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Esclavage (suite), Bayéma

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Academic year: 2021

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esclavage – suite.

Domination, violence, profit : le système criminel de l’esclavage a marqué l’histoire du monde et de l’humanité. Au fil de ses routes, la tragédie des traites négrières implacable.

1 – Après la chute de Rome en 476, les peuples (Wisigoths, Ostro-goths, Berbères, Slaves, Byzantins, Nubiens et Arabes) se dispu-tent les ruines de l’Empire. Tous pratiquent l’asservissement – « esclave » viendrait du mot « slave ».

Mais au VIIe siècle émerge un Empire arabe. Au rythme de ses con-quêtes se tisse, entre l’Afrique et le Moyen-Orient, un immense réseau de traite d’esclaves, dont la demande ne cesse de croître et qui converge vers Bagdad, nouveau centre du monde. Après la ré-volte des Zanj – des esclaves africains –, qui s’achève dans un bain de sang, le trafic se redéploye vers l’intérieur du continent. Deux grandes cités commerciales et marchés aux esclaves

s’impo-sent : Le Caire au nord, et Tombouctou au sud, place forte de l’Empire du Mali d’où partent les caravanes.

Au fil des siècles, les populations subsahariennes deviennent la principale « matière première » de ce trafic criminel.

2 – 1375-1620. À l’issue des croisades, l’Europe à son tour se tourne vers l’Afrique, source d’immenses richesses….

Contournant les musulmans en Méditerranée, les navigateurs portu-gais, qui convoitent l’or du continent, entreprennent en pionniers de le conquérir, et reviennent avec des milliers d’esclaves, issus notamment du royaume Kongo, pour les vendre en Europe du Sud, avec la bénédiction de l’Église.

Sur l’île de São Tomé, sorte de « laboratoire » de l’esclavage situé au large du Gabon, ils passent du négoce de captifs à la production d’esclaves au service d’une plantation sucrière à la rentabilité iné-galée, et mettent en place la première société esclavagiste.

À partir de 1516, la découverte du Brésil ouvre de nouvelles routes de traites, inaugurant le commerce triangulaire entre les continents – or, esclaves, sucre.

Bientôt apparaissent les premières communautés armées de fugitifs, les mocambos.

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3 – Esclavage en Libye – Tidiane N’Diaye : « L’Afrique et l’Europe avaient détourné les yeux jusqu’ici ».

DÉCRYPTAGE. Auteur de l’ouvrage « Le Génocide voilé », Tidiane

N’Diaye, spécialiste de la traite arabo-musulmane, apporte son éclairage sur cette réalité sordide.

Le marché aux esclaves à Zanzibar (Tanzanie), un vendeur présente la dentition d’une esclave accompagnée de son enfant à un ache-teur potentiel, gravure d’après un dessin d’ Émile Bayard,

illus-trant le dernier journal de David Livingstone ( 1813-1873), en 1866-1873, publié dans "Le Tour du monde " 1875, sous la direc-tion d’Edouard Charton, édidirec-tion Hachette, Paris. Collecdirec-tion Sel-va. © Selva/Leemage

Mais qu’est-ce qui justifie que certains pays africains comme la Mauritanie, le Soudan pratiquent toujours l’esclavage ? Ou qu’au Mali, les Touareg refusent d’être dirigé par un pouvoir « noir » ?

Les faits parlent d’eux-mêmes. En avril 1996, l’envoyé spécial des Nations unies pour le Soudan faisait état d’une « augmentation ef-frayante de l’esclavagisme, du commerce des esclaves et du travail forcé au Soudan ». En juin de la même année, deux journalistes du Baltimore Sun, qui s’étaient également introduits au Soudan, écrivaient dans un article intitulé « Deux témoins de l’esclavage » qu’ils avaient réussi à acheter deux jeunes filles esclaves, pour les affranchir.

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En Mauritanie, les populations négro-mauritaniennes subissent en-core couramment l’esclavage. Selon Philip Alston, auteur d’un rapport de l’ONU en 2016 dans ce pays, « des milliers de per-sonnes restent réduites en esclavage » au mépris de l’État. La lettre de Moussa Biram, militant anti-esclavage en prison, le

combat de l’opposant Biram Dah Abeid ou encore l’action des mi-litants des Forces de libération africaines de Mauritanie (FLAM) renseignent sur la politique raciste qui sévit dans le pays.

Vous savez, au chapitre du mépris envers les Africains, l’historien Ibn Khaldum écrivait : « Les seuls peuples à accepter l’esclavage sont les nègres, en raison d’un degré inférieur d’humanité, leur place étant plus proche du stade animal. » Je pense que cette ap-proche de l’homme noir par Ibn Khaldum et d’autres penseurs du monde arabo-musulman, subsiste dans l’inconscient collectif de ces peuples qui associent toujours Noir à abd (esclave).

Alors comment expliquez-vous cette forme de solidarité reli-gieuse implicite qui existe entre les pays arabo-musulmans, dont plusieurs sont en Afrique subsaharienne ?

Bien des peuples africains se sont convertis à l’islam, notamment depuis l’arrivée des Almoravides au Xe siècle. Mais pendant long-temps, cette conversion ne les préservait nullement de l’état

de « proie », en dépit de leur statut d’ « étrangers » et de « récents convertis. » Car si la loi islamique ne revêt aucune forme de dis-crimination liée à ce qu’il fallait bien nommer « la race » à

l’époque, les Arabes prendront leurs aises avec l’esprit du texte. C’est ainsi que le Marocain Ahmed al-Wancharisi décrétait

que « seul un incroyant peut être réduit en esclavage… Mais s’il y a un doute sur la date à laquelle un homme est devenu esclave et s’est converti à l’islam, on ne peut remettre en question sa vente ou sa possession ». Il ajoute que « la conversion à l’islam, ne con-duit pas forcément à la libération, car l’esclavage est une humilia-tion due à l’incroyance présente ou passée ». Argument que re-prendront à leur compte les « soldats du Christ » dans le Nouveau Monde à propos des peuples à peau brûlée qui, sans doute,

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C’est ainsi que certains Arabes islamisaient les peuples africains en se faisant passer pour des piliers de la foi et des modèles des

croyants. Ils allaient souvent de contrée en contrée, le Coran d’une main, le couteau à eunuque de l’autre, menant hypocritement une pseudo-« vie de prière », ne prononçant pas une parole, sans invo-quer Allah et les hadiths de son Prophète. Beaux et nobles prin-cipes en vérité, mais que foulèrent au pied – avec quelle allé-gresse, quelle indignité, et quelle mauvaise foi ! – ces négriers arabes, qui mettaient l’Afrique à feu et à sang. Car derrière, ce prétexte religieux, ils commettaient les crimes les plus révoltants et les cruautés les plus atroces.

En ces temps obscurs, où les Lumières ne baignaient pas encore suf-fisamment l’esprit des hommes, les Arabes plongèrent les peuples noirs dans les ténèbres, ce n’était partout que « du mal absolu ». Plus que la traite transatlantique, les Arabes ont razzié l’Afrique

subsaharienne pendant 13 siècles sans interruption. La plupart des millions d’hommes qu’ils ont déportés ont presque tous disparu du fait des traitements inhumains, de l’infanticide et de la castration généralisée, pour qu’ils ne fassent souche dans le monde arabo-musulman.

Mais il faut dire que de nos jours, pour ce qui est de l’islamisation de peuples, dans la plupart des pays africains, la religion du Pro-phète Muhammad a fait d’énormes concessions aux traditions an-cestrales, en s’intégrant harmonieusement. Elle ne détruit plus les cultures et les langues. Ceci explique sans doute cette solidarité re-ligieuse entre Noirs africains musulmans et Arabo-musulmans… Mais il n’en a pas toujours été ainsi.

Pensez-vous que le panafricanisme ait encore un sens dans ce contexte ?

Comme j’ai l’habitude de le dire, le panafricanisme devant souder peuples noirs et arabo-musulmans et une utopie !

Dans l’inconscient collectif de ces derniers, Maghrébins ou autres, notre passé a laissé tellement de traces que, pour eux, un « nègre » reste un esclave. Ils ne peuvent pas concevoir de Noirs chez eux. Regardons ce qui se passe en Mauritanie ou au Mali, où les Touareg

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Au Maroc, pays qui ambitionne de redevenir une puissance conti-nentale, le racisme est omniprésent, avec parfois une instrumenta-lisation par des médias malveillants.

Les descendants des bourreaux comme ceux des victimes sont deve-nus solidaires pour des raisons religieuses.

Mais cela n’ira jamais au-delà, soyons sérieux cette « fracture ra-ciale » est réelle en Afrique.

Avec la diffusion de récentes images, beaucoup en Occident mi-nimisent les conséquences de la traite atlantique. Les deux traites sont-elles comparables ?

Dès le XVIIe siècle les Européens, bien après Venise et Byzance ( Portugais et Anglais en tête, suivis de près par les Français et les Espagnols), avaient dans un premier temps, allégrement concur-rencé les Arabo-musulmans en fait de chasses à l’homme et de commerce ad hoc : c’est comme on sait, la traite transatlantique, de sinistre mémoire.

Il est sans doute difficile d’apprécier l’importance de la saignée su-bie par l’Afrique noire au cours de la traite transatlantique. Du Bois l’estime à environ 15 à 20 millions d’individus. Philip Curtin quant à lui, en faisant une synthèse des travaux existants, aboutit en 1969 à un total d’environ 9,6 millions d’esclaves importés sur-tout dans le Nouveau Monde, plus faiblement en Europe et à Sao Tomé, pour l’ensemble de la période 1451-1870.

Cette douloureuse page de déportation et d’exploitation des peuples africains était motivée par des raisons essentiellement

écono-miques et de « salubrité. » Et, quelle que fût son ampleur, il suffit d’observer la dynamique diaspora noire qui s’est formée au Brésil, aux Antilles et aux USA, pour reconnaître qu’une entreprise de destruction froidement et méthodiquement programmée des

peuples noirs au sens d’un génocide – comme celui des Juifs, des Arméniens, des Cambodgiens ou autres Rwandais – n’y est pas prouvée.

Dans le Nouveau Monde, la plupart des déportés ont assuré une des-cendance. De nos jours, plus de soixante-dix millions de descen-dants ou de métis d’Africains y vivent.

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En revanche, la traite négrière arabo-musulmane est très largement antérieure au commerce triangulaire.

Du VIIe au XVIe siècle, pendant près de mille ans, les arabo-musulmans ont même été les seuls à pratiquer ce misérable né-goce, en déportant près de 10 millions d’Africains, avant l’entrée en scène des Européens.

Si la ponction transatlantique a duré de 1660 à 1790 environ, les arabo-musulmans ont été à l’origine des razzias des peuples noirs et ceux qui ne veulent pas fermer les yeux savent bien que cela continue encore au Darfour, aujourd’hui en Libye et ailleurs.

Les statistiques de cette infamie – du moins celles parvenues jusqu’à nous, car ses acteurs ne tenaient pas de relations écrites au con-traire des atlantistes – sont effarantes. On estime à 17 millions le nombre de ses victimes. Ce chiffre serait même, selon certaines sources, vraisemblablement en deçà de la réalité. Il faudrait le trai-ter avec une marge d’erreur d’au moins 25 %, sur une période s’étalant du milieu du VIIe siècle au XX siècle.

On imagine aisément l’ampleur d’une telle tragédie à l’échelle d’un continent.

Cette déportation des Africains en terres arabo-musulmanes était dans une large mesure une véritable entreprise programmée, de ce que l’on pourrait qualifier « d’extinction ethnique par castration massive ». Puisque la presque totalité des déportés africains n’ont pas assuré de descendance du fait de cette castration… C’est là qu’il faut voir la différence entre les deux traites.

* Tidiane N’Diaye est aussi l’auteur du roman de fiction, « L’Appel de la lune », Gallimard, 240 pages, 20 euros.

** « Le Génocide voilé », essai de Tidiane N’Diaye, Gallimard, coll. Folio, 320 pages, 7,70 euros.

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