250 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 29 janvier 2014 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 29 janvier 2014 0 lalombalgie
,
unsymptôme fréquent
et d
’
origine imprécise La lombalgie est depuis longtemps déjà un problème de santé publique en Suisse. Ce symptôme banal, du fait de sa prévalence élevée dans la population générale, est une cause fréquente d’incapacité de travail et de demande de presta
tions à l’assurance invalidité. Du point de vue diagnostique et thérapeutique, il est clas
sique de séparer la lombalgie spécifique (10% – spondylarthropathie, métastase, frac
ture, syndrome radiculaire en rapport avec une hernie discale, etc.) de la lombalgie non spécifique (LNS) ou commune (90%).
Malgré les progrès de l’imagerie et des connaissances physio et anatomopathologi
ques, l’étiologie de la LNS reste peu claire.1 Un accès aigu de LNS n’implique rien d’au
tre qu’une intervention médicale légère (an
talgie, rassurer, maintien des activités to lé
rées, repos sans excès, éviter les labels diagnostiques anxiogènes), car l’évolution naturelle est la plupart du temps favorable en quelques jours ou semaines.
Lorsque la douleur dure ou récidive sou
vent, elle devient très gênante et la situation se complique, notamment pour le travailleur manuel, car les traitements antalgiques à disposition, bien que nombreux, n’ont pas toujours l’effet spectaculaire attendu.
éviter l
’
entréedansun processus conduisant à l
’
exclusion dumondedu travail
Lorsque le patient ne fait pas face à la douleur et à ses conséquences, il consulte, demande un certificat d’incapacité de tra
vail, puis son renouvellement. Le praticien devrait alors, en plus de réévaluer le diag
nostic de LNS, apprécier le contexte et la manière de «faire face» (coping) du patient.
En effet, il a été démontré que des facteurs personnels et environnementaux peuvent constituer des obstacles importants à la re
prise des activités. Parmi ceuxci, il y a l’in
tolérance à la douleur, une catastrophisa
tion élevée, des représentations dramatiques sur l’état du dos, l’évitement des activités physiques et professionnelles par conviction que le dos est sérieusement atteint et par peur d’aggraver son état.2
Lorsqu’un comportement douloureux ina
dapté est identifié (questions ciblées), il faut s’attendre à une réintégration profession
nelle difficile. Le risque d’évolution vers une exclusion durable du monde du travail est réel et la prise en charge bidisciplinaire clas
sique (médecin et physiothérapeute) n’est plus suffisante. Une approche interdiscipli
naire (ambulatoire ou stationnaire) est né
cessaire, du fait de la complexité des obs
tacles (physiques, psychologiques et con
textuels) à la récupération.
le médecin praticien et la médecine des assurances
Lorsque l’incapacité de travail perdure, les agendas de l’employeur et de l’assureur viennent au premier plan. Le risque de licen
ciement est élevé. L’assurance perte de gain met la pression. Un contact avec l’assu
ranceinvalidité (AI) pour une détection pré
coce est à discuter avec le patient. Dans tous les cas, le patient devrait s’annoncer à cette assurance avant que l’incapacité de travail n’atteigne six mois consécutifs, afin de préserver ses droits.
Alors que le modèle pour la pratique cli
nique est biopsychosocial, le modèle ap
pliqué par le système de compensation est biopsychiatrique.3 Seules une lésion clai
rement identifiable et/ou une affection psy
chiatrique sont reconnues comme une at
teinte à la santé susceptible de justifier une incapacité de travail. Le patient a l’obligation de faire des efforts importants pour limiter le dommage et le médecin celle de se pro
noncer sur les limitations fonctionnelles dues à l’atteinte à la santé. Il lui est ainsi de
mandé d’indiquer quelles sont les activités limitées (se tenir debout ou assis, porter des charges, monter sur un échafaudage, etc.) et dans quelle mesure. Il s’agit d’un exercice périlleux, d’autant plus que la médecine des assurances réclame d’éliminer l’influence souvent défavorable des facteurs psycho
sociaux.
Lorsque la situation est stabilisée sur le plan médical, c’est au juriste, non au méde
cin, de déterminer le degré de la perte de gain (notion non médicale), puis de se pro
noncer sur le droit à une rente d’invalidité.
Des litiges peuvent survenir entre le patient et les assurances. Le médecin devrait alors être prudent. Il lui faut éviter de prendre parti en l’absence de données médicales solides et d’une connaissance de l’essen
tiel du droit réglant la médecine des assu
rances.
conclusion
Il faut tout faire pour éviter l’entrée dans un processus conduisant à l’exclusion du monde du travail. La reconnaissance pré
coce des facteurs de risque d’incapacité de travail de longue durée permet de diriger le patient vers une prise en charge interdis
ciplinaire. Le dommage est indemnisé selon des règles précises et le patient doit en être informé de façon à ne pas nourrir des es
poirs mal fondés. Incapacité de travail et invalidité ne sont pas synonymes. Pour pou
voir accompagner efficacement un patient lombalgique chronique, il faut non seulement avoir des connaissances médicales, mais aussi des notions de médecine des assu
rances.
Comment prévenir l’invalidité dans le mal de dos ?
Quadrimed 2014
Rev Med Suisse 2014 ; 10 : 250
G. Rivier
Dr Gilles Rivier
Clinique romande de réadaptation Suvacare
Avenue Grand-Champsec 90 1951 Sion
gilles.rivier@crr-suva.ch
Bibliographie
1 Jensen TS, et al. Vertebral endplate changes : A sys
tematic review of prevalence and association with non specific low back pain. Eur Spine J 2008;17:140722.
2 Nicholas MK, et al. Early identification and mana
gement of psychological risk factors («yellow flags») in patients with low back pain : A reappraisal. Phys Ther 2011;91:73753.
3 Incapacité de travail. Lignes directrices pour l’éva
luation de l’incapacité de travail par suite d’accident ou de maladie. Brochure éditée en 2013 par Swiss In
surance Medicine (swissinsurancemedicine.ch).
42_37647.indd 1 22.01.14 10:54