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On peut ne pas être d accord avec tous les développements qu offre ce livre. Il apporte cependant une contribution majeure à un nécessaire débat.

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Academic year: 2022

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On peut ne pas être d’accord avec tous les développe- ments qu’offre ce livre. Il apporte cependant une contribu- tion majeure à un nécessaire débat. Il incite notamment à prolonger la réflexion sur trois points. D’abord, quel dialogue possible entre gouvernements libres et acteurs engagés de la société civile, dans ce domaine devenu si crucial de l’infor- mation, à l’âge numérique ? La réponse n’est pas si évidente car une capacité autonome d’initiative doit être conservée de part et d’autre. Ensuite, comment inciter les citoyens à s’emparer des instruments qui leur permettent de résister aux

« opérations sémantiques » néfastes, dont le nombre va proba- blement augmenter sans cesse dans les prochaines années ? N’y a-t-il pas lieu de concevoir un « manuel » d’éducation des citoyens modernes en ce domaine ? Enfin, et dans la lignée des remarques précédentes, ne nous trouvons-nous pas à un point d’inflexion où il est devenu nécessaire de repenser la notion de liberté à l’aune de la révolution informationnelle ?

Benjamin Constant parlait de liberté des Anciens et de liberté des Modernes. Il nous appartient peut-être de réfléchir à ce que doit être la liberté à l’âge du numérique et de la désoc- cidentalisation du monde. C’est, nous semble-t-il, le chemin que trace Agora Toxica : La société incivile à l’ère d’Internet.

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La flamme de la démocratie

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ousétioNsLe 18 février 2011 et il s’appelait Mohammed Nabbous. En un mois, il était devenu mon ami. Il me confiait ses espoirs : une Libye juste, prospère et pai- sible pour sa petite famille et son enfant à naître. C’est ce qu’il voulait de toute son âme, très simplement.

Pendant des semaines, nous nous parlions plusieurs fois par jour. Parfois nous restions connectés dans un silence ras- surant. Il disait souvent que la lumière d’une bougie n’est en rien diminuée si elle en allume une autre. Cette flamme qu’il a su allumer, brille encore en moi, et en tous celles et ceux qui ont eu la chance de croiser son chemin. Cette flamme, franche, est celle d’une certitude : si « la démocratie meurt dans l’obscurité », elle est également ravivée des mille feux de la vérité. En l’espace de quelques semaines aussi, « Mo » était devenu journaliste. Depuis son quartier général, à Benghazi, il s’était imposé comme la source incontournable pour suivre la révolution du 17 février, grâce à sa chaîne sur la plateforme Livestream. Mo est mort comme il a vécu ses derniers jours : en éclairant de sa réalité les ténèbres de la tyrannie.

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La nuit précédant son assassinat, nous étions des dizaines d’internautes connectés à sa chaîne Livestream, Libya Al Hurra — « Libye libre ». Nous entendions des obus tomber non loin de là où il diffusait. Dans l’après-midi, nous avions été informés par d’autres contacts libyens que les troupes de Kadhafi avançaient rapidement sur Benghazi depuis le sud et l’ouest. « Nous », c’était le petit noyau de personnes

— membres de la diaspora, citoyennes et citoyens de pays tiers — qui coordonnait les activités créées via Libya Al Hurra : aide humanitaire là où les organisations internationales ne pouvaient accéder, mise en relation avec des correspondants étrangers, vérification et aiguillage d’informations diverses…

Ce petit matin-là, Mo est sorti pour examiner les dégâts causés. Peu avant, j’avais envoyé une énième bouteille à la mer sous la forme d’un e-mail à Jean-David Levitte, alors conseiller politique du président de la République. Celui-ci accusa réception du message un jour plus tard, précisant qu’il lui « était utile ». Malheureusement, il était trop tard pour Mo.

Je m’étais endormie certaine que les avions français n’al- laient pas tarder à intervenir pour protéger les habitants de Benghazi du massacre annoncé. Depuis février, nous avions tout mis en œuvre pour faire connaître le grave danger qu’en- courraient les civils en Libye. À mon réveil, mon téléphone s’est embrasé d’appels en absence et de messages en sanglots.

Mo a été abattu par un sniper pendant qu’il diffusait en direct.

Il ne partagera jamais la joie de ses compatriotes de voir les premiers avions d’une coalition internationale survoler sa ville, puis renverser celui qui les a maintenus dans la ter- reur pendant quarante ans. Un petit groupe d’entre nous a consolé sa veuve, Perditta, alors enceinte de six mois. Puis, grave et digne, elle a diffusé un message à sa communauté disant qu’elle reprenait le rôle de Mo. Sa mort ne devait pas être vaine. Nous avions une guerre de l’information à gagner.

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L’action collective transnationale qui s’est créée spontané- ment autour de la chaîne Libya Al Hurra, en 2011, au début de la révolution libyenne, avait pour objectif d’assurer que le récit des femmes et des hommes concernés en Libye ne soit ni déformé ni instrumentalisé. Il s’agissait d’une véri- table chaîne de transmission, avec des sondes sur le terrain qui fournissaient des informations sur l’état du conflit et les besoins des populations. Ma tâche consistait essentiellement à recouper des informations et à faciliter leur flux entre les dif- férents acteurs, en mettant en relation divers acteurs. J’étais en quelque sorte un, parmi plusieurs, superconnecteur dans un réseau, qui, par le fait de créer des ponts entre contacts, ressources et informations, venait l’enrichir et l’élargir. Cette analyse, je la fais avec le recul d’une décennie à décortiquer les mobilisations dans l’espace informationnel. Sur le moment, j’agissais instinctivement, portée par l’urgence.

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* *

Depuis mes dix-huit ans, j’ai essentiellement travaillé dans la vente de prêt-à-porter de luxe. Sans formation, débarquée d’Australie avec un sac à dos, en pleine guerre du Golfe

— avec son taux de chômage record pour les jeunes, j’avais profité d’une année de césure pour voyager en Europe. Avec 300 francs en poche, je ne risquais pas d’aller loin, donc je me suis efforcée de trouver rapidement un travail. J’ai décroché un poste de vendeuse chez Yves Saint Laurent Rive Gauche, puis enchaîné dans d’autres maisons prestigieuses. Bosseuse, j’ai grimpé les échelons, jusqu’à diriger des points de vente sur les plus belles avenues du monde. J’y ai acquis des compé- tences transversales, telles que le management d’équipes et la gestion des flux de biens et d’informations, dont on peut dire

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qu’elles me sont bien utiles aujourd’hui. « Comment puis-je vous aider ? » était la première phrase que je prononçais à chaque nouveau contact, afin d’établir la confiance et de gérer les attentes. Mais rien ne pouvait me préparer à me retrouver propulsée sur le champ de bataille d’une guerre numérique.

En 2011, je venais de survivre à des violences conjugales et à un licenciement un peu trop rude. J’étais prête à m’investir dans une cause qui dépasserait mes préoccupations person- nelles. C’est ainsi que j’ai été happée, un jour de février, par un conflit dans un pays dont j’ignorais tout. En moins de deux mois, notre collectif avait permis — entre autres — que le gouvernement de transition libyen nouvellement formé soit invité par le Parlement européen et nous avions initié une fédération de médecins issus de la diaspora, dotée d’un logi- ciel de gestion des besoins médicaux. Nous avions transmis à l’association Global Witness les documents nécessaires pour localiser les fonds cachés du régime de Mouammar Kadhafi à la banque HSBC, et nous avions monté le premier site Internet libyen en langue amazigh — langue jusqu’alors interdite en Libye. Quand les forces de la coalition ont voulu évaluer les ciblages afin d’identifier les victimes civiles éventuelles, nous avons assuré une partie des opérations.

Dans les conflits d’aujourd’hui, le point de connectivité Internet — emplacement physique où se font les connexions des différents réseaux — est le point de ralliement de toutes les activités liées à la sécurité humaine, qu’elles soient effec- tuées par des civils ou des combattants. Chaque localité en Libye disposait d’un point de connectivité collectif. C’est à partir de là qu’étaient passées les commandes de médica- ments, d’aliments et de soins pour enfants, les demandes de couverture médiatique et les renseignements militaires. Cette dualité d’usage d’Internet posait un risque majeur, celui de confondre les activités des combattants avec celle des acteurs

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de la société civile et nous veillions toujours à bien faire la distinction entre les circuits d’informations des deux. Nous mettions en place des cloisonnements — des « murailles de Chine » — et des cheminements pour éviter les boucles d’in- formations circulaires, ou infoloops.

La Libye était assez unique parmi les pays participants aux

« Printemps arabes » puisqu’elle était quasiment dépourvue d’une société civile. Kadhafi était un autocrate totalitaire ; le contrôle et la coercition des espaces de mobilisations collec- tives en était le marqueur. Contrairement à la Tunisie qui a mobilisé des syndicats existants, en Libye, le Printemps s’est exprimé par la création d’initiatives citoyennes, locales et nationales. Pourtant, cette société civile nouvellement créée pour répondre aux besoins de ses communautés a été majo- ritairement oubliée à la fin de l’intervention militaire inter- nationale. Elle aurait été cruciale pour bâtir de la résilience à de nouvelles crises et pour reconstruire un État — surtout lorsque celui-ci est vidé de ses institutions avant même un changement de régime.

Dix ans après les faits, il me semble toujours aussi pertinent de rappeler l’histoire de Mo Nabbous, car celle-ci résume parfaitement les enjeux des opérations dont je vais parler ici.

Il s’agit d’« opérations sémantiques » : des textes, des vidéos ou des sons qui sont produits par des acteurs antidémocra- tiques, une société « incivile », pour contrer des mobilisations collectives à partir des informations de terrain dans un but de communication précis. Elles s’inscrivent dans le contexte de l’essor des réseaux dits sociaux, permettant un élargissement des moyens de production et des champs d’action des sociétés civiles, et, par opposition, leur déstabilisation par des acteurs aux velléités virilistes, antidémocratiques et souverainistes

— car quoi de mieux pour renverser nos démocraties que de pourrir leurs fondements libéraux ?

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Je ne prétends pas connaître les facteurs qui façonnent la prise de décision par un gouvernement de soutenir une réso- lution onusienne d’intervention militaire dans le cadre de la responsabilité de protéger. Mon regard ici se porte non pas vers le haut, sur l’action des puissants, mais droit devant, vers celle de gens ordinaires, tels que Mo, qui, dans une dyna- mique d’autodétermination, ont su mobiliser l’intérêt de la communauté internationale en relayant des faits réels. En dix ans, les récits sur l’intervention de l’Otan en Libye ont évolué

— chose bien normale. Un récit n’est jamais statique surtout lorsqu’il vient, comme ici, combler le vide laissé par l’oubli de la parole du peuple concerné, ses demandes de protection, son désir démocratique.

Or, les récits évoluent sous la pression d’acteurs qui pro- posent et promeuvent des narrations conçues pour susciter l’adhésion à leurs propres vues et ainsi dominer un terrain.

En 2012, les chercheurs Chloe Diggins et Clint Arizmendi s’interrogeaient : « La guerre dans le sixième domaine est-elle la fin de Clausewitz ? » L’idée serait qu’une persuasion coer- citive, par la programmation de nos réactions, éliminerait le besoin de mener une guerre cinétique dans les cinq autres domaines — terre, air, mer, espace, cyber. Il faudrait investir le domaine de la cognition. Ce concept dépasse celui théorisé par Joseph Nye, le « soft power », qui suppose une adhésion consciente aux idéologies proposées. Ici, il s’agit d’imposer, par des moyens dissimulés, des certitudes ; une coercition dont on ne peut que difficilement s’affranchir. Le concept du sixième domaine crée ainsi un nouveau champ de bataille : celui qui se trouve à l’interstice entre une technologie de l’information et nos cerveaux. Il contourne le besoin de mobi- liser le militaire, gomme la frontière entre civils et armées, puissances militarisées et non-combattants, entre paix et guerre. Il se déroule sur le terrain dit « informationnel » ;

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ou « infosphère », qui ne supporte ni les incertitudes, ni les contradictions, ni les vides ; lesquels peuvent être exploités rapidement pour aggraver des insécurités perçues ou réelles, ou des lignes de faille sociétales. L’objectif de ces opérations sémantiques est de façonner les réponses émotionnelles et cognitives des individus à l’échelle d’une société, afin d’as- seoir sa domination sur un autre groupe aussi bien dans la sphère informationnelle que sur le terrain physique. Et cela vaut pour les démocrates, mais aussi leurs ennemis.

Informer et façonner les perceptions, les attitudes, les com- portements et la compréhension par la circulation de l’infor- mation a toujours été un objectif central du pouvoir. Avant la démocratisation des moyens de communication et de mobili- sation, le coût de cet effort était exclusivement « assumable » par des acteurs dotés de ressources considérables, souvent étatiques, et ce uniquement sur un territoire restreint. Depuis l’arrivée des médias sociaux, le coût des opérations de propa- gande est dérisoire, certains acteurs tirant même profit d’une économie de la désinformation à l’échelle mondiale.

Sur ce champ de bataille viennent ainsi se greffer depuis plus de quinze ans de nouveaux médias, véritables merce- naires de notre attention. Leur modèle économique est d’of- frir un service « gratuit », alors qu’ils capitalisent sur notre travail fourni, lui, à titre gracieux. Ce faisant, ces sociétés privées optimisent leur capacité à anticiper et à susciter le changement de nos comportements. Pour peaufiner leurs algorithmes, ils ont besoin de « miner » nos données, de les analyser — données que nous leur fournissons avec notre temps et nos clics. Nous acceptons de le faire car les plate- formes rendent leurs services aussi addictifs que possible.

Ils exploitent une vulnérabilité humaine : notre besoin pri- mitif d’appartenance et de validation sociale. De ce fait, aujourd’hui, chacune et chacun d’entre nous évoluons dans

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