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Des jeux de cartes : la mathématique à 5-8 ans dans une optique piagétienne

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Des jeux de cartes : la mathématique à 5-8 ans dans une optique piagétienne

KAMII, Constance Kazuko, CESAREO-TURNER, Yvonne Frances, MOUNOUD, Heidi

KAMII, Constance Kazuko, CESAREO-TURNER, Yvonne Frances, MOUNOUD, Heidi. Des jeux de cartes : la mathématique à 5-8 ans dans une optique piagétienne . Genève : Université de Genève Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation, 1985, 108 p.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:92938

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

(2)

UNIVERSITÉ DE GENÈVE - FACULTÉ DE PSYCHOLOGIE ET DES SCIENCES DE L'ÉDUCATION Cahiers de la Section des Sciences de l'Education

PRATIQUES ET THÉORIE

Constance Kamii, Yvonne Cesareo et Heidi Mounoud

DES JEUX DE CARTES:

LA MATHÉMATIQUE A 5-8 ANS DANS UNE OPTIQUE PIAGETIENNE

Série Mémoires de licence N

°

VI

Cahier N

°

41

(3)

UNIVERSITE DE GENEVE

FACLJL.TE DE PSYCHOLOGIE ET DES SCIENCES DE L'EDUCATION

DES JEUX DE CARTES: LA MATHEMATIQUE A 5-8 ANS DANS UNE OPTIQUE PIAGETIENNE

Constance Kamii, Yvonne Cesareo et Heidi Mounoud

Cahier No 41

Pour toute correspondance : Section des Sciences de l'éducation

UN 1 11 1211 - Genève 4 (Suisse)

OCTOBRE 1985

(4)

Edition : Groupe de travail de la Section des Sciences de l'éducation Préparation, composition et réalisation graphique : Serge Oueloz

TABLF OES MATIEf1ES

Première partie

Chapitre I La construction de la connaissance logico-mathémc1tique 3 La nature de la ma thérnati que

Le constructivisme

Chapitre 11 Les buts et quelques principes pédagogiques Les buts de l'arithmétique à l'intérieur de l'objectif général de l 'autonornie

O.uelques principes pédagogiques

Deuxième partie Introduction

Chapitre 111 Des jeux de cartes en deuxième enfantine Les lotos

Les Trois Ours Les jeux de familles

17

29

Chapitre IV Des jeux de cartes en première et deuxième primaire 83 La Bataille simple

La Bataille double Kartentro Cartes et deux dés Le Papillon La Patience Le Menteur

Références bibliographiques 107

(5)

Nous remercions vivement Madame Monique Cohet, inspectrice au Départe­

ment de l'instruction publique, Canton de Friboury, de nous avoir encouragées et conseillées tOllt au long de la préparation de ce document et d'avoir bien voulu en corriger le manuscrit. Ses idées ,1insi que son soutien nous ont été précieux, et nous sommes encoura\1ées dt: savoir qu'il existe dans la hiérarchie des personnes au cournnt des recherches péda9ogiques.

PREMIERE PARTIE

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Chapitm I

LA GOI\ISHWGTIOI\I DE tJ-\

CONNAISSANCE LOGICO-MATHEMATIUUE

Dans une perspective piagétienne, la mathématique, surtout aux degrés infé·

rieurs, est de nature très différente de celle de l'enseignement traditionnel.

l\lous allons d'abord clarifier cette différence, et ens11ite exposer les grandes lignes du constructivisme de Piaget. Ayant pris connaissance de cette théorie, le pédagogue change fondamentalement son approche : au lieu d'essayer de mieux transmettre la mathématique, il commence à se demander comment favoriser le processus de construction chez l'enfant.

La nature de la rnathématique

Piaget a fait une distinction fondamentale entre trois types de connaissance selon leurs sources et leurs modes de construction -- la connaissance physique, la connaissance logico-mathématique et la connaissance sociale (convention­

nelle).

La connaissance physique a trait aux objets dans la réalité extérieure qui est observable. La couleur et le poids d'un crayon sont des exemples de proprié­

tés physiques qui peuvent être connues par l'observation, car elles sont conte­

nues dans l'objet. La connaissance du fait que le crayon tombe quand on le lâche est également un exemple de la connaissance physique.

D'autre part, lorsqu'on nous montre deux crayons, un rouge et un bleu, et que nous constatons qu'ils sont différents, cette différence est un exemple de la connaissance logico-mathématique. Les crayons sont bien entendu ob­

servables, mais non pas la différence entre eux. Cette différence n'existe ni dans le crayon rouge ni dans le bleu. La différence est une idée qui n'existe que dans la tête de l'individu qui met les deux crayons en relation.

Nous pouvons également dire que les deux crayons sont semblables. Dans ce cas-là, de nouveau, la ressemblance est une relation créée mentalement par l'individu qui met ces deux objets en relation de ressemblance. Si la personne ne pouvait les mettre en relation, la ressemblance n'existerait pas pour elle.

"Plus long que", "aussi lourd que" et "deux" sont d'autres exemples de rela­

tions que l'individu peut créer entre ces mêmes crayons. L'origine de ces rela­

tions se trouve dans l'esprit de la personne qui met un crayon bien particulier

(7)

(�n relation avec un autre. Autrement dit, la source des relatiom; se trouve dans la tête de chaque enfa n t, el dwque enfant construit la connaissm1ce logico­

mathématique en coordonnant ces n"lc1 1:ions. C'est rin coordonnant de:; diffo. rences et des ressemblances que l'enfant construira éventulel lernent l'idée qu'il y n délnf. ce rnonde pllis de crayons que de crayons rouges. (Cette aflir­

rnation d1iviendra plus claire lorsqu'on discutera de l'inclusion des classes.) Les mots "rnuge" et "bleu" sont des exemples du troisième type de connais­

sance ·-la connaissance sociale (conventionnelle) . Dans d'autres sociétés, lei;

mêmes couleurs sont désignées par des mots différents. Autres exemples de ce troisième type de connaissance : le fait que le 25 décembre est le jour de

Noël, qu'il n'y a pas d'école le dimanche, et qu'on ne doit pas s'asseoir sur lea tables. La source de la connaissance sociale se trouve dans les conventions créées par les êtres humains. La caractéristique mnjeure de cette connaissance est qu'elle est en grande partie de nature arbitraire. Les mots sont de nature arbitraire, car il n'y n aucune relation nécessaire entre le mot "rouge", par exemple, et la couleur d'un crayon. Il n'y a aucune raison nécessaire non plus pour que ln plus grande fête de l'année tombe sur le 25 décembre. l i s'ensuit que la transmission sociale est nécessaire pour l'acquisition de la connaissance sociale.

La connaissance logico-mathérnatique est très différente de la connaissance sociale parce qu'il n'y a nbsolument rien d'arbitraire dans ce domaine. Une Hutre cnractéristique que nous allons élaborer plus tard est le fait que la trans·

mission sociale n'est pas nécessaire pour l'acquisition de la connaissance logico-mathérnatique, et que cette connaissance est universelle. Dans toutes les sociétés du monde, pnr exemple, 2 + 2 font 4, et il y a plus d'animaux que de vaches.

Dans un récent ouvrage intitulé Les bébés et les choses, Sinclair, Stambak, Lézine, Reyna et Verba ( 1 982) 011 t mont1·é que, déjà avant l'âge de deux ans, les bébés font spontanément de nombreuses mises en relations. Face à plu­

sieurs bâtons de longueurs différentes et plusieurs boîtes-gigognes, par exem­

ple, ils mettent tous les bâtons ensemble et toutes les boîtes ensemble. Ils mettent ensuite un bâton dans chaque boîte avec correspondance terme à terme. Autrement dit, les bébés mettent les objets en relation sans aucune leçon, même avant l'acquisition du langage.

La mathématique traditionnel le consiste pour une grande part en connaissance sociale et en performances conformes aux attentes des adultes. Pour illustrer cette conception, nous citons ci·dessous quelques-uns des buts de la rubrique Ensembles et Relations ( E R) de la Méthodologie romande ( Ferrari 0, Waridel et Wetz Ier, 1 979, p. 1 ). En fin de première primaire l'élève est censé pouvoir : - reconnaître et justifier l'appartenance ou la non .. appartenance d'un objet

à une collection déterminée;

- former des ensembles d'objets possédant les mêmes attributs, utiliser des représentaion� symboliques de ces attributs (étiquettes) ... ;

___ disposer les objets d'une collection de manière à mettre leurs a ttributs en évidence (tc1bleauJ< bien arrangés) ;

-classer des objets dans un diagramme en arbre, un diagramme de Carroll ou un diagramme de Venn comportant deux critères) ;

-utiliser un c·rnsemble de flèches pour représenter une relation;

- noter le cardinal d'un ensemble comportant jusqu'à vingt éléments;

··-utiliser correctement les signes=, >, <.

l.es trois derniers objectif:;, à savoir noter le cardinal d'un ensemble, utiliser les flèches et les signes==, >et < appartiennent à la connaissance sociale. Les signes sont des exemples pnr excellence de conventions. Les relations sous­

jacentes de "cinq", d"'égal" et de "plus que" appartiennent, par contre, à la connaissance logico-mathérnc1tique, et c'est précisément cet aspect de la con­

naissance que néglige la mathématique dite "moderne" mais en réalité tradi·· tionnelle.

Le troisième et le quatrième objectifs (pouvoir classer des objets dar.is des tableaux bien arrangés et des diagrammes en arbre, de Carroll et de Venn) ne visent pas à la connaissance logico-mathématique non plus. Ce qui importe dans une optique piagétien11e, ce sont le� mises en relation dans la tête, et non pas le fait de placer des objets au bon endroit dans un diagramme con­

ventionnel. Les enfants qui peuvent mettre en relations logiques des carrés et des ronds rouges et bleus peuvent facilement les placer dans un diagramme, selon les recherches d'lnhelder et Pinget ( 1 959) publiées longtemps avant l'introduction des ensembles dans les écoles. Dans l'enseignement de la mathé­

matique, les objectifs doivent viser à des mises en relations mentales et non pas au placement conventionnel d'objets.

La Méthodologie romande considère comme très important de mettre des étiquettes aux ensembles, et les conventions vont jusqu'au point d'exiger des étiquettes de formes différentes, soit

des rectangles pour les étiquettes.,nombre (propriété de l'ensemble), des losanges pour les étiquettes-attribut ( propriété des éléments) , et des cercles pour les étiquettes-symbole (nom de l'ensemble).

En fait, ce qui importe dans la mathématique traditionnelle est que l'enfant fasse et écrive ce que les adultes désirent et peuvent observer. Les buts de la Méthodologie cités plus haut sont formulés en termes de "former des ensem­

bles", "utiliser des étiquettes", "disposer les objets", et "noter le cardinal d'un ensemble". Or, l'important, nous le répétons, est ce qui se passe dans la tête des enfants. La connaissance logico-mathématique consiste en des rela­

tions, qui ne sont pas observables. Les relations créées par les enfants ne sont pas toujours les mêmes à chaque moment en classe, mais les enfants qui met­

tent toutes sortes d'objets en toutes sortes de relations construisent tôt ou tard la connaissance logico-mathématique qui est universelle. C'est un proces­

sus de cette construction que nous allons discuter dans la partie suivante.

(8)

Le r.onstructivisme

Selon le constructivisme, la connaissance s'accroît µar un processus dl! cons­

truction intérieur à l'en fant, en interaction avec son milieu, et non pas par un pouvoir ex 'térieur. Dans la pédagogie traditionnelle, l'enfant est censé appren­

dre en intériorisant ce qu'on lui dit P.t lui montre. Dans cette conception, l'enfant est conçu cornrne un récipient vide que l'enseignant remplit de l'exté·

rieur.

L.e constructivisme, par contre, est une conception biologique qui envisage l'accroissement de la connaissance comme le développement d'une plante.

Selon cette vision, la connaissance s'accroît par différenciation et coordina­

tion à partir de ce qui a déjà été construit. Piaget ( 1 926) a étudié les théories des jeunes enfants ayant trait à l'astronomie, la météorologie, la géologie, la biologie, la linguistique, etc. Selon ces recherches, l'enfant croit, par exem­

ple, que la lune le suit lorsqu'il se promène et qu'elle s'arrête quand il s'arrête.

La première remarque qui s'impose à propos de cet exemple est que l'enfant n'attend pas passivement qu'on lui enseigne l'astronomie. Il construit sa pro­

pre connaissance par lui-même en interaction avec son milieu, pour mieux le comprendre et mieux s'y adapter. La deuxième remarque qu'on peut faire est que cette construction de la connaissance se fait par la construction des rela­

tions. Même les adultes peuvent avoir l'impression que la lune bouge quand ils bougent de gauche à droite en la regardant à travers les branches d'un arbre. En mettant nos mouvements en relation avec les déplacements appa­

rents de la lune, nous pouvons conclure qu'elle bouge lorsque nous bougeons.

Nous pouvons cependant ajouter d'autres relations à celles-ci et ainsi corriger cette impression. Le jeune enfant arrivera plus tard à construire d'autres rela­

tions et à interpréter différemment ses impressions perceptives.

Au contact d'un enfant, l'adulte sensibilisé au constructivisme peut observer une foule d'exemples. L'enfant qui dit "les chevals" a construit ce pluriel par analogie avec d'autres mots au pluriel (le pluriel n'étant indiqué généralement, à l'oral, que par l'article). Celui qui dit que les papillons ont beaucoup de couleurs parce qu'il se promènent sur des fleurs a aussi construit cette connais­

sance en mettant des choses en rela tions. Dans le domaine de la connaissance sociale, Furth ( 1 980) a trouvé chez les jeunes enfants anglais l'idée que l'ar­

gent vient des conducteurs de bus ou des banques.

Comme nous avons insisté sur l'importance des mises en relation le lecteur s'est sans doute demandé s'il y a des liens entre la connaissance physique, sociale, et logico-mathématique. Pour clarifier ces liens, il est nécessaire de discuter les deux types d'abstraction distingués par Piaget : l'abstraction em­

pirique (ou simple) et l'abstraction réfléchissante.

L'abstraction empirique (ou simple) et l'abstrm:tion réfléchissante

Dans l'abstraction empirique, l'enfant ne fait que se centrer sur une certaine proprî��té de l'objet, en laissant de côté les autres. Par exemple, quand il abstrait la couleur d'un objet, il laisse de côté les mitres propriétés telles que le poids et la mntière (bois, métal, etc..) .

Dans l'.:ibstraction réfléchissante, par con tre, l'individu crée et introduit des relations entre ou parmi des objet:;; ces relations n'ont pas d'existence dans la réalité extérieure. Le terme d'abstraction "constructive" pmmait donc être plus facile que le terme "réfléchissante"; il permettrait de comprendre que cette abstraction est une véritable construction de l'esprit, non le résul·

tat d'une centration sur des propriétés qui ont une existence dans les objets.

La connaissance logico-mathématique est constniite par abstraction réfléchis­

sante.

Après avoir distingué l'abstraction empirique de l'abstraction réfléchissante Piaget _ajoute que, dans la réalité psychologique de l'enfant, l'une 'ne pourrait pas exister sans l'autre. Par exemple, l'enfant serait incapable de construire la relation "différent" s'il ne pouvait pas observer des propriétés différentes dans les objets qui l'entourent. En outre, l'enfant ne pourrait pas observer les obJets non plus s'il n'avait pai; un cadre logico-mathématique de relations pour lui permettre d'interpréter les observables. Par exemple, pour constater qu'un certain crayon est rouge, il a besoin de distinguer cette couleur de tou­

tes les autres couleurs. Il a aussi besoin de distinguer "un crayon" de tous les autres types d'objets de sa connaissance. L'abstraction réfléchissante et le cadre locigo-mathématique qui en résulte sont ainsi nécessaires à l'abstraction empirique parce qu'aucun fait du monde extérieur ne pourrait être "lu" s'Ù était un incident isolé, sans lien avec les connaissances antérieures.

Nous avons dit plus haut que selon le constructivisme, la connaissance s'ac­

croît par différenciation et coordination dans un processus qui ressemble au dé_veloppement d'�n� pla�te. L.orsqu'�n enfant dit "les chevals", il s'agit de lui permettre de d1fferenc1er sa connaissance. La règle générale est correcte pour mettre la plupart des noms au pluriel. Seulement, il a besoin de créer une,_sou_s-cla�se po�r parler des chevaux, des animaux, etc. Cet exemple prou­

ve I rnd1ssoc1abil1te, dans la réalité psychologique de l'enfant entre la con­

naissance logico-mathématique et les deux autres types de c�nnaissance.

Sur le plan pédag?gique, le constructivisme implique donc que l'enseignant

�e peut_plus enseigner une matière directement à l'enfant. Pour reprendre 1 analog1e_avec la plante, l'eau et l'engrais sont nécessaires à son développe­

�ent, �ais ce n'est pas �n mettant les aliments directement sur la plante que 1 on fait pousser une feuille. La feuille ne peut se développer que de l'intérieur pa_r diffé_ren�iation et coordination à partir de ce qui existe. Les aliments a�1ssent 111d1rectement à travers la plante, et non pas directement de l'exté­

rieur.

(9)

Il s'ensuit, selon le constructivisme, que la connaissance d'un individu à un moment donné contient toutes ses connaissances antérieures. Autrement dit, la connaissance est construite par modification des niveau)( inférieurs, et non par un processus additif de l'extérieur. De plus, c'est l'enfant lui-même qui modifie ces idées, et personne ne peut faire ce travail pour lui.

Nous aimerions passer maintenant à une discussion des processus de construc­

tion dans le domaine logico-mathématique et plus particulièrement pour la classification et le nombre. Le lecteur qui désire une discussion plus appro­

fondie du constructivisme est invité à la trouver dans d'autres publications (l<amii et DeVries, 1 975, 1 978, 1 980).

La construction des classes

Examinons d'abord une des épreuves utilisées par lnhelder et Piaget (1 959) pour étudier le développement de la classification. Le matériel consistait en petits cartons de formes ronde et carrée, rouges et bleus, de deux grandeurs (5 cm et 2,5 cm). La consigne était d'abord de "mettre ensemble ce qui est pareil" et, dans un deuxième temps, de faire une dichotomie. Dans cette seconde partie, l'enfant était prié de mettre "tout ce qui est pareil" sur une feuille et "tous les autres" sur une autre feuille.

Avant de discuter des niveaux observés dans cette épreuve, nous aimerions clarifier la notion de classification chez Piaget : elle consiste pour lui à coordonner les propriétés des objets (par exemple la couleur} et l'extension des groupes d'objets (par exemple des notions telles que "tous", "quelques", ou "aucun"}.

En général, avant l'âge de quatre ans, les enfants ne peuvent pas coordonner les propriétés des objets avec l'extension des collections. Lorsqu'on leur demande une dichotomie dans l'épreuve décrite ci-dessus, ils mettent ensem­

ble quelques ronds, quelques carrés, quelques rouges, quelques bleus, quelques petits et/ou quelques grands. Cette incapacité de mettre d'un côté tout ce qui a une certaine propriété et de l'autre tout le reste, indique l'impossibilité qu'a l'enfant de trouver un critère pour mettre ensemble tous les objets qui possè­

dent cette propriété.

Si l'enfant ne peut pas faire des dichotomies avant l'âge de quatre ans, y a-t-il quelque chose qui lui est possible ? Piaget et lnhelder ont distingué trois niveaux dans l'épreuve de classification. Le premier, dénommé le niveau de

"collections figurales", s'étend de deux ans et demi à cinq ans. Le deuxième niveau, appelé "collections non figurales", va de 4-5 ans à 7-8 ans, moment où est atteint le troisième niveau de la "classification". Nous allons discuter chacun de ces niveaux.

Le niveau 1 (collections figurales). Lorsqu'il est prié de mettre ensemble ce qui est pareil, l'enfant aligne parfois les formes comme le montre la figure 1 . 1 . Les enfants qui verbalisent beaucoup expliquent comment les formes vont ensemble dans ce type d'arrangement en disant que les formes 1 et 2

!;ont des carrés, les formes 2 et 3 sont bleues, les formes 3 et 4 sont petites, etc.

Fig. 1 . 1 Exemple d'une collection figurale

Cette façon de mettre les éléments en relation deux par deux à sens unique caractérise les premières coordinations que Piaget ( 1 968) a appelées des

"fonctions". Comme les bébés ne considèrent qu'un seul objet à la fois au début, il n'est pas étonnant que les jeunes enfants commencent par établir de petites relations entre deux objets seulement. L'enfant de ce premier niveau ne peut pas coordonner plus de deux éléments à la fois parce que sa pensée ne procède qu'à sens unique. Lorsqu'il considère le troisième élément, il

"oublie" comment il a groupé les deux premiers.

Etant donné qu'il "oublie" la ma11ière dont il a commencé son arrangement, il n'a pas de plan pour le reste non plus. Or, la capacité mentale qui permet à l'enfant de se rappeler ce qu'il vient de faire est la "mobilité rétroactive" de la pensée. Pour planifier comment grouper le reste des éléments il a besoin de ''mobilité anticipatrice". La mobilité anticipatrice et rétroactive se déve­

loppent ensemble, car si l'enfant peut se souvenir de ce qu'il vient de faire, il peut utiliser le même critère pour planifier la suite de son action. (Dans les jeux de cartes en deuxième enfantine, nous verrons la même tendance à faire des paires successives.)

Lorsqu'on leur demande une dichotomie, les enfants de ce premier niveau font souvent des arrangements tels que le montre la fig. 1 .2. Ces enfants sont satisfaits et ne voient aucune incohérence dans leur "logique" puisqu'il ne peuvent penser qu'à deux ou trois éléments à la fois. (Pour les adultes cet arrangement ne répond pas à la demande d'une dichotomie, car il n'es1t pas logique d'ainsi mettre ensemble quelques petits cercles, quelques bleus, quel·

ques grands, etc.)

Fig. 1 .2 Autre exemple d'une collection figurale

(10)

I l e�t vrai que dans la fig. 1 .2 l'enfant a parfois mis ensemble plus de deux ou trois éléments. Cependant la relation établie ici est basée non pas sur la res·

semblance entre les objets, mais sur l'extension spatiale. L'enfant qui a fait oet arra_n�em,ent a _utilisé 1 'espace pour mettre ensemble "ce qui va ensemble".

P�ur lu•: 11 .n Y avait �as de "tous" dans le sens logique lié à un critère de pro­

pr,�té d ?bJets. En faisant des arrangements spatiaux, les enfants de ce niveau ar_rrvent a mettre plus que deux éléments ensemble. Ceux à qui on donne des triangle� et_ des_ carrés font souvent des maisons. C'est cette utilisation de l'es­

pace qui a rnsp1ré le nom de ce niveau, celui des "collections figurales".

Lorsqu'on donne en vrac des poupées, des meubles et des animaux en minia­

ture, les en.fants �e ce niveau mettent souvent une personne sur une chaise av:c un ch,��,â coté, même si la consigne était de mettre ensemble "tout ce qui est pareil . Cette façon de faire des relations d'appartenance au lieu de penser à un critère de ressemblance, est un des phénomènes du �iveau 1.

N iveau I l (collections non figurales). La caractéristique de ce deuxième niveau es� �ue l'enfant devient capable de coordonner parfaitement le "tous" et le c.ntere �e ressemblance. Pour lui, c'est la propriété des objets qui détermine 1 extension .

�a première coordination parfaite consiste en de nombreuses petites collec­

t1�ns. Les enfants au début de ce niveau font ainsi les huit petits groupes su ivants

Tous les grands ronds rouges Tous les grands ronds bleus Tous les grands carrés rouges Tous les grands carrés bleus Tous les petits ronds rouges Tous les petits ronds bleus Tous les petits carrés rouges Tous les petits carrés bleus

Cette coorrlination des propriétés et des extensions de groupes est parfaite, car tous les grands ronds rouges sont dans un grou pe, tous les grands ronds bleus sont dans un groupe, etc.

A un niveau plus élevé, l'enfant fait un plus petit nombre de groupes comme par exemple :

Tous les grands ronds (rouges et bleus) Tous les grands carrés (rouges et bleus) Tous les petits ronds (rouges et bleus) Tous les petits carrés (rouges et bleus)

La �esse'.nblance comprend, ici, un plus grand nombre de propriétés que dans 1� s1tuat1on précédente, où l'enfant a simplement rassemblé les objets iden­

tiques.

A un niveau plus évolué, l 'enfant devient capable de grouper les objets en des groupes encore plus larges, comme par exemple

Tous les ronds ( rouges e t bleus, grands et petits) Tous les carrés ( rouges et bleus, grnnds et petits)

Dans cette dichotomie, la ressemblance comprend encore plus de propriétés que quand les objets avaien l été répartis en quatre aroupes. Pour un des grou­

pes, les critères sont "des ronds rouges et bleus, grands et petits"; pour l 'au tre,

"des carrés rouges et bleus, grands et rie tit:..".

En relation avec le constructiv isme, I l faut sou lever ici un point important : les petites relations de ressemblance é tablies entre deU>< éléments au niveau 1 restent in tactes et incluses dans toutes les relations de niveau 1 1 . En fai t, les petites relations que l 'on trouve dans les huit grou pes au début du nive au I l sont incluses, in tactes, dans les quatre groupes u ltérieurs. De même, les rela­

tions établies à l'intérieur de chacun de ces quatre groupes peuvent être retrouvées dans la dichotomie ultérieu re.

Cette inclusion progressive des relations est la caractéristique principale de la connaissance logico-mathématique. L'enfant constru it cette connaissance en créant des relations entre les objets et en coordonnant ces relations par la suite. Lorsqu 'il fait une dichotomie à la fin du niveau 1 1, il coordonne simul­

tanément les relations de tous les rouges, tous les bleus, tous les ronds, tous les carrés, tous les grands et tous les petits. Cette simultanéité est le résultat de la mobil ité croissante de la pensée qui permet à l'enfant de prendre en con­

sidération plus d'éléments au niveau 1 1, rendant ainsi sa logique plus cohé­

rente.

Nous avons dit plus haut que la connaissance logico-mathématique n'a pas besoin d'être transmise et qu'elle est universelle. Nous espérons que la mobi­

lité de la pensée et la cohérence des catégories qui en résulte au niveau I l commencent à expliquer cette affi rmation. Si u n être humain choisit u n cri­

tère pour mettre ensemble tous les objets qui possèdent cette propriété, le résu ltat ne peut être que le même dans toutes les sociétés. Voilà un exemple de plus pour illustrer l'affirmation selon laquelle il n'y a absolument rien d'arbitraire dans la connaissance logico-mathématique. C'est précisément cette absence d'arbitraire qui explique le caractère un iversel de la connaissan­

ce logico-mathématique.

Avant de passer au niveau 1 1 1, nous aimerions signaler que le diagramme en arbre figurant au programme de première primaire va dans le sens contraire de la pensée de l 'enfant. En réalité, l 'enfant ne commence pas par faire une dichotomie et ensuite des sous-catégories, mais il fait d'abord un grand nom- bre de petits groupes contenant des éléments qui se ressemblent au maximum.

Niveau 1 1 1 (la quantification de l'inclusion hiérarchique). Le critère qui dis­

tingue le troisième niveau est la capacité d'inclure une sous-catégorie dans une catégorie plus grande. Pour mettre cette capacité en évidence, l'épreuve est la suivante : on montre à l 'enfant un petit bouquet de fleurs en plastique contenant, par exemple, quatre tulipes et deux marguerites. L'expérimentateur s'assure d'abord que l'enfant peut désigner correctement "toutes les fleurs",

"toutes les tulipes", et "toutes les marguerites". Il demande ensuite : " Est-ce qu'il y

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a plwi de i:ulipes ou plus de -fleun; ?"

Si l 'enfant répond qu'il y a plus de fleurs, il est considéré comme appartenant au niveau 111. Par contre, s'il répond qu'il y a phJs de tulipes, on lui de111ande "que de quoi ?" Sa réponse est an général "que de marguerites". Cette répon·

se est due à une mobilité insuffisante de la pensée logique de l'enfant au niveau 11. Sa pensée est assez mobile pour faire des dichotomies, mais pas assez pour qlJantifier l'inclusion des classes. Autrement dit, sa pensée est s�f­

fisamment mobile pour considérer le tout et les parties successivement, mals pas simultanément. Ouand il sépare le tout (les fleurs) en deux parties (les tu lipes et les marguerites), l'enfant ne peut pas, à ce moment-là, revenir en arrière pour penser ilU tout. 1�our cette rnison. lorsqu'on lui demande s'il Y a plus de tulipes ou plus de fleurs, il ne peut penser qu'aux tulipes et auJ< autres fleurs qui subsistent (les marguerites).

Avec une mobilité croissante de la pensée, ) 'enfant du niveau 111 peut c�nsidé·

rer simultanément le tout et les parties. l i peut

seu lement faire des inclu- sions, mais aussi procéder à des intersections ( ou diagramme de Venn) et réaliser des tableaux à double entrée (

EB

ou ,agramme de Ca�roll).

Entre parenthèses, nous signalons qu'il est néfaste d'enseigner les diagrammes de Venn et Carroll en première primaire puisque l'enfant devient capable de les faire tout seul un an plus tard.

La construction du nombre

Le nombre, pour Piaget, est une synthèse de cieux sortes de relations créées par l 'enfant parmi les objets. L'une est la relation d'ordre, l'autre est l'inclu­

sion hiérarchique. Tous les enseignants préscolaires ont remarqué la tendcmce commune qu'ont les petits enfants à dénombrer les objets en sautant certains éléments, alors que d'autres sont comptés plus d'une fois. Par exemple, lors­

qu'il y a huit objets, un enfant capable de réciter correctement "un, deux, trois, quatre ... " jusqu'à dix, peut déclarer qu'il y a dix objets en comptant comme l'indique la fig. 1 . 3 (a).

0

7

�/

Fig. 1 .3 8 Le comptage des objets avant et après l'introduction de la relation d'ordre a) La manière dont les enfants de

quatre ans "comptent" souvent b) l..a relation d'ordre introduite ulté­

rieurement dans le comptage

Cette tendance montre que 1 'enfant ne sent pas la nécessité logique de mettre les objets dans un ordre pour s'assurer qu'il n'en saute pas, ou qu'il ne compte pas les mëme� plus d'une fois. Cependant, il n'est pas nécessaire de plac�r les objets littéralement dans un ordre spatial pour les me ttre dans une relation d'ordre. Ce qui est important c'est qu'ils soient sériés mentalement, comme le montre la fig. 1 .3 (b).

Si la sériation (c'est-à-dire, l'action de mettre les objets dans un ordre) était la seule action mentale sur les objets, ceux-ci ne seraient pas quantifiés puisque l'enfant pourrait en traiter un à la fois plutôt que les considérer en tant que groupe de plusieurs objets. Par exemple, après avoir compté huit objets a_lignés, l'enfant nous répond en général qu'il y en a huit. Si 011 lui demande ensuite de nous montrer les huit, il désigne souvent le dernier (c'est-à-dire, le huitième objet). Cette conduite indique que, pour cet enfant, les mots "un", "deux",

"trois", etc. ne recouvrent qu'un seul élément de la série, comme les noms de jours tels que "lundi", "mardi", "mercredi", etc. Nous voyons donc que pour quantifier un ensemble d'objets en tant que groupe, il faut aussi les mettre dans une relation d'inclusion hiérarchique. Cette relation signifie que l'enfant inclut mentalement "un" dans "deux", "deux" dans "trois", "trois" dans

"quatre", etc. (voir fig. 1 .4). Ainsi, lor:;qu'il compte huit objets, il ne considé­

rera un ensemble de huit que s'il les rassemble mentalement en une relation unique d'ordre et d'inclusion hiérarchique.

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Fig, 1 .4 Signification du mot "huit"

avant (a) et après (b) l'inclusion hiérarchique

Cette conception psychologique du nombre est fondamentalement différente de celle de la mathématique dite "moderne" inscrite au programme romand, selon laquelle le nombre est "une propriété d'un ensemble (dans le monde extérieur) " ( Ferrario et al., 1 979, p. 85). Le lecteur désirant une discussion plus approfondie de la construction du nombre est invité à se référer à L.a connaissance physique et le nombre à l'école enfantine : approche piagé­

tienne (Kamii, 1 980) .

(12)

Le lecteur a sûrement reconnu la même structu re hiérnrchique que celle qui caractérise le-) niveau 1 11 de la clc1ssific:ation (c'est fi dire, l'inclusion des "mar­

\]tierites" dans "les Ileum"). Les seules différences ex istant c�ntre l'inclusion des classes et le 11ornbre sont les suivantes : il n'y a qu'un seul élément à chnque niveau hiérarchique dans le nombre, et, dans celui-ci, les propriétés des objf! ts sont eomplP.ternen i non pertinentes. Dans une classification (hiérar­

chique) des animaux, par exemple, il n 'est pas possible de mettre les poissons avant les inset:tes, ou les chiens avant le�; poissons. Par contre, lorsqu 'il s'agit du nombre, tous liis élôrnents sont transformés mentalement en des unités homogênes, et ll�s propriétés des objeù; perdent leur pertinence.

I l est important de souligner que le nombre comme toutes les autres relations logico-mathématiques, est construit mental�ment par l'enfant lui-même qui

�et �es choses en relations. Il s'ensuit que le nombre n 'est pas enseignable de 1 exterieur. Les comportements observables tels que l'alignement des objets et le comptage sont enseignables, mais non pas la création de relations. Le nombre n'est pas non pJus le résultat direct de la quantification des collections.

L'enfant construit des relations de toutes sortes pour arriver à sentir la néces­

sité logique de mettre les objets en relations d'ordre el d'inclusion hiérarchi­

que lorsqu'il les compte.

La théorie piagétienne du nombre apporte aux pédagogues une mauvaise nouvelle : le nombre n'est pas enseignable. Mais la bonne nouvelle est qu'il n'est pas nécessaire de l'enseigner parce que l 'enfant le construit lui-même sans aucune instruction. De plus, cette théorie nous montre que le nombr�

est universel, car i l n'y a absolument rien d'arbitraire,dans la logique de cette construction. Le mot "huit" est conventionnel et diffère d'une société à une autre, mais la notion sous-jacente est la même dans toutes les sociétés.

La théorie piagétienne apporte encore une bonne nouvelle à l'enseignement élémentaire : l'enfant qui construit le nombre construit également l'addition car le nombre implique l 'opération

"+

1 ". Autrement dit, comrnè le nombre ' est construit par �'addition de "1 " au nombre précédent, l'addition est incluse dans la construction même du nombre. Il en découle que l 'addition n 'a p�s b�soin d'être ens�ign�� non plus. L'enfant qui joue avec deux dés peu't tres bien app�endr; 1 �dd1�1on par lui-même. De nouveau, comme il n'y a absolument rien d arb1tra1re dans la connaissance logico-mathématique, l'e

fant peut tout seul mettre deux et deux en relation additive et le résul tat de cette addition est le même dans tous les pays du monde. S'iÎ répète cette addition jour après jour, il se souvie'ldra inévitablement du résultat obtenu.

Passons maintenant à la représentation. Une fois que l'enfant a construit la notion de "huit", il peut la représenter avec deux types de signifiants : des symboles personnels et des signes conventionnels. Un exemple de symbole est "000000�0': ou hu_it doi�ts. Comme il est possible d'inventer ces symbo­

les, la transmission sociale n est pas nécessaire pour ce type de représentation.

Par contre, les signes conventionnels tels que "8" et "V I I I" appartiennent à la connaissance sociale qui nécessite une transmission.

Face à une équation lacunaire, telle que 4 + __ "" 6 , les enfants de première prirnaire écrivent souvent "1 O" dans la lacune. Cette faute est due à la "logi­ q11e" des jeunes en fants. Comme celui qui répond qu'il y a plus de tulipes qu,�

de "fleurs" (= des marguerites), l 'enfant qui écrit: "4· + 10. = 6 " n'a pas encore la mobilité mentale pour coordonner le tout et les parties simu ltanément.

Personne n'est capable de lire dans l'écrit ce qui n'est pas concevable dans sa tête. Il est donc néfaste de poser de telles questions qui sont en général im­

possibles à comprendre en première primaire. Dans ce type de situation, tout ce que l'élève peu t apprendre des corrections est l'idée qu'il n'est pas capable et que la mathématique est d'une na tu re arbitraire. Perdant üinsi confiance en sa propre capacité de raisonner, il il moins qu'auparavant la possibilité de construire la mathématique.

Pour conclure, nous aimerions insister sur l'importance des mises en relations de toutes sortes que l'enfant fait dans sa tête. L'essentiel dans la mathémati­

que n'est pas observable, car on ne voit pas directement la façon dont l'en­

fant réfléchit. Mais il est possible d'inférer sa logique en interprétant son comportement. La mathématique que nous préconisons met l'accent sur ces mises en relations et non pas sur le fait de placer des objets correctement dans des ensembles préconçus, de mettre des étiquettes ou d'écrire des chiffres.

(13)

Chapitre Il

LES 13Ul"S ET OUELUUES PRINCIPES Pl:DAGOG IOUES

La théorie piagétienne n'est pas limitée à la mathématique, ni à la construc­

tion de la connaissance. Elle porte sur la personnalité entière y compris son aspect rnoral. En fait, pour Pinget, le but de l'éducation était l 'autonomie morale et intellectuelle. Nous allons discuter de ce but pour situer les objec­

tifs de la mathématique à l'intérieur de l'autonomie en tant que but de l'édu­

cation. Nous allons aussi discuter des jeux de cartes par rapport à nos objec­

tifs, pour expliquer en quoi ils ont une plus grande valeur que les leçons et les fiches. Pour conclure, nous allons présenter quelques principes pédagogi­

ques qui en découlent.

Les buts de l'arithmétique

à l'intérieur de l'objectif général de l'autonomie L'autonomie morale

"Etre autonome" signifie "être gouverné par soi-même". L'autonomie est donc le contraire de !'hétéronomie, qui veut dire "être gouverné par quelqu'un d'autre". Un exemple extrême d'autonomie est M. Elliott Richardson dans l'Affaire Watergate : il fut la seule personne sous Nixon suffisamment auto­

nome pour refuser d'obéir à son chef et pour démissionner de son poste.

Piaget ( 1 932) nous donne des exemples plus courants de l'autonomie morale.

Dans ses recherches, il a demandé à des enfants âgés de six à quatorze ans s'il était pire de mentir à un adulte ou de mentir à un autre enfant. Les jeunes enfants ont systématiquement répondu que c'était pire vis-à-vis d'un adulte.

A la question "pourquoi ?" ceux-ci ont répondu que les adultes peuvent savoir si une affirmation n'est pas vraie. Par contre, les enfants plus âgés avaient tendance â répondre que les adultes les obligeaient parfois â mentir, mais qu'il était vilain de dire des mensonges â des copains. Ceci est un exem­

ple de l'aspect moral de l'autonomie. Pour les individus autonomes, les faus­

ses informations sont indésirables, indépendamment du système de récompen­

ses, de l'autorité adulte et des risques d'être confondus.

Tous les bébés naissent dépendants et hétéronomes, et, dans des conditions idéales, les enfants deviennent de plus en plus autonomes. Autrement dit, dans la mesure où l'individu devient capable de se gouverner lui-même, il est

(14)

moins gouvemP. par les au 'lt'es.

Cept�ndant, en réalité, la plupmt des adultes n'ont pas évolué de façon idéaltl.

Piaget ( 1 9413) nous dit que rares sont les adultes vraiment autonomes. L.'hété·

ronornie de l'adulte moyen a été démon trée égalernen l par M ilgrarn ( 1 9711) cm psycholo�1ie sociale expérimentale et par Fromm ( 1 963) en psychanalyse.

La question importante pour les pédagogues et les parents est de savoir com­

ment permettre aux enfants de devenir des adultes autonomes. Piaget répond que les adultes stimulent le développement de l'autonomie quand ils échan­

gent leur� points de vue avec les enfants et qt1 'ils renforcent !'hétéronomie naturelle des e11fants en u tilisant les récompenses et les punitions.

Quand un enfant ment, par e)(emple, l'adu lte peut le priver d'un dessert, ou il peut l 'obliger à écrire cinquante fois "Je ne mentirai plus". Mais il peut aussi s'abstenir de punir l'enfant et le regarder directement dans les yeux en lui disant avec un doute affectueux ".Je ne peux vraiment pas te croire parce que ... ". Cela est un exemple d'échange de points de vue qui contribue au développement de l'autonomie morale chez l'enfant. Ainsi, l'enfant qui cons­

tate que l'adulte ne peut pas le croire a la possibilité de réfléchir à ce qu'il doit faire pour être cru. L'enfant qui a vécu beaucoup d'expériences de ce type peut éventuellement construire par et pour lu i-même la conviction qu'il est mieux à la longue pour tout le monde d'être honnête avec les autres.

Ouoique les récompenses soient plus a9réabies que les punitions, elles aussi renforcent !'hétéronomie de l'enfant. Ceux qui aident leurs parents unique­

ment pour recevoir de l'argent et ceux qui travaillent uniquement pour obte­

nir de bonnes notes sont gouvernés par les autres, exactement comme les en­

fants qui sont "sages" seulement pour éviter les punitions. Les adultes exer­

cent leur pouvoir sur les enfants en utilisant des récompenses et des punitions, et c'est précisément ces sanctions qui maintiennent l'obéissance et !'hétéro­

nomie.

Si l'on veut favoriser le développement de l 'autonomie morale chez l'enfant, il est nécessaire de réduire notre puisr;,111ce adulte en nous abstenant d'utiliser des récompenses et des punitions, et en encourageant les enfants ,) construire les valeurs morales pour eux-mêmes. f'..ir exempte, l'enfant a la possibilité de réfléchir à la valeur de l'honnfüeté '.;c11 lement si, élll lit!ll d'être puni pour avoir menti, il est confronté au fai·t q11e les mi lres ne peuvent pas le croire.

L'essentiel de l'autonomie est que l'e11fant devienne capable de prendre des décisions par lui-mêrne. Mais l'autonornie n'est pas la liberté totale. L'autono­

mie implique la capacité de prendre en considération tous les facteur, perti·

nents pour décider d'agir au mieux po1ir tous. I l n'existe pas de morale lors­

qu'on ne tient pas compte de son proµre point de vu<i. Si l'on prend en consi­

dération les points de vue des autres, on n'est plus libre de mentir, d'oublier les promesses et de traiter les autres avec méchanceté.

Piaget était assez réaliste pour dira que dans la vie réelle il n'est pas possible d'éviter complètement les punitions. Les rues, par exemple, sont pleines de

voitures, et d'autre part on ne peut évidemment p_as permet:tre aux _enfants toucher les appareils stéréophoniques ou les prises éle�t�1ques. Piaget de ndant a fait une distinction importante entre les punitions et les sanctions c:��éciprocité. Priver l'enfant d'un dessert parce qu'il a menti est un exem- pt de punition car le lien entre un mensonge et un dessert est complètement Pr�itraire. Mais: lui dire qu'on ne peut pas le cr�ire est u� exemple d� sanc- a. par réciprocité Les sanctions par réciprocité sont directement liées aux ti�n s qu'on veut sa�ctionner et au point de vue de l'adulte. Elles tendent à aco�iver l 'enfant pour construire par lui-même des règles de comportement à

rn . d

travers la coordination des points e vue. , .

Pia et ( 1 932, chapitre If 1) nous donn� six exemples de sa.nctions par rec1pro­

citi. Le lecteur intéressé à une discussion plus approfondie la trouvera dans cet ouvrage.

Dans la conception traditionnelle, l'enfant est censé acquérir les valeurs _mora­

l en intériorisant celles qui sont données par l'environnement. Sel.on Piaget, ,�:nfant acquiert ces valeurs, non pas p.ar '.n�ériorisa�ion ou .absorpt10,n d�

l'extérieur, mais par construction de l'inteneur, en interac;1on av7c I environ nement. Par exemple, personne n'enseigne aux enfants qu 11 est pire �e men­

tir aux adultes qu'aux copains. Les jeunes e?.fants cependant �onstru1sent _ cette idée en mettant en relation tout ce qu ils.ont entendu dire. �eureuse

ent ils continuent à construire d'autres relations et beau.coup d entre eux

�niss�nt par affirmer que les mensong�s ,détrui�ent la confiance mutuelle mais que les adultes les obligent parfois a mentir. . Certes, nous avons tous subi des punitions (o:�q�e nous étions enfants, .mais dans la mesure où nous avions aussi la poss1b11it� ?7 �oordonne.r nos points de vue avec ceux des autres, nous avion_s la p?ss1.b1hte de de�enir plus autono-

M Richardson a probablement éte éleve afin de pouvoir prendre des .

;é:��io�s en tenant compte des points de vue des autres, au lieu de s'en tenir uniquement au systéme de récompenses.

Nous aimerions maintenant passer à une discussion sur l'aspect intellectuel de l'autonomie.

L'autonomie intellectuelle

Dans le domaine intellectuel également, "autonomie" signifie "êt;e gouverné par soi-même", tandis qu"'hétéronomie" veut di:e _"être gouverne par quel-.

qu'un d'autre". Un exemple ex��ême d'�utonom1e intellectuelle est Coper�1c.

Copernic a inventé la théorie hel1ocentnque alors ��e tout le,�onde croyait que /e soleil tournait autour de la terre. Les scie�t1f1ques .d� 1 _ep?que �e sont moqués de lui, l'obligeant même à quitter le podium; .m�1s 11 eta1t suffisam­

ment autonome pour rester convaincu de ses propres 1dees. U �e per�o�ne intellectuellement hététonorne, par contre, accepte tout ce qu on lu, dit s�ns se poser de questions, y compris les slogans, les propagandes et les conclusions

illogiques.

(15)

Un exemple plus commun de l'autonomie intellectuelle peut être reconnu chez une enfant qui croyait au Père Noël. Un jour, alors qu'elle avait d peu près six ans, elle surprit sa mère en lui derrnmcfnnt : "Pourquoi le Père Noèl Utilise-t-il le même emballage que nous ?" A I' "explication" de sa mère, l'enfant fut satisfaite pendant quelques minutes, mais une autre question lui vint bientôt à l'esprit : "Pourquoi le Père Noël a-t-il la même écriture que papa ?" L'enfant avait sa propre façon de penser, différente de ce qu'on lui avait appris. En mettant tout ce qu'elle savait en relation, elle commença à sentir qu'il y avait quelque chose de bizarre quelque part.

A l'école, malheureusement, les enfants ne sont pas encouragés à réfléchir d'une façon autonome. Les enseignants utilisent des sanctions pour faire réciter des réponses "justes". Un exemple de cette pratique est la manière de corriger les fiches de mathématique. En première primaire, par exemple, si un enfant écrit "4 + 5 = fr', la plupart des enseignants biffent cette réponse parce qu'elle est fausse. La conséquence de ce type de correction est la con­

viction chez les enfants que la vérité ne peut venir que de la tête de l'ensei­

gnant. D'autre part, lorsque nous circulons dans une classe de première primaire pendant que les enfants remplissent des fiches, et que nous nous arrêtons pour demander à un enfant comment il a obtenu un certain résultat sa réac­

tion typique est de prendre la gomme et d'effacer énergiquement la 1réponse.

même si elle est parfaitement juste ! On peut donc dire qu'en première pri­

maire déjà, beaucoup d'enfants ont appris à ne pas avoir confiance en leur propre capacité de raisonner. Les enfants qui sont ainsi empêchés de réfléchir d'une façon autonome construiront moins de connaissance que ceux qui sont mentalement actifs et qui ont confiance en eux.

Si un enfant dit que 4 + 5 = 8, une meil leu re façon de réagir est de lui de­

mander : "Comment as-tu trouvé 8 ?" Les enfants se corrigent souvent d'une façon autonome lorsqu'ils essaient d'expliquer leur raisonnement à une autre personne, car l'enfant qui essaie d'expliquer son raisonnement se décentre afin de présenter à son interlocuteur un argument qui a du sens. Lorsqu 'il essaie de coordonner son point de vue avec celui de l'autre, il se rend souvent compte de sa propre erreur.

Une façon encore meilleure d'enseigner l'arithmétique en première primaire est de supprimer carrément l'instruction et d'utiliser deux types d'activités des situations de la vie quotidienne (telles que les votations et les distribu­

tions d'objets) et des jeux de société tels que la "Bataille double" que nous allons exposer au chapitre IV. Dans un tel jeu, les enfants ont la possibilité d'échanger leurs points de vue lorsque l'un d'entre eux affirme que 4 + 5 = 8.

Comparée au remplissage de fiches, cette façon d'apprendre l'addition est de loin plus favorable au développement de l'autonomie.

Ayant clarifié ce que Piaget entendait par autonomie morale et intellectuelle

nous aimerions passer maintenant à l 'autonomie en tant que but de l'éduca- tion.

1.:auwnomie en tant que hut de l'éduca"i:ion

, f 2 1 montre schématiquemen t l'autonorniP. en relation avec le� buts La

/t

i;npiicites de l'éducation traditionnelle, tels qu'ils sont défi111s P?r le pa��c· et par la plupart des éducateurs d'aujourd'hui. Nous aimerions l�1s�u t<-1r

�� chacune des trois parties représentées par ces surfac�s, en com1:1en.ça,n L ar les deuJ< parties qui ne se recouvrent pas et en procedant ensuite a I ana- iyse de l'intersection de ces deux su rfaces.

L ' autonomie en

but de l ' é duca tradit onnelle

Fig. 2. 1

La partie de droite, marquée "les buts de l'é_ducation tradi:ionne_lle", repré-_

te les buts explicites et implicites, intentmnnels et non 111tent1onnels, qui senus ont obligés à mémoriser beaucoup de choses à l'école, uniquement pour

��sser un examen après l'autre. Toute personne qui a réussi à l'école n'a �u rél!ssir que parce qu'elle a mémorisé une quantité énorme de mots, parfois même sans les comprendre. Chacun de nous peut se rappeler le g�and soul�- ment d'être enfin libre de ne plus penser aus mots que nous avions appris f�ste pour passer un examen. Nous consentions à_ f�ire ces efforts ?arce ue les circonstances nous y obligeaient et que nous et1ons, par notre educat1on, de bons conformistes obéissants.

Le résultat de ce type d'éducation par mémorisation fait 1 'objet des rech.e� ­ ches de McKinnon et Renner ( 1 97 1 ) et de Schwebel ( 1 9�5) sur l a cap��1te de raisonner logiquement au niveau formel chez .d�s ét�d:�nts de re1:11ere ane universitaire. Ceux-ci avaient été de bons eleves a I ecole primaire et secondaire ils avaient réussi à entrer à l'université; mais le �ombre de ces universitai�es capables de raisonner systématiquement au 111veau formel n'était que de 25 % dans la recherche de McKinnon et Renner, et de 20 % dans celle de Schwebel.

Nous passons maintenant au disque de gauche représentant l'autonomie. La capacité de raisonner au niveau formel se situe dans s.a surfac.e. Plus :xcte­ ment, elle appartient à la partie qui ne recouvre pas I autre disque, la ou se

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