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Mobilités, altérités et imaginaires migratoires : regards croisés sur les migrations des travailleuses domestiques philippines

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Mobilités, altérités et imaginaires migratoires : regards croisés sur les migrations des travailleuses domestiques philippines

DEBONNEVILLE, Julien

Abstract

Cet article interroge le rôle des imaginaires migratoires dans le cadre des mobilités dans le Sud globalisé des travailleuses domestiques philippines afin de comprendre comment ces femmes interprètent et négocient les catégories raciales et d'altérité de leurs sociétés liées aux pays de destination. En s'appuyant sur une recherche ethnographique aux Philippines, cet article pointe dans un premier temps les rouages de ces imaginaires migratoires dans les médias, les réseaux interpersonnels et le dispositif migratoire. Dans un second temps, il décrit l'existence d'imaginaires migratoires distincts associés à trois différentes régions de destination – « le Moyen-Orient », « l'Asie » et « l'Occident » – qui font l'objet d'un travail de catégorisation, de classement et de hiérarchisation au regard de leur culture supposée, devenant dans le même temps un script interprétatif afin de penser les conditions de réalisation d'un projet migratoire et professionnel. Dans un troisième temps, il explore les effets performatifs de ces imaginaires migratoires sur les projets migratoires et l'exercice du [...]

DEBONNEVILLE, Julien. Mobilités, altérités et imaginaires migratoires : regards croisés sur les migrations des travailleuses domestiques philippines. Civilisations, 2019, no. 68, p. 163-182

DOI : 10.4000/civilisations.5587

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:144698

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MOBILITÉS, ALTÉRITÉS ET IMAGINAIRES MIGRATOIRES : REGARDS CROISÉS SUR LES MIGRATIONS DES TRAVAILLEUSES DOMESTIQUES PHILIPPINES

Julien Debonneville

Université libre de Bruxelles | « Civilisations » 2019/1 n° 68 | pages 163 à 182

ISSN 0009-8140 ISBN 9782960201734

Article disponible en ligne à l'adresse :

--- https://www.cairn.info/revue-civilisations-2019-1-page-163.htm

---

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humaines

 

68 | 2019

Mobilités dans le Sud globalisé : altérité, racialisation et fabrique des identités

Mobilités, altérités et imaginaires migratoires : regards croisés sur les migrations des travailleuses domestiques philippines

Mobility, otherness, and migratory imaginaries: Different perspectives on the migration of Filipino domestic workers

Julien Debonneville

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/civilisations/5587 DOI : 10.4000/civilisations.5587

ISSN : 2032-0442 Éditeur

Institut de sociologie de l'Université Libre de Bruxelles Édition imprimée

Date de publication : 1 décembre 2019 Pagination : 163-182

ISBN : 978-2-9602017-3-4 ISSN : 0009-8140

Distribution électronique Cairn

Référence électronique

Julien Debonneville, « Mobilités, altérités et imaginaires migratoires : regards croisés sur les migrations des travailleuses domestiques philippines », Civilisations [En ligne], 68 | 2019, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 08 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/civilisations/

5587 ; DOI : https://doi.org/10.4000/civilisations.5587

© Tous droits réservés

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Julien DEBONNEVILLE

Résumé :Cet article interroge le rôle des imaginaires migratoires dans le cadre des mobilités dans le Sud globalisé des travailleuses domestiques philippines afin de comprendre comment ces femmes interprètent et négocient les catégories raciales et d’altérité de leurs sociétés liées aux pays de destination. En s’appuyant sur une recherche ethnographique aux Philippines, cet article pointe dans un premier temps les rouages de ces imaginaires migratoires dans les médias, les réseaux interpersonnels et le dispositif migratoire. Dans un second temps, il décrit l’existence d’imaginaires migratoires distincts associés à trois différentes régions de destination –  « le Moyen-Orient », «  l’Asie » et « l’Occident » – qui font l’objet d’un travail de catégorisation, de classement et de hiérarchisation au regard de leur culture supposée, devenant dans le même temps un script interprétatif afin de penser les conditions de réalisation d’un projet migratoire et professionnel. Dans un troisième temps, il explore les effets performatifs de ces imaginaires migratoires sur les projets migratoires et l’exercice du travail domestique de ces femmes.

Mots-clés : Philippines, mobilités, imaginaire migratoire, racialisation, altérité, travail domestique.

Abstract : This article explores the role of migratory imaginaries in the context of the mobility of Filipino domestic workers in order to understand how these women interpret and negotiate racial categories and otherness in the globalised South. Based on ethnographic research in the Philippines, the article first explains how these migratory imaginaries are constructed by the media, interpersonal networks, and the migration apparatus. It then describes the existence of distinct migratory imaginaries associated with three different destination regions – the “Middle East”, “Asia”, and “the West” –, which are categorised, classified, and ranked in terms of ideas about their “culture”. This cultural framework therefore becomes an interpretative script through which to consider migration and a professional career abroad. Finally, the article explores the performative effects that these migratory imaginaries have on these women’s migration plans and on their practice of domestic work.

Keywords : Philippines, mobility, migratory imaginaries, racialisation, otherness, domestic work.

Université de Genève

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Introduction

Cet article interroge le rôle des processus d’altérisation au sein des migrations des travailleuses domestiques philippines dans le Sud globalisé afin de saisir plus spécifiquement comment opèrent les imaginaires migratoires (Simon 2006 ; Fouquet 2007  ; Piguet 2013). Si la littérature consacrée aux migrations des travailleuses domestiques philippines s’est bien souvent attachée à décrire la façon dont ces femmes faisaient l’objet de processus d’altérisation, notamment à travers l’emprise des rapports sociaux de race et de sexe (Parreñas 2001 ; Lan 2006 ; Guevarra 2010 ; Rodriguez 2010  ; Debonneville 2014), le présent article questionne à l’inverse comment ces femmes migrantes interprètent et négocient les catégories raciales et d’altérité liées aux pays de destination lors de leur parcours migratoire. Pour ce faire, cette recherche examine les imaginaires migratoires circulant dans l’archipel dans lesquels est véhiculé un ensemble de représentations sociales collectives associées au pays de destination1, à «  la culture  » de ce dernier, mais surtout aux futures employeures2. L’analyse de ces imaginaires dans le cadre migratoire constitue un objet heuristiquement fécond pour décrire la façon dont l’altérité –  dans ce cas l’employeure, sa « culture » et son pays – est construite sur la base d’un ensemble de marqueurs sociaux stéréotypiques et de traits culturels et raciaux supposés.

Nous tâcherons ainsi de saisir comment sont produits et opèrent ces imaginaires migratoires ? Quelles sont les représentations sociales associées aux employeures des pays de destination ? Comment les travailleuses domestiques philippines migrantes se réapproprient ces imaginaires lors de leur parcours migratoire ?

En s’attachant à décrypter la construction sociale de la figure de l’employeure du point de vue des travailleuses domestiques philippines et comment cette figure racisée et culturalisée affecte les parcours migratoires, cette enquête décrit la façon dont ces imaginaires façonnent les parcours migratoires des migrantes.

La première partie de cet article présente le contexte philippin et le cadre méthodologique de l’enquête de terrain. La seconde partie définit les rouages théoriques des imaginaires migratoires et le rôle de ces derniers dans les mobilités transnationales. La troisième partie décrit comment, dans le contexte philippin, ces imaginaires migratoires sont portés par des médias, des réseaux interpersonnels transnationaux et le dispositif migratoire philippin. La dernière partie explique quelles sont les différentes figures d’employeures (et leur «  culture  ») au sein de cet imaginaire migratoire et comment ces imaginaires affectent les préférences, les espoirs, le désir de partir et, dans une moindre mesure, les trajectoires migratoires et la pratique de l’emploi domestique de ces femmes candidates à la migration.

1 Sur la base des accords bilatéraux signés par l’Etat philippin, les travailleuses domestiques philippines sont principalement dirigées vers le Moyen-Orient (Etats arabes du golfe Persique tels que l’Arabie Saoudite, le Bahreïn, le Qatar, Koweït, l’Oman, les Emirats arabes unis) et l’Asie du Sud-Est/Est (Hong Kong, la Malaisie et Singapour), et dans une moindre mesure vers l’Europe et sa région (Chypre, Israël, l’Italie) et l’Amérique du Nord (le Canada).

2 Il a été choisi de mobiliser le féminin neutre pour le terme « employeure », sachant que très souvent la charge du foyer, et dès lors l’externalisation du travail de reproduction, incombe aux femmes.

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Du dispositif migratoire philippin au dispositif méthodologique

Depuis la colonisation américaine, l’archipel philippin a mis en place une véritable industrie de la migration (Garapich 2008 ; Hernández-Léon 2012) qui comptait en 2017 plus 2,3 millions d’OFW (Overseas Filipino Workers), dont les transferts d’argent constituaient près de 10% du PIB du pays3. Ce dispositif migratoire (Jaber 2005) est composé de près de 3  000 agences de recrutement, 500 centres de formation spécialisés, d’agences de voyages, le tout régulé par l’Etat philippin. Parmi cette population, les travailleuses domestiques constituent l’une des principales forces professionnelles déployées à l’étranger avec près de 180 000 femmes qui partent (ou repartent) chaque année4. Parmi les migrants et migrantes philippins, ces travailleuses domestiques se distinguent par le fait qu’elles constituent, selon le gouvernement philippin, l’une des populations migratoires les plus vulnérables, et sont, par conséquent, soumises à des formations avant le départ dans l’optique de faciliter leur insertion sociale et professionnelle dans le pays de destination. Ces dernières doivent en effet suivre pendant plusieurs mois (entre deux et six selon les pays) avant le départ trois formations payantes : le Pre- Departure Orientation Seminar (PDOS), le Household Service National Certificate II et le Comprehensive Pre-Departure Education Programme (CPDEP) (incluant des cours de Stress management, de Culture familiarisation, de santé et de langue). Lors de ces formations, ces femmes apprennent un ensemble de qualifications en lien avec des savoir-faire (par exemple : faire le nettoyage, cuisiner, faire la lessive, etc.), mais aussi des savoir-être (par exemple : être polie, respectueuse, souriante, etc.).

Concernant les conditions de travail, en règle générale, les matériaux de l’enquête de terrain ont permis de mettre en avant que les premiers salaires avoisinaient les 250 USD (sans jour de congé) au Moyen-Orient, 400 USD (avec un jour de congé) en Asie du Sud-Est et 1 000 USD (avec au moins un jour de congé)5 en Europe et en Amérique du Nord, avant de croître avec l’ancienneté.

Afin de saisir comment les imaginaires sont produits, opèrent, et s’articulent avec les trajectoires migratoires, j’ai conduit une recherche ethnographique au sein du dispositif migratoire philippin entre 2013 et 2014. Cette recherche s’est appuyée sur la conduite d’observations dans huit centres de formation (privés et gouvernementaux) et cinq agences de recrutement de travailleuses domestiques migrantes dont les modalités d’observation ont varié de quelques semaines à plusieurs mois (Debonneville 2017). Les sites ont été choisis sur la base de leur influence dans le dispositif migratoire, de leur ancienneté, mais également en retraçant les réseaux de collaboration d’acteurs et des institutions. En outre, cette enquête s’appuie sur 140 entretiens semi-directifs avec des acteurs de ce dispositif (représentants du gouvernement, responsables d’agence de recrutement, instructrices de centre de formation, recruteurs, et migrantes).

3 <https://psa.gov.ph/content/statistical-tables-overseas-filipino-workers-ofw-2017>, consulté le 29 mars 2019.

4 <http://www.poea.gov.ph/ofwstat/ofwstat.html>, consulté le 11 avril 2019.

5 Ces données sont toutefois à considérer avec précaution sachant que les conditions de travail et salariales dépendent de nombreux facteurs (voir Destremau & Lautier 2002).

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Parmi ces entretiens, 80 ont été conduits en anglais et tagalog (la langue dominante de Manille et du nord des Philippines)6 avec des candidates à la migration en tant que travailleuses domestiques. Ces entretiens ont été menés à Manille avec des femmes rencontrées le plus souvent lors des formations, mais également sur des lieux de socialisation (cantine, restaurant, espace public, etc.), ou via des réseaux personnels. En outre, bien que ces entretiens aient été menés aux Philippines, ils intervenaient lors de différentes étapes migratoires, tels que lors d’un premier départ, lors d’un énième départ, lors d’un retour momentané aux Philippines, ou encore après un retour définitif7. Ces entretiens, à différents moments de la carrière migratoire de ces femmes, ont notamment permis, comme nous le verrons, de saisir la nature de ces imaginaires migratoires et de surcroît comment ces derniers pèsent (et continuent de peser dans certains cas) sur les trajectoires migratoires.

Figure 1 : Entrée d’un centre de formation prémigratoire pour les travailleuses domestiques à destination de l’Asie du Sud-Est, Manille, Philippines.

© Julien Debonneville 2013.

Migrer : une histoire d’imaginaire

Si un «  pluralisme théorique  » (Massey et al. 1993) s’impose afin d’expliquer les causes multiples (économiques, sociales, politiques, etc.) liées au départ en migration, et plus largement la construction des carrières migratoires (Martiniello

& Rea 2011), cet article propose toutefois de décentrer le regard vers les imaginaires migratoires dans l’idée de rendre compte de la façon dont le processus migratoire dans son entièreté est profondément imprégné de ces imaginaires8.

6 Les entretiens en tagalog ont été conduits avec Leal Rodriguez, collègue au Department of Women and Development studies de l’Université des Philippines – Diliman, qui fut rémunérée pour le travail effectué.

7 Pour plus de détails sur les profils sociologiques des femmes rencontrées, voir Debonneville 2015, 2016.

8 Si l’article propose de mettre l’accent sur les imaginaires, il ne doit toutefois pas faire oublier les micro- stratégies de ces actrices au sein de leur projet migratoire, et surtout la façon dont ces dernières renégocient continuellement leurs conditions de travail et de vie avec parfois, un certain pragmatisme.

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A ce titre, les travaux d’Arjun Appadurai ont permis d’éclairer comment

« l’imagination est devenue un fait collectif et social » (2001 [1996] : 30). Pour l’anthropologue de la mondialisation, la prégnance de l’imagination est telle aujourd’hui qu’elle s’est « intégrée à la logique de la vie ordinaire dont on avait largement réussi à la couper » (Appadurai 2001 [1996] : 31). Parmi les multiples imaginaires, ceux de l’exil et de la migration alimentent particulièrement le pouvoir de l’imagination chez les individus, dans le sens où ils fondent une capacité à se souvenir du passé et à désirer le futur ici et ailleurs (Appadurai 2001 [1996]). A cet égard, l’imaginaire constitue un élément essentiel dans les départs en migration, au point qu’il n’existe « pas de migrations volontaires sans imaginaire migratoire » (Simon 2008 : 114). Appadurai souligne à ce titre que « les politiques d’intégration à leur nouvel environnement, le désir de partir ou de revenir sont tous profondément influencés par l’imaginaire que diffusent les médias et qui dépasse généralement le cadre national » (2001 [1996] : 32). On comprend dès lors que :

« le champ migratoire investit d’une charge symbolique forte, porteuse pour les migrants d’espoirs, d’utopies ou de mythes, comme d’ailleurs aussi pour les sociétés où se sont inscrits ces champs sociaux constitués d’imaginaires profondément enracinés dans les mentalités collectives, aux frontières mouvantes de l’identité et de l’altérité » (Simon 2006 : 7).

La problématisation de la question des imaginaires dans les processus migratoires permet en ce sens d’intégrer à l’analyse les grands schémas stéréotypiques d’interprétation du monde des acteurs, propres à certaines périodes historiques (Piguet 2013 : 151).

La « décision » de migrer, le « choix » des pays, la perception des pays de destination et de ses habitants représentent ainsi des révélateurs socio-anthropologiques des imaginaires à l’œuvre (Piguet 2013). Si ces imaginaires sont imbriqués aux trajectoires migratoires et peuvent modeler ces dernières, il est toutefois important de souligner qu’ils peuvent également devenir une forme d’agentivité pour les migrantes du fait que « l’imagination collective peut devenir le carburant qui nous pousse à agir » (Appadurai 2001 [1996] : 34). Ainsi, sans l’imagination et les formes collectives qu’elle peut prendre, «  nous n’aurions pas créé les notions […] de nationalité, […] de hausses de salaire et de perspectives de travail à l’étranger  » (Appadurai 2001 [1996] : 34). La migration constitue donc un moment où les territorialités et les espaces culturels sont travaillés par les imaginaires. Elle est dès lors un ressort spécifique dans l’activation d’imaginaires sociaux et plus particulièrement de récits et représentations sociales dans lesquels l’Autre et l’Ailleurs sont mis en scène et prennent part au projet migratoire. Dans la veine des auteurs évoqués, j’entends par « imaginaire migratoire » un ensemble de représentations sociales collectives performatives imbriquées à la problématique de l’exil, dans lesquelles les figures culturalisées et racisées de l’Autre et de l’Ailleurs, tels que les futures employeures à l’étranger, occupent un rôle central.

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Les multiples ressorts de la construction des imaginaires migratoires

Cette partie présente les rouages des imaginaires en pointant trois différentes sources, à savoir les médias, les réseaux interpersonnels et le dispositif migratoire philippin, et ensuite comment ces imaginaires véhiculent un ensemble de représentations sociales et culturelles qui constituent un script interprétatif pour penser les pays de destination et les futures employeures.

La médiatisation de scénarios migratoires

En analysant les « médiascapes », Appadurai (1990) pointait le rôle des migrations et du développement des médias (télévisions, journaux, Internet, réseaux sociaux, etc.) dans le déploiement des imaginaires à l’ère de la globalisation. Lors de l’enquête de terrain, cette composante médiatique de la construction des imaginaires fut particulièrement visible. Que ce soit à travers les médias traditionnels (journaux, radios, télévisions) ou les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram), ces différents modes de communication jouent un rôle central dans la production et le renouvellement de l’imaginaire migratoire philippin. Lors des entretiens menés avec les migrantes, ces dernières mentionnaient régulièrement avoir pris connaissance à travers Channel 11 (la chaîne de télévision totalement consacrée aux migrations) des conditions de travail, des «  us et coutumes  » (customs and traditions), des « success stories  » (les histoires à succès) ou encore de faits divers tragiques dans le pays de destination, notamment des formes de maltraitance au Moyen-Orient. Plus largement, on comprend ici comment les médias participent à produire des représentations sociales sur l’Autre et l’Ailleurs comme l’illustrent les propos de Girlie (25 ans) en partance pour le Canada :

I don’t consider going to the Middle East because of security reasons. Like for example, I saw on TV all the negative things that happen in the Middle East…

Filipinos are raped and abused there. As much as I want to because there are opportunities there, I decided not to go there. Not to threaten my security. I think it is hard for me to adapt what is their religion and what life they have in the Middle East. Also the language. […] I think it is hard for me. It doesn’t make sense to go to the Middle East for me. (Entretien, février 2013)

A l’inverse, les médias alimentent également les success stories liées à la migration, bien souvent associées au contexte « occidental »9. Des success stories qui ne sont pas sans effet sur les attentes et représentations des migrantes, comme l’exprime Ramona :

There is a channel on TV, Channel 11 about Filipinos abroad. There are some good stories like, this woman, she was working as a domestic helper in London.

After, she got a visa. And then she managed to have a business in London now.

Also, this one. Have you heard the story of this Filipina in Australia? There’s a Filipina who was a domestic worker in Australia. Now she is the richest person in Australia. Yes! She got married to her boss and then the boss died.

9 A noter que cette dichotomie entre un « Occident » fortement valorisée symboliquement, et un « Orient arabo-musulman » disqualifié puise ses racines dans l’histoire coloniale du pays (Debonneville 2016). Par ailleurs, dans un souci de ne pas alourdir la lecture du texte, les guillemets seront uniquement mobilisés lors de leur première occurrence dans le cas d’entités géographiques (région ou pays). Ces derniers rappellent que ces entités sont le fruit de construction et de représentations sociales.

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And all the money, and the heritage, everything, he gave it to the Filipina. And then the kids, the children of that old man, they fight for their rights. They did not win because it is in the last will and testament. She won. Nice story, right? Maybe that is why a lot of Filipina go out of the country and work as a domestic helper. Like a Cinderella story, a success story. (Entretien, juillet 2013)

Par leur cadrage de l’information et la charge symbolique associée à ces événements, on saisit comment certains médias fabriquent des scénarios à succès à travers lesquels ces travailleuses domestiques philippines aspirent à devenir les Cendrillons du 21e siècle. Que ce soit à l’aide de scénarios dramatiques ou oniriques, l’imaginaire migratoire se construit au prisme de ces récits médiatiques qui opèrent comme des filtres d’interprétation des projets migratoires des actrices, et dans lesquels « l’Orient » est un espace repoussoir et à l’inverse, « l’Occident » un espace hautement valorisé symboliquement.

Les réseaux interpersonnels comme véhicule de l’imaginaire

Comme l’ont montré Alejandro Portes (1999) ou Yen Le Espiritu (2003) dans leurs écrits, les réseaux interpersonnels d’acteurs (famille, amis, etc.) apparaissent également déterminants dans la circulation des informations et des représentations sociales, mais également dans la formation des identités ethniques des migrantes.

Cette formation se fait bien souvent dans un rapport dichotomique entre un

« Nous » et les « Autres ». On observe en effet, dans ces réseaux, une forte circulation des représentions sociales de l’Autre et de l’Ailleurs fondées sur un mélange d’expériences vécues et de rumeurs (chismis) à partir desquelles se construit une identité ethnique philippine transnationale. En ce sens, les images, les symboles et les représentions sociales circulent continuellement entre le pays de destination et les Philippines tissant progressivement une toile de représentations sociales dans lesquelles se forgent l’imaginaire migratoire et l’Altérité. Entre expériences vécues10, rumeurs et stéréotypes, la circulation des discours participe à la construction de l’imaginaire migratoire philippin, comme on peut le voir par exemple à travers les propos de Maricel en partance pour Hong Kong :

I am not sure I would go to the Middle East. I heard a lot of bad things about the Middle East, for instance, the way they treat their workers. Some employers are really bad there. But also, the way they dress, which I don’t like. They cover everything. That’s what I heard. I don’t know whether it is true or not. The culture is very different there. Sometimes, if the male boss likes you, maybe they will kill you. For example, one of my cousins, she was a nurse. She was working in Jordan. What happened to her is very sad. The boss raped her, and almost killed her. He took her to the desert and threw her there. Then the taxi driver was a Filipino who helped her to come back to the Philippines. They almost killed her. She is crazy now. At that time, I was applying for Taiwan. She came back, she was crazy until now. So, I don’t want to go to the Middle East.

People are bad there. (Entretien, mars 2013)

10 L’expérience vécue de ces femmes ou de leurs proches rappelle que ces imaginaires sont réactivés par des pratiques. Il est intéressant toutefois de souligner que ces expériences sont modelées et interprétées par ces imaginaires, et dans le même temps alimentent ces derniers. En ce sens, l’expérience vécue tend à porter et renforcer ces imaginaires.

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On comprend dans ce cas comment la tragique expérience de la cousine de Maricel devient le socle de représentations du Moyen-Orient, de sa « culture » et des comportements des employeures. Les matériaux récoltés font apparaitre que l’expérience migratoire d’un membre de la famille ou d’une amie proche affecte directement ces candidates, que ce soit comme un frein ou une incitation à migrer.

L’enquête a permis en ce sens de pointer comment la valorisation de « l’Occident » et la disqualification de « l’Orient » pouvaient, dans une certaine mesure, peser sur les trajectoires migratoires des actrices. Les réseaux interpersonnels, à travers les récits d’expérience d’un tiers et les rumeurs, alimentent en ce sens un imaginaire migratoire sur l’Ailleurs et l’Autre.

Le dispositif migratoire philippin comme industrie de l’imaginaire

Le dispositif migratoire philippin –  porté par l’Etat philippin, les agences de recrutement et les centres de formation – produit également un ensemble de récits, de symboles et de représentations sociales sur la migration afin de maintenir son attractivité (Debonneville 2016).

A travers la mobilisation de différentes success stories, rumeurs et faits divers, ces institutions alimentent des représentations sur l’Ailleurs et l’Altérité. La production d’imaginaires migratoires au sein de ce dispositif n’est toutefois pas nouvelle.

Ces imaginaires ont été modelés par une histoire coloniale au sein de laquelle ce dispositif s’est constitué (Choy 2003  ; Rodriguez 2010). Les représentions sociales de l’Ailleurs et de l’Autre ont été structurées par une norme de blanchité hégémonique dont le rayonnement sur l’archipel était déjà visible à l’époque coloniale (McFerson 2002 ; Debonneville 2016).

Aujourd’hui, les formations prémigratoires apparaissent comme l’une des sources importantes dans la production et la circulation de ces imaginaires, en particulier lors des PDOS et des cours de Culture familiarisation et de Stress management.

Ces formations ont pour objectif, selon le gouvernement philippin, de faciliter l’adaptation des migrantes à « la culture » du pays de destination afin de réduire les risques de maltraitance. Pour ce faire, les instructrices mettent en avant dans leurs cours l’importance de s’adapter à « la culture du pays de destination » comme en témoignent ces extraits d’observation lors des cours de Culture familiarisation :

You will be the one to accept their culture ; You can’t change the behaviour of your employer, but you can change yours! ; You have to cope with their culture, you have to adapt, You must be a Roman when you are in Rome.

ou encore

You are OFW, overseas DH, you need to adapt to their food, their culture, you are not a local DH. You are an Overseas DH, you need to adapt, it’s very important. (Notes de terrain, novembre 2012, janvier-avril 2013)

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La justification de ces programmes est par ailleurs emblématique des usages sociaux de la culture qui se jouent dans ces formations à partir desquels les processus d’altérisation émanent :

The purpose of this training is to reduce the vulnerability of the migrant.

The maltreatment result of a lack of understanding of the culture of the employer. By learning the culture of the employer, it will reduce the risk of maltreatment. (Entretien avec une haute fonctionnaire de l’Overseas Workers Welfare Administration, avril 2013)

Ces formations (élaborées par des experts du gouvernement, des anciennes travailleuses domestiques et des anciens labor attaché) participent en ce sens à renouveler un imaginaire migratoire en mettant en scène l’Autre, l’Ailleurs et une certaine idée de « la culture ». Elles permettent dès lors d’apprendre comment se comporter à l’étranger, comment interagir avec ses employeures, mais avant tout de décrypter qui est son employeure, et quelle est « sa culture », comme l’explique Sam (31 ans) en partance pour l’Italie :

I’m so anxious about going abroad because I don’t have any idea and because we don’t have the same culture. As I told you the OWWA seminar and the PDOS helped a lot because they gave us an orientation on what are the cultural differences. We need to adjust specifically with the employer’s rules, the attitude and behaviour of the employer. Once you’re there, you cannot go back home.

You need to sacrifice or suffer a lot and accept the reality. (Entretien, janvier 2013)

Afin de faciliter l’adaptation et réduire les risques de maltraitance de ces candidates à l’émigration, les formations proposent de décrypter les caractéristiques des employeures et de leur « culture ». L’enquête ethnographique au sein de ce dispositif a permis d’identifier une série de représentations sociales associées à « la culture du Moyen-Orient ». Le cadrage sur « la culture du Moyen-Orient » s’articule dans ce cas autour de la problématique des violences physiques et sexuelles, présentant ainsi les employeurs comment des « prédateurs sexuels » comme l’explique l’instructrice Jamila du PDOS Pinoy Migrations Advocacy :

You have to wear long sleeves and the Abaya to avoid sexual harassment in the Middle East. Because men can think you are interested in them if you dress sexy dress… Because Arabs are different, if they will see your neck, your hair, your body parts, they think, Evil. To avoid that evil mind, cover your parts, cover for the ladies, and even men are not allowed to wear short pants. […]

Especially Saudi. […] They are sexually aggressive. (Entretien, mai 2013)

La figure de l’employeur « arabo-musulman »11 apparaît fortement racisée, altérisée et construite autour des violences physiques et sexuelles12. Cette vision culturaliste du « Moyen-Orient », fondée principalement sur la religion et les traditions supposées, s’inscrit dans un rapport de disqualification, qui résonne par

11 Cette catégorie « arabo-musulman » est une catégorie émique qui émerge des discours des actrices et qui véhicule un amalgame entre identité arabe et identité musulmane.

12 A noter qu’il ne s’agit pas de nier les risques et les formes de maltraitance qui existent pour ces femmes migrantes, mais de pointer quelles sont les représentions associées aux lieux et aux personnes, ainsi que de comprendre leur construction et leurs implications sur les carrières migratoires.

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ailleurs avec le traitement des minorités musulmanes aux Philippines que l’on peut qualifier d’altérité de l’intérieur (Guénif-Souilamas 2007 ; Debonneville 2016).

Outre la figure de l’employeur « arabo-musulman », ces cours mettent en scène la figure de l’employeure « chinoise ». Les observations menées au sein des cours de Culture familiarisation et de stress management permettent en effet de rendre compte des « traits culturels » « typiquement chinois » mobilisés dans la construction de cet Autre. Lorsque les instructrices évoquent par exemple les « valeurs chinoises », elles avancent l’idée suivante :

Chinese are basically conservative, secretive and clannish. […] the four basic virtues of Chinese people are: loyalty, respect for the parents and elders, benevolence like for example kindness and charity, and also righteousness.

You have also to remember that they have a strong moral integrity. (Notes de terrain, janvier 2013)

La définition de « la culture chinoise » est dans le même temps interprétée à la lumière du rapport au travail. En effet, les instructrices pointent dans leurs cours que :

Chinese dedicate their likes first to work and second for leisure. Diligence is one of the most admired human qualities. So you also have to work hard when you work for a Chinese employer. It’s very important in their culture. (Notes de terrain, janvier 2013)

Plus largement, les caractéristiques de « la culture chinoise » – bien souvent présentées comme des traits de caractère des employeures – sont associées à l’idée de tradition, de superstition et de discipline, comme l’explique ici Malory responsable du centre de formation Good Luck :

If you go to Hong Kong, Taiwan and Singapore, Chinese people are very strict about the tradition, culture, and also the clothes. So we teach them not to wear sexy dresses. They must obey and respect the traditions of the destination country. If the employers say “Do like this, like that”, we must follow them;

because they are the employer, we are only a worker. They know what we must do, and how we should adjust to their culture. So the worker must follow the requests of the employer, no matter what. A boss is a boss. No exception, because we are only the worker […]. And always smile even if you’re very tired. You have to smile to please your employer so the employer will like you.

(Entretien, avril 2014)

On comprend ici comment les usages sociaux de « la culture de l’Autre » opèrent dans l’apprentissage du rôle social de travailleuse domestique (Debonneville 2014).

La définition et l’apprentissage de la culture de l’Autre constituent un moyen de stimuler le dévouement au travail chez les futures employées domestiques. En outre, ces observations au sein du dispositif migratoire philippin permettent de saisir comment les usages sociaux de la « culture » du pays de destination se révèlent particulièrement poussés dans le cas des régions considérées comme étant à haut risque en termes de maltraitance pour les travailleuses domestiques philippines, comme au Moyen-Orient et, dans une moindre mesure, en Asie du Sud-Est.

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Au regard des matériaux récoltés, plus la région est définie comme risquée, plus les traits culturels sont mobilisés dans la définition de l’Altérité. A l’inverse, dans le cas de régions décrites comme « l’Occident » telles que l’Europe et le Canada, la culturalisation est nettement moins dessinée. Dans ce cas, l’altérité est plus diffuse et inscrite dans un système de valorisations sociale et morale.

Imaginer, classer, hiérarchiser les employeures

Cette partie a pour objectif de présenter les différentes figures d’employeures au sein de cet imaginaire migratoire du point de vue, cette fois, des candidates à l’émigration dans l’économie mondialisée du travail domestique. Il s’agit ici d’opérer un décentrement afin d’interroger comment ces femmes migrantes interprètent et négocient les catégories raciales et d’altérité souvent héritées de la colonisation, que ce soit uniquement sur la base de récits ou d’expériences singulières interprétées au prisme de la culture. Nous verrons ainsi comment ces imaginaires véhiculent trois figures d’employeures, inégalement valorisées par ces femmes – à savoir les figures « the baba (‘papa’ en arabe) from the Middle East », « the White from Western countries », et « the tai tai (‘femme au foyer’ en cantonais) from South-East Asia »13 – et qui façonnent de différentes façons le projet migratoire.

L’« Orient » et le « bad baba » : territoire disqualifi é, altérité repoussoir

In the Middle East, I wouldn’t go. The employers are abusing those Filipinas because they are not civilised as other people, as European or whites from western countries. Perhaps, culture barriers. […] The differences with Arabic culture for the Filip… for the Christian culture is the religion […] They [“Arabic people”] weigh it as the smallest person or, you know, as slaves perhaps, that’s why they’re abusing their household workers. (Entretien, janvier 2014)

Grace (40 ans, en partance pour le Canada) est formelle : migrer au Moyen-Orient ne représente pas une option. Cet extrait d’entretien illustre les représentations sociales du Moyen-Orient et des employeures de cette région.

Contrairement à l’imaginaire associé à « l’Occident », le « Moyen-Orient » – et à travers lui ses employeures  – est pensé avant tout comme un espace culturel disqualifié. L’imaginaire associé au «  Moyen-Orient  », «  sa culture  » et «  sa religion  », constitue un cadre interprétatif des comportements des employeures

« arabes /musulmanes » (de surcroît les employeurs), et plus particulièrement le socle explicatif de la maltraitance des travailleuses domestiques dans cette région.

La figure de l’employeur –  «  l’homme arabe  »  – y apparaît fortement racisé, culturalisé et genré. Ce dernier est régulièrement évoqué par les migrantes comme

13 Il est à noter que ces représentations sont fortement situées du point de vue religieux. L’enquête a en effet montré que si la classification de ces trois régions /employeures demeurait à l’identique pour l’ensemble des migrantes (musulmanes et non musulmanes), l’échelle de valeurs et de hiérarchisation associée à ces figures étaient inversée pour les candidates à l’émigration de confession musulmane. Cet article propose d’aborder toutefois l’imaginaire migratoire des femmes non musulmanes, car ce dernier constitue un imaginaire hégémonique aux Philippines. Il ne doit, en outre, pas invisibiliser d’autres imaginaires migratoires plus marginalisés comme celui véhiculé au sein des migrations des travailleuses domestiques philippines de confession musulmane. Pour des analyses détaillées concernant ces imaginaires migratoires, voir Debonneville 2019.

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le bad baba (« mauvais père » en anglais et arabe). Cet ailleurs « moyen-oriental » se distingue fortement des autres destinations du fait qu’il est fortement disqualifié et stigmatisé au regard de « leur culture », au point que l’imaginaire associé à cette région constitue dans une certaine mesure un frein à la migration pour ces femmes, comme l’illustrent les propos de Grace :

Until my death, over my dead body, I will not go to the Middle East whatever the job offers. And most especially if you’re just offering me as a household helper, definitely not. No matter what. I would rather consider our way of living here in the Philippines, […] I would prefer to reduce my expenses here in the Philippines, rather than going there. (Entretien, janvier 2014)

D’autres femmes interviewées, comme Anna (45 ans, en partance pour Chypre), confiaient à ce titre préférer rester aux Philippines et abaisser leur niveau de vie plutôt que de partir au Moyen-Orient :

I never thought about the Middle East because I have some knowledge and idea that Middle East is a very hard country. ‘Hard’ meaning the earning is a bit less and the culture is a bit difficult. The Filipina who are going to the Middle East, they are braver than me. The culture is very hard. It looks like it’s a bit dangerous for women to go to the Middle East. I’m scared of that. I don’t want to try. […] The religion in Middle East is very strict. You cannot speak, you have no communication, even if you have relatives there, you cannot communicate with them. They are very strict. No day off. You can only go out if you are with your employer and you have to wear a mask, the abaya.

(Entretien, juillet 2013)

On saisit ici comment «  la culture  » de l’Autre alimente une frontière sociale et symbolique, et pèse sur le projet migratoire. Comme les propos d’Anna le soulignent, derrière l’idée de culture, c’est une certaine représentation de la religion, en l’occurrence l’islam, qui est mobilisée ici afin de mettre à distance l’altérité. La religion représente en effet un marqueur culturel régulièrement utilisé par les travailleuses domestiques philippines de confession chrétienne afin de tracer les frontières entre « leur culture » et « la culture » de l’employeure, alors qu’elle est inexistante dans le cas des employeures dites occidentales ou chinoises. Cet imaginaire migratoire autour du Moyen-Orient et de « sa culture » renvoie dans le même temps au registre des violences envers les femmes.

Contrairement aux autres régions de destination à propos desquelles elle est rarement abordée, le Moyen-Orient cristallise la problématique des violences envers les femmes comme l’illustrent ces extraits d’entretien :

Filipino women are like chicken in the Middle East. (Entretien avec Jennifer, janvier 2014) ;

They treat women like an animal. (Entretien avec Marites, mars 2013).

Pour Grace, le traitement des employées est «  inhumain  » dans cette région du monde :

It’s because hearing the stories, having the inhumane salary, how they treat, how… But then many Filipinos are being abused, maltreated, not treated humanely, not having the ..., you know, the salary that’s good for them, all of those. […] The employers in the Middle East are not giving enough meals for the house helpers; they are not treating fairly, humanely.

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They are being used, abused and maltreated. […] They are treating… They are not treating their household helper fairly and humanely. […] They have a culture of slavery there ! (Entretien, janvier 2013)

On comprend dès lors les raisons pour lesquelles cette région est associée à la problématique des violences envers les femmes, et plus spécifiquement des travailleuses domestiques. L’enquête a plus largement montré comment le prisme de la culture devient prédominant pour expliquer les comportements et les attitudes des employeures, masquant dans le même temps l’architecture des rapports sociaux. La maltraitance apparaît en ce sens comme une composante culturalisée, figeant l’altérité dans « sa différence », « sa culture » et « sa religion ».

Il est intéressant de noter que si ces représentations sociales opèrent particulièrement dans le cas où ces candidates ne se sont pas rendues dans le pays en question, elles peuvent également constituer le cadre d’interprétation des expériences des femmes s’étant rendues dans le pays. Les propos catégoriques de Malou sur le Moyen- Orient révèlent en effet que la maltraitance représente un prisme d’interprétation dominant de sa propre expérience : « I’ve been treated like a slave. That’s how they treat women there » (Entretien, février 2013). Comme évoqué plus haut dans le texte, l’expérience vécue de ces femmes peut également être interprétée par ces imaginaires. Ces expériences sont donc signifiées et interprétées par les imaginaires, et dans le même temps alimentent ces derniers, jusqu’à cristalliser une image de l’Ailleurs et de l’Autre.

On comprend au final comment l’imaginaire participe à nommer, catégoriser et classer les employeures du Moyen-Orient, tout en produisant, dans une certaine mesure, des effets performatifs sur les carrières migratoires des travailleuses domestiques philippines.

L’« Occident » comme symbole de toutes les réussites

I don’t want to go to the Middle East for sure. I want to go to Western countries, to Canada or Europe, because I want to work for a white employer. I heard they are really nice and they are very considerate. I really want to work for them. (Entretien, janvier 2014)

Voilà ce qu’explique Analyn (41 ans, en partance pour Hong Kong) lorsqu’elle évoque la construction de son projet migratoire. Quel est donc cet Occident opposé à l’Orient ? Ses frontières géographiques sont floues et ne recoupent pas toujours les frontières politiques. Il se déploie, en général aux yeux des migrantes, entre le Canada, les USA et l’Europe, mais s’étend souvent jusqu’à Israël. Cet Occident a la particularité d’être fortement valorisé par les migrantes « non musulmanes » au regard des conditions de travail (hauts salaires, horaires de travail, etc.), notamment le Canada, qui est systématiquement cité comme « la » destination de rêve à laquelle ces dernières associent la possibilité de s’établir avec leur famille ou de faire carrière.

Le Canada, et plus largement « l’Occident », deviennent les symboles d’une réussite sociale et professionnelle pour l’ensemble de ces migrantes non musulmanes.

Cette valorisation des conditions matérielles de travail n’est toutefois pas étrangère à la figure de l’employeure associée à cette région, et plus spécifiquement à la représentation de la blanchité (whiteness). En effet, afin d’expliquer la qualité des

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conditions de travail dans cette région, ces candidates à l’émigration mobilisent la figure fortement valorisée de «  l’employeure occidentale  /blanche  ». Derrière la racialisation des corps de l’Autre, c’est « la culture » supposée des employeures, leurs comportements et leurs attitudes, qui sont cristallisés dans cet imaginaire migratoire.

Plus concrètement, la figure de l’employeure occidentale  /blanche est souvent appréhendée au regard de sa bienveillance supposée, de sa gentillesse, son indulgence et son respect des droits humains, comme le souligne par exemple Grace :

So I’m quite prepared and know something about them. So with the concern, not so much because somehow I know already about them and I prepared somehow myself when I got there, the climate is so cold, the tradition is there, the Canadians are so lenient, they’re so considerate. Thanks to them that they are considerate. (Entretien, janvier 2014)

On saisit ici comment ces qualités et ces attitudes représentent pour les migrantes des indicateurs des conditions de travail dans le pays. La personnalité supposée de l’employeure reflète pour ces dernières les conditions de travail et de traitement des travailleuses domestiques. Derrière la figure de l’Occidentale, c’est bien un mode de gouvernance et une conception particulière du travail qui sont décryptés et attendus par les migrantes. Les propos de Malou rendent plus précisément compte de ce lien entre une attitude compréhensive des employeures et un traitement respectueux de leurs employées :

The white people consider you. They are more proficient; they are understanding your situation. The white people, they are more… What do you call this one?

They are more professional if you treat them. They treat you nicely. They are friendlier, like the white people, they are friendlier, they don’t treat you really like a slave compared to the Muslims. And then if you complain about your food, the whites they will tell you, “Okay, what food do you want? Maybe I can give you your food allowance or you can buy for your own food, you can cook for your own.” But Muslims whatever they will give you, whatever the leftovers, they just give it to you. Because we cannot be choosy so that we can survive. Whatever they will give you, as long as you can eat, you have to take it. (Entretien, février 2013)

Cette valorisation de l’Occident s’accompagne cependant d’une dévalorisation d’une autre figure d’employeure, en l’occurrence celle de l’employeur «  arabo- musulman » associée au Moyen-Orient. On retrouve cette dynamique comparative chez Cherry en partance pour le Canada :

So Western employers, they are more understanding. Yeah, they are more understanding and they don’t shout. That’s the good thing I really like. I really like from them, they do not really shout and they’re very understanding. And, yeah, very considerate, you know. And they do really make you feel like as a family, yeah. So that’s why I wa… that’s why I said I prefer Western employers than Chinese. (Entretien, janvier 2014)

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Outre le fait d’être plus compréhensives, les employeures «  blanches  » sont également perçues comme moins dépendantes de leurs employées. En effet, pour Marites (37 ans), en partance pour Hong Kong :

White employers are more open, I think. Friendlier and more independent also. They are not dependent on the housemaid for everything. Not like Arabic and Chinese employers, they will depend on you for everything. You also have to wait for them. In Hong Kong, even when you are cooking, whatever they say or ask, you have to stop. (Entretien, mars 2013)

On comprend au final comment l’imaginaire de l’Ailleurs s’ancre pour ces migrantes dans des personnes –  en l’occurrence les employeures  – et véhiculent des attitudes, des comportements qui symbolisent des conditions de travail particulières. Il est intéressant de noter à travers le récit de Marites comment les représentations sociales de l’employeure masquent la structure des rapports sociaux et les questions de servitude. La lecture des rapports sociaux dans l’économie du travail domestique est ainsi modelée par les représentations des employeures. La figure de l’employeure est donc directement liée aux représentations des conditions de travail dans les imaginaires, ce qui n’est pas sans incidence sur les perspectives migratoires de ces candidates.

L’Asie du Sud-Est/Est et la « tai tai » : sourire, superstition et sévérité

Entre l’Occident et l’Orient se loge la Chine, et plus particulièrement Hong Kong, région dans laquelle se distingue la figure de l’employeure chinoise, plus communément appelée tai tai (« femme au foyer » en cantonais) ou « Madam ».

Une figure racisée et genrée qui fait particulièrement référence aux employeures dites «  chinoises  » à Hong Kong, et en Asie du Sud-Est (Singapour, Malaisie).

Contrairement à la figure de l’employeure occidentale, cette figure est souvent crainte et associée à une culture chinoise » caractérisée par la sévérité, la discipline, la tradition et la superstition. Parmi les superstitions régulièrement évoquées par les migrantes, on trouve l’injonction à toujours sourire. Travailler pour une famille chinoise implique pour les migrantes de revêtir un sourire du matin au soir, qu’importent les circonstances. En effet, le sourire est signifié comme symbole de chance et de réussite, et à l’inverse, l’expression de la tristesse est considérée comme un symbole de malchance pour le foyer chinois, comme le raconte Evelyn (33 ans en partance pour le Canada) :

You have to smile, even if it’s tough or you’re not in the mood, you always have to wear your smile so… it means good luck for the employer. […] On my first year, I did wear a smile every day even though I was tired. Even when she was shouting, I was still smiling… it’s just like if I were. (Entretien, janvier 2014) Cette superstition peut se transformer en véritable injonction, voire en un vecteur de contrôle social par les employeures, qui du matin au soir scrutent les émotions projetées sur le visage. On saisit dans le même temps comment à partir d’une expérience singulière se cristallise un cadrage sur «  la culture chinoise  » et une certaine appréhension des comportements de l’emloyeure interprétés au prisme de la culture.

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Ces superstitions et leurs représentations ont également des implications directes sur l’organisation du travail domestique comme dans le cas de la célébration du Nouvel An chinois. Lors des entretiens, les migrantes racontent qu’à cette période il leur avait été demandé, soit lors des formations, soit par leur employeure ou leur réseau de connaissances, de garder impérativement les fenêtres ouvertes afin de faire entrer la chance. Il leur fallait également éviter de balayer la poussière et la saleté à l’extérieur du foyer par la porte principale, car cela réduisait considérablement la chance du foyer. Pour les mêmes raisons, il leur était par ailleurs interdit de balayer le jour du Nouvel An. D’autres migrantes racontaient avoir été averties, avant de partir, de ne pas vider la poubelle les cinq jours suivant la célébration du Nouvel An pour ne pas dissoudre la famille. Toutes ces superstitions, qu’elles y aient été confrontées ou qu’elles en aient entendu parler, affectent directement les travailleuses domestiques dans leur façon de se comporter et d’interagir avec leurs employeures chinoises. Dans le même temps, ces représentations associées à l’imaginaire migratoire de l’Asie du Sud-Est renforcent un prisme d’interprétation culturaliste dans lequel l’employeure chinoise est une personne superstitieuse.

Outre les superstitions, les employeures chinoises ont la réputation de faire preuve de sévérité et d’être relativement strictes avec leurs employées. Cette rigueur, associée selon les migrantes « au tempérament chinois », a des implications directes sur la façon de concevoir l’emploi de travailleuse domestique. Cette rigueur se manifeste par exemple pour les migrantes à travers l’acte de crier. En effet, les employeures chinoises ont la réputation de crier pour exprimer leurs exigences.

Une particularité qui les distingue par exemple des employeures occidentales comme l’explique Evelyn :

The French one, she’s a bit more understanding because she’s… she sees the hard work I do every day. I do hear loads of shouts from the Chinese employer.

But then at first I don’t just answer back. So just leave whatever he says.

Because, of course, if it is too much then, I did speak out. So since then, well he is still shouting but not as much as what he does before when I am new for them. So, I do answer back that’s what I would say, yeah, but I try… But the French employer she doesn’t shout at me because she knows I do work hard.

Just the Chinese employer did shout at me. I think it’s their characteristic; they do shout. (Entretien, janvier 2014)

Au regard de ce type d’expérience, la rigueur et la sévérité ressortent comme des éléments distinctifs des employeures chinoises avec lesquels il faut s’accommoder (pour les migrantes). Une rigueur qui peut peser directement sur le processus de sélection des pays, mais également sur l’exercice du travail domestique.

Un marqueur symbolique souvent mobilisé afin de qualifier les tai tai est la jalousie. Celle-ci représente en effet un trait distinctif récurant à l’évocation de

« l’employeure chinoise ». Perçues comme séduisantes et exotiques, les Philippines deviennent ainsi une menace pour le couple chinois. Jalouse de « sa Philippine » car réputée plus belle et sexuellement attirante, les employeures chinoises demandent bien souvent à leur employée philippine de se couper les cheveux afin de paraître moins sexy et éviter que leur époux n’entretienne une liaison avec elle. Certaines travailleuses domestiques racontent, par exemple, qu’elles avaient l’interdiction d’interagir avec le mari de leur employeure.

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Certaines migrantes interviewées précisent même qu’au regard de la réputation des femmes chinoises, elles préféraient ne pas approcher les époux afin de ne pas compromettre leur situation professionnelle, bien qu’il n’y ait pas eu d’avertissement formel et explicite de la part des employeures, comme le précise Arnel (42 ans) en partance pour Hong Kong :

My Madam didn’t tell me anything, but I heard Chinese women are very jealous. My agency also told before to stay away from my male employer. I do not want my employer break my contract, so I just make sure to be fare from my male employer. I also try to avoid interacting too much with him.

(Entretien, mars 2013)

On saisit donc comment l’imaginaire structure l’interprétation des comportements des employeures et pèse concrètement sur les carrières migratoires de ces travailleuses domestiques et leur rapport au travail.

Conclusion

Cet article s’est penché sur le rôle des imaginaires migratoires dans le cadre des mobilités des travailleuses domestiques philippines vers le Moyen-Orient, l’Asie du Sud-Est/Est, l’Europe et l’Amérique du Nord afin de comprendre comment ces femmes interprètent et négocient les catégories raciales et d’altérité du pays de destination avant de quitter l’archipel philippin.

Cette recherche ethnographique au sein du dispositif migratoire philippin a pointé l’existence d’imaginaires migratoires distincts associés à trois différentes régions de destination, à savoir le Moyen-Orient, l’Asie et l’Occident. Ces régions font en effet l’objet d’un travail de catégorisation, de classement et de hiérarchisation au regard de leur culture supposée. Ces imaginaires véhiculent dans le même temps une certaine conception de «  la culture  » de ces régions à partir de laquelle se forge un script interprétatif afin de penser les conditions de réalisation d’un projet migratoire et professionnel.

Cet article a, d’une part, éclairé les rouages de la fabrication de ces imaginaires migratoires. Dans le cas des Philippines, ces imaginaires sont co-construits et alimentés par trois sources majeures : les médias (TV, radio, réseaux sociaux), les réseaux interpersonnels et le dispositif migratoire (principalement les formations prémigratoires). D’autre part, il a pointé – à partir d’entretiens semi-directifs avec ces candidates à l’émigration – certains effets performatifs de ces imaginaires sur les projets migratoires et l’exercice du travail domestique. En effet, ces imaginaires pèsent dans le processus migratoire et le «  choix du pays de destination  » de ces femmes, comme par exemple dans le cas du Moyen-Orient où la figure de l’employeur est fortement associée à l’idée de maltraitance en raison de «  sa culture  ». Par ailleurs, ces imaginaires migratoires structurent la façon dont ces femmes exercent au quotidien leur métier d’employée domestique en ajustant leurs comportements aux représentations sociales associées à «  la culture du pays  » à l’instar de Hong Kong où les employeures sont perçues comme superstitieuses, strictes et jalouses. On comprend dès lors comment la culture supposée de l’Autre, véhiculée par ces imaginaires migratoires, devient un prisme d’interprétation afin de construire un projet migratoire et d’exercer la profession de travailleuse domestique.

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On comprend ainsi comment les représentations de la culture s’inscrivent dans un rapport dichotomique entre soi et les Autres, tout en se nourrissant d’imaginaires sociaux. Cette lecture culturaliste dominante structure l’interprétation des rapports entre employée et employeure et participe dans le même temps à invisibiliser les rapports sociaux de classe, de race et de genre dans lesquels les travailleuses domestiques se retrouvent insérées dans les pays de destination.

Finalement, cette étude des migrations rappelle que « l’imaginaire social […] est plus réel que le “réel” » (Castoriadis 1975 : 177). La mobilité met en exergue le travail de l’imaginaire déployé au quotidien par les individus afin de se situer en continu dans des espaces transnationaux bien souvent hybrides.

Ce travail de l’imagination représente en ce sens « une caractéristique constitutive de la subjectivité moderne  » (Appadurai 2001 : 27). Il ne s’agit dès lors plus d’interroger le balancement entre «  le tout réel  » et le «  tout imaginaire  », mais plutôt de tendre vers «  une conception “radicale” de l’imaginaire pour le voir à l’œuvre dans toute élaboration des formes sociales » (Chivallon 2007 : 155).

Références citées

Appadurai, Arjun, 1990. « Disjuncture and diff erence in the global cultural economy », Public culture 2 (2), pp. 1-24.

Appadurai, Arjun, 2001. Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation.

Paris : Payot.

Castoriadis, Cornelius, 1975. L’institution imaginaire de la société. Paris : Le Seuil.

Choy, C. Ceniza, 2003. Empire of care : Nursing and migration in Filipino American history. Durham, NC : Duke University Press.

Debonneville, Julien, 2014. « Les écoles du care aux Philippines », Revue Tiers-Monde 217 (1), pp. 61- 78.

Debonneville, Julien, 2016. « Les écoles de la servitude aux Philippines : des carrières migratoires de travailleuses domestiques aux processus d’altérisation. Pour une approche socio- anthropologique des études postcoloniales », Thèse de doctorat n°29, Université de Genève.

Debonneville, Julien, 2017. « La “sortie de terrain“ à l’épreuve de l’ethnographie multisite. Repenser la territorialité et la temporalité de l’enquête au regard du désengagement ethnographique », SociologieS, [En ligne], <http://journals.openedition.org/sociologies/6432>

Debonneville, Julien, 2019. «  A “Minority” on the move. Boundary work among Filipina Muslim migrant domestic workers in the Middle-East  », The Asia Pacifi c journal of anthropology 20 (4), pp. 344-361.

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