltent avant maturité des femelles. Ici, on joue sur
2 facteurs complémentaires : utilisation de plantes peu mul-
tiplicatrices et récoltes hâtives.
Cependant, que ce soit pour le développement des stades
endoradiculaires (M UGNIERY , 19786 ) et des oeufs (L
ANGESLAG et al., 1982), il existe des populations à
vitesses de développement différentes. Les élevages de
nématodes réalisés en conditions contrôlées indiquent net-
tement que certaines populations se développent beaucoup plus vite que d’autres à même température (tabl. 2). La
souche Ile de Ré peut, par comparaison, être qualifiée de
très rapide à température moyenne à élevée et est directe-
ment comparable à la souche Écosse qui, selon HotvnrrlNCx
(1976), se développe très rapidement dans les conditions
naturelles : les récoltes hâtives donneront donc en général
des résultats moins satisfaisants à Ré qu’à Béziers (fig. 3).
C. Variabilité de l’agressivité
On peut également caractériser la réaction du végétal à l’attaque d’une population donnée de nématodes selon des
degrés divers variant de l’hypersensibilité ou intolérance à la tolérance. On peut estimer le niveau d’agressivité des
nématodes et la réceptivité du végétal par le niveau de
population à partir duquel s’extériorisent quantitativement
les dommages. Au-delà de ce seuil, selon les conditions
climatiques, les dommages seront plus ou moins graves,
parfois inexistants (M UGNIERY (1975). En deçà de ce seuil, le végétal présente, dans les conditions où il se trouve, son rendement maximum.
Les diverses populations françaises peuvent être classées selon leur degré d’agressivité calculé à partir d’essais
réalisés en conditions naturelles. Les résultats (fig. 4), comparés à ceux publiés antérieurement (MUGNIERY, 1975), montrent que la population Ile de R.é est la plus dangereuse avec un seuil de nuisibilité de 2 à 5 larves par qramme de sol. Pour les populations Noirmoutier et St- Malo, ce seuil se situe à environ 10 larves par gramme de sol et la population de Béziers à environ 20 larves par gramme de sol.
Nous noterons cependant que ces seuils correspondent au
niveau de population dans le sol avant mise en culture. Si l’on considère que la population de l’Ile de Ré éclot mal
(50 p. 100) par rapport à la population de Noirmoutier
(85 p. 100) et que ce sont les larves écloses qui provoquent les dégâts, on peut considérer que la population de l’Ile de Ré est pratiquement 10 fois plus agressive que celle de Noirmoutier.
Il existe actuellement très peu de données sur la tolérance du végétal. S EINHORST & D EN OuDErv (1971) ont indiqué
que le cultivar
«Multa », comparé à d’autres cultivars, vis-
à-vis de la même population de nématodes, extériorise les dégâts à partir d’un niveau très élevé de population.
F
IGUEROA (1973) donne une liste de variétés européennes
relativement tolérantes aux populations vénézuéliennes. Il
ne semble pas exister actuellement de variétés susceptibles
d’intéresser les primeuristes français. « Ukama », qui pré-
sente la caractéristique de produire une quantité limitée de
gros tubercules ronds, semble moins affectée par G. rosto- chiensis à l’lie de Ré que
«Favorita » à tubercules allongés,
dont la diminution de taille consécutive à l’attaque des
nématodes entraîne l’élimination après calibrage.
Il semble qu’il existe une certaine interaction entre
agressivité des nématodes et tolérance du végétal : TARTE (1979) indique que la variété néerlandaise « Alpha » est,
vis-à-vis de G. rostochiensis, tolérante à Panama et sensible
au Mexique.
D. Résistance variétale
Les variétés résistantes à G. rostochiensis sont générale-
ment dérivées de S. tuberosum L. ssp. andigena. Leur
résistance est du type monogénique dominant. Ces variétés provoquent, comme d’ailleurs les variétés non résistantes, l’éclosion des larves qui pénètrent dans les racines mais ne peuvent pas s’y développer en femelles (tabl. 3). C’est à
l’observation de l’absence de femelles qu’un cultivar est
déclaré résistant. La culture de telles variétés entraîne donc
chez G. rostochiensis des réductions de populations directe-
ment en rapport avec leur taux d’éclosion (M UGNIERY , 1978a). Ce fait ne sera plus vérifié avec l’utilisation des cultivars dérivés de S. vernei Bitt. et Witm. dont la résis-
tance n’est pas totale. Les nématodes se développent
d’abord d’autant mieux que leur effectif est élevé dans les racines (Mu!NIERY, 1981), mais la compétition intraspécifi-
que intervient et inverse ce phénomène (Mu!NCErtY &
F AYET
, 1982) : en fait, plus on augmente l’infestation, plus
la résistance semble augmenter. On remarquera que ce
phénomène apparaît, mais à un niveau tout différent, chez
les variétés non résistantes (tabl. 1). Enfin, toujours dérivés
de S. vernei, certains cultivars, tels
«Miranda », limitent le
développement des femelles ; celles-ci restent de très petite
taille et leur fécondité est très réduite.
Vis-à-vis de G. pallida, aucune variété commercialisable totalement résistante n’est disponible. Il semble que l’on s’achemine vers la création de cultivars à résistance moyenne dérivés de S. vernei et de S. spegainü Bitt.. Il
existe cependant certains cultivars, comme « Proton », qui présentent des niveaux de résistance extrêmement intéres- sants.
Face à une population de G. rostochiensis, la culture
ininterrompue de variétés résistantes peut entraîner la sélection de souches à virulence accrue (HUI JSMAN , 1972).
De plus, il semble qu’il existe naturellement des souches de G. rostochiensis qui, sans pression de sélection, se déve- loppent bien sur de tels cultivars : TARTE (1979) montre
que sur 22 variétés néerlandaises résistantes à G. rosto-
chiensis aux Pays-Bas, 9 ne le sont pas à Panama. Selon cet auteur,
«Maryke
»n’est pas résistant puisqu’on observe des
augmentations de populations sur cette variété de 48 p. 100 alors qu’« Ukama », hybride direct de « Sirtema » (non résistant) et de
«Maryke
»(résistant), entraîne une réduc-
tion de la même population de 35 p. 100.
Si la population naturelle comporte les 2 espèces, on
observe l’élimination de G. rostochiensis par G. pallida
(tabl. 3), ce qui est actuellement le cas à l’lie de Ré par suite de l’utilisation à des fins agronomiques et économiques du
cultivar résistant
«Alcmaria
».La conséquence de ces interactions plante-parasite est qu’il faut identifier très précisément le type de nématode
auquel on a affaire avant de préconiser tel cultivar résistant
à G. rostochiensis. Au niveau régional français, seules les
régions de Noirmoutier, et peut-être de Nîmes, pourraient,
sans abus de monoculture, utiliser de tels cultivars. Les auteurs foyers sont soit mixtes, soit contaminés exclusive-
ment par G. pallida.
III. APPLICATIONS DE LUTTE INT:ÉGRÉE
A. La lutte chimique
Compte tenu des différences de tout type et des différen- , tes caractéristiques exprimées chez les diverses populations
de nématodes à kystes de la pomme de terre, il est possible
de choisir préférentiellement telle ou telle méthode de lutte
intégrée ou non. Comme facteur intégrable mais ne sem-
blant pas présenter de variabilité d’efficacité, s’inscrit la lutte chimique qui est d’autant plus importante à considérer que peu de moyens biologiques existent.
GOS
WAMI & R UMPENHORST (1978) ont bien trouvé un
champignon inconnu occasionnant une mortalité embryon-
naire de 70 p. 100, mais les travaux préliminaires à l’utilisa- tion de cet auxiliaire ne sont pas réalisés.
Parmi les nématicides, il faut distinguer les produits agis-
sant directement sur les nématodes par contact, des produits
à action indirecte du type endothérapique. Les produits de
contact de type DD détruisent les larves à l’intérieur des
kystes et les larves déjà écloses et libres dans le sol. Selon les doses et la plus ou moins bonne préparation du sol,
l’efficacité de ces traitements va de 80 à 95 p. 100. Il faut
cependant remarquer que si la pomme de terre est cultivée
sur sol désinfecté avec ce type de produit, elle permet une multiplication des nématodes survivants. Si la pomme de
terre est résistante ou arrachée avant maturité des femelles de nématodes, on observe une additivité des effets partiels.
Si, au contraire, le végétal est hôte et récolté tardivement, il permet une multiplication des nématodes survivants et les effets bénéfiques du produit sont totalement annihilés
(M U G NIERY
, 1978c).
Les produits ayant une action endothérapique, du type oxamyl, agissent différemment: leur effet maximum est surtout d’empêcher les larves de pénétrer dans les racines
(D
EN O UDEN , 1971). L’efficacité de ces produits ne peut
donc pas s’évaluer indépendamment du végétal-hôte (tabl. 4). On constate que l’effet cumulé produit némati- cide-végétal hôte est directement fonction de l’importance
de l’inoculum de départ (fig. 5) et des caractéristiques génétiques du cultivar et agronomiques de l’opération.
Quel que soit le type de nématicide utilisé, l’effet sur la
nématofaune phytoparasite et l’effet phytostimulant, quand
il existe, engendrent des augmentations de rendement qui peuvent ne pas être négligeables. On trouvera en tableau 5
un récapitulatif d’essais réalisés par nous-mêmes depuis
1971. On constatera qu’en général, on observe des augmen- tations de rendement significatives, mais que dans certains cas, avec des produits non phytostimulants, tel l’éthopro- phos, les différences avec les témoins sont faibles à nulles
quand les conditions climatiques de certaines années cultu- rales sont favorables à la végétation (M U GNI ERY , 1975).
B. L’intégration
Avec l’ensemble des données de base amassées et la connaissance de l’intérêt et des limites des traitements
chimiques, on peut proposer pour chaque région étudiée un système de lutte intégrée répondant au mieux aux condi-
tions locales. On trouvera en tableau 6 un récapitulatif des caractéristiques biologiques des populations étudiées avec
indication des critères favorables et défavorables en lutte
intégrée.
Pour chaque population, le problème pratique revient à
faire chuter, au moindre coût et avec un risque économique minimum, les populations en dessous du seuil de nuisibi- lité. Une fois ce seuil atteint, il faut choisir le système de
rotation le moins contraignant et le plus adéquat pour que les populations ne remontent pas en dessus de ce seuil. Nous examinerons successivement le cas des populations de Noirmoutier, St-Malo, Ré et Béziers.
1. Population de Noirmoutier
Il s’agit d’une population exclusivement constituée de G. rostochiensis, race A, dite RO 1. Cette population ne se développe pas sur variétés résistantes. Sur variété hôte, son développement est très lent et son taux d’éclosion est très élevé.
La méthode retenue pour faire chuter très fortement et très vite les populations correspond naturellement à utiliser
un cultivar résistant qui entraînera la destruction des nématodes éclos, soit 85 p. 100 de la population de départ.
Si celle-ci est importante, il y a risque non prévisible mais potentiel d’observer des chutes de rendements importantes
sur le cultivar résistant. On protégera donc celui-ci par l’intermédiaire d’un traitement de sol. Le choix et la dose du
produit sont alors à considérer. Un traitement endothérapi-
que limitant la pénétration des larves ne permettrait pas au cultivar résistant d’exercer son efficacité optimale. On
choisira donc un traitement de contact. Comme le problème
est surtout de protéger la culture, on utilisera une matière active soit à dose normale, soit à dose réduite si le nématicide est phytostimulant. Les conditions économiques
dictent l’utilisation de la seconde solution.
Un traitement à faible dose d’un nématicide phytostimu- lant, efficace à 70 p. 100, et la culture d’une variété résis- tante entraînent donc l’additivité des deux effets, soit (1 - 0,70) x (1 - 0,85)
=0,05. La population passera donc du niveau 100 au niveau 5. Comme les populations les plus fortes à Noirmoutier atteignent 3001arves/g de sol,
cette opération laissera le sol au niveau du seuil de nuisibilité de 15 larves/g de sol, tout en ayant permis à l’agriculteur une récolte sans risques et sans dommages.
Dans un deuxième temps, il faut rester en dessous du seuil de nuisibilité. Dans ce cas, une récolte hâtive de variété précoce correspondant parfaitement à la vocation
primeuriste de Noirmoutier, spécialisée dans la culture de
«
Sirtema », conduit à la stagnation ou à la diminution lente des populations du sol. Si pour des raisons économiques la
récolte a dû être retardée de quelques jours, l’utilisation d’une variété résistante rétablira la situation l’année sui- vante.
On joue donc, en définitive, sur la forte éclosion naturelle
de la population locale, sur sa lenteur de développement et
sur le fait qu’il n’y a pas présence de G. pallida. La culture,
de temps en temps d’une variété résistante ne contient pas le
risque de sélectionner des souches agressives.
Cette méthode, actuellement adoptée à Noirmoutier,
donne satisfaction.
2. Population de St-Malo
A St-Malo, la population trouvée jusqu’alors correspond
à G. pallida, vis-à-vis de laquelle il n’y a pas de variété résistante. Cette population éclot relativement mal (60
p. 100) et se développe assez lentement sur pomme de terre.
Un abaissement brutal du niveau de population ne peut donc s’envisager qu’avec l’aide d’un traitement nématicide à dose normale pour espérer une efficacité de 80 p. 100, suivi d’une culture de cultivar hôte précoce récolté hâtivement, qui entraînera une chute de population de 60 p. 100.
L’efficacité de cette opération sera donc de (1 - 0,80) (1 - 0,60)
=0,08. Une population initiale de 100 larves/g
de sol rétrogradera donc à 8 larves. Là encore, le terrain se trouvera au niveau du seuil de nuisibilité et la stagnation des populations s’obtiendra par culture de cultivar précoce
récolté hâtivement.
3. Population de Béziers
Le cas de Béziers est beaucoup plus compliqué car la majorité de l’infestation est constituée de G. pallida. Une
variété résistante ne parviendrait qu’à éliminer du sol une
population marginale de G. rostochiensis. De plus le taux
d’éclosion après pomme de terre est faible (50 p. 100), analogue à celui observé sans pomme de terre. Le dévelop- pement endoradiculaire est rapide, ce qui interdit de
jumeler destruction totale des nématodes et rendement
économique. De plus, la variété « Bea », très cultivée à
Béziers, est peu apte à subir ce genre d’opération. Par
contre, comme point favorable, le seuil de nuisibilité est relativement élevé (20 larves/g de sol).
Une diminution des populations en dessous de ce seuil en un an est impossible à atteindre. Le mieux qu’il soit possible
de faire est de récolter tôt une variété précoce protégée par
un traitement nématicide à dose normale, et en 2 e année, de
cultiver une plante non hôte pour abaisser de moitié la
population résiduelle. Dans ces conditions, on peut espérer
se retrouver au niveau du seuil de nuisibilité et, pour s’y maintenir, entreprendre une rotation biennale pomme de terre récoltée pas trop tard et plante non hôte.
4. Population de Ré
Les caractéristiques de la population de l’lie de Ré sont en général très peu favorables à un protocole de lutte intégrée pouvant retenir des agriculteurs intéressés presque exclusivement par la pomme de terre. Il s’agit d’une population mixte comportant partout quelques individus de
l’espèce G. pallida. Cette population éclot faiblement avec
pomme de terre, a un seuil de nuisibilité très bas, et son développement est très rapide.
La très faible proportion de G. pallida permet cependant
l’utilisation de variétés résistantes destinées à réduire G. rostochiensis. Comme le taux d’éclosion est faible, l’efficacité de cette méthode ne laisse pas espérer plus de
50 p. 100 de réduction. Pour augmenter l’effet variété résistante et pour éviter sur cette culture des dommages importants, on protégera par un traitement nématicide à dose normale. On peut ainsi espérer atteindre 80 à 90 p. 100 de réduction des populations. Pour abaisser encore les
niveaux de population en dessous du seuil de nuisibilité, on réalisera 2 années de plantes non hôtes à la suite desquelles
une pomme de terre pourra être cultivée à condition que sa récolte soit hâtive. Ce procédé n’empêchera pas les popula-
tions d’augmenter et la réduction se fera de nouveau par
2 années de plantes non hôtes. On tendra donc vers une
rotation triennale où la pomme de terre ne sera présente qu’une seule fois.
IV. CONCLUSION
Il apparaît donc clairement que les caractéristiques biolo- giques et écologiques des différentes populations de
G. rostochiensis et G. pallida doivent être connues pour mettre en place un système de lutte intégrée. Sans ce préalable, on aboutit à des protocoles standardisés tels ceux
indiqués par N OLLEN & M ULDER (1969) qui, localement, s’avéreront être d’une efficacité trop forte ou trop faible sur les populations. Dans les deux cas, la situation phytosani-
taire ne s’améliore pas. Dans le premier cas, la rotation
relativement longue exigée et le coût d’application fré- quente de nématicides conduisent les agriculteurs à refuser
ce scénario et à revenir à une monoculture non raisonnée.
Il ne faut également pas perdre de vue que l’utilisation exclusive d’un seul procédé de lutte est souvent facilement tournée par les nématodes. Cela a été le cas aux Pays-Bas
avec l’utilisation des cultivars résistants qui ont engendré les
souches agressives (HUIJSMAN, 1961). Cela est le cas également en Ecosse avec la seule utilisation des cultures du cultivar précoce « Epicure » récolté tôt : on a abouti à la sélection de populations éclosant à basses températures,
c’est-à-dire presque immédiatement après la plantation, et
se développant ensuite très vite dans les racines
(H OMININCK
, 1976). Seuls les nématicides de contact, dont l’action s’exerce sur un grand nombre de sites vitaux des nématodes, n’a pas entraîné l’apparition de souches naturel- les résistantes. Mais de toute façon, leur seule utilisation sur
pomme de terre n’a jamais suffi à régler les problèmes. Par
contre, on peut supposer que les produits endothérapiques,
non homologués en France sur pomme de terre, mais
largement utilisés dans d’autres pays, pourront, parce que leur cible biologique est étroite, entraîner l’apparition de
races résistantes.
A l’heure actuelle, il semble donc que ce soit l’utilisation raisonnée et intégrée d’un certain nombre de moyens, variables d’une région à une autre, et non prévisibles avant
essais de laboratoire et de plein champ, qui soit la solution
pratique à appliquer en conditions culturales classiques.
Reçu le 20 novembre 1981.
Accepté le 2 avril 1982.
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