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Texte intégral

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Introduction

Anne D

ULPHY

, Marie-Anne M

ATARD

-B

ONUCCI

et Yves L

ÉONARD

« Écrire le voyage, c’est transformer l’expérience en conscience », notait André Malraux : pour l’avoir pratiqué dans les circonstances les plus diverses, poussé par le goût de l’aventure, la curiosité artistique, l’engagement politique ou dans un cadre diplomatique, l’écrivain parlait en connaissance de cause1. De fait, plus que pour la chronique des déambulations qu’il contient, le récit de voyage est un outil particuliè- rement précieux pour bâtir une histoire des représentations et des rela- tions culturelles internationales. À l’époque moderne comme au XXe siècle, il est presque autant de pratiques du voyage que de voya- geurs tant les mobiles sont divers : séjour à finalité économique ou commerciale, pèlerinage, voyage artistique et culturel, rite de passage social et générationnel, exil, etc. Parmi les voyageurs, artistes, intellec- tuels et militants politiques présentent un intérêt spécifique car ils prolongent souvent leur expérience par un acte de création artistique, littéraire ou testimonial. En franchissant les frontières, la plupart sont convaincus, dès le XVIIe siècle, que le voyage est un mode d’accès à la connaissance et le monde un livre dont il faut découvrir le sens2. Éduca- tif, érudit ou humaniste, le voyage doit contribuer à produire un savoir sur le monde et sur soi.

1 Les textes réunis ici ont été présentés lors d’un colloque organisé à l’initiative du Centre d’Histoire de Sciences Po et plus particulièrement des groupes de recherches GRIC (Groupe de recherche sur l’histoire de l’Italie contemporaine) et Péninsule ibérique les 16 et 17 décembre 2004. Cette rencontre était conçue comme une table- ronde exploratoire sur la question du voyage, visant à parcourir un pan de l’histoire des relations culturelles internationales avant l’organisation d’un plus vaste colloque

« Les relations culturelles internationales au XXe siècle : entre diplomatie, transferts culturels et acculturation ». Ce dernier a eu lieu les 11-12-13 mai 2006 à l’initiative conjointe du Centre d’histoire sociale du XXe siècle – Paris I-CNRS ; de l’IRICE (Paris I-CNRS) ; du Centre d’histoire de Sciences Po ; du Centre d’Histoire culturelle des sociétés contemporaines (Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines) et de la Bibliothèque Nationale de France. Actes à paraître aux Éditions PIE Peter Lang.

2 Roche, D., Humeurs vagabondes. De la circulation des hommes et de l’utilité des voyages, Paris, Fayard, 2003, p. 59.

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Les différentes catégories de voyageurs qui ont été considérées ici, et qui se recouvrent parfois, n’entretiennent pas le même rapport au voyage. Pour les artistes, la culture du pays de destination est un mobile ensoi,qu’ils’agissedeladécouvrir, de s’en imprégner ou de se produire sur une scène étrangère. C’est une autre forme de désir qui meut les voyageurs militants, attirés par une expérience politique que l’on veut observer et soutenir, éventuellement les armes à la main. Ces voyageurs volontaires, mais parfois captifs d’une idéologie, se distinguent des exilés, émigrés politiques pour qui le voyage est nécessairement déchi- rure avant d’être un enrichissement. Ils se retrouvent toutefois, on le verra, dans la volonté d’établir ou de rétablir une intelligibilité du voyage.

Dans les pages qui suivent, les récits de voyages nous intéressent donc moins comme patrimoine littéraire que pour l’opération de « trans- formation de l’expérience en conscience » dont ils sont dépositaires. À l’évidence, même pour les écrivains-voyageurs, « le voyage est une pratique de déambulation physique avant d’être un récit et il ne saurait se confondre avec la seule production de textes »3. Artistes, écrivains et politiques ont été privilégiés ici car leurs déplacements sont d’abord la quête d’un « signalement de l’univers », pour reprendre la formule de Théophile Gautier qui fut lui-même un grand voyageur.

Pourtant, il n’est pas sûr qu’à l’époque où Théophile Gautier écrivait et voyageait, et a fortiori au XXe siècle, la philosophie humaniste du voyage ait continué de prévaloir en tous lieux et tous milieux. Philoso- phes et intellectuels des Lumières avaient imposé l’idée que le voyage permettait de se libérer des préjugés et de faire progresser la tolérance entre les peuples. À partir du XIXe siècle, grâce à la révolution des transports, le monde devint plus accessible mais pas forcément plus familier car parcouru par des hommes qui se le représentaient de façon cloisonnée, prisonniers d’une opposition entre altérité et identité. Avec la montée en puissance des nationalismes et l’affirmation des doctrines coloniales, sur fond d’affirmation d’une pensée racialiste, voyager était autant une façon d’aller vers l’Autre que de s’en différencier. Cette ambivalence ne disparut pas chez les voyageurs du XXe siècle.

Dans cet ouvrage, l’expérience du voyage importe donc surtout comme pratique et comme moment de confrontation avec une culture et une société étrangères. Il s’agit d’observer de quelle façon le déplace- ment dans un pays étranger, sa découverte ou redécouverte, orientent la perception de l’autre pays. En quoi l’expérience du voyage induit-elle, en retour, une transformation des pratiques artistiques, intellectuelles ou

3 Bertrand, G. (dir.), La culture du voyage. Pratiques et discours de la Renaissance à l’aube du XIXe siècle, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 12.

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politiques du voyageur ? Comment les « filtres culturels » de la tradition littéraire du récit de voyage et les stéréotypes déjà constitués orientent- ils le regard de ces voyageurs motivés par la quête d’un idéal politique, idéologique ou artistique ?

Que perçoivent les militants de la diversité culturelle d’un pays étranger à pratiquer le tourisme « idéologique » ? Observe-t-on chez ces hommes visitant l’Espagne franquiste, l’Italie fasciste ou le Portugal de Salazar un aveuglement comparable à ce qu’ont observé Fred Kupfer- man, François Hourmant ou Rachel Mazuy dans le voyage au « pays des Soviets »4 ? Qu’emportent-ils de la culture de ces pays de l’Europe latine dès lors que l’objectif est « croire, plutôt que voir » ? Le méca- nisme de tels voyages est-il assimilable à ceux que François Hourmant a décrits pour les pays communistes : « les voyages au pays de l’avenir radieux ne sont plus guère des voyages de découverte, contrairement à ce que les voyageurs prétendent, mais des voyages de reconnaissance, d’assurance ou de contestation »5 ? Jusqu’à quel point les innovations des régimes concurrencent-elles le patrimoine et ce qui faisait l’intérêt des voyages traditionnels des époques précédentes ?

Trois aires culturelles, outre la France, ont été privilégiées, chacune – Italie, Espagne, monde lusophone – ayant construit une identité forte autour du voyage et de la mobilité : les péninsules ibérique et italienne pour avoir suscité une émigration de masse, la France comme terre d’accueil ; chacun de ces pays ayant joué un rôle plus ou moins impor- tant comme étapes des Grands Tours parcourus par les élites européen- nes depuis l’époque moderne. Entre le XVIe et le XVIIIe siècle, plus de 5 500 récits de voyage en français ont été répertoriés tandis qu’on en dénombre 1715 de la fin du XVIIIe au début du XXe siècle6.

Pour l’Italie, la pratique du voyage s’est codifiée dès le XVIIe siècle.

L’expression « Grand Tour », apparue sous la plume d’un prêtre britan- nique, Richard Lassels, désignait l’itinéraire obligé d’un humaniste qui comportait, outre l’Italie, la France et l’Allemagne. Dès l’époque clas- sique, le récit de voyage en Italie se construisit sur le mode de l’ambiva- lence, entre images positives et négatives d’une péninsule tantôt perçue comme sous-développée et tantôt comme terre de civilisation, tour à tour lieu de rédemption et de perdition. Pour le voyageur humaniste des

4 Kupferman, F., Au pays des Soviets : le voyage français en Union soviétique, 1917- 1939, Paris, Archives Gallimard, 1979 ; Hourmant, F., Au pays de l’avenir radieux : voyages des intellectuels français en URSS, à Cuba et en Chine populaire, Paris, Aubier, 2000 ; Mazuy, R., Croire plutôt que voir ? : voyages en Russie soviétique, 1919-1939, Paris, O. Jacob, 2002 ;Coeuré, S., La grande lueur à l’Est : les Français et l’Union soviétique, 1917-1939, Paris, Seuil, 1999.

5 Hourmant, F., op. cit, p. 240.

6 Roche, D., op. cit., p. 33 ; Milza, P., Français et Italiens, op. cit., p. 315-316.

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XVIIe et XVIIIe siècles, l’Italie promettait à la fois érudition et décou- vertes, à travers l’observation des peuples, des gouvernements et des paysages : la plupart des récits révélaient au lecteur une forme d’étrangeté et d’exotisme qui se transforma peu à peu en pittoresque.

Au XIXe siècle, le voyageur romantique imposa bientôt une nouvelle conception du séjour en Italie conçu comme un voyage dans le temps et comme la quête d’un passé révolu. Chateaubriand recommandait la visite de Rome en ces termes :

Quiconque s’occupe uniquement de l’étude de l’antiquité et des arts, ou qui- conque n’a plus de liens dans la vie doit venir demeurer à Rome. Là il trou- vera pour société une terre qui nourrira ses réflexions et qui occupera son cœur, des promenades qui lui diront toujours quelque chose. La pierre qu’il foulera aux pieds lui parlera, la poussière que le vent élèvera sous ses pas renfermera quelque grandeur humaine7.

De fait, l’Italie du XIXe siècle semblait se prêter tout particulière- ment aux méditations romantiques : pour son antique grandeur, ses ruines, et pour un présent assimilé invariablement à la décadence. Pour les romantiques, ce voyage à travers le temps était aussi un voyage intérieur propice à la méditation.

À peu près à la même époque, les récits de voyageurs contribuèrent à la fixation des stéréotypes sur le peuple et sur le caractère italiens.

Stendhal, grand connaisseur et amoureux de la péninsule, participa à l’édification d’un portrait moral de la sœur latine, avec une grande variété de nuances suivant qu’il s’agissait de Vénitiens, de Romains ou de Florentins. C’est aussi au cours du XIXe siècle que se codifia la pratique du circuit savant ou érudit dont le Voyage en Italie, de Taine, constitue l’archétype. Plus que jamais voyage dans l’histoire, les explo- rations de Taine étaient tournées vers la construction d’un savoir, l’historien se détournant du présent jugé ennuyeux.

À mon sens, Rome n’est qu’une grande boutique de bric-à-brac ; qu’y faire, à moins d’y suivre des études d’art, d’archéologie et d’histoire ? Je sais très bien pour mon compte que, si je n’y travaillais pas, le désordre et la saleté du bric-à-brac, les toiles d’araignées, l’odeur du moisi, la vue de tant de choses précieuses, autrefois vivantes et complètes, maintenant dédorées, mutilées, dépareillées, me jetteraient dans les idées funèbres.

7 Hersant, Y., Italies, Anthologie des voyageurs français aux XVIIIe et XIXe siècles, Bouquins, Robert Laffont, 1988, p. 105. Voir aussi pour l’époque moderne : Menichelli, G. C., Viaggiatori francesi, reali o immaginari nell’Italia dell’ottocento, Rome, 1962 ; Seta, C. de, L’Italie du Grand Tour de Montaigne à Goethe, Naples, 1992 ; Comparato, V. I., « Viaggiatori inglesi in Italia tra Sei e Settecento. La formazione di un modello di interpretazione », Quaderni storici, 1979, 42, p. 851- 882.

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Les nuits n’étaient pas moins mornes que les jours, et la décadence de la ville encore plus manifeste, véritable « spectacle mortuaire »…

La place Barberini où je loge est un catafalque de pierre où brûlent quelques flambeaux oubliés ; les pauvres petites lumières semblent s’engloutir dans le lugubre suaire d’ombre et la fontaine indistincte chuchote dans le silence avec un bruissement de spectre… La nuit, c’est toute l’horreur et la gran- deur du sépulcre8.

Pour l’historien, seule l’étude, dans la Ville éternelle, était en mesure de protéger de l’ennui et de la mélancolie.

Au croisement des traditions humanistes et romantiques du XIXe siècle, se constitua bientôt une forme de psychologie des peuples.

Dans une Italie décor et musée, le voyageur n’ignorait pas la population mais la considérait sous l’angle du pittoresque, de caractéristiques an- thropologiques appelées à défier les évolutions historiques. On connaît bien la littérature laissée par ces voyageurs au XIXe siècle, ces récits où l’histoire bascule dans la géographie, ces récits dont les événements sont des lieux9. Rite socio-culturel, le voyage en Italie devint aussi une

« pratique intertextuelle », les textes renvoyant à des textes antérieurs et, de ce fait, les pratiques à des expériences déjà consignées : qu’il s’agisse des itinéraires, des visites obligées, de certains moments de bravoure et de lieux communs littéraires. Force est de constater qu’à l’époque con- temporaine, comme le souligne avec justesse Philippe Antoine, « le voyage en Italie est intertextuel avant d’être référentiel »10.

Est-ce la raison pour laquelle, s’il existe de multiples travaux concernant les temps modernes et le XIXe siècle, le voyage dans l’Italie du XXe siècle n’a guère été étudié. Faut-il voir dans le faible intérêt des historiens un effet de la transformation de la forme du voyage, consé- quence de la révolution des transports ? Daniel Roche a justement analysé la transformation induite par le chemin de fer : « Là où jadis, dans tout déplacement, un continuum spatio-temporel reliant un lieu à un autre se construisait par des étapes savourées, mais dans l’économie du hasard, on ne connaît plus qu’un départ et une arrivée ». Il fallut sans

8 Taine, H., Voyage en Italie, « À Rome », p. 40-41.

9 Voir la définition du récit de voyage par Louis Marin citée par Cogez, G., Les écrivains voyageurs au XXe siècle, Paris, Seuil, 2004, p. 27.

La banque de données mises en place par la Bibliothèque nationale, les travaux coordonnés par le Centre de Recherche sur la littérature du Voyage et par le CHRIPA de Grenoble (université de Grenoble II) nous ont familiarisés avec ce type de sources.

S’agissant de l’Italie, Yves Hersant a recensé 3 000 à 4 000 récits de voyage entre 1700 et 1900.

10 Antoine, P., Les récits de voyage de Chateaubriand. Contribution à l’étude d’un genre, Paris, Honoré Champion, 1997.

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doute le talent de Michel Butor pour réconcilier le train, l’imaginaire romanesque et le voyage en Italie11.

Ne faut-il pas imputer plutôt ce faible intérêt à l’évolution de la pra- tique sociale du voyage, comme si l’avènement d’un tourisme de masse et la démocratisation de l’accès au patrimoine artistique italien s’étaient nécessairement accompagnés d’une trivialisation et d’une perte de sens du voyage12 ? Il est vrai qu’à lire les récits des écrivains-voyageurs du XXe siècle vient le soupçon que le genre du récit de voyage finit par être victime de son propre succès13. L’Italie, comme d’autres destinations du Grand Tour, fut sans doute victime de la « fin des voyages » qu’annon- çait Lévi-Strauss dans Tristes tropiques et du processus décrit par Paul Morand :

Il n’y a plus de voyageurs. Il n’y a plus que des gens qui voyagent autour de leur chambre : cette chambre, c’est l’univers14.

Comme le soulignent Bartolomé et Lucile Bennassar dans la préface de leur Voyage en Espagne. Anthologie des voyageurs français et fran- cophones du XVI au XIXe siècle15, la péninsule Ibérique est une destina- tion aussi ancienne que l’Italie mais le voyage depuis l’hexagone y eut des mobiles autres que le rite de passage générationnel et l’initiation aux arts : pèlerinage, mission diplomatique, dépaysement à finalité artisti- que, exil… Les modalités et les objectifs du voyage en Espagne diffè- rent en effet considérablement selon les périodes, justifiant un bref survol historique sans qu’il soit pour autant nécessaire de remonter jusqu’aux jacquets cheminant sur le camino francés vers Saint-Jacques- de-Compostelle !

Du fait des affrontements constants entre les deux monarchies, les débuts de l’époque moderne cantonnèrent les déplacements outre- Pyrénées dans le registre de l’utilitaire ; les commerçants, mercenaires, migrants, artistes, n’ont donc pas laissé de récits relatant leurs découver- tes, seuls Brantôme et les courtisans flamands d’expression française faisant exception. Si ce contexte conflictuel perdura dans la première

11 Butor, M., La Modification (postface par Michel Leiris), Paris, Éditions de Minuit, 1980.

12 Voir notamment : Bertho-Lavenir, C., La roue et le stylo. Comment nous sommes devenus touristes, Paris, Odile Jacob, 1999.

13 Sans que disparaissent pour autant les écrivains-voyageurs de talent, à l’image de Dominique Fernandez. Voir notamment : Le voyage d’Italie. Dictionnaire amoureux, Paris, Plon, 1997.

14 Cité in Pasquali, A., Le Tour des horizons. Critique et récits de voyage, Paris, Klincksieck, 1994, p. 61.

15 Bennassar, B. et L., Le Voyage en Espagne. Anthologie des voyageurs français et francophones du XVI au XIXe siècle, Paris, Robert Laffont, 1998.

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moitié du XVIIe siècle, il ne fit pas obstacle à un attrait nouveau pour l’Espagne que favorisèrent le prestige de sa langue et de sa littérature, le renom de son catholicisme et les mariages français de ses infantes ; Jean-Frédéric Schaub a rendu compte de cette influence dans La France espagnole : les racines hispaniques de l’absolutisme français16. Le règne de Philippe V, petit-fils de Louis XIV et de Marie-Thérèse d’Espagne, auprès de qui le duc de Saint-Simon fut ambassadeur et dont il a décrit la cour, renforça encore les contacts entre les deux pays. Dès le milieu du XVIIe, et tout au long du siècle suivant, divers voyageurs français partirent donc à la découverte de l’Espagne et livrèrent leur vision ; leurs récits connurent une très grande vogue. Divers noms émergent, comme le clerc Barthélémy Joly dès 1604, le précepteur Antoine de Brunel en 1655 ou le conseiller François Bertaut en 1669.

Puis, alors même que les Lumières contribuaient à alimenter les stéréo- types de la « légende noire », l’Inquisition et les usages religieux assimi- lés à l’obscurantisme retenant l’attention de tous, des ouvrages très informés furent publiés, en particulier par les diplomates Jean-François Peyron en 1780 et Jean-François Bourgoing en 1789 et 1797 qui se révélèrent de fins observateurs, attentifs au progrès.

D’après les préjugés dont l’Espagne est encore l’objet dans le reste de l’Europe, on croirait qu’on n’a sur elle que ces notions embellies ou défigu- rées que les romans fournissent, ou que ces notions surannées que l’on puise dans les mémoires d’un temps reculé ; on la supposerait plutôt à l’extrémité de l’Asie qu’à celle de l’Europe17.

La Révolution ne démentit pas ce nouveau souci d’objectivité, comme en font foi les observations archéologiques et artistiques d’Alexandre de Laborde, parues entre 1806 et 1820, ou la mission scientifique de François Arago à Majorque en 1807-1808.

Tout en constituant une césure, la guerre d’Indépendance fut para- doxalement un des facteurs du fort regain d’intérêt pour l’Espagne à partir de 1820 car elle a à la fois révélé la forte identité nationale du peuple péninsulaire et permis aux troupes napoléoniennes de mieux le connaître. Les mémoires des vétérans qui fleurirent rendaient hommage à la farouche résistance populaire mais, en parlant de sauvagerie ou de cruauté, ils prolongeaient la réputation bien ancrée de fanatisme et ne portèrent donc pas un coup fatal aux préjugés18. Ils n’en ont pas moins constitué les prémices de la mode espagnole19. L’expédition des Cent

16 Schaub, J.-F., La France espagnole : les racines hispaniques de l’absolutisme français, Paris, Seuil, 2003.

17 Bourgoing, J.-F., Tableau de l’Espagne, Paris, Levrault, 3e ed., 1803, p. V.

18 Citons les souvenirs de Sébastien Blaze, Mémoires d’un aide-major (1827-1828).

19 Tulard, J. (dir.), L’Europe au temps de Napoléon, Paris, Horvath, 1989, p. 435.

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mille fils de saint Louis en 1823 a maintenu le pays voisin au cœur de l’actualité, de même que le mariage de l’infante Louise-Fernande avec le duc de Montpensier en 1846, relaté notamment par Théophile Gautier et Alexandre Dumas. Les exilés politiques, arrivés par vagues en fonc- tion des aléas de la vie politique péninsulaire, entretinrent cette curiosité tout en exerçant une réelle influence. Il faut également mentionner les traductions de chefs-d’œuvre littéraires, la découverte de la peinture, les publications historiques, la floraison de reportages dans les revues, etc., pour rendre compte de l’engouement qui a marqué tout le XIXe siècle.

Le courant romantique, en quête de ce que les nations étrangères pou- vaient « avoir de caractéristique et d’inusité », joua enfin un rôle ma- jeur : un « rêve espagnol » traversa la littérature française – selon la jolie formule de Léon-François Hoffmann20 – et l’Espagne fut une province du monde propre aux auteurs romantiques.

La mode du voyage espagnol conduisit Stendhal, Chateaubriand, Charles Nodier, George Sand, Théophile Gautier, les Dumas père et fils, Victor Hugo… au-delà des Pyrénées, quoique brièvement. Certes Prosper Mérimée fut le seul écrivain à connaître l’Espagne en pro- fondeur et à maîtriser sa langue, mais quasiment tous ont publié leurs impressions à leur retour. Il suffit d’évoquer, à titre d’illustrations, le Voyage à Madrid d’Adolphe Blanqui (1826), Excursions en Espagne d’Alexis de Saint-Priest (1829), les Lettres d’Espagne de Prosper Mérimée (1830-1833), Un hiver à Majorque de George Sand (1841), le Voyage en Espagne de Théophile Gautier (1843), Mes vacances en Espagne d’Edgar Quinet (1846), les Impressions de voyage de Paris à Cadix d’Alexandre Dumas père (1847) ou Terre d’Espagne de René Bazin (1895). « Les Français furent… les premiers, et plus tard les plus empressés, à proclamer la beauté de l’Espagne. Leurs livres, véridiques ou non, attirèrent sur elle l’attention de toute l’Europe »21.

À l’évidence, les romantiques – dont les récits ont été rassemblés par Jean-René Aymes22 – n’étaient pas seuls concernés mais ils partageaient avec la très grande majorité de leurs contemporains la recherche de l’aventureetdudépaysementdansunpaysvucomme archaïque, presque africain, dont l’Andalousie symbolisait la quintessence ; Michelet ne regardait-il pas l’Espagne comme « le pays de l’immobilité », Stendhal

« le peuple espagnol comme le représentant du Moyen Âge »23 ?

20 Hoffmann, L.-F., Romantique Espagne. L’image de l’Espagne en France entre 1800 et 1850, Paris, PUF, p. 5 et 34.

21 Bertrand, J. J. A., Sur les vieilles routes d’Espagne, Paris, Les Belles Lettres, 1931, préface.

22 Aymes, J.-R., L’Espagne romantique (témoignages des voyageurs français), Paris, Métailié, 1983.

23 Stendhal, De l’amour (1822).

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J’aime… l’Espagnol parce qu’il est type ; il n’est copie de personne. Ce sera le dernier type existant en Europe24.

Pays hors du temps, l’Espagne était aussi hors d’une Europe que bornaient les Pyrénées. Stendhal en témoigne,

Il paraît que je vais aller en Espagne, c’est-à-dire en Afrique.

Théophile Gautier insiste, lui pour qui « l’Espagne qui touche à l’Afrique… n’est pas faite pour les mœurs européennes. Le génie de l’Orient y perce sous toutes ses formes et il est fâcheux peut-être qu’elle ne soit pas restée moresque ou mahométane » ! Le pittoresque des coutumes anciennes et la couleur locale des mœurs spécifiques, celles des femmes passionnées, des bandits d’honneur, la corrida sanguinaire, les danses sensuelles, devinrent autant de lieux communs fascinants. En n’ayant franchi qu’une frontière, le voyageur français ressentait le frisson du risque et le dépaysement dans un pays exotique – par son climat ardent, ses vastes espaces désolés –, primitif et immobile, loin de la civilisation industrielle.

Si l’Espagne demeura pendant une large part du XXe siècle un pays de frontière, de périphérie, sa décadence – qu’elle partageait avec les autres pays latins mais que cristallisa la perte de Cuba en 1898 – la rendit un temps moins attractive, d’autant que l’aventure n’était plus au rendez-vous. L’apparition des guides de voyage favorisa une approche stéréotypée. Enfin les voyageurs ont délaissé la forme du récit pour livrer leurs impressions de manière éparse. Pourtant, comme Jean-Marc Delaunay l’a montré, nombreux ont été, au tournant des XIXe et XXe siècles, les intellectuels qui se sont souciés de traverser l’écran des légendes espagnoles sans pour autant négliger la force des sensations : hispanistes comme Pierre Paris, fondateur de l’École des hautes études hispaniques à Madrid en 1909, ou Maurice Legendre ; universitaires ; journalistes comme Louise Weiss ; écrivains comme Maurice Barrès, Louis Bertrand, André Gide, Valéry Larbaud, Pierre Louÿs, Romain Rolland… Les mutations socio-économiques des années 1920, le re- cours à de nouveaux modes de locomotion et le développement des infrastructures, la transformation de l’espace urbain, suscitèrent la sur- prise admirative de visiteurs comme Camille Mauclair dans son intro- duction à Théophile Gautier. Écrivains et artistes romantiques (1931) ou Germaine Picard-Moch et Jules Moch dans L’Espagne républicaine : l’œuvre d’une révolution (1933). Un certain flux de touristes grossit jusqu’en 1934, attiré par le pittoresque, les richesses artistiques… et les premiers paradores ! Dans le même temps, les convulsions de l’évolu- tion politique retinrent l’attention des journalistes, avec la désignation

24 Stendhal, Mémoires d’un touriste (1838).

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d’envoyés spéciaux, ainsi que des intellectuels. Ainsi Jean Cassou s’est- il rendu en Espagne lors de trois temps forts de l’histoire de la Républi- que, sa proclamation, la victoire du Front populaire et le sursaut du peuple après le pronunciamiento : il se trouvait à Madrid le 14 avril 1931 et, dès son retour, publia dans Les Nouvelles littéraires un « hom- mage à l’Espagne profonde » où il ébranlait l’idée familière d’un pays éternel, catholique, impérial et centralisateur, pour dévoiler la continuité du courant humaniste qui éclatait alors au grand jour25. Avec la guerre civile, le voyage en Espagne se transforma en manifestation de soutien ou en vecteur d’un engagement militant, et ces faits sont bien connus ; les écrits exaltent avant tout la cause défendue, qu’il s’agisse de L’Espoir d’André Malraux (1937) ou de Chefs. Les dictatures et nous.

Entretiens avec Mussolini, Salazar et Franco d’Henri Massis (1939), cependant que le pamphlet Les grands cimetières sous la lune (1938) découle de l’expérience vécue par Georges Bernanos à Majorque où il résidait depuis 1934.

Entre le passage massif des Pyrénées pendant la Seconde Guerre mondiale puis, durant quelques années, leur franchissement clandestin à des fins militantes, et l’essor considérable du tourisme de masse à partir de la décennie suivante – dont les Français représentaient le tiers –, l’Espagne franquiste constitue une destination contrastée que les com- munications de cet ouvrage s’attachent à explorer. Il convient néan- moins de rappeler que, au moment où la diversification de la personnali- té du voyageur et de sa finalité – contact culturel, mission intellectuelle ou académique, activité économique, loisir – accompagnait la normali- sation du régime, la solidarité antifranquiste interdisait à certains de se rendre dans la péninsule. Aussi, avant qu’il ne se réconcilie avec ses autorités en 1983, l’Espagne fut-elle pour Jean Cassou « une chimère intime… vécue de l’intérieur ».

En revanche, il n’existe pas une tradition équivalente de voyage au Portugal. Au XVIIIe siècle, comme le souligne Claude Maffre dans la préface à ses Voyages au Portugal, bien des Français se représentent ce pays, jusque là assez largement inconnu, comme la terre effrayante de l’Inquisition et du tremblement de terre de Lisbonne, celle du Candide de Voltaire. Le marquis de Sade le dépeint comme une contrée fantai- siste dans Aline et Valcour. Quant à la duchesse d’Abrantès, l’épouse du général Junot, elle en fait un sujet de ressentiments dans ses Mémoires26. Les maréchaux de Napoléon – on pense à Soult dans ses Mémoires – ne

25 Dulphy, A., « Jean Cassou et la démocratie espagnole », Histoire et littérature au XXe siècle. Recueil d’études offert à Jean Rives, Toulouse, GRHI, 2003.

26 Cf. les textes recueillis et rassemblés par Claude Maffre dans Voyages au Portugal aux XVIIIe et XIXe siècles, Urugne, Éditions Pimientos, 2005.

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parviennent pas mieux à comprendre la singularité portugaise, à l’image de l’Empereur auquel l’originalité de cette terre de l’extrême ouest européen échappe complètement. Au début du XIXe siècle, le Portugal reste pour les Français un appendice de l’Espagne, inféodé à la perfide Albion, un pays redoutable pour l’état de ses routes, la saleté et la pauvreté qui sont censées y régner, même si cette pauvreté n’a guère dissuadé les généraux de l’Empereur de mettre le pays en coupe réglée et de piller les œuvres d’art.

Difficile, à partir de telles prémisses, de repérer une tradition an- cienne du voyage littéraire au Portugal qu’inaugure timidement l’émo- tion suscitée en Europe par le tremblement de terre de 1755. Même côté anglais, le vieil allié diplomatique depuis le Moyen Âge – et hormis le chef d’œuvre esseulé du Journal intime de Lord Beckford qui, dans les années 1780, au lendemain d’un scandale, se réfugie dans ce « recoin amer et oublié de l’Europe » –, la défiance et l’ignorance sont de mise, les célèbres vers de Lord Byron, un temps replié dans une luxueuse quinta de la forêt de Cintra, n’y étant pas pour rien : « Pauvres vils esclaves nés dans les plus nobles lieux / Pourquoi Nature, prêtes-tu tes merveilles à de tels hommes ? ».

Dans la première moitié du XIXe siècle, le Portugal s’efface de l’avant-scène européenne, miné par une forte instabilité politique et la perte du Brésil (1822-1824). La période de la « régénération » (la deuxième moitié du XIXe siècle), si elle s’accompagne d’une intense activité littéraire et culturelle au Portugal même, ne suscite guère d’inté- rêt à l’étranger. Le pays reste périphérique et la crise de l’Ultimatum (1890), en portant un coup d’arrêt au rêve de constitution d’un vaste empire colonial en Afrique australe, provoque une profonde crise de la conscience nationale, tout en confirmant l’isolement du Portugal sur la scène politique et culturelle européenne. Alors que les hommes de lettres et artistes portugais n’ignorent rien de la vie culturelle parisienne, plusieurs nourrissant même une véritable admiration – on pense ainsi à Eça de Queiroz, l’auteur des Maias, longtemps consul du Portugal à Paris mais qui ne fut découvert que tardivement en France grâce, no- tamment, à Valéry Larbaud –, la réciproque est loin d’être vraie…

En 1916, la participation du Portugal à la Grande Guerre, aux côtés de la France et de l’Angleterre, si elle se traduit par une déroute militaire (bataille de La Lys, avril 1918) et par un affaiblissement de la jeune République érigée en octobre 1910 – affaiblissement dont celle-ci ne se remettra pas –, replace le Portugal dans le concert européen. Indirecte- ment, elle permet à un jeune officier encore convalescent de découvrir le pays en qualité de membre d’une commission militaire interalliée chargée de superviser les préparatifs de guerre. Au cours des deux mois où il séjourne à Lisbonne, luxueusement à l’Avenida Palace, Jean

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Giraudoux éprouve une solide aversion pour la cuisine portugaise mais succombe au charme du pays (La journée portugaise, 1916, repris en 1939 dans Adorable Clio)27. Il ouvre la voie à un courant fécond, em- preint de dandysme et d’égotisme, de récits touristiques talentueux, qu’empruntent notamment Paul Morand (Lorenzaccio ou le retour du proscrit, 192528 ; Le prisonnier de Cintra, 195829 ; Bains de mer, 1960 ; en collaboration avec Michel Déon et Jacques Chardonne, Le Portugal que j’aime, 196030) et Valéry Larbaud, grand amoureux de Lisbonne, où le Terreiro do Paço (place du Commerce) lui apparaît comme « la plus belle place du monde ».

La gaieté portugaise est une légende, mais la politesse portugaise, la dou- ceur des mœurs portugaises, sont une réalité. Le Portugal est un pays où on est heureux, où je crois que nous pourrions vivre agréablement. Il a pour lui le climat, les paysages, l’Océan ; et aussi le climat moral d’un vieux et glo- rieux royaume européen avec de vastes colonies, un empire d’outre-mer.

Comme la Hollande. En Europe, les petits États ont toujours été et seront toujours ceux où l’on vit le mieux31.

Dans cette récente tradition du voyage littéraire, dominée par les ré- cits touristiques et l’usage des stéréotypes, Lisbonne apparaît comme une escale heureuse, insouciante, et le Portugal comme un havre de douceur et de paix – dans sa Lettre à un otage, Saint-Exupéry le souli- gna avec force, fin 1940, avant de quitter Lisbonne pour les États-Unis, en compagnie de Jean Renoir32 –, comme un espace préservé, à l’abri des turbulences du monde, un pays bucolique, ultime refuge contre la modernité. En 1950, dans son avant-propos à un ouvrage de découverte du Portugal d’une collection illustrée, « Le monde en couleurs »,

27 Jean Giraudoux est aussi l’auteur de Portugal, Paris, Flammarion, 1958. Ce récit de 1941 relate un séjour à Lisbonne, en septembre 1940, pour retrouver la trace de son fils, Jean-Pierre, parti à Londres rejoindre les forces de la France Libre.

28 Cette nouvelle a été publiée dans L’Europe galante par Grasset en 1925, consécutive- ment au premier séjour de Morand à Lisbonne en mai 1924.

29 Morand, P., Le prisonnier de Cintra, Paris, Fayard, 1958. Il s’agit d’un recueil de nouvelles, dont « Le prisonnier de Cintra », récit touristique, rédigé en 1957 et publié dans La Revue des deux mondes en avril 1958.

30 Déon, M., Le Portugal que j’aime, [présenté par Jacques Chardonne, légendé par Paul Morand], Paris, Éditions Sun, 1960. Notons que Jacques Chardonne avait publié Vivre à Madère en 1953.

31 Larbaud, V., Jaune Bleu Blanc, 1927, Pléiade, œuvres complètes, p. 925.

Il s’agit de « Lettre de Lisbonne », « Divertissement philologique », « Écrit dans une cabine du Sud-Express », trois écrits portugais consécutifs au séjour à Lisbonne de l’auteur de fin janvier à début mars 1926.

32 Saint-Exupéry de, A., Lettre à un otage, New York, Brentano’s, 1943. Il faut sou- ligner la superbe évocation, dans le premier chapitre, de l’Exposition du monde portugais de Lisbonne que l’auteur visita fin novembre-début décembre 1940.

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l’académicien français Jacques de Lacretelle esquisse à grands traits sa carte du Portugal.

Terre colorée, mais sans violence. Ciels purs et chatoyants. Air à la fois brû- lant et doux. Arbres d’Europe et flore tropicale. Monuments audacieux et dépourvus d’ostentation. Peuple aux yeux graves et aux lèvres rieuses, épris de chansons et de danses, mais de chansons tristes et de danses chastes. Et partout à la viole, dans les campagnes, le don d’accueil, une curiosité qui accourt vers l’étranger, tout en gardant sa noblesse et en restant soi même…

Heureux Portugal qui a su naviguer au milieu des écueils et montre encore à l’homme ce que peut faire l’homme33.

Proche de cette tradition du voyage littéraire dont il se nourrit au dé- part, le voyage militant prend d’abord appui sur la longue dictature salazariste, l’État nouveau portugais apparaissant bien vite comme le modèle parfait de régime autoritaire, aux yeux de nombre d’intellectuels français maurassiens – Henri Massis en est la figure de proue des années 1930 aux années 196034 – et catholiques. Les années 1930 voient de nombreux intellectuels se rendre à Lisbonne, à l’invitation des autorités salazaristes. La visite au « grand homme » Salazar devient un rite auquel la plupart sacrifient, pour mieux rechercher les indices d’une confirma- tion du génie, dans des descriptions – celles des lieux, principalement le bureau austère du président du conseil – qui tiennent de l’incantation.

Largement dominé par la visite au « grand homme » durant près d’un demi-siècle, le voyage militant laisse alors rarement place à la dénoncia- tion critique, hormis Simone de Beauvoir dans Les Mandarins (prix Goncourt, 1954) et La force des choses (1963). L’efflorescence de la Révolution des œillets, en avril 1974, ouvre la voie à de nouveaux types de voyages militants, Lisbonne devenant un temps (1974-1975) un véritable lieu de pèlerinage pour les intellectuels français – Sartre en tête – et un champ d’expérimentation particulièrement fertile35.

Cet engouement, aussi brutal qu’éphémère, des intellectuels français pour le Portugal a laissé place à un reflux assez prononcé, teinté de désintérêt, seulement troublé par l’attrait exercé par la littérature portu- gaise contemporaine (Lobo Antunes, le prix Nobel de littérature José Saramago, etc.), attrait suscité par le personnage multiforme et fantoma- tique de Fernando Pessoa (1888-1935) et de ses hétéronymes, accueillis dans la prestigieuse collection de La Pléiade, une première pour un

33 Lacretelle de, J., « Avant-propos », Le Portugal, Paris, Odé, collection « Le Monde en couleurs », 1950.

34 Massis, H., Salazar, face à face, Paris, Éditions La Palatine, 1961.

35 Pereira, V., « Pèlerinage au Portugal révolutionnaire : les intellectuels français et la révolution des œillets », in Dulphy, A., et Léonard, Y. (dir.), De la dictature à la démocratie : voies ibériques, Bruxelles, PIE Peter Lang, 2003, p. 241-255.

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auteur de langue portugaise. Alors que Lisbonne tend à devenir une ville parmi les plus « branchées » d’Europe, en s’européanisant à marche forcée, le Portugal semble s’être en quelque sorte banalisé, aux yeux des intellectuels et des artistes, dans sa quête effrénée de la modernité, après être « resté si longtemps, et jusqu’au XXe siècle, le pays où la vie était douce, où les mœurs patriarcales d’un autre âge réservaient au voyageur un accueil inoubliable au sein d’une population pauvre mais digne et souriante à l’étranger de passage »36.

36 Maffre, C., Introduction de Voyages au Portugal, op. cit., p. X.

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