• Aucun résultat trouvé

Florence DOUGUET, Maître de conférences de sociologie, Laboratoire d études et de

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Florence DOUGUET, Maître de conférences de sociologie, Laboratoire d études et de"

Copied!
19
0
0

Texte intégral

(1)

Titre en français :

L’exercice du métier de sage-femme libérale dans une organisation pluridisciplinaire : quels effets sur les coopérations interprofessionnelles ?

Titre en anglais :

The exercise of the profession of independent midwife in a multidisciplinary organization: what effects on interprofessional cooperation?

Auteurs :

Florence DOUGUET, Maître de conférences de sociologie, Laboratoire d’études et de recherche en sociologie (LABERS - EA 3149), Université Bretagne Sud, Lorient (France).

Florence.douguet@univ-ubs.fr

Alain VILBROD, Professeur émérite de sociologie, Laboratoire d’études et de recherche en sociologie (LABERS - EA 3149), Université de Bretagne Occidentale, Brest (France).

Alain.vilbrod@univ-brest.fr

Correspondance :

Florence DOUGUET, Université Bretagne Sud, Faculté Lettres, Langues, Sciences Humaines et Sociales, Département Politiques Sociales et de Santé Publique, 4 rue Jean Zay - BP 92116, 56321 Lorient Cedex.

Tél : 06 68 98 12 72 Fax : 02 97 87 65 38

Mel : florence.douguet@univ-ubs.fr

© 2019 published by Elsevier. This manuscript is made available under the CC BY NC user license https://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/

Version of Record: https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1637408819300070 Manuscript_74c3acde077a95260f3cbbe5ef04a57a

(2)

1 Résumé en français :

Les professionnels de santé indépendants sont incités à se regrouper et à coopérer au sein d’organisations pluridisciplinaires pour faciliter l’accès aux soins et améliorer leur qualité. Cet article étudie les pratiques de collaboration des sages-femmes avec les autres professionnels rassemblés dans ces structures. La méthodologie employée repose sur l’analyse de contenu d’un corpus de 21 entretiens semi-directifs réalisés avec des sages-femmes libérales exerçant dans des maisons de santé ou pôles de santé pluridisciplinaires à l’échelle d’une région française (la Bretagne). Les résultats rendent compte de l’existence de 4 configurations de relations interprofessionnelles et soulignent la relative faiblesse des pratiques de coopération des sages- femmes avec les autres acteurs de santé dans ces contextes. Les sages-femmes libérales tendent à conserver un mode d’exercice monoprofessionnel et éprouvent des difficultés à trouver leur place dans ces structures.

Mots-clefs en français :

Professions médicales et paramédicales, politiques de santé, sages-femmes libérale, organisations pluridisciplinaires, coopération.

Résumé en anglais :

The independent healthcare professionals are incited to group together and to cooperate within multidisciplinary organizations to facilitate the access to healthcare and improve their quality.

This article studies the practices of collaboration of the midwives with the other professionals in these structures. The used methodology bases on the analysis of contents of a corpus of 21 semi-structured interviewes realized with independant midwives in multidisciplinary homes or poles of health on the scale of a French region (Brittany). The results report the existence of 4 configurations of interprofessional relations and underline the relative weakness of the practices

(3)

2

of cooperation of the midwives with the other actors of health in these organizations. The liberal midwives tend to keep a mode of monoprofessional exercise and feel difficulties finding their place in these structures.

Mots-clefs en anglais :

Medical and paramedical professions, health policies, independent midwives, multidisciplinary organizations, coopération.

(4)

3

L’exercice du métier de sage-femme libérale dans une organisation pluridisciplinaire : quels effets sur les coopérations interprofessionnelles ?

Introduction

L’organisation des soins de premier recours se transforme sous l’effet de la progression des maladies chroniques et des pathologies liées au grand âge, de la crise de la démographie médicale et de l’inégale répartition de l’offre de soins sur le territoire. Les enjeux économiques liés à la maîtrise des dépenses consacrées à la santé imposent également la nécessité d’adapter le système de soins de proximité. Dans ces conditions, les pouvoirs publics encouragent les acteurs de santé indépendants à développer des modes d’exercice groupés et pluridisciplinaires afin de décloisonner les prises en charge des patients et d’éviter les ruptures dans les parcours de soins des malades [1]. Cet objectif est réitéré dans la dernière stratégie nationale de santé 2018-2022 : « L’exercice isolé doit devenir l’exception d’ici à 2022 ; les soins de proximité de demain appellent un exercice coordonné de tous les professionnels de santé » [2].

Ainsi, les professions de santé libérales sont-elles de plus en plus incitées à coopérer et à coordonner leurs actions, en vue d’améliorer la qualité de la prise en charge des malades et de la rendre plus efficiente. Sont d’abord visés par ces incitations, les médecins généralistes, qui sont les premiers praticiens à être consultés et à être désignés comme médecins traitants par leurs patients. D’autres professions médicales et paramédicales sont également concernées par ces changements : les infirmiers et les kinésithérapeutes ou encore l’ensemble des médecins spécialistes auxquels les patients peuvent s’adresser directement, tels que les gynécologues ou les ophtalmologues.

Dans le domaine plus spécifique de la périnatalité, d’importants changements sont repérés pour la profession de sage-femme. Sur un plan démographique, la profession est en pleine expansion.

En l’espace de vingt ans (1995-2015), le nombre de sages-femmes en activité a plus que doublé

(5)

4

et les effectifs en libéral ont été multipliés par quatre au cours de la même période. Au 1er janvier 2017, 6285 sages-femmes sont installées à leur compte et représentent désormais 29% de l’ensemble des 22 787 professionnelles exerçant en France métropolitaine. Dans le même temps, le métier de sage-femme a vu ses compétences s’étendre année après année [3]. Depuis 2004, elles peuvent suivre en toute autonomie une patiente, de la déclaration de grossesse à l’examen postnatal (sous réserve de l’absence de pathologie). Depuis 2009, à la suite d’une formation ad hoc, elles peuvent réaliser des échographies ; depuis 2010, elles disposent d’un droit de prescription de contraceptifs et peuvent réaliser des consultations de contraception et de suivi gynécologique de prévention ; depuis 2012, elles peuvent aussi prescrire des arrêts de travail et depuis juin 2016, elles peuvent réaliser des interruptions volontaires de grossesse par voie médicamenteuse et vacciner l’entourage de la mère et du nouveau-né. À travers l’élargissement des compétences des sages-femmes, les pouvoirs publics cherchent à renforcer leur rôle dans la surveillance des grossesses à bas risque et à les positionner comme professionnelles de premier recours auprès des femmes en bonne santé, ceci dans un contexte de diminution du nombre de gynécologues-obstétriciens. La prise en charge des femmes enceintes par des sages-femmes libérales a ainsi fortement progressé ces dernières années : la part de femmes enceintes ayant consulté une sage-femme libérale est passée de 3,4% en 2003 à 25,2% en 2016 [4].

En lien avec ces évolutions, nous nous pencherons sur la situation des sages-femmes libérales qui exercent au sein de maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) ou de pôles de santé pluriprofessionnels (PSP).

(6)

5 Contexte

Les MSP ont été mises en place par la loi dite « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST) du 21 juillet 2009 afin d’ouvrir aux professionnels libéraux un mode d’exercice collectif et coordonné. Ces structures – qui se composent nécessairement d’au moins deux médecins généralistes et d’un professionnel paramédical – proposent à la population, sur un même territoire, un ensemble de services de santé de proximité en matière de soins et de prévention.

Ces structures sont envisagées comme un moyen de maintenir, voire de développer, l’offre de soins de proximité dans certaines zones sous-dotées, de faire progresser la qualité de ces soins ambulatoires tout en améliorant les conditions d’exercice et de travail des professionnels concernés [5]. Ces MSP sont à distinguer des PSP, lesquels constituent un autre mode d’exercice pluriprofessionnel. Ces pôles rassemblent différents professionnels mais aussi des établissements et services médicaux et médico-sociaux, des réseaux de santé et groupements de coopération sanitaire, sociale et médico-sociale, et le cas échéant des centres de santé et des maisons de santé.

Ces structures pluriprofessionnelles connaissent une expansion rapide ; le Ministère en charge de la santé estimait le nombre de MSP et PSP en activité à un millier à la fin de l’année 2016 [6]. Ces maisons de santé sont installées de façon relativement homogène sur l’ensemble des régions françaises et sont plus souvent implantées en zone rurale (55%). En moyenne, elles comprennent 5 médecins, 9,1 paramédicaux, 1,6 chirurgien-dentiste et 2,4 pharmaciens [7].

Dans la suite de notre propos, nous n’opérerons pas de distinction entre les sages-femmes exerçant en MSP et celles travaillant en PSP. En effet, on observe que les pratiques des professionnels regroupés en PSP ou en MSP sont relativement proches, que ceux-ci soient réunis ou pas sur un même site1.

1 Précisons que depuis la réalisation de l’enquête en 2015, la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 a mis fin à l’appellation « pôles de santé » ; il est désormais question de maisons de santé « uni-sites » ou « pluri-sites ». Dans la suite du texte, nous emploierons néanmoins l’appellation « pôles de santé » qui était celle en vigueur au moment du recueil des données.

(7)

6

Dans cette présentation, nous proposons d’explorer les pratiques de collaboration des sages- femmes avec les autres professionnels regroupés au sein de MSP ou PSP pour tenter de répondre à la question suivante : la coopération interprofessionnelle escomptée par les pouvoirs publics est-elle de mise dans ces nouveaux modèles d’organisation ? La notion de coopération est ici définie en référence aux travaux de Frederik Mispelblom-Beyer menés dans le champ de la santé et des soins. Pour ce sociologue, « coopérer, c’est faire œuvre commune, s’engager dans une même cause et aventure, en s’entraidant et en échangeant ses astuces et ficelles du métier. C’est travailler ensemble en y mettant du sien, en mobilisant sa créativité et son inventivité au service d’un collectif » [8].

Méthode

Les éléments exposés à la suite sont extraits d’une étude réalisée à la demande de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé dans l’objectif de rendre compte du rôle et des activités des sages-femmes en maisons et pôles de santé pluriprofessionnels [9].

L’enquête a été conduite à l’échelle de la Bretagne en 2015. Au cours de cette période, près d’un quart des sages-femmes de la région exerçaient en libéral – exclusives ou mixtes – soit une proportion très proche de celle relevée au niveau national la même année (cf. tableau 1).

La Bretagne comptait 57 MSP et PSP en 2015 dont 22 intégraient au moins une sage-femme.

Le plus souvent, ces structures ne comptaient qu’une seule sage-femme : 16 d’entre elles ne fonctionnaient qu’avec une seule sage-femme ; 5 avec 2 et 1 avec 3. Au total, ce sont donc 29 des 263 sages-femmes libérales bretonnes qui exerçaient en MSP ou PSP en 2015, soit 11% de la profession.

Le matériau exploité se compose de 10 questionnaires et de 21 entretiens semi-directifs recueillis auprès de professionnelles impliquées dans 18 des 22 MSP et PSP intégrant des sages- femmes libérales à l’échelle de la région. Les principaux thèmes abordés concernaient le

(8)

7

parcours professionnel de la sage-femme avant son entrée dans la structure pluriprofessionnelle, l’origine du projet de MSP ou de PSP, les caractéristiques et le fonctionnement de l’organisation, les activités de la sage-femme, les relations qu’elle entretient avec les autres professionnels ainsi que sa vision de l’avenir.

Résultats : des modes de coopérations interprofessionnelles diversifiés

Les profils des professionnelles enquêtées sont relativement homogènes puisqu’à deux exceptions près – une installation directement en libéral, pour l’une et pour l’autre, au sortir de la formation – toutes les sages-femmes intégrées dans une MSP ou un PSP ont auparavant travaillé en clinique ou en maternité hospitalière. En moyenne, elles ont travaillé dix ans en tant que salariées avant leur passage en libéral. Leur installation à leur compte est récente puisque, toujours en moyenne, elles n’ont pas plus de cinq années et demie d’expérience professionnelle en libéral. Or, cette pratique libérale tend à isoler les sages-femmes qui font ce choix de carrière.

C’est du moins ce qu’il ressort des propos des unes et des autres. Choix assumé et délibéré souvent, choix contraint parfois, faute d’un emploi possible autre qu’une suite de contrats à durée déterminée, demeure toujours le regret du travail en équipe qu’elles ont toutes connu au début de leur carrière. La perspective de retrouver un collectif de travail, comme à l’hôpital, constitue la principale raison mise en avant par ces professionnelles concernant leur choix d’intégrer une MSP ou un PSP. Pour autant, le travail en équipe et les pratiques de coopération interprofessionnelles se concrétisent encore assez peu dans ces nouveaux modes d’organisation.

Parmi les 10 sages-femmes ayant répondu au questionnaire, 9 ont indiqué entretenir de

« bonnes » et « très bonnes » relations avec leurs collègues de la même structure et une les a qualifiées conjointement de « bonnes » et de « moyennes ». Au-delà de ces premiers résultats, l’analyse de contenu des entretiens conduit à distinguer quatre configurations de relations interprofessionnelles, lesquelles se construisent essentiellement autour des modalités de

(9)

8

coopération et de partage de la patientèle. Ces configurations varient d’une MSP ou d’un PSP à l’autre, et à l’intérieur d’une même structure, elles peuvent aussi varier en fonction des différents professionnels côtoyés (des liens peuvent, par exemple, se nouer avec certains mais pas avec d’autres).

Des coopérations effectives et efficientes

Dans la première configuration repérée, les sages-femmes travaillent de concert avec d’autres professionnels de la structure et font état de relations de « confiance » tout en soulignant que ces coopérations se réalisent au bénéfice des patientes. Le fait de se côtoyer, de se rencontrer, de mieux se connaître, etc. favoriserait l’émergence de nouvelles collaborations et d’une pratique collective. Une sage-femme signale ainsi qu’un médecin généraliste – désormais mieux informé de ses nouvelles compétences – lui adresse des patientes pour des suivis gynécologiques, alors qu’il ne le faisait jamais avant le regroupement pluriprofessionnel. Dans une autre MSP, deux médecins ont d’emblée proposé à une sage-femme de se joindre à eux pour développer ses nouvelles compétences en matière de gynécologie et de suivi de grossesse.

« Pour l’instant, moi, personnellement, je me sens plutôt en affinité. Sans avoir travaillé avec eux, j’ai l’impression qu’on est un peu sur la même longueur d’onde que les médecins, que ce soit au niveau allaitement, au niveau gynécologique. Eux, ce qu’ils m’ont demandé, c’est de pouvoir proposer une offre gynécologique par une femme, parce que c’est deux hommes. En gros, ils voulaient qu’il puisse y avoir un suivi pour les femmes. Ils font déjà des suivis de grossesse et ils font de la gynécologie. Mais quand je les ai rencontrés les premières fois, ils nous avaient un peu demandé : « est-ce que vous êtes prête à suivre des grossesses ? Est-ce que vous êtes prête à faire de la gynéco ? ». Je leur ai dit que j’avais pas beaucoup de connaissances, mais ils m’ont dit : « on est prêt à t’apprendre » (Sage-femme, Côtes-d’Armor).

(10)

9

Cette première forme de coopération est basée « sur un partage d’orientations, de manières de

"voir les choses" et surtout de les faire (…), il s’agit d’un accord sur les façons de faire qui s’élabore dans le faire lui-même, quand on découvre petit à petit qu’on "se comprend", qu’on est sur la même longueur d’onde, qu’on a quelques atomes crochus et cela au-delà des spécialités » [10]. Cette coopération suppose alors pour les unes et les autres d’abandonner la logique de métier au profit d’une logique de projet et d’adopter un éthos professionnel spécifique aux MSP et PSP [11]. Cet éthos ouvre la voie à une relation interprofessionnelle

« basée sur une disposition à accepter de réexaminer les frontières habituelles en termes de métiers, de compétences, de responsabilités » [12].

Des coopérations rares et tournées vers l’extérieur

Dans la seconde configuration, les sages-femmes collaborent peu, à l’interne, avec les autres professionnels de la MSP ou du PSP et n’entretiennent, en dehors des temps de rencontres formalisés (réunions pluriprofessionnelles), que très peu de relations avec eux. De fait, ces sages-femmes ne travaillent pas avec les médecins généralistes de la structure. Celles-ci estiment en effet que les compétences des médecins généralistes sont insuffisantes dans les domaines de la gynécologie et de l’obstétrique et préfèrent donc adresser leurs patientes – quand cela est nécessaire – à des médecins spécialistes externes à la MSP ou au PSP (avec lesquels, elles avaient déjà l’habitude de collaborer) ou à des services de maternité, qui leur paraissent plus adaptés et mieux équipés pour ces prises en charge (possibilité de faire réaliser des échographies sur place par exemple).

« C’est vrai que je travaille très peu avec eux, je travaille essentiellement avec l’hôpital, donc quand j’ai … j’ai l’hôpital de L., le pôle de L. ou de .P. Quand j’ai des soucis, donc des pathologies pour les patientes, c’est vrai que je les dirige directement à l’hôpital parce que, dans le cadre de la grossesse, il faut une prise en charge globale

(11)

10

avec… avec échographie. Moi en tous les cas, je les adresse directement aux hôpitaux.

Après je peux, c’est arrivé pour une patiente, une patiente en gynécologie parce que j’ai un diplôme en gynéco, et du coup, voilà on a échangé justement hier sur le cas d’une patiente (…) mais autrement, non, parce que je ne vois même pas trop comment on peut finalement travailler ensemble » (Sage-femme, Morbihan).

Comparées aux premières, ces formes de coopérations externes reposent davantage sur la complémentarité entre spécialités médicales et sur le pluralisme professionnel [10].

Des coopérations attendues mais freinées par les logiques professionnelles

Dans la troisième configuration, les sages-femmes sont dans l’attente très forte de coopérations avec les autres professionnels de la MSP ou du PSP. Plusieurs d’entre elles ont d’ailleurs intégré ces structures dans l’espoir de collaborer activement avec leurs futurs collègues.

« Vraiment la base du projet, c’est de travailler ensemble » (Sage-femme, Morbihan).

« Travailler en équipe avec les professionnels de santé qui m’entourent » (Sage- femme, Morbihan).

« Le fait que ce soit dans un pôle de santé, avec d’autres professionnels, sachant qu’à B., je suis toute seule, c’était la possibilité de pouvoir rencontrer d’autres professionnels de santé, de pouvoir échanger, et pouvoir orienter des patientes, vers le psychologue, vers les infirmiers du secteur… » (Sage-femme, Côtes-d’Armor).

« J’ai envie de m’y mettre parce que je trouve plus sympa d’être en équipe, dans la maison de santé, ça dynamise d’être en groupe, c’est le plaisir d’être en groupe, les relations…, l’équipe me manque c’est sûr, on ne peut pas tout avoir » (Sage-femme, Côtes-d’Armor).

Pour autant les coopérations espérées peinent à se mettre en place, même après une ou deux années de regroupement. Ces sages-femmes déplorent ainsi que les médecins ne leur adressent

(12)

11

aucune patiente pour des suivis gynécologiques ou de grossesses et qu’ils les orientent systématiquement vers des gynécologues débordés.

« Pour l’instant, ça marche pas très bien. Ils nous les envoient pas les patientes. Soit, les patientes savent et elles viennent chez nous, soit on les voit pour la prépa. Je sais pas si ça va changer beaucoup de choses, faudra voir » (Sage-femme, Ille-et-Vilaine).

Dans ce cas de figure, ce sont les compétences des sages-femmes qui se trouvent dépréciées par les médecins, y compris même parfois dénigrées auprès des patientes.

« Ca se passe pas très bien, elles [médecins] sont pas pro sages-femmes. Ces médecins- là, parce que, des fois, les médecins femmes ça passe un peu mieux. Mais quand j’ai des retours de patientes, dont une, une dame de 40 ans, premier bébé, le médecin lui a dit :

" vous n’avez pas peur de vous faire suivre par une sage-femme ?" » (Sage-femme, Côtes-d’Armor).

À cet égard, Pierre Lombrail rappelle que « La conception d’une maison médicale, comme celle des réseaux de soins/santé il y a quelques années, suppose de dépasser la profonde hiérarchie symbolique entre corps de métiers pour élaborer un projet collectif pluriprofessionnel où tous les savoir-faire ont leur place. C’est particulièrement difficile pour les médecins, formés comme les autres professionnels dans un entre soi qui les prépare mal au travail coopératif et les positionne de surcroît au sommet d’une hiérarchie virtuelle » [13]. Aux yeux de certaines sages- femmes, les médecins nouvellement formés seraient néanmoins plus ouverts à la coopération interprofessionnelle.

« La nouvelle génération nous intègre vraiment dans le suivi des patientes, mais pas les anciennes. On n’existait pas quand ils étaient jeunes et ils n’en voient pas du tout l’intérêt » (Sage-femme, Finistère).

(13)

12

Des coopérations sous condition dans un contexte de concurrences interne

Dans une dernière configuration, des coopérations peuvent se mettre en place mais sous certaines conditions. Selon les cas, les compétences des sages-femmes peuvent constituer des freins ou des atouts au travail collaboratif, tout dépend si celles-ci viennent empiéter ou non sur l’activité des autres professionnels. Anne Bartoli et Jihane Sebai, qui qualifient les MSP de structures hydrides, montrent que « ces structures dans le domaine de la santé se situent à l’articulation entre compétition et coopération, rappelant ici le concept de coopétition » [14].

Ainsi par exemple, la kinésithérapeute d’une structure s’oppose à ce que la sage-femme pratique la rééducation périnéale dans la mesure où cette tâche constitue une part importante de son activité.

« Quand je suis rentrée dans la maison de santé, quand j’ai demandé à rentrer, ils [les médecins généralistes et le kinésithérapeute] ont accepté sous condition que je ne fasse pas de suivis gynéco et sous condition que je ne fasse pas de rééducation du périnée. » (Sage-femme, Finistère).

À l’inverse dans un autre contexte, une kinésithérapeute ne voit aucun inconvénient à ce que la sage-femme propose de la rééducation périnéale, au contraire même, ayant suffisamment de travail, elle lui adresse des patientes, s’allégeant ainsi de cette activité.

« Là, elle m’envoie des patientes, cette kiné-là. Elle est très sympa. Elle ne fait pas trop de rééducation, je crois. Elle m’a dit : " j’ai tellement d’organes à rééduquer que si tu t’occupes du périnée, moi ça me dérange pas". Non, on s’entend très bien » (Sage- femme, Côtes-d’Armor).

Dans d’autres structures encore, les kinésithérapeutes et les sages-femmes travaillent en complémentarité, en articulant leurs compétences respectives ; les premiers étant spécialistes de la rééducation abdominale par exemple, les secondes de la rééducation périnéale.

(14)

13

« Bien sûr, moi j’en fais et les kinés en font aussi. Mais on a des méthodes différentes, c’est assez complémentaire. On regarde la méthode qui lui convient le mieux. Oui, ça arrive qu’on se cale, notamment autour de patientes qui préfèrent la méthode que moi je fais plutôt que elle, ou l’inverse. On oriente les patientes entre nous » (Sage-femme, Ille-et-Vilaine).

Conclusion

Interrogées sur les perspectives qui sont susceptibles de s’ouvrir à elles, avec leur intégration récente ou à venir au sein d’une MSP ou d’un PSP, les sages-femmes libérales ont toutes évoqué leur espoir que de réelles coopérations interprofessionnelles se mettent en œuvre. Pour l’heure, ces coopérations sont plutôt incidentes et faiblement instituées. Si le périmètre de leurs interventions peut s’étendre, à partir d’ententes avec d’autres professionnels (médecins, et kinésithérapeutes notamment) qui désormais leur adressent plus de patientes, ou vers qui elles- mêmes orientent plus facilement, pour tel ou tel soin, quelques patientes, il ne s’agit là que d’une éventualité, loin d’être la règle. Aucune sage-femme n’a évoqué l’existence d’un protocole de coopération entre elle et un professionnel médical ou paramédical, au sens d’activités pouvant être transférées de manière dérogatoire, tel que le prévoit l’article 51 de la loi HPST.

La cohabitation dans une maison de santé commune ou l’intégration dans un pôle commun ne débouchent pas nécessairement, du point de vue de la profession de sage-femme du moins, sur des collaborations accrues et le décloisonnement professionnel attendu. Si tendanciellement, avec l’ouverture de nombreuses structures pluriprofessionnelles, des opportunités d’emploi s’offrent aux sages-femmes et participent à l’extension continue de la pratique libérale dans un contexte de plus en plus concurrentiel, la plupart de celles qui rejoignent une MSP ou un PSP sont déjà installées en libéral et tendent à conserver des habitudes de travail proches de celles

(15)

14

qui étaient déjà les leurs dans un cadre d’exercice classique et monoprofessionnel. Pour autant, nous avons pu observer que les coopérations étaient plus actives lorsque les sages-femmes avaient été partie prenante dans la mise en place de la structure, situation qui demeure plutôt exceptionnelle

Enfin, nous avons pu relever que des sages-femmes pouvaient aussi se retirer de la structure pluriprofessionnelle où elles étaient impliquées. Parfois cela tient à des reconfigurations sur lesquelles elles n’ont guère de prise, mais parfois aussi cela tient à des désaccords interprofessionnels au sein du groupe. Une sage-femme nous a ainsi fait part de son insatisfaction à l’égard des relations entretenues entre les médecins, les infirmières, les masseurs-kinésithérapeutes et elle-même. Cette professionnelle indique ne pas partager les préoccupations collectives – essentiellement centrées sur la prise en charge des personnes âgées – et être en désaccord avec le projet architectural du groupe tout en pointant l’augmentation à venir des coûts liés à l’inscription de son cabinet dans cette structure. Avec sa collègue sage- femme, elle se retire donc du projet de MSP et envisage de faire construire un nouveau cabinet qu’elle qualifie de « maison de soins dont on prendra soin ».

L’enquête menée auprès de ces sages-femmes a porté sur un nombre assez restreint de structures puisque cantonnées à une seule région. Il resterait à vérifier si ailleurs il en va différemment, si par exemple, à l’initiative d’associations, de délégations de l’Ordre de la profession de sage- femme, etc. un processus collectif se met en place, entre sages-femmes travaillant dans des MSP ou PSP, afin que des protocoles de coopération ou encore des protocoles dans le domaine de la périnatalité soient à l’ordre du jour dans ces structures où elles travaillent, voire avant cela même, que des routines de coordination soient de mise.

(16)

15 Déclaration d’intérêts :

Ce travail de recherche a fait l’objet d’un soutien financier de la part de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé

Pas de conflit d’intérêt autre.

(17)

16 Références bibliographiques

[1] Douguet F, Fillaut T, Hontebeyrie J. Intervenir en première ligne. Les professions de santé libérales face au défi de la santé de proximité. Paris : L’Harmattan, 2016.

[2] Ministère des solidarités et de la santé. Ma santé 2022. Un engagement collectif. Dossier de presse du 18/09/2018.

[3] Douguet F, Vilbrod A. Les sages-femmes libérales. Paris : Seli Arslan, 2017.

[4] Inserm & Drees. Enquête nationale périnatale. Les naissances et les établissements.

Situation et évolution depuis 2010, Rapport 2016.

[5] Huard P, Schaller P. Éléments pour une gestion stratégique d’une maison de santé. Santé publique 2014;26:509-517.

[6] Barlet M, Marbot C. Portrait des professionnels de santé – Édition 2016. Panoramas de la Drees 2016.

[7] Direction générale de l’offre de soins – Observatoire des MSP. Présentation générale de l’observatoire des recompositions. 5ème journée FFMPS, 11 mars 2016.

[8] Mispelblom-Beyer F. Soigner en ensemble, tant bien que mal. Sciences Humaines 2016;282: 42-43.

[9] Douguet F, Vilbrod A. En ville : l’exercice du métier de sage-femme en maisons et pôles de santé pluriprofessionnels. in Ministère des affaires sociales et de la santé, Observatoire national de la démographie. Les sages-femmes : une profession en mutation, des professions de santé. 2016;152-180.

[10] Mispelblom-Beyer F. Encadrer les parcours de soins. Vers des alliances thérapeutiques élargies. Paris : Dunod, 2016.

[11] Beaucourt C, Kustosz I, Masinge A, Roux L. La coordination au sein des maisons de santé : d'une mise en cohérence à l'animation d'interactions. Gestion et management public 2014;2- 4:61-79.

(18)

17

[12] Beaucourt C, Kustosz I, Roux L. Les espaces de médiation en maisons de santé pluriprofessionnelles : une lecture par l’ethos. RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management, Homme & Entreprise 2017;25:3-28.

[13] Lombrail P. Les maisons de santé pluri-professionnelles : penser localement, agir globalement ? Sciences sociales et santé 2014;32-2:97-108.

[14] Bartoli A, Sebai, J. L’expérience des maisons de santé pluriprofessionnelles face aux enjeux de coordination territoriale. Gestion 2000 2016;32:17-37.

(19)

Tableau 1- Répartition des sages-femmes par mode d’exercice en 2015 Effectifs et %

Libérales exclusives

Mixtes Salariées hôpital

Autres salariés

Ensemble des modes d'exercice

France métropol.

3561 678 14 040 1312 20 591

17,29% 8,15% 68,19% 6,37% 100,00%

Bretagne

210 53 751 45 1059

19,83% 5,00% 70,92% 4,25% 100,00%

Source des données : http://www.data.drees.sante.gouv.fr/TableViewer/tableView.aspx

Références

Documents relatifs

La meilleure appréciation de l'état neurologique du nouveau- né, les progrès dans les soins périnataux et la réanimation en salle de travail, la meilleure

Publications Co-direction d’ouvrages ou de numéros de revue (en cours) Codirection (avec Céline Cachaud) d'un numéro bilingue de la revue Études Épistémè (à

Partager des informations et confronter des expériences qui ont déjà démontré leur pertinence, tels sont les objectifs de la ren- contre régionale «Coopération internationale dans

S'il persiste ou est plus abondant, Il s'agit d'une hémorragie de la délivrance avec une détresse circulatoire potentielle Attention ce saignement est souvent sous estimée ou

Le concept de campus numérique gynécologie obstétrique, ayant déjà servi de modèle pour certains cours, a pour fina- lité d’ ê t re plus largement utilisé et ouve rt à d’ a u

un troisième groupe se déclare très sensible à l’évolution de la demande des femmes et l’expression de leurs besoins est directement liée à l’évolution de leur activité

Chez la femme enceinte, le dysgerminome est l'une des deux tumeurs malignes de l'ovaire les plus fré- quemment observées et peut s'accompagner d'une sécrétion hormonale

Celles-ci estiment en effet que les compétences des médecins généralistes sont insuffisantes dans les domaines de la gynécologie et de l’obstétrique et préfèrent