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L'hygiène et la reconstruction de la Ville en ville
VICARI, Jacques
Abstract
L'hygiène a entraîné au cours des cent dernières années des modifications profondes dans l'urbanisme: démolition des taudis, restructuration de quartiers, percement de rues, etc... La reconstruction et l'urbanisation de l'après-guerre, s'inspirant des principes de l'hygiène, ont fait surgir des barres et des tours tenant compte du soleil, de l'espace et de la verdure. Depuis une décennie un tournant a été pris: le retour à des formes pseudo-anciennes, inadaptées aux conditions des agglomérations modernes, ne menace-t-il pas les acquis d'une prophylaxie qui a fait ses preuves?
VICARI, Jacques. L'hygiène et la reconstruction de la Ville en ville. Médecine & Hygiène , 1984, vol. 42, no. 1585 bis, p. 5-7
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:137016
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L'hygiène et la reconstruction de la Ville en ville
par J. Vicari (Genève)
L'hygiène a entraîné au cours des cent dernières années des modifications profondes dans l'urbanisme:
démolition des taudis, restructuration de quartiers, percement de rues, etc... La reconstruction et l'urbanisation de l'après-guerre, s'inspirant des
principes de l'hygiène, ont fait surgir des barres et des tours tenant compte du soleil, de l'espace et de la verdure. Depuis une décennie un tournant a été pris:
le retour à des formes pseudo-anciennes, inadaptées aux conditions des agglomérations modernes, ne menace-t-il pas les acquis d'une prophylaxie qui a fait ses preuves?
Introduction
«Il faut exiger qu'un nombre minimum d'heures d'ensol- leillement soit fixé pour chaque logis( ... ) Tout plan de maison dans lequel un seul logis serait exclusivement orienté au nord, ou privé de soleil par le fait d'ombres projetées sera rigoureu- sement condamné» (l ). Voilà ce que l'on pouvait lire dans un manifeste qui devait devenir célèbre sous le nom de Charte d'Athènes publié en 1943. Quarante ans plus tard, que reste- t-il de cette exigence? On peut constater, preuves à l'appui, qu'elle tombe en désuétude et s'inquiéter des conséquences de l'abandon d'un des principes fondamentaux de l'hygiène du logis.
Les progrès dus à la hantise microbienne
Pendant un siècle, en matière d'architecture et d'urbanisme, c'est l'idéologie de l'hygiénisme qui a prévalu, entraînant toute une série de mesures qui ont retenti sur l'aménagement de nos villes et qui les ont profondément modifiées, après que la conscience populaire se soit pénétrée de la corrélation entre l'hygiène et la santé (2). Vers 1850 seulement, à l'occasion d'une épidémie de choléra à Londres, on découvre avec stupé- faction que l eau polluée peut être responsable de la maladie ! Il faudra encore plusieurs décennies pour que les masses
soient saisies par la hantise microbienne, et qu'à la pratique quasi inexistante des ablutions - dont la rareté reste une énigme - succède un engouement pour les bains, les douches, le soleil, l'air pur. Engouement qui, par étapes successives, nous a conduits à réorganiser l'alimentation en eau potable et l'évacuation des eaux usées, à démolir les taudis, assainir les immeubles anciens, aménager des lieux d'aisance, nettoyer les rues, éliminer les déchets et les ordures, éloigner les cimetiè- res, réglementer la construction, réserver des zones pour l'in- dustrie 1, restructurer les quartiers (3).
A Genève, on peut citer pour exemple le quartier de St-Gervais, qui a été démoli et reconstruit (figure 1) pour que l'ordre succède au désordre, que le soleil pénètre là où il n'y avait qu'ombre, que le trafic passe là où il n'y avait qu'impas- ses (figure 2).
A ces mesures de réorganisation s'ajoutent des innovations:
l'éclairage au gaz puis à l'électricité, l'ascenseur, le chauffage central, la salle de bains qui ne s'est généralisée dans nos régions qu'après la dernière guerre. Sait-on qu'aujourd'hui encore 6% des logements en Suisse en sont dépourvus? Toutes ces mesures, combinées avec une alimentation plus riche, ont fait chuter l'incidence des maladies infectieuses typiques des habitats insalubres - tuberculose pulmonaire, bronchite, pneumonie - déjà bien avant l'introduction des sulfamides et antibiotiques (figure 3).
Les membres des syndicats ouvriers furent les premiers à prendre la pioche pour démolir les taudis, bien qu'il se fût agi de logements où l'on habitait à bon compte, mais en dernière analyse à très mauvais compte pour la santé... Ils revendi- quaient un habitat qui présente les mêmes garanties d'hygiène que celui de la bourgeoisie. Les héritiers idéologiques de ceux qui ont vécu dans les années 30 ces luttes pour la disparition des taudis ont aujourd'hui quelque peine à comprendre que les nouvelles générations s'opposent à la construction de bar- res de type rationaliste chaque fois que celles-ci remplacent un habitat vétuste.
' Aujourd'hui, l'industrie étant devenue partiellement non polluante, on admet qu'elle réintègre les quartiers d'habitation.
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Figure 1. Quatre phases successives de l'assainissement du quartier de St-Gervais à Genève: 1893, 1901, 1911 et 1978, selon (4).
Le tissu complexe hérité du Moyen Age a été coupé en quadrilatères. En 1978 deux blocs massifs ont remplacé les îlots sud.
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Figure 2. Ces slogans de la Reconstruction, selon (5), paraissent dépassés. Nos contemporains ne verraient-ils pas en blanc ce qu'en 1945 on peignait en noir et inversement?
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Figure 3. Chute du taux de mortalité par million d'hahitant.f en Angleterre et Pays-de-Galles, depuis l'introduction des mesures d'hygiène.' a) de la tuberculose pulmonaire et b) des bronchite, pneumonie· et r,rippe ,' selon ( 6 ).
Après l'hygiénisme
Aujourd'hui en effet ce processus est enrayé. Pour Genève, l'année 1974 marque le tournant, c'est la date du refus du plan d'aménagement qui prévoyait la démolition du quartier des Grottes considéré comme insalubre.
A l'idéologie hygiéniste succède maintenant une idéologie de retour au passé, qui tend non seulement à sauvegarder - ce qui est légitime-mais à reproduire-ce qui est discutable-
les formes anciennes. Ainsi, au lieu des immeubles «en barre» implantés dans des espaces de verdure typiques des cités satellites et que la conception hygiéniste a même intro- duits dans ùt:s quartit:rs urbains, comme par exemple à la Jonction où, sur l'emplacement des anciens abattoirs, furent construites trois tours obéissant aux lois de l'ensoleillement au mépris de l'alignement des rues; au lieu de tours et de barres donc, les projets actuels proposent des îlots d'immeubles don- nant sur cour. Aujourd'hui, à la Jonction toujours, on envi- sage de construire trois îlots fermés et contigus faisant fi de l'orientation solaire. A Châtelaine, sur l'emplacement des Ate- liers Cuénod, on va construire un grand quadrilatère d'im- meubles donnant sur une cour en losange, ce qui créera immanquablement des ombres portées sur toutes les façades (figure 4). Indépendamment des avantages économiques que présentent ces solutions par l'augmentation des surfaces habi- tables sur un terrain donné (généralement du simple au dou- ble), elles rejoignent la tendance «passéiste» en reproduisant des formes anciennes. Ainsi reparaît le square que l'on croyait révolu.
De la barre à l'ilot: un cc retour au passé»
discutable
Mais ce square est maintenant bordé d'immeubles de huit à neuf étages, alors que ceux du 19e siècle n'en avaient que cinq à six. De plus les appartements des immeubles actuels ont une organisation interne reprise des immeubles «en barre» de la périphérie. Certes, ces appartements sont généra- lement traversants, ce qui est un élément favorable puisqu'il permet la ventilation croisée, mais cette ventilation se fait entre un square profond et une rue qui reçoit le trafic automo- bile avec la nuisance du bruit et la pollution des gaz d'échap- pement.
De surcroît, l'organisation usuelle des appartements est aujuu1ù'hui 1.:011iyut: ùt: lt:llt: f11çon 1111e le loc:w1ire: n':i p11s l~
choix de la fonction des pièces, alors que dans l'habitat cou- rant du début du siècle le plan était conçu de telle façon que l'affectation des locaux étail en quelque sorte laissée au gré du preneur qui pouvait en choisir l'utilisation optimale en fonc- tion de son style de vie, de ses habitudes de travail et de sommeil (figure 5). Seule la cuisine était le plus souvent orien- tée au nord, car le potager constituait une source de chaleur agréable en hiver et pénihle en été.
A-t-on oublié les objectifs du mouvement hygiéniste dont les militants affirmaient: «Là où entre le soleil, le médecin n'entre pas»? A-t-on oublié la santé?
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Figure 4. A Genève, a) les «tours» de la Jonction (Engeli-Pahud-Bigar et ass. architectes) et d) les «cubes» de Châtelaine (Lamunière et ass. architectes) obéissent aux impératifs de /'hygiénisme: soleil, espace, verdure. En revanche, b) les îlots projetés à Plainpalais et c) à Châtelaine également, négligent ces valeurs.
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Figure 5. Plan des logements d'une maison ouvrière aux Grottes réalisée en 1907 (Bizot architecte): des pièces carrées de 20 m2 que l'on peut à choix aménager en séjour ou chambre à coucher selon l'orientation, les nuisances et le style de vie.
Conclusion: ne pas licher la proie pour l'ombre
On peut se demander si le retour à des formes d'habitat plus dense ne procède pas d'une désinvolture à l'égard des grands principes «passifs» de l'hygiène qui paraissent dérisoi- res à une société disposant d'un arsenal de moyens curatifs extrêmement efficaces pour vaincre les infections.
Il y a lieu de se préoccuper qu'un des acquis fondamentaux de l'hygiénisme: l'orientation au soleil, soit sacrifié dans nom- bre de projets de constructions actuels, au profit d'une imita- tion illusoire de l'implantation à l'ancienne, incapable d'en restituer le charme. A l'échelle où seront bâtis ces immeubles, ils permettront simplement une exploitation plus rentable du sol.
Bibliographie
J. Le Groupe Ciam-France: La Charte d'Athènes. Pion, Paris, 1943.
2. He/Ier O.: f Propre e11 ordre.>). habitation et vie domestique 1850- 1930: l'exemple vaudois. Editions d'en-bas, Lausanne, 1979.
3. Castex J. et al.: Formes urbaines: de 17/ot à la barre. Dunod, Paris, 1977.
4. Bru/hart A. et Rossier E.: La Rue Vallin, une opération de la Caisse d'Epargne. Ill Werk-Architltèse, p. 15-16. Niggli A. Verlag, Nie- derteufen, 1978.
5. Epron J. P. et al.: Les trois reconstructions. Dossiers et docu- ments 4. Institut Français d'Architecture, Paris, déc. 1983.
6. Mc Keown T.: Tite Modern Rise of Population. Arnold Publi- shers Ltd, London, 1976.
Adresse de l'auteur: Pr J. Vicari, Centre universitaire d'écolo- gie humaine et des sciences de l'environnement, Université de Genève, 12ll Genève 4.
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