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Le service minimum - Les services essentiels : approches française et québécoise.

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HAL Id: tel-00068888

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Submitted on 15 May 2006

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Le service minimum - Les services essentiels : approches

française et québécoise.

Laurence Fontaine

To cite this version:

Laurence Fontaine. Le service minimum - Les services essentiels : approches française et québécoise.. domain_other. Université des Sciences Sociales - Toulouse I, 2004. Français. �tel-00068888�

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UNIVERSITÉ DES SCIENCES SOCIALES DE TOULOUSE

UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

LE SERVICE MINIMUM ET LES SERVICES ESSENTIELS

(ÉTUDE FRANÇAISE CONFRONTÉE AU DROIT QUÉBÉCOIS)

THÈSE

pour le

DOCTORAT EN DROIT

présentée et soutenue publiquement le 29 novembre 2004

par Laurence Léa FONTAINE

MEMBRES DU JURY

Monsieur Jean PÉLISSIER, Codirecteur de recherche, Professeur émérite à

l’Université des Sciences Sociales de Toulouse

Madame Guylaine VALLÉE, Professeur à l’Université de Montréal, représentant

Madame Marie-France BICH, Codirectrice de recherche, Professeur à

l’Université de Montréal

Monsieur Alain SUPIOT, Professeur à l’Université de Nantes, Rapporteur

Monsieur Denis MAZEAUD, Professeur à l’Université Paris II, Rapporteur

Monsieur Albert ARSEGUEL, Professeur à l’Université des Sciences Sociales de

Toulouse, Vice-président de l’Université

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UNIVERSITÉ DES SCIENCES SOCIALES DE TOULOUSE

UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

LE SERVICE MINIMUM ET LES SERVICES ESSENTIELS

(ÉTUDE FRANÇAISE CONFRONTÉE AU DROIT QUÉBÉCOIS)

THÈSE

pour le

DOCTORAT EN DROIT

présentée et soutenue publiquement le 29 novembre 2004

par Laurence Léa FONTAINE

MEMBRES DU JURY

Monsieur Jean PÉLISSIER, Codirecteur de recherche, Professeur émérite à

l’Université des Sciences Sociales de Toulouse

Madame Guylaine VALLÉE, Professeur à l’Université de Montréal, représentant

Madame Marie-France BICH, Codirectrice de recherche, Professeur à

l’Université de Montréal

Monsieur Alain SUPIOT, Professeur à l’Université de Nantes, Rapporteur

Monsieur Denis MAZEAUD, Professeur à l’Université Paris II, Rapporteur

Monsieur Albert ARSEGUEL, Professeur à l’Université des Sciences Sociales de

Toulouse, Vice-président de l’Université

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Cette thèse a été réalisée dans le cadre du Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche sur les Ressources Humaines et de l’Emploi [L.I.R.H.E., Unité de recherche associée au C.N.R.S., E.S.A 5066], équipe d’accueil à l’Université des Sciences Sociales de Toulouse I.

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REMERCIEMENTS

Mes remerciements s’adressent tout d’abord à mes codirecteurs de recherche : Madame Marie-France BICH, Professeur à l’Université de Montréal, pour ses nombreuses remarques et observations qui m’ont beaucoup aidée à appréhender les droits canadien et québécois ; Monsieur Jean PÉLISSIER, Professeur émérite à l’Université des Sciences Sociales de Toulouse, pour ses précieux conseils, ses encouragements constants, sa confiance et nos discussions toujours enrichissantes qui m’ont permis de mener à bien ce travail.

Je remercie ensuite les membres du L.I.R.H.E, laboratoire d’accueil, dirigé par Madame Brigitte REYNÈS, Maître de conférence à l’Université des Sciences Sociales de Toulouse, pour l’intérêt qu’ils ont porté à mon travail.

Je tiens également à remercier l’ensemble du personnel du Conseil des services essentiels pour leur accueil spontané et généreux. Je pense tout particulièrement à Maître Pierre MAROIS, ancien Président, qui le premier m’a ouvert les portes de l’Institution, à Monsieur Normand GAUTHIER, Président, à Madame Céline JACOB, Responsable des communications, à Madame Danièle DESFOSSÉS, Médiatrice, et bien sûr à Maître Jeanne COUTU, Directrice de l’administration, Adjointe à la présidence du Conseil des services essentiels, pour ses nombreux conseils riches d’enseignements et toujours respectueux de l’indépendance de cette recherche.

Enfin, je remercie mes proches, qui ont toujours encouragé et soutenu mon travail. J’ai une pensée toute particulière pour Evelyn, Florence, Claude, Claudette, Sandrine – en souvenir –, sans oublier Lily et Côme.

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« Il est plus difficile de désagréger un préjugé qu’un atome. » Albert EINSTEIN

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ABRÉVIATIONS

Rem. : mention d’un « F » ou d’un « Q » pour spécifier l’appartenance à l’un ou l’autre des systèmes juridiques français ou québécois.

A.J.D.A. Actualité juridique de droit administratif - F A.J.F.P. L’Actualité Juridique. Fonctions publiques - F

Ass. Assemblée (Décision d’assemblée du Conseil d’État) - F BC Bulletin civil des arrêts de la Cour de Cassation - F

B.R. Cour du Ban de la Reine (du Roi) (aujourd’hui Cour d’appel) - Q CA Cour d’appel - F

Cass. crim Cour de Cassation, chambre criminelle - F Cass. soc. Cour de Cassation, chambre sociale - F CC Conseil Constitutionnel - F

CE Conseil d’État - F

C.J.É.G. Cahiers juridiques de l’électricité et du gaz - F

C.S. Cour supérieure (ou Recueil de la Cour supérieure) - Q C.S.B.P. Cahiers sociaux du Barreau de Paris - F

D. Recueil Dalloz - F

Dr. Adm. Droit administratif (Bulletin des éditions techniques) - F Dr. ouvr. Droit ouvrier - F

Dr. soc. Droit social - F

éd. gén. Édition générale (J.C.P.) - F éd. E Édition entreprise (J.C.P.) - F

G.A.D.T. Grands arrêts de droit du travail (3ème éd., 2004) - F

G.D.C.C. Grandes décisions du Conseil Constitutionnel (12ème éd., 2003) - F Gaz. Pal. Gazette du Palais - F

J.C.P. Juris-Classeur Périodique (Semaine Juridique) - F JO Journal Officiel - F

J.S.L. Jurisprudence sociale Lamy - F L.R.Q. Lois refondues du Québec - Q

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L.Q. Lois du Québec (depuis 1969) - Q N.C.P.C. Nouveau Code de procédure civile - F O.I.T. Organisation Internationale du Travail P.A. Les Petites Affiches - F

P.U.F. Presses Universitaires de France - F

Rec. Recueil des décisions du Conseil d’État (Recueil Lebon) - F Rev. Adm. La Revue Administrative - F

R.C.C. Recueil des décisions du Conseil Constitutionnel - F R.C.S. Recueils de la Cour suprême du Canada - Q

R.D.P. Revue de Droit Public et de la Science Politique (en France et à l’étranger) - F R.D.T. Revue de droit du travail - Q

Rel. Ind. Revue Relations industrielles (Université Laval) - Q R.F.A.P. Revue française d’Administration Publique - F R.F.D.A. Revue française de Droit Administratif - F R.F.D.Const. Revue française de Droit Constitutionnel - F R.I.T. Revue Internationale du Travail

R.J.S. Revue de jurisprudence sociale - F

R.J.Q. Recueil de jurisprudence du Québec (depuis 1986) - Q R.P.D.A. Revue pratique de droit administratif - F

R.P.D.S. Revue pratique de droit social - F R.P.P. Revue politique et parlementaire - F

R.D.U.S. Revue de Droit de l’Université de Sherbrooke - Q S. Recueil Sirey - F

s. Suivants (-es : pages suivantes ; paragraphes suivants) spéc. Spécialement (ex : voir spécialement, page numéro, etc.) s.l. Section locale (syndicale ; au Québec) - Q

S.S.L. Semaine sociale Lamy - F TA Tribunal administratif - F TGI Tribunal de grande instance - F

T.P.I.C.E. Tribunal de première Instance des communautés européennes T.P.S. Travail et Protection Sociale - F

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SOMMAIRE

Introduction

Chapitre préliminaire

Première partie – La notion de service minimum

Titre premier – Approche générale : le maintien d’une certaine activité

Chapitre premier – L’affirmation de l’exigence d’une continuité de service Chapitre second – Les moyens d’assurer la continuité de service

Titre second – Les modalités techniques des définitions

Chapitre premier – Les secteurs d’activités concernés par la mise en œuvre du service minimum

Chapitre second – Les services indispensables

Seconde partie – La mise en œuvre du service minimum Titre premier – La négociation du service minimum

Chapitre premier – La négociation, moyen privilégié de mise en œuvre du service minimum

Chapitre second – Les acteurs de la négociation du service minimum

Titre second – Les moyens d’assurer l’effectivité du service minimum

Chapitre premier – Le contrôle du service minimum

Chapitre second – Les ripostes à l’inobservation du service minimum

Conclusion Bibliographie Index

Table des matières Annexes p. 17 p. 29 p. 53 p. 57 p. 61 p. 121 p. 179 p. 185 p. 251 p. 353 p. 357 p. 361 p. 433 p. 505 p. 509 p. 563 p. 635 p. 643 p. 699 p. 711 p. 721

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Le droit français consacre deux principes, ayant l’un et l’autre valeur constitutionnelle, qui semblent antinomiques : la continuité des services publics et le droit de grève. La continuité suppose que les agents chargés de l’exécution des services publics assurent régulièrement et de façon constante la mission qui leur a été confiée. Intrinsèquement lié à l’existence même de l’État, ce principe est consacré depuis longtemps1. Il s’agit d’une véritable loi de nature qui a une force particulière lorsque le service public est confié à un monopole. En effet, quand l’État fournit, de manière monopolistique, des services essentiels à la satisfaction des besoins primaires de la population, leur suppression entraîne une profonde perturbation sociale. L’absence de substitut aux services dont le public dépend accroît ce phénomène. Les grèves dans les services publics affectent nécessairement la vie du public

usager et client. Les services publics concernent la grande majorité de la population (des particuliers

aux entreprises) et ne permettent pas d’accumuler les réserves nécessaires pour passer la période de grève sans dommages. Les interruptions des services publics marchands, notamment les transports, la poste et l’énergie, impliquent immanquablement un ralentissement de l’activité économique du pays2.

Il n’est pas possible de priver l’ensemble de la population de services qui répondent à des besoins essentiels. Un moyen radical pour assurer la continuité des services essentiels est l’interdiction faite aux agents des services publics de faire grève. Cette solution a été longtemps retenue. Les personnels des services publics ne bénéficiaient tout simplement pas du droit de grève qualifié de « moyen révolutionnaire »3 ou « de faits de guerre »4. La grève dans les services publics a longtemps été considérée comme un acte illicite et inconcevable car contraire aux principes de la Fonction publique5 et « incompatible avec la continuité essentielle à la vie nationale »6.

1 CE 7 août 1909, Winkell, Rec. 826 ; S. 1909. III. 145, note Maurice HAURIOU.

2 Chambre de commerce et d’industrie de Paris, Droit de grève et service public, rapport présenté par M. Guy

PALLARUELO au nom de la Commission du travail et des questions sociales, de la Commission du commerce intérieur et de la Commission économique et financière, 5 septembre 2002, pp. 11 s. ; Neil W. CHAMBERLAIN et Jane M SCHILLING, The impact of Strikes : Their Social and Economic Costs, Harper & Brothers Publishers, 1954.

3Commissaire du gouvernement TARDIEU, « Concl. sous CE 7 août 1909, Winkell », S. 1909. III. 145. 4 M. HAURIOU, « Note sous CE 7 août 1909 », S. 1909. III. 145.

5 C’est-à-dire l’ordre, la hiérarchie, la soumission et la discipline ; et ce même après la loi du 25 mai 1864 abolissant le délit

de coalition (art. 414 à 416 du Code pénal).

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Mais le droit de grève a finalement été reconnu et attribué aux fonctionnaires comme aux salariés. Certes, au départ, tant le législateur7 que le constituant8, restaient muets sur la reconnaissance du droit de grève à ces personnels. C’est le Conseil d’État qui, dans sa célèbre décision Dehaene9, affirme, implicitement il est vrai, que les fonctionnaires ne sont pas exclus de l’exercice de ce droit. Il existe quelques rares exceptions à ce principe. Ainsi, sont privés du droit de grève les agents qui, soit assurent le maintien de l’ordre public tels que les membres des Compagnies Républicaines de Sécurité, les policiers, les personnels des services extérieurs de l’administration pénitentiaire, les magistrats et les militaires, soit concourent à la sécurité des personnes et des biens ainsi qu’à la conservation des installations et des matériels du service public10.

En dehors de ces cas, il faut trouver une solution pour concilier le droit de grève avec la continuité des services publics. Plusieurs sont envisageables. Il est tentant de donner la préférence à celles qui n’ôtent pas aux agents le droit d’arrêter le travail.

Dès lors ne faut-il pas faire appel à d’autres personnes que les grévistes pour assurer la continuité du service ? Parfois, la jurisprudence autorise l’employeur, pendant un conflit collectif, à recruter des salariés sous contrat à durée indéterminée, à faire glisser des salariés non-grévistes sur les postes laissés vacants par les salariés grévistes, à délocaliser la production, à recourir à la sous-traitance, à utiliser les services de salariés mis à disposition, voire même, à recourir à des bénévoles11. Toutefois, même si la solution d’utiliser un personnel différent de celui des grévistes pour assurer la continuité du service est séduisante, elle présente d’assez nombreux inconvénients. D’abord, elle ne permet pas toujours de faire preuve de diplomatie et de ménager les sensibilités des individus. En effet, dans un contexte de conflit collectif, il est parfois délicat de demander à des personnes d’effectuer le travail aux lieu et place des grévistes. Ensuite, d’un point de vue juridique, il faut bien sûr que ce recours à un personnel différent soit conforme au droit. Par exemple, s’il s’agit de faire glisser des non-grévistes sur les postes de grévistes, il faut se garder de toute modification de leur contrat de

7 Loi du 19 octobre 1946 portant statut général des fonctionnaires.

8 Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, al. 7 : « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le

réglementent ».

9 CE Ass. 7 juillet 1950, Dehaene, Rec. 426 ; R.D.P. 1950, p. 691, note M. WALINE et p. 702, concl. commissaire du

gouvernement François GAZIER ; J.C.P. éd. gén. 1950. II. 5681.

10 Loi n° 47-2384 du 27 décembre 1947 portant réorganisation des compagnies républicaines de sécurité, art. 6 al. 3 (JO 28) ;

loi n° 48-1504 du 28 septembre 1948 relative au statut spécial des personnels de police, art. 2 al. 2 (JO 29) ; ordonnance n° 58-696 du 6 août 1958 relative au statut spécial des personnels des services extérieurs de l’administration pénitentiaire, art. 3 (JO 7) ; ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, art. 10 (JO 23) ; loi n° 72-662 du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires, (JO 14) ; loi n° 80-572 du 25 juillet 1980 sur la protection et le contrôle des matières nucléaires, art. 6 (JO 26).

11 Voir : Cass. Soc. 24 juillet 1952, Dr. soc. 1952, p. 683 ; Cass. Soc. 15 février 1979, Société Descours et Cabaud c. Mille et

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travail. Qui plus est, dans les services publics, l’utilisation de personnel extérieur est rendue particulièrement difficile en raison des modes habituels de recrutement des agents publics et de leur formation très spécifique. Partant, il est quasiment impossible de trouver, dans les meilleurs délais, un personnel de remplacement ayant les qualités et les connaissances requises. De surcroît, cette solution n’est autorisée que dans des cas très particuliers correspondant à des circonstances exceptionnelles12 et, en tout état de cause, elle ne permet pas toujours d’assurer la continuité du service.

Il convient alors de rechercher des solutions qui, sans supprimer le droit de grève, le limitent. Cette limitation peut elle-même prendre des formes assez variées. L’État peut imposer un préavis de grève ou une obligation de négociation avant le déclenchement d’un conflit, organiser une médiation ou un arbitrage. Le préavis de grève ou l’obligation de négocier permettent d’apporter une solution à certains conflits mais ils n’assurent pas toujours la continuité du service. L’État peut ainsi être amené à imposer un travail à certains grévistes. Cette obligation de travail peut être organisée dans des conditions très différentes quant au mode d’appel au travail, au nombre de personnes requises, à la durée de travail imposé.

Ce sont les problèmes liés à ce qui est souvent appelé « le service minimum » qui font l’objet de cette recherche. Ces problèmes sont autant d’ordre politique que d’ordre juridique. Et si les solutions de droit positif sont encore très parcellaires et floues, cela tient aux deux ordres de difficultés.

Les difficultés d’ordre politique sont persistantes.

D’un coté, les usagers des services publics supportent de plus en plus mal des grèves à répétition qui les empêchent de remplir leurs obligations professionnelles, qui les importunent dans leur vie personnelle, ou qui peuvent mettre en péril leur santé ou celle de leurs enfants. Comme l’affirmait le professeur Gérard LYON-CAEN, « la seule grève efficace est la grève gênante pour le public »13. Si la grève est intrinsèquement gênante, elle ne l’est pas uniquement à l’égard de l’employeur mais aussi du public. Ceci est d’autant plus vrai en cas de grève dans les services publics. La société accepte de tolérer une certaine désorganisation sociale résultant des conflits collectifs de travail. Toutefois, l’impatience de la population se manifeste d’autant plus que les grèves sont nombreuses et régulières. Même si l’approche statistique ne permet pas d’appréhender la question

12 Ex. : loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de la poste et des télécommunications (JO 8). 13 G. LYON-CAEN, « La réquisition des salariés en grève selon le Droit positif français », Dr. soc. 1963, pp. 215 s. spéc. p.

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dans son ensemble, les chiffres sont éloquents. Le nombre de journées perdues pour fait de grève est de l’ordre de 400 000 journées par an14. Les années ayant connu le plus grand nombre de journées de grève sont 1989 et 1995 avec respectivement 2,3 et 3,7 millions de journées perdues15. Dans les secteurs privé et public des transports, il appert que les jours de grèves dans le secteur public sont plus nombreux. Ils représentent 62 % du total de la conflictualité, répartis essentiellement entre la S.N.C.F. et la R.A.T.P.16. L’ampleur de ces conflits rapportée à la population active en cause fait prendre la mesure du caractère paradoxal de la situation. En effet, sur une population active de 25,6 millions d’individus, les personnels de l’ensemble des services publics en représentent environ 6,5 millions17. Ce constat pousse certaines personnes a parlé de « gréviculture »18. La France enregistre sur la récente période (1994-1999) une hausse du taux de grève19. En revanche, la R.A.T.P. et la S.N.C.F. connaissent une baisse importante de leur conflictualité ces dernières années20. En dehors des

transports, les grèves qui engendrent le plus de mécontentement sont celles qui touchent les hôpitaux ainsi que l’Éducation nationale.

Ce sont les contingences occasionnées par ces arrêts de travail qui irritent le plus les usagers et les poussent à réclamer avec force la mise en place de service minimum. S’estimant être les « victimes » ou les « otages » des conflits collectifs, certains usagers se sont regroupés en associations pour faire entendre leurs réclamations relatives à la continuité du service public, c’est-à-dire la création de services minimums dans différents services publics. Certaines de ces associations se sont exprimées officiellement lors d’auditions menées dans le cadre de travaux parlementaires ou gouvernementaux

14 En moyenne annuelle sur les quinze dernières années.

15 Chiffres cités par le Conseil Économique et Social : Avis rendu sur le rapport présenté par Guy NAULIN, Prévention et résolution des conflits de travail, Séance des 10 et 11 février 1998, pp. I.5-I.6 (JO 18), p. II.47.

16 La S.N.C.F. [Société nationale des chemins de fer] : 18 % ; la R.A.T.P. [Régie autonome des transports parisiens] : 43 %. 17 La fonction publique représente 4,5 millions de personnes auxquels il faut ajouter environ 1,4 million de salariés travaillant

dans le secteur public au sens large (soit 472 000 salariés environ pour La Poste et France Télécom) et 450 000 salariés environ pour l’ensemble des entreprises publiques majoritairement sous le contrôle de l’État : SÉNAT, Rapport n° 194 (1998-1999), Claude HURIET, documents Sénat, Commission des affaires sociales, sur la proposition de loi n° 491, pp. 18-19 et annexe n° 4 : « Informations transmises par les entreprises entendues en audition », pp. 177 s.

18 Le Monde, 14 janvier 1999, François BOSTNAVARON et Frédéric LEMAÎTRE, « Louis Gallois, président de la

S.N.C.F. : l’année 1998 a été très bonne, mais rien ne justifie le nombre de conflits sociaux ».

19 Forte augmentation de la conflictualité dans la fonction publique française (1 650 300 jours de grève en 2000 contre 751

900 en 1999) ; principaux conflits touchant le ministère des Finances, l’Éducation nationale, la Justice et La Poste ; le Bureau International du Travail [B.I.T.], observe depuis les années quatre-vingt-dix, un recul général des conflits du travail au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques [O.C.D.E.]. Source : B.I.T., « Nombre de journées perdues par suite d’un conflit du travail », 2001 ; Chambre de commerce et d’industrie de Paris, Droit de grève et service public, loc. cit., note 2, p. 8.

20 D.A.R.É.S., Ministère de l’emploi et de la solidarité, Les conflits en 2000 : le regain se confirme, Février 2002, n° 09.1 ;

S.S.L. 2002, n° 1066, pp. 2-3 ; www.dares.fr ; R.A.T.P. (569 en 2000 ; 432 en 2002) ; S.N.C.F. (459 en 2000 ; 187 en 2002) ; nombre de journées perdues par agent pour ces deux entreprises publiques : 0,44 en 2000, 0,26 en 2002 (1,3 en 2003) à la R.A.T.P. et 0,48 en 2000 ; 0,21 en 2002 (2,26 en 2003) à la S.N.C.F. : Source : R.A.T.P. et S.N.C.F., données publiées par Le Monde Économie, 27 mai 2003, Francine AIZICOVICI, « Les députés U.M.P. veulent instaurer un service minimum dans les transports ».

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ou de manière plus informelle en organisant des manifestations « anti-grèves » ou en diffusant leurs points de vue dans la presse ou sur des sites Internet. Plus de quatre Français sur cinq se déclarent favorables à l’instauration d’un service minimum dans les services publics, selon un sondage de l’I.F.O.P.21. Toutefois, le comportement des citoyens dans des situations de grande grève comme celle de 1995 ou de 2003 révèle une certaine ambivalence : en même temps, ont pu être constatés l’exaspération des usagers et un sentiment de compréhension à l’égard des grévistes. Mais, globalement, l’idée d’une mise en place d’un service minimum dans les services publics semble obtenir un accueil assez favorable de la part de la population.

De l’autre côté, les syndicats estiment qu’il est absolument interdit de s’en prendre au droit de grève constitutionnellement reconnu. Il existe une vive résistance des travailleurs et des syndicats qui voient dans le service minimum une atteinte pure et simple à ce droit. Conquis après un siècle d’actions et de combats, toute tentative de le restreindre se heurte à la valeur symbolique qu’il a acquis. Toute limitation du droit de grève est jugée inadmissible en particulier celle qui tend à obliger un gréviste à travailler. Plusieurs syndicats sont très hostiles au service minimum. Ainsi, Force Ouvrière [F.O.] ou Solidaires, Unitaires et Démocratiques-Rail [S.U.D.-Rail] dénoncent la mise en place d’un service minimum comme « une remise en cause du droit constitutionnel de grève »22. La Confédération Générale du Travail [C.G.T.] rejette, quant à elle, toute idée de réglementation du droit de grève et estime que le service minimum est « la marche vers l’abolition pure et simple d’une liberté fondamentale »23. D’autres syndicats sont moins catégoriques au sujet du service minimum notamment la Confédération Française Démocratique du Travail [C.F.D.T.]24 et la Confédération Française des Travailleurs Chrétiens [C.F.T.C.]25, qui restent prudentes en la matière.

21 En 1998, 2001, 2003 et 2004, respectivement 82 %, 88 %, 74 % et 78 % des personnes interrogées étaient favorables à la

mise en place d’un service minimum en cas de grève dans les services publics (Le Monde, 8 décembre 1998, A.F.P., « Les Français pour un service minimum, selon l’I.F.O.P. », sondage réalisé par téléphone le 5 décembre 1998 auprès d’un échantillon de 668 personnes (selon la méthode des quotas) et publié par Le Journal du dimanche le 6 décembre 1998 ; Le Monde, 6 avril 2001, A.F.P., « Union des transports publics ». L’U.T.P. est un syndicat professionnel des entreprises de transport urbain de voyageurs : www.utp.fr ; Le Monde, 9 décembre 2003, A.F.P., « Service minimum contre droit de grève en débat à l’Assemblée » ; Le Figaro, 8 décembre 2003, A.F.P., « 74 % des Français favorables à l’instauration d’un service minimum dans les transports publics ». Ces deux journaux reprennent un sondage I.F.O.P. réalisé les 4 et 5 décembre 2003 auprès d’un échantillon de 970 personnes et publié par Le Journal du dimanche le 7 décembre 2003 ; Le Monde, 7 mars 2004, Rémi BARROUX, « P.M.E. : les patrons pour le service minimum », sondage réalisé par I.P.S.O.S. auprès de 568 salariés du privé interrogés du 3 au 7 février 2004).

22 F.O. : SÉNAT, Rapport n° 207 (1986-1987) sur la proposition de loi n° 147, Pierre LOUVOT, annexes, pp. 57 s. ; Le Monde, 6 décembre 1998, Jean-Michel BEZAT, « L’encadrement ‘ concerté ’ du droit de grève provoque une levée de boucliers » ; Le Figaro Économie, 28 novembre 2003, A.F.P., « Les syndicats affichent leur hostilité face au service minimum » ; S.U.D.-Rail : Le Monde, 6 décembre 1998, J.-M. BEZAT, idem.

23 C.G.T., « Documents – Position de la C.G.T. sur la proposition de loi tendant à instaurer un service minimum dans les

services publics », Dr. ouvr. 1999, pp. 62-63.

24 SÉNAT, Rapport n° 207, op. cit., note 21, annexes, pp. 54-55.

25 Clovis-Gilles FAKI, « Point de vue syndical », Dr. soc. 1989, pp. 811-812 ; Le Monde, 8 septembre 2004, A.F.P.,

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Le service minimum est un sujet d’actualité. L’inflation du nombre de propositions de loi déposées au Parlement montre que le service minimum est au cœur des préoccupations des députés et des sénateurs. Sous des appellations, certes différentes, le service minimum est réclamé depuis plusieurs décennies. Pas moins d’une trentaine de textes ont été déposés sur le thème du service minimum dont presque la moitié depuis le début des années deux mille. Sans doute, s’agit-il aussi d’une volonté de satisfaire ou de séduire une partie de l’opinion publique26. Au-delà des considérations politiques, voire politiciennes, le constat de l’échec des nombreux travaux menés par les parlementaires révèle l’incapacité du législateur à aborder cette question ardue.

L’observation de droits étrangers révèle cependant que, dans des démocraties libérales, ayant une économie assez semblable à celle de la France, des solutions de conciliation ont été trouvées. Ainsi, plus de la moitié des pays européens prévoient aujourd’hui un régime général du service minimum : le service minimum italien est garanti par une autorité indépendante ; le service minimum espagnol, dispositif souple et efficace, est consacré par la Constitution ; le service minimum portugais, quelque peu imparfait, est destiné à éviter au mieux le blocage des services publics ; le service minimum grec est strictement encadré par la loi ; les services minimums suédois et finlandais sont issus de la négociation collective ; le service minimum belge est, quant à lui, limité au secteur privé. Les nouveaux entrants dans l’Union européenne bénéficient majoritairement de dispositions relatives au service minimum qui s’appliquent de manière générale (Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Estonie et Roumanie) ou ponctuelle (Slovénie et Pologne mais aussi, parmi les membres plus anciens de l’Union, Irlande et Pays-Bas). Au-delà des modèles européens, le service minimum est également appliqué comme c’est le cas au Canada, et plus particulièrement, dans la province du Québec.

Ces exemples étrangers doivent être utilisés avec prudence parce que les mentalités, la place des syndicats, le sens du service public varient d’un pays à un autre. Il demeure qu’une expérience comme l’expérience québécoise des services essentiels est riche d’enseignements. Dans ce système juridique, les services publics considérés comme essentiels à « la santé ou la sécurité publique » ne peuvent donner lieu à des grèves totales, ces arrêts de travail devant être limités afin de préserver le bon fonctionnement desdits services publics. L’existence des services essentiels, négociés par l’employeur et le syndicat et formalisés dans des accords, est garantie par une autorité indépendante appelée « Conseil des services essentiels ». Le dispositif québécois est particulièrement intéressant car

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il offre un recul d’une vingtaine d’années et permet d’observer la construction progressive d’une notion juridique aussi riche que celle des services essentiels.

Les règles des services essentiels seront analysées pour voir dans quelle mesure certaines initiatives pourraient être reprises en France et pour écarter d’autres règles qui seraient inconciliables avec nos traditions ou nos pratiques françaises.

Les difficultés ne sont pas seulement d’ordre politique. Elles sont aussi d’ordre juridique et ce sont principalement ces difficultés qui seront au cœur de cette analyse. L’étude est centrée sur l’opportunité de la mise en œuvre du service minimum et sur les questions qu’elle soulève, et ce, au regard des enseignements tirés du droit québécois. Les difficultés apparaissent dès qu’il s’agit de cerner la notion de service minimum. Incontestablement, la difficulté technique de la définition du service minimum ralentit depuis des années sa concrétisation. La construction du service minimum n’en est qu’à ses balbutiements. La notion de service minimum n’a jamais été définie de manière générale par le législateur alors qu’elle incarne l’aménagement du droit de grève comme une idée force et semble constituer la mesure la plus logique d’un point de vue conceptuel. Le service minimum est le fruit de la nécessaire conciliation et de l’application partielle des deux principes d’égale valeur juridique. Il représente le point d’équilibre entre exercice du droit de grève et continuité des services publics.

L’analyse de la notion de service minimum implique la recherche d’une assise juridique solide. Les difficultés techniques réelles concernent les modalités techniques de la définition du service minimum. Il faut définir le champ d’application du service minimum, c’est-à-dire qu’il convient de déterminer les secteurs et services publics devant être concernés par le service minimum. Cette tâche est rendue particulièrement délicate par le silence des textes. Le système juridique français connaît deux types de services minimums. Le service minimum peut se présenter sous une forme légale. Il est prévu pour un nombre très limité de cas, le législateur n’ayant honoré de son intervention que deux services publics : la radio-télévision et le contrôle de la navigation aérienne. En dehors de ces deux cas, le service minimum est de nature réglementaire. Ce découpage services minimums légaux / services minimums réglementaires semble peu satisfaisant car il ne correspond pas nécessairement aux besoins réels. Si potentiellement l’ensemble des services publics pourraient faire l’objet d’un service minimum, tous ne peuvent être soumis à un service minimum de la même manière. Dès lors, il importe de délimiter le champ d’application du service minimum doit être délimité avec objectivité ce qui implique la recherche de critères.

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Une entreprise tout aussi difficile concerne la définition du service minimum en tant que tel, c’est-à-dire le niveau de service qui doit être assuré en cas de grève. Il s’agit de définir la quantité et le type de service à fournir ainsi que de déterminer le nombre de personnels indispensables pour l’assurer. Des incursions en droit québécois permettent de mettre en exergue les obstacles majeurs rencontrés à l’occasion de ce travail définitionnel.

Ce premier écueil franchi, il faut choisir les modalités de mise en place et de contrôle du service minimum. La tâche est particulièrement délicate car elle doit comprendre plusieurs thèmes empreints de difficultés. D’une part, le contexte conflictuel intrinsèque au service minimum ne facilite par son organisation. Il faut rechercher une méthode adaptée pour le mettre en œuvre. La voie de la négociation collective semble devoir être privilégiée même si, en aucun cas, la convention collective ne doit prendre la place de la loi. Les pratiques en la matière permettent de placer de bons espoirs dans cette approche négociée du service minimum. En effet, la signature de nouveaux accords facilitant le dialogue social au sein des entreprises publiques est de plus en plus fréquente. Même si tous ces accords ne prévoient pas en tant que tel un service minimum, ils manifestent sans aucun doute une évolution des mentalités dont il faut tenir compte. Le choix de la voie conventionnelle impose une recherche sur le moment propice d’une telle négociation. Les acteurs de cette négociation doivent être identifiés et leur rôle défini. Il importe également de s’interroger sur l’intervention de nouveaux partenaires sociaux tels que les usagers ou un tiers totalement étranger aux relations établies au sein des services publics. D’autre part, la mise en place du service minimum conduit à s’interroger sur les garanties du service minimum. Plusieurs axes doivent être empruntés : le contrôle du service minimum et, en cas d’inobservation du service minimum, l’application de sanctions et la mise en cause des responsabilités. L’effectivité du service minimum dépend du suivi qui est opéré. La nature et l’étendue du contrôle du service minimum est une question centrale. Enfin, le respect du service minimum semble immanquablement passer par l’application de sanctions en cas d’inobservation ainsi que par la possibilité d’engager la responsabilité des autorités défaillantes dans le maintien de la continuité du service public.

Le droit positif français connaît d’assez nombreuses pratiques dont la valeur juridique est plus ou moins incertaine. Une prospection des « services minimums » existants permet d’enrichir la recherche. Plus particulièrement, l’étude des services minimums réglementaires tend à mettre en lumière les contours flous de cette catégorie ainsi que la variété des situations de mise en œuvre de cette notion. Les services publics français offrent effectivement un panel de situations très diversifiées, allant des transports à l’hôpital en passant par la fourniture d’électricité.

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Il importe de rechercher parmi toutes ces pratiques celles qui sont conformes à nos principes juridiques et d’imaginer, en s’aidant ici ou là de l’exemple québécois, d’autres solutions qui pourraient permettre, tout en respectant le droit de grève, d’assurer une meilleure continuité du service public. Dans cette perspective, il convient d’appréhender largement la question de la continuité de l’activité des services publics à l’occasion de la grève, d’une part, en recherchant les fondements juridiques de cette continuité partielle, les différentes affirmations de l’exigence de cette continuité et les moyens de l’assurer, et d’autre part, en analysant les modalités techniques des définitions du service minimum [première partie]. Ensuite, l’étude doit porter sur la mise en œuvre du service minimum, c’est-à-dire sur l’aspect négocié du service minimum ainsi que sur les garanties de son effectivité [seconde partie]. Mais avant toute chose, il convient de présenter la méthode de travail élue [chapitre préliminaire].

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CHAPITRE PRÉLIMINAIRE

L’étude comparative des notions de service minimum et de services essentiels n’est pas le fruit du hasard. En effet, la volonté d’analyser le thème juridique en droit français avec des incursions en droit québécois est issue d’un choix réfléchi. Cette approche a été décidée après l’ébauche de l’étude de la notion juridique française. Ainsi, avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient d’expliquer brièvement la méthode utilisée dans la thèse c’est-à-dire la méthode comparative [section seconde]. Mais avant cela, il est intéressant de la situer très rapidement dans son cadre théorique [section première].

Section première

Le cadre théorique : le positivisme critique

Il est apparu utile de se tourner vers le positivisme ou, devrait-on plutôt dire, d’y revenir. Traditionnellement, le positivisme est mis en balance avec le jusnaturalisme. Le constat de l’existence de deux grandes catégories de juristes se fait rapidement : d’un côté, les positivistes, et de l’autre, les jusnaturalistes. Or, comme le démontre Monsieur Christophe GRZEGORCZYK1, la séparation n’est pas aussi nette car les points de vue peuvent se recouper. En outre, la parenté du positivisme juridique avec le positivisme philosophique ne fait que compliquer la compréhension de cette théorie.

En France, l’attrait pour les théories du droit est bien moins fort qu’au Québec. Les écrits en ce domaine sont d’ailleurs mal connus et rarement enseignés. En tout cas, ils ne font pas l’objet d’un

1 Christophe GRZEGORCZYK, « Introduction » in C. GRZEGORCZYK, Françoise MICHAUT et Michel TROPER (dir.), Le positivisme juridique, Story scientia, Paris, L.G.D.J., 1992, p. 19.

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enseignement généralisé dans les études juridiques. Au mieux ils sont étudiés dans le cadre d’une spécialisation. Monsieur Christophe GRZEGORCZYK2 ajoute que :

« Il existe de multiples raisons à ce relatif désintérêt des juristes français pour une problématique aussi importante. Tout d’abord, traditionnellement, et cela depuis le début du XIXème siècle, la place de la philosophie et de la théorie du droit aussi bien dans les facultés de droit que dans celles de philosophie était fort réduite. Il en est résulté, entre autres conséquences, un nombre modeste de textes disponibles en français. […] [Les] intellectuels français [qui lui] préféraient le plus souvent l’inspiration phénoménologique, structuraliste, voire existentialiste. »

La diversification récente du positivisme accroît les difficultés à cerner la notion et explique peut-être que ces réticences perdurent. En effet, il n’existe pas de définition objective du positivisme. L’expression est pourtant très souvent utilisée, et ce, pas toujours à bon escient comme le souligne le professeur AMSELEK3 : « Il serait, enfin, opportun d’en terminer avec l’usage de plus en plus équivoque de l’expression ‘ droit positif ’ qui tend aujourd’hui à recourir les acceptions les plus variées. » La recherche d’une définition fiable s’impose. H.L.A. HART4 donne cinq significations du mot, la personne qui adhère à au moins l’une d’entre elles serait positiviste :

« 1°) L’affirmation que les lois sont des commandements émanant d’êtres humains. « 2°) L’affirmation qu’il n’y a pas de relation nécessaire entre le droit et la morale ou entre le droit tel qu’il est et tel qu’il devrait être.

« 3°) L’affirmation que l’analyse [ou l’étude de la signification] des concepts juridiques a) vaut la peine d’être faite et b) doit être distinguée des études historiques des causes ou origines des lois, des études sociologiques des relations entre le droit et les autres phénomènes sociaux et de toute critique ou approbation du droit, que ce soit en termes de morale, de fins sociales, ‘ fonctions ’ ou autrement ;

« 4°) L’affirmation qu’un système juridique est un ‘ système logique fermé ’ , dans lequel les décisions juridiques correctes peuvent être déduites par des moyens logiques de règles juridiques prédéterminées, sans aucune référence à des fins sociales, à des politiques ou à des standards moraux.

« 5°) L’affirmation que les jugements moraux ne peuvent être établis ou défendus, comme peuvent l’être les jugements de fait, par des arguments rationnels ou des preuves. »

2 Idem, p. 21.

3 P. AMSELEK, « L’héritage jusnaturaliste du positivisme juridique » in Memoria del X Congreso mundial ordinario de filosofìa del derecho y filosofìa social, vol. X, Mexico, 1984, p. 66, cité par Alfred DUFOUR, « Droit naturel / Droit positif » in Vocabulaire fondamental du droit, t. 35, Archives de philosophie du droit, Paris, Sirey, 1990, p. 67.

4 H.L.A. HART, « Positivism and the Separation of Law and Morals, Harvard Law Review » (1958) in Essay in Jurisprudence and Philosophy, Oxford, 1983, Clarenton Press, p. 56, n° 25, cité par C. GRZEGORCZYK, op. cit., note 1, p. 25.

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L’inconvénient de cette définition tient au fait qu’aucun juriste n’adhère à l’ensemble de ces affirmations ni même totalement à une seule d’entre elles. Une autre approche du positivisme est proposée par Monsieur Norberto BOBBIO5 qui en donne les caractéristiques.

« En premier lieu, le positivisme est un mode d’approche du droit, fondé sur la volonté de construire une science positive du droit sur le modèle des sciences de la nature, c’est-à-dire fondée sur les principes d’une philosophie empiriste.

« En second lieu, le positivisme est une certaine théorie du droit, selon laquelle le droit n’est qu’un ensemble de commandements émanant de l’État et assortis de sanctions. « En troisième lieu, le positivisme est une idéologie selon laquelle le droit en vigueur est juste et doit être obéi. »

Mais Monsieur Christophe GRZEGORCZYK6 énonce une autre définition selon laquelle, « est considéré comme positiviste […] tout auteur qui adopte une approche empirique, c’est-à-dire qui manifeste sa volonté de construire une science du droit, sur l’un des modèles des sciences de la nature. »

Ainsi, ce positivisme là, qui correspond à la philosophie d’Auguste COMTE, s’appuie sur « les faits, sur l’expérience, sur les notions a posteriori, par opposition à ce qui s’appuie sur les notions

a priori »7. C’est cette dernière approche qui sera privilégiée dans le cadre de la présente thèse.

La présente étude consistera donc en un état des lieux de ce qui existe dans les systèmes juridiques français et québécois à propos de la notion de service minimum. Il s’agit d’un état des lieux du droit, c’est-à-dire de la législation, de la doctrine et de la jurisprudence. Il s’agit aussi de relever ce qui n’existe pas ou ce qui pourrait être, afin d’enrichir la recherche par l’analyse des défauts de la matière étudiée.

Michel FOUCAULT8 désigne les pratiques juridiques comme des pratiques de jugement : la loi, la doctrine et la jurisprudence énoncent des jugements à leur manière. Or, il convient, comme le suggère François EWALD9, d’avoir sur ces jugements un regard critique. Se pose alors la question de savoir s’il est opportun de porter un regard vers l’extérieur, vers l’étranger ? Peut-être celui-ci pourrait-il facpourrait-iliter une mepourrait-illeure compréhension de la notion ? Par sa nature, l’étude comparative permet déjà

5 Norberto BOBBIO, Giusnaturalismo e positivismo giuridico, Milan, Edizioni di Comunità, 1972, pp. 103 s., cité par C.

GRZEGORCZYK, op. cit., note 1, p. 27.

6 C. GRZEGORCZYK, op. cit., note 1, pp. 27-28.

7 Angèle KREMER-MARIETTI, Le positivisme, Que sais-je ?, n° 2034, Paris, P.U.F., 1993, p. 5.

8 Michel FOUCAULT, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969 ; L’impossible prison, Paris, Le Seuil, 1980 ; cité par

François EWALD, « Pour un positivisme critique : Michel Foucault et la philosophie du droit », Droits, 1986, n° 3, pp. 137-139.

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cette approche critique. C’est pourquoi elle semble intéressante et c’est pourquoi elle a été retenue aux fins de la présente étude du service minimum.

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Section seconde

La méthode utilisée : l’analyse comparative

Pour reprendre l’expression de Monsieur Johannes SCHREGLE10, l’étude

comparée présente « des écueils et des promesses » dont il faut se méfier. Il est donc nécessaire de faire le point sur la méthode comparative [paragraphe premier] avant de préciser les préalables à l’application de la méthode au sujet [paragraphe second].

Paragraphe premier – Les modalités de la méthode comparative

Les modalités de la méthode sont diverses. Tout d’abord, il convient de fixer une échelle de valeur, un tertium comparationis [A]. Ensuite, il faut respecter une approche qui permet d’étudier le plus justement possible le sujet, c’est-à-dire une approche fonctionnelle [B]. Enfin, il est utile de rappeler les avantages de la méthode comparative [C].

A. La fixation d’un tertium comparationis

Les comparaisons conduisent à formuler des jugements de valeur. La tentation est grande de déterminer le système « le meilleur », « le plus avantageux », « le plus progressiste », ou encore « le pire ». Avant toute chose, il convient de fixer un étalon. La méthode comparative suppose « l’acceptation d’un point de référence, d’une échelle de valeurs, d’un tertium comparationis, c’est-à-dire d’un troisième élément auquel on pourra relier les systèmes ou les phénomènes constatés dans les pays faisant l’objet de la comparaison, et qui sera l’étalon grâce auquel des rapprochements deviennent possibles sur le plan international. »11 Ceci est « impératif car l’observateur ne peut légitimement prendre sa propre échelle de valeurs comme référence universelle. » La détermination de ce tertium comparationis est particulièrement ardue. Pour ce qui est du droit du travail, Monsieur Johannes SCHREGLE suggère de recourir aux normes internationales établies par l’Organisation Internationale du Travail [O.I.T.], qui même si elles ne sont pas destinées à cet usage, peuvent constituer une forme d’étalon.

10 Johannes SCHREGLE, « L’étude comparée des relations professionnelles : écueils et promesses », R.I.T., vol. 120, n° 1,

1981, p. 17.

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Il faut donc rechercher un tertium comparationis relatif au droit de grève et plus précisément aux services essentiels et au service minimum au sein de ces normes internationales.

Or, l’étude des textes de l’O.I.T. révèle la difficulté suivante : bien qu’étant régulièrement sujet des débats de la Conférence internationale du Travail, jamais encore le droit de grève n’a fait l’objet d’une norme expresse : recommandation ou convention internationale12.

Cependant, loin d’ignorer totalement le droit de grève, l’O.I.T. précise, dans deux résolutions d’orientation de sa politique, la nécessité de le reconnaître dans les États membres. Ainsi, dans la résolution de 1957 relative à l’abrogation des lois dirigées contre les organisations de travailleurs, l’Organisation demande aux États membres d’adopter, s’ils ne l’ont pas déjà fait, « des lois assurant l’exercice effectif et sans restriction des droits syndicaux par les travailleurs, y compris le droit de grève. »13 Dans la résolution de 1970 relative aux droits syndicaux et à leurs relations avec les libertés civiles, elle invite ses organes à prendre une série de dispositions « en vue d’étudier de nouvelles mesures destinées à assurer le respect total et universel des droits syndicaux au sens le plus large », en accordant une attention toute particulière au droit de grève14.

En outre, l’O.I.T. évoque le droit de grève dans plusieurs textes internationaux. La convention (n° 105) sur l’abolition du travail forcé (1957) aborde ce thème en interdisant toute forme de travail forcé ou obligatoire « en tant que punition pour avoir participé à une grève » (article 1 d). La recommandation (n° 92) sur la conciliation et l’arbitrage volontaires (1951), sans « limit[er] d’une manière quelconque le droit de grève » (paragraphe 7), invite à ne pas recourir à la grève pendant les procédures de conciliation et d’arbitrage (paragraphes 4 et 6).

Par ailleurs, comme le rappelle Monsieur Jean-Maurice VERDIER15, sans mentionner expressément ce droit, la convention n° 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical (1948) affirme le droit des organisations de travailleurs et d’employeurs « d’organiser leur gestion et leur activité et de formuler leur programme d’action » (article 3.1) dans le but « de promouvoir et de

12 Voir par exemple : Bernard GERNIGON, Alberto ODERO DE DIOS et Horacio GUIDO, « Les principes de l’O.I.T. sur

le droit de grève », R.I.T., vol. 137, n° 4, 1998, p. 473 ; Jane HODGES-AEBERHARD et Alberto ODERO DE DIOS, « Les principes du Comité de la liberté syndicale aux grèves », R.I.T., vol. 126, n° 5, 1987, p. 611 ; Jean-Maurice VERDIER, « L’apport des normes de l’O.I.T. au droit français du travail » in Études offertes à Gérard LYON-CAEN, Paris, Dalloz, 1989, p. 51 ; J.-M.VERDIER, « Débats sur le droit de grève à la Conférence internationale du travail », Dr. soc. 1994, p. 968.

13 B.I.T. 1957, « Compte rendu des travaux, Conférence internationale du Travail, 40ème session, Genève », 1957, Genève. 14 B.I.T. 1970, « Compte rendu des travaux, Conférence internationale du Travail, 54ème session, Genève », 1970, Genève. 15 J.-M. VERDIER, « L’action syndicale au plan International », intervention dans le cadre des Journées Michel DESPAX 2002 – Le syndicalisme salarié, Université des Sciences Sociales de Toulouse, le 25 janvier 2002.

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défendre les intérêts des travailleurs ou des employeurs » (article 10). Le Comité de la liberté syndicale et la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations déclarent depuis presque un demi-siècle que le droit de grève est un droit fondamental des travailleurs et de leurs organisations. Ces deux organes de contrôle de l’O.I.T. ont élaboré un ensemble de règles applicables à ce droit de grève considéré comme le corollaire du droit syndical16.

Les principes dégagés sont d’une grande utilité et correspondent aux minimums fixés par les textes internationaux que les normes nationales doivent respecter. Afin de faciliter la réalisation de cet objectif, la Constitution de l’O.I.T. (article 19, paragraphe 8) dispose que :

« en aucun cas, l’adoption d’une convention ou d’une recommandation par la Conférence ou la ratification par un Membre ne devront être considérés comme affectant toute loi, toute sentence, toute coutume ou tout accord qui assurent aux travailleurs intéressés des conditions plus favorables que celles que prévoit la convention ou la recommandation. »

Le critère retenu est l’intérêt des travailleurs. Se pose la question de savoir s’il peut être proposé comme tertium comparationis. Ce critère est plus ou moins facile à appliquer selon les thèmes abordés en droit du travail. Comme il a déjà été vu, en matière de service minimum, il convient de concilier le droit de grève et le droit à la continuité des services publics. Il faut donc mettre en balance les intérêts des travailleurs-grévistes et les intérêts de la collectivité, du public, de l’État. Ceci est une opération délicate dans la mesure où l’étalon est également objet de comparaison. En effet, l’intérêt des travailleurs-grévistes – objet d’étude – devrait, si l’on suit les prescriptions de Monsieur Johannes SCHREGLE, être apprécié au regard de l’intérêt des travailleurs – du tertium comparationis. La tâche semble compliquée et risquée.

Pour pallier cela, il est envisageable de procéder à une étude systématique de la notion afin de la saisir car :

« dans la recherche de cet équilibre entre ce qui serait une limitation non abusive du droit de grève et le respect des droits fondamentaux des citoyens, il faut bien admettre qu’il y a place pour des encadrements juridiques et des pratiques très diversifiées. »17

16 La présente thèse concerne principalement les principes relatifs aux services essentiels. Pour une étude d’ensemble des

principes relatifs à la grève et plus particulièrement à la liberté syndicale : Voir par exemple : B. GERNIGON, A. ODERO DE DIOS et H. GUIDO, loc. cit., note 12 ; J. HODGES-AEBERHARD et A. ODERO DE DIOS, loc. cit., note 12 ; B.I.T. 1994, « Liberté syndicale et négociation collective, Étude d’ensemble des rapports sur la convention (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical (1948) et la convention (n° 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective (1949), Genève », 1994, Genève ; B.I.T. 1996, « La liberté syndicale, Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale du Conseil d’administration du B.I.T., Genève », 1996, Genève.

17 Jean BERNIER, « La détermination des services essentiels dans le secteur public et les services publics de certains pays

industrialisés » in J. BERNIER (dir.), Grèves et services essentiels, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval et le Conseil des services essentiels du Québec, 1994, p. 49.

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B. L’approche fonctionnelle

Il convient de ne pas se fier aux dénominations qui présentent une similitude ou ressemblance pour entreprendre une comparaison internationale. Il faut éviter l’écueil d’une approche institutionnelle et lui préférer une approche fonctionnelle. La fonction est l’élément essentiel. En effet, il ne s’agit pas de comparer des institutions, qui serait chose quasiment impossible car telle institution est propre à tel pays et ne se retrouve pas telle quelle à l’étranger. Il convient, au contraire, de s’intéresser aux fonctions de cette institution de tel pays, si institution il y a, et de les étudier comparativement avec telles fonctions dans tel autre pays.

En ce qui concerne la présente étude, il s’agit de comparer et d’analyser les méthodes pour concilier le droit de grève dans le secteur public et les services publics avec le droit des citoyens à un service minimum en cas de grève. En France, cette conciliation n’est pas institutionnalisée alors qu’il en va différemment à l’étranger. Comparer la fonction de concilier est donc le fondement de l’étude comparée.

« Le point de départ d’une comparaison internationale devrait être non pas une institution en tant que telle, mais plutôt les fonctions que celle-ci remplit ; et ces fonctions sont le reflet du fonctionnement du système des relations professionnelles dans son ensemble. »18

Ensuite, il est nécessaire d’étudier la notion dans son intégralité en s’intéressant au système de relations professionnelles qui l’entourent.

« En fait, on peut affirmer qu’il est extrêmement problématique et dangereux d’extraire d’un système national de relations professionnelles une seule institution ou une seule règle et de la mettre en regard de ce qui paraît être l’institution ou la règle correspondante dans un autre pays. Une telle démarche a toutes les chances de déboucher sur des conclusions erronées, surtout si elle a pour but une évaluation comparative. Il faut étudier les institutions dans le cadre général du système dont elles sont partie intégrante. »19

18 J. SCHREGLE, loc. cit., note 10, p. 24 ; dans le même sens, voir : R. BEAN, Comparative Industrial Relations, An Introduction to Cross-national Perspectives, London and Sydney, Croom Helm, 1985, p. 15, cité par J. BERNIER, op. cit., note 17, p. 51 : « What is comparable in cross-national studies is to compare the methods and ways in which particular industrial relations functions are carried out in various countries, rather than simply comparing institutions and procedures carrying the same designation. »

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La méthode consiste à comparer les moyens mis en œuvre pour permettre l’exercice de ces fonctions. Enfin, il est tout aussi indispensable de prendre en compte l’origine de la notion, son contexte historique. Car les règles juridiques ont « leurs racines dans les profondeurs de l’histoire. »20

C. Les avantages de la méthode comparative

Dès lors que ces écueils sont évités, la méthode comparative recèle maintes promesses. Elle permet une meilleure compréhension de son propre système juridique, c’est-à-dire qu’elle rend « plus largement accessible l’expérience nationale »21. La connaissance de différents régimes ouvre l’esprit, aiguise le sens critique. « La méthode comparative nous amène à poser des questions sur les similitudes et les divergences observées. »22 Elle permet d’offrir un regard neuf débarrassé d’éventuels

préjugés. Ensuite, elle permet de se situer par rapport aux régimes étrangers. La méthode offre également des exemples de systèmes juridiques qui peuvent être source d’inspiration.

Paragraphe second – Les préalables à la mise en œuvre de la méthode

comparative

L’application de la méthode mène en premier lieu, à opter pour un pays étranger qui sera l’objet de la comparaison [A], et en second lieu, à apporter quelques précisions définitionnelles [B].

A. Le choix du pays étranger, objet de la comparaison

L’ultime difficulté réside dans le choix du pays qui autorisera une « comparaison comparable » sans rejeter a priori tel ou tel système. Il s’agit en effet, d’opter pour un système ayant des traits communs avec celui de la France, notamment la démocratie, un développement important des services publics, un pays reconnaissant à des degrés variables le droit de s’associer collectivement, le droit de négocier les conditions de travail, le droit de grève dans les services publics et le secteur public. Mais il faut que ce pays comporte une certaine originalité rendant l’étude comparative

20 Otto KHAN-FREUND, Pacta sunt servanda – a principle and its limits : some thoughts prompted by comparative labour law, La Nouvelle-Orléans, Tulane Law Review, juin 1974, p. 894 ; cité par J. SCHREGLE, loc. cit., note 10, p. 26.

21 J. SCHREGLE, loc. cit., note 10, p. 30.

22 John DUNLOP, Industrial relations systems, New York, Henry Holt & Compagny, 1958, p. VI ; cité par J. SCHREGLE, loc. cit., note 10, p. 30.

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intéressante. Eu égard à ces exigences, le Québec semble s’imposer alors même que le droit de grève n’est pas reconnu par les textes constitutionnels en vigueur. Ce système connaît le maintien d’une certaine activité pendant la grève des services publics et apporte une expérience spécifique dans la réponse à cette question23. Les recherches portent sur les systèmes juridiques français et québécois, sauf lorsque cela s’imposera, il ne sera pas fait état des dispositions fédérales canadiennes et des dispositions européennes.

B. La nécessité d’une mise au point à propos de certaines notions

L’analyse comparative nécessite une étude terminologique afin de percevoir la réalité des concepts sous les noms différents dont ils sont baptisés : il faut, sous les « étiquettes », reconnaître les éléments à comparer. En l’espèce, il est impératif de définir certaines notions telles que le service minimum, les services essentiels, les services publics, les secteurs public et parapublic [1] ainsi que de préciser la conception du droit de grève dans les deux systèmes juridiques [2] et de faire quelques remarques pratiques quant aux termes utilisés [3].

1. Les définitions

a. « Service minimum – services essentiels »

Avant de s’intéresser aux systèmes juridiques français et québécois [α], il convient de vérifier si ces notions existent à un niveau supra-étatique [β].

α. Le niveau supra-étatique

Il ne s’agit pas ici d’étudier les notions mais simplement de préciser si elles sont mentionnées dans les textes internationaux.

Dans une telle hypothèse, ces écrits auraient probablement une influence sur le droit interne dans la mesure où comme l’indique l’article 55 de la Constitution française de 1958 :

23 Pour un aperçu des liens entre Droit québécois et Droit français : Marie-France BICH, « Droit du travail québécois : genèse

et génération » in H. Patrick GLENN Droit québécois – droit français : communauté, autonomie, concordance, Cowansville, Les éditions Yvon Blais Inc., 1993, p 515.

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« les traités ou accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie. »

Dans ces conditions, les dispositions de toute convention internationale ont une autorité supérieure à celle de la loi française en cas de conflit (de textes), que cette loi soit antérieure ou postérieure24. De la même manière, au Canada, la convention internationale n’est applicable qu’après ratification expresse par l’État membre.

« En vertu du droit constitutionnel canadien, un traité international conclu par le gouvernement canadien n’a pas d’application directe en droit domestique. Pour lui donner effet, le Traité doit faire l’objet d’un acte de transformation ou d’incorporation, généralement une loi qui introduira ou transposera ses dispositions en droit domestiques»25.

Cette règle de confirmation législative des traités internationaux est conforme au principe de la souveraineté parlementaire. En outre, si l’objet de ladite convention relève de la compétence particulière des provinces, ces dernières doivent aussi l’adopter26.

La recherche, à un niveau supra-étatique, des notions qui nous intéressent débouche très rapidement, non pas sur une convention ou une résolution de l’O.I.T.27, mais sur les écrits périodiques de ses organes de contrôle28. Ceux-ci n’ont pas la valeur supérieure à la loi des traités internationaux mais ils ont cependant une influence et orientent la politique des États membres en la matière ce qui pourrait peut-être permettre de tendre vers une uniformisation29. En effet, ces organes se sont vu

24 Cass. ch. mixte, 24 mai 1975, Jacques Vabre, D. 1975, jurisp., p. 497, concl. procureur général Adolphe TOUFFAIT ; CE

20 octobre 1989, Nicolo, D. 1990, jurisp., p. 135, note P. SABOURIN.

25 Gilles TRUDEAU, « Droit international et droit du travail québécois, deux grandes solitudes », Développements récents

en droit du travail, 2001, n° 153, p. 179. Voir également sur le sujet : Henri BRUN et TREMBLAY Guy, Droit Constitutionnel, 2ème éd., Cowansville, Les éditions Yvon Blais Inc., 1990, pp. 600-603.

26 Il s’agit d’une procédure en deux temps relativement complexe ce qui explique le nombre assez peu important de

conventions internationales officiellement ratifiées par le Canada. Le Canada et la France ont respectivement ratifié 28 et 111 conventions internationales de l’O.I.T. (ne sont pas prises en compte ici les conventions qui ont été dénoncées) : source : www.oit.org

Au Canada, les tribunaux ne doivent pas tenir compte des traités qui n’ont pas été incorporés en droit interne et dont les termes impliqueraient des changements de ce droit (Voir notamment Avis sur la convention du travail, [1937] A.C. 326, 347-8 ; Francis c. La Reine, [1956] R.C.S. 61347-8, 621 et 626). Il convient de noter que cette incorporation du texte international au droit interne peut amener le Parlement à légiférer contrairement à certaines de ces dispositions ou, au moins, à amender le traité en vue de son incorporation. Ce traité incorporé au droit interne doit être interprété conformément au droit international (Voir : Re R. and Palacios, [1984] 7 D.L.R. [4th] 112 [C.A. Ont.]).

27 La convention de l’O.I.T. est le seul instrument de l’Organisation qui crée des obligations juridiques à l’égard des États qui

l’ont ratifiée. La recommandation est moins contraignante. Voir notamment sur ce sujet : G. TRUDEAU, loc. cit.,note 25, pp. 152 s.

28 Le Comité de la liberté syndicale, créé par le Conseil d’administration de l’O.I.T. en 1950-1951, étudie les plaintes de

violation des droits syndicaux. La Commission d’experts évalue les rapports des gouvernements sur l’application des normes et des conventions de l’O.I.T. dans les États membres.

29 B. GERNIGON, A. ODERO DE DIOS et H. GUIDO, loc. cit., note 12, page 474 ; J. BERNIER, entretien, 6 septembre

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