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Entre livre et terrain : photographier
Saint-Étienne
Jan Baetens
Guillaume Bonnel et Danièle Méaux A a e d e e
Trézélan : Filigranes Éditions, 2019, 136 p. ISBN : 978-2-35046-492-3
Nous associons la « forme d ne ille l id e d changemen . Baudelaire y est pour beaucoup, mais aussi les projets photographiques
de e DATAR, i de i le ann e 1980 eff cen de end e
c m e a ie h g a hi e de changemen d a age. C e n
des nombreux paradoxes du langage photographique, cet art de
l in an an i e j a n de l alli de n e
e ience d em . Indi ciable d ne f me d ici e maintenant, la
photographie paraît essentiellement nostalgique, jusque dans ses démarches les plus documentaires ou objectivantes. Reflet du présent,
elle e i c n ammen a a . l ca d em , elle ac n e an
a de hi i e . P d i d n enregistrement mécanique, elle fait
ressentir les effets de notre essentielle impermanence.
Le grand intérêt du livre de Guillaume Bonnel (images) et Danièle Méaux (texte) est de mobiliser le médium photographique dans une perspective différente. La mission confiée au photographe de porter pendant un an « son attention sur la
m h l gie de la ille e , l a ic li emen , le m dali de l l i n baine, dan e
di e i de hme e e a i d chelle ( . 5) cha e di e emen l habituelle enquête sur le
terrain. Le regard ici, se veut vraiment synchronique. On observe les changements de saison, mais ils sont peu voyants. De la même façon, on note les variations météorologiques et celles des moments de la journée e fai l en egistrement, mais la plupart des images baignent dans une lumière comparable. On remarque
enfin le e i e g and chan ie , en c , l a , aband nn , c mme le m am h e de
l habi a , mai ce n e jamai la an f ma i n i e e soulignée, ni du reste la présence des
habi an . Il en l e ne elle nif mi a i n, dan le em c mme dan l e ace, de la ille b ie e
habitée, que renforce encore le parti pris de ne pas montrer, ou de montrer à peine, les constructions ou les lieux « exceptionnels », entendez à vocation virtuellement touristique. Le livre fait donc exactement ce
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il di : il ff e ne ana mie, ne m h l gie, n n ne a ie. Sain -Étienne ne devient pas le lieu
d n c ime, c mme le Pa i d A ge dan la lecture de Walter Benjamin.
G illa me B nnel e le c n ai e d n cha e d image . Se h g a hie n di c e , jamai
in i e . Mai c ie emen , ce e g ande e en e n e a n n me de f ide . Ce e , B nnel i e
toute coloration subjective lors de son enquête, mais on sent tout au long du livre une réelle curiosité, un vrai désir de montrer les particularités, voire le véritable « esprit » de Saint- ienne, ce g nie d lie d ne
ville qui de prime abord en paraît totalement privée. Or ce d ilemen ne end jamai la f me d ne
révélation brutale. Les images se contentent de proposer, lai an a lec e la libe d en disposer ou, plus
e ac emen , in i an le lec e engage le fai e, ca la lec e de ce li e e a i n c ntrat en faveur
d n lie e - e m in aim (en ca mal c nn ). L ambi i n d li e a d nc bien a -delà de la
e le ana mie, a en clini e d e me. Elle e d amene d i e, a la e d ne ille e
photographiée, une autre vision de Saint-Étienne.
Ce e a i n, la h g a hie n e a la e le l acc m li . En effe , ce e n m n e Anatomie
d e e, ce ne sont pas les images de Guillaume Bonnel, ce sont les images de Guillaume Bonnel mises
en li e e acc m agn e d n e e i e , l i a i, bien a e ch e ne im le face
commentaire.
Le h de B nnel f n l bje d n d ble m n age. Dan la emi e m i i d li e, elle n
présentées soit seules (sur une double page), soit sous forme de diptyque (de manière à figurer un champ-contrechamp), soit encore en grappes (ou groupements de variations). Dans la seconde moitié, elles sont reprises et réorganisées en fonction de certains mots-clés (tels que « collage », « greffe » ou « vide »), dont l en emble forme une manière de typologie à multiples entrées. À chaque terme correspond ici une double page de seize images, toujours disposées selon une grille parfaitement identique (celle du « gaufrier »
n c nna a i de la bande de in e, en l cc ence muette).
Ce double parcours, qui casse le défilement linéaire ou géographique des lieux et des photos pour
d b che ne n elle in e ac i n en e mani e de i e ing la i de l e ace, e a en
même temps que subtilement instruit et orienté par les pages inaugurales de Danièle Méaux, qui sont un véritable modèle du genre et dont le style, soit dit entre non-parenthèses, se trouve heureusement « contaminé » par celui de Bonnel. Il est très rare de rencontrer une telle solidarité entre le n d n e e
la h g a hie e l a m h e de image il clai e e i le f n li e en e . Dan ce e e
intitulé « Le f me d ne en e », Méaux aborde tous les enjeux du travail de Bonnel : le genre dans
lequel il se situe, le contexte historique, politique, culturel et esthétique de sa mission, les traits formels et
le m if de a fa n de fai e, l in g a i n de e image dan ne ce aine id e de la h g a hie, mai
a i d nan d c men ai e de l a c n em ain en g n al, enfin le passage des photographies
mêmes au livre, qui en constitue la forme « ouvertement finale ».
Il fa e e Anatomie d e e, e em lai e e diff en e de ce i e fai a j d h i dan la
enc n e de la h g a hie e de l en e baine, a e a ne i ce d ci i e dan la in en i n d
ai de ille. Le li e di e de le a j e ce le e n e gage d e e d j e a
postérité sera riche.
Jan Baetens e P fe e de li a e e d de c l elles à KU Leuven.