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L'INVENTION DE LA PRÉHISTOIRE

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L'INVENTION DE LA PRÉHISTOIRE

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AGORA

LES CLASSIQUES collection dirigée par Olivier AMIEL

L'Invention de la préhistoire

ANTHOLOGIE

Textes choisis, préfacés et commentés par Nathalie RICHARD

PRESSES POCKET

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La loi du 11 mars 1957 n'autorisant aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple ou d'illustration, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alinéa 1 de l'article 40). Cette représenta- tion ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

© Presses Pocket, 1992.

ISBN : 2-266-04243-2

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INTRODUCTION

La préhistoire fut inventée en France au XIX siècle : traditionnellement, sa naissance est datée de 1859, lorsque les travaux de Jacques Boucher de Perthes furent reconnus par la communauté scientifique inter- nationale. Fut alors admise la très haute antiquité de l'homme et une discipline nouvelle put se créer, avec des institutions et une communauté de savants qui lui étaient propres.

La reconnaissance de l'antiquité de l'homme La préhistoire ne fut pas inventée à partir de rien.

Avant 1859, en effet, l'antiquité de l'homme et son histoire la plus ancienne étaient envisagées par divers courants intellectuels, scientifiques ou non.

La tradition chrétienne apportait sur ces points une réponse conforme aux Ecritures.

Le texte biblique assignait à l'espèce humaine un âge de 5 000 à 6 000 ans, établi par des exégètes qui avaient calculé la succession des générations dans l'Ancien Tes- tament. La chronologie la plus généralement acceptée était celle de l'évêque Ussher (1581-1656) qui, au milieu du XVII siècle, avait fixé la Création à 4 004 années avant J.-C. Cette chronologie courte n'excluait pas cependant l'hypothèse de l'existence de l'homme avant les temps géologiques actuels. Tout au contraire, celle-ci

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était admise par les Ecritures qui relataient la destruc- tion de l'humanité par le Déluge. Dès lors les vestiges des victimes de ce châtiment divin devaient se trouver dans les terrains géologiques les plus récents.

Au XIX siècle, la question diluvienne fut surtout débattue en Grande-Bretagne dans le cadre de la théolo- gie naturelle qui cherchait à réconcilier les découvertes de la science et le texte de la Bible. William Buckland (1784-1856) crut découvrir les traces géologiques du déluge biblique dans des terrains de transport récents — datant de l'ère quaternaire — qu'il désigna du nom de diluvium Il admettait que les traces d'un homme anté- diluvien devaient s'y trouver enfouies, si bien que ses disciples purent lui attribuer les premiers vestiges archéologiques découverts dans les cavernes.

En France, les données du débat furent plus com- plexes.

Nombreux furent les catholiques qui acceptèrent les vues anglaises. Ainsi, en 1825, alors qu'aucun vestige indiscutable n'avait encore été découvert, Mgr Frayssi- nous (1765-1841), Grand Maître de l'Université, affir- mait que la science ne manquerait pas d'exhumer sous peu des fossiles humains qui viendraient confirmer l'authenticité du récit mosaïque Mais nombreux furent aussi les naturalistes chrétiens à refuser, au nom de la même orthodoxie, l'existence d'un homme dont les traces seraient enfouies dans les couches terrestres. Ils suivaient en cette opinion les théories de Georges Cuvier (1769-1832). Dans les premières décen- nies du siècle, le célèbre paléontologiste avait dressé le tableau d'une histoire géologique ponctuée de catas- trophes générales qui avaient détruit toute vie sur la surface du globe. Ce catastrophisme lui permettait de rendre compte des lacunes qu'il avait observées dans la série des mammifères fossiles entre les faunes de deux 1. W. BUCKLAND, Reliquiœ Diluvianœ, London, Murray, 1822.

2. Mgr D. FRAYSSINOUS, Défense du christianisme, Conférences sur la religion, Paris, A. Le Clère et Cie, 1859 (1 éd. 1825), « Moïse considéré comme historien des temps anciens », pp. 442-447.

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étages sédimentaires distincts. Après chaque cata- clysme, la terre était repeuplée par une faune nouvelle dont l'origine restait obscure. En effet Cuvier préférait ne pas se prononcer, suggérant parfois des migrations venues d'une région échappée au désastre mais parfois aussi une nouvelle intervention divine. Dans la seconde hypothèse — des créations multiples — , l'apparition de l'homme ne pouvait être que récente, conformément au récit de la Genèse qui, croyait-on, situait la naissance de l'homme après celle des animaux sur une terre spéciale- ment préparée pour le recevoir. L'espèce humaine était donc apparue après la dernière catastrophe qui avait modifié la surface du globe et permis la plus récente création animale. Il n'était par conséquent pas conce- vable d'en découvrir les vestiges dans les terrains géolo- giques. Cuvier lui-même restait cependant prudent dans ses conclusions sur l'homme. Il admettait que celui-ci avait peut-être existé sous d'autres latitudes dans une période antérieure à la dernière catastrophe qu'il assimi- lait au déluge de la tradition ; mais avouait que rien n'était venu jusqu'alors confirmer cette hypothèse Cer- tains de ses disciples abandonnèrent cette prudence et refusèrent l'idée de l'antiquité de l'homme alors que les découvertes de vestiges humains se multipliaient. Telle fut l'attitude d'Elie de Beaumont (1798-1874), qui était secrétaire de l'Académie des sciences lorsque fut reconnue la valeur des travaux de Boucher de Perthes. Il refusa jusqu'à sa mort de s'y rallier. La tradition chrétienne abordait donc de diverses manières la question de l'histoire la plus ancienne de l'humanité. Si certains refusaient de reconnaître les premières découvertes archéologiques, d'autres en revanche les acceptaient au nom de la même orthodoxie.

Aucun cependant n'affirmait la haute antiquité de l'homme. Ce dernier restait enfermé dans les cadres rigides de la chronologie biblique.

1. G. CUVIER, Discours sur les révolutions de la surface du globe et sur les changements qu'elles ont produits dans le règne animal, Paris, C. Bourgeois, 1985 (1 éd., 1825).

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L'histoire la plus ancienne de l'humanité était un sujet de recherche dont s'empara aussi l'archéologie natio- nale.

En France, celle-ci avait hérité des progrès méthodo- logiques réalisés par l'archéologie classique des siècles précédents. Progressivement, le statut de l'objet s'était élaboré et, de simple vérificateur de la validité des textes antiques, il était devenu porteur d'informations sur les temps les plus anciens. Les archéologues classiques avaient pu partir alors à la recherche des civilisations à travers leurs œuvres matérielles et développer la stylis- tique.

Dans la première moitié du XIX siècle, l'intérêt pour les vestiges nationaux s'accrut et en marge d'une archéo- logie classique dominante purent se développer des recherches portant sur la Gaule non romanisée et sur les temps médiévaux. Le mouvement fut orchestré en grande part par Arcise de Caumont (1802-1873), qui créa la Société des antiquaires de France en 1814 et les Congrès archéologiques, organisés à partir de 1834 en province. Leur but était de concurrencer la centralisa- tion parisienne, incarnée dans l'Académie des inscrip- tions et belles-lettres, mais aussi de réhabiliter l'archéo- logie nationale face à une archéologie classique plus prestigieuse.

Cette archéologie nationale s'intéressa plus aux anti- quités historiques qu'aux vestiges pré-romains et dans ce domaine les interprétations furent fréquemment, faute d'une méthode adaptée, peu scientifiques. En effet, les sources écrites restaient alors le fondement de toute réflexion archéologique. Or elles manquaient le plus souvent pour analyser les vestiges mégalithiques et les outils de silex. Il fallait se contenter d'indications frag- mentaires et obscures chez les auteurs anciens et dans les textes issus de la tradition populaire. Partant de ces informations textuelles, suivant la seule méthode qu'ils connaissaient, les antiquaires français produisirent des interprétations qui furent désignées sous le terme géné- rique de celtomanie car les vestiges de pierre furent

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attribués aux Celtes, peuple le plus anciennement men- tionné par les textes sur le sol de la Gaule pré-romaine.

Ces Celtes étaient assimilés aux Gaulois qui peuplaient encore la Gaule au moment de l'invasion romaine. Leurs monuments n'étaient donc ni très anciens ni préhisto- riques, au sens que prit cet adjectif qui désigna après 1859 les époques antérieures à toute source écrite.

L'ancienneté des vestiges n'était pas reconnue. Mais, de surcroît, ils étaient peu ou mal analysés. L'antériorité des instruments de la pierre taillée n'avait pas été remar- quée : outils de silex taillés et polis et monuments mégalithiques étaient tous datés de la même époque historique. Les mégalithes, seuls vestiges monumentaux des temps anciens, furent ceux qui attirèrent le plus l'attention. Ils apparaissaient en effet comme les seuls à pouvoir fournir des informations sur la civilisation des premiers Gaulois. A partir de quelques textes des tradi- tions grecques et latines, ils furent interprétés comme les vestiges d'une religion païenne et sanglante. Les dol- mens surtout suscitèrent les développements les plus exaltés. Ils étaient acceptés comme les autels monu- mentaux de sacrifices humains perpétrés par les druides. Les celtomanes avaient été très actifs au début du XIX siècle. Une Académie celtique avait été fondée en 1804 et de nombreux ouvrages avaient été publiés dont la célèbre Histoire des Gaulois d'Amédée Thierry (1797-1873), frère de l'historien Augustin Thierry. La popularité du mouvement avait été grande car il partici- pait pleinement du romantisme et ses interprétations avaient inspiré les artistes et les écrivains. L'épisode de Velléda, dans les Martyrs de Chateaubriand, en serait une illustration parmi d'autres. L'attrait du mouvement se tarit néanmoins dès les années 1830, mais il restait actif en 1850 et rares étaient les antiquaires qui tentaient de s'en démarquer.

1. Elle disparut en 1813.

2. A. THIERRY, Histoire des Gaulois depuis les temps les plus reculés jusqu'à l'entière soumission de la Gaule à la domination ro- maine, 3 éd., 3 vol., Paris, A. Sautelet et Cie, 1858 (1 éd., 1828).

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L'un des premiers à suggérer de nouvelles interpréta- tions des objets de silex fut un professeur d'humanités de Sarlat (Dordogne), François Vatar de Jouannet (1765- 1845), qui s'intéressa aux antiquités du Périgord dès le début du XIX siècle et découvrit plusieurs sites de l'âge de la pierre. Comparant les outils de silex polis trouvés sur les plateaux aux silex taillés découverts dans des terrains plus anciens sur les versants de la vallée de la Vézère, il fut le premier à conclure à leur grande anti- quité et à émettre l'hypothèse de l'antériorité des silex taillés Publiés dans une obscure revue de province, ses travaux ne furent cependant pas reconnus.

Dans le même temps un amateur du Nord porta lui aussi son attention sur les objets de pierre. Le docteur Casimir Picard (1806-1841), membre actif de la Société d'émulation d'Abbeville (Somme), produisit les pre- mières études typologiques des outils de silex. Dans deux mémoires de 1834 et 1838, il démontra que les haches taillées n'étaient pas, comme on l'avait cru jusqu'alors, des ébauches de haches polies, mais des outils finis. Il n'affirmait pas cependant que ces objets — qui différaient par leurs techniques de fabrication — étaient d'un âge différent

Ces intuitions pionnières restèrent lettre morte en France où les noms de Jouannet et de Picard étaient presque inconnus des archéologues. Les pays d'Europe septentrionale eurent la priorité dans l'élaboration d'une archéologie adaptée aux temps d'avant l'écriture.

Dès la Renaissance, dans un contexte de tensions internationales incessantes, Danemark, Suède et Nor- vège partirent à la recherche de leur identité nationale.

Celle-ci impliquait la connaissance d'un passé qui échap- 1. F. JOUANNET, « Notes sur quelques antiquités du département de la Dordogne, grotte de Badegol », Calendrier des corps administra- tifs, judiciaires et militaires du département de la Dordogne, 1834. 2. C. PICARD, « Notice sur les instruments celtiques en corne de cerf », Bulletins de la Société royale d'émulation d'Abbeville, 1834- 1835, pp. 94-116. Notice sur quelques instruments celtiques, Abbeville, A. Boulanger, 1838.

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pait aux traditions écrites dans des régions qui n'avaient pas connu la romanisation et la christianisation précoce de l'Europe du Sud. Seuls demeuraient de ce passé les objets de pierre et de bronze, les tumuli et les amas de coquilles que l'on nommait kjœkkenmœddings. Il fallait par conséquent faire parler ces témoins d'un autre âge et inventer pour ce faire une méthode archéologique adap- tée. Celle-ci apparut sous sa forme achevée au début du XIX siècle. A cette date, le Danemark créa un musée des Antiquités nationales, premier de son genre en Europe, et nomma conservateur Christian J. Thomsen (1788-1865). La nécessité de trouver un principe classifi- catoire pour les collections du musée poussa le jeune archéologue à faire la synthèse de toutes les méthodes d'interprétation alors connues. C'est ainsi qu'il fut le premier à mettre en forme un discours de la méthode propre à une archéologie non contrôlée par l'écrit.

Thomsen faisait intervenir à la fois la typologie et la stratigraphie. L'analyse de la forme des objets, leur mise en série ainsi que l'examen de leur position dans les niveaux géologiques permirent à Thomsen de définir trois époques dans les temps antéhistoriques : l'âge de la pierre (défini typologiquement par la présence exclusive d'outils de silex et d'os et chronologiquement par sa position dans les niveaux archéologiques les plus pro- fonds), l'âge du bronze ou du cuivre et l'âge du fer. Ce système des trois âges fut affiné encore par le successeur de Thomsen au musée de Copenhague, Johann J. Wor- saae (1821-1885). Celui-ci eut surtout le mérite de publier le résultat de travaux que son prédécesseur s'était contenté d'appliquer aux collections du musée.

Son ouvrage principal fut traduit en anglais en 1849 et contribua grandement à sortir l'archéologie nordique de son isolement géographique et linguistique.

En France ces travaux restèrent cependant assez mal connus. La première exposition complète des recherches nordiques en langue française fut faite en 1859 seule- 1. J. J. A. WORSAAE, The Primeval Antiquities of Denmark, trad. anglaise, London, 1849 (l'ouvrage en danois date de 1843).

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ment, dans un long mémoire prononcé par le naturaliste Morlot devant la Société vaudoise des sciences natu- relles Avant cette date, les archéologues n'utilisèrent pas le système des trois âges, à l'exception de quelques savants, tel Boucher de Perthes, qui l'intégrèrent à leurs réflexions.

Si les recherches danoises mettaient en place une méthode adaptée aux vestiges antéhistoriques, elles n'en fondaient pas pour autant la préhistoire. La chronologie relative qu'elles avaient établie n'impliquait en rien, en effet, la très haute antiquité de l'homme, et les vestiges nordiques, exclusivement datés du néolithique, ne per- mettaient pas d'établir une séparation tranchée entre un âge de la pierre taillée et un âge de la pierre polie.

D'autres recherches vinrent donc donner à cette méthode archéologique des objets d'étude plus variés.

Inventer la préhistoire appelait avant tout une reconnaissance de la haute antiquité de l'homme. Il ne s'agissait pas seulement d'intégrer dans un cadre explica- tif les vestiges de silex, mais encore d'admettre leur ancienneté absolue dans l'échelle des temps géologiques par-delà leur ancienneté relative par rapport aux objets de métal.

Cette reconnaissance ne pouvait se faire que par une dislocation du cadre rigide de la chronologie courte des temps bibliques.

Les premiers coups lui furent portés par les paléonto- logistes. Dès les années 1820 se multiplièrent les décou- vertes de vestiges humains enfouis dans des terrains géologiques contenant les ossements d'espèces disparues de nos contrées, tels le mammouth ou le rhinocéros.

Soucieux de se démarquer de la tradition religieuse, les géologues désignèrent leur trouvaille par l'expression d'homme fossile.

En France, les découvertes les plus précoces furent 1. A. MORLOT, « Etudes géologico-archéologiques en Danemark et en Suisse », Bulletins des séances de la Société vaudoise des sciences naturelles, 1858-1860, pp. 259-329.

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celles de Christol et de Tournal dans les cavernes du Midi. Pierre Tournai (1805-1872), jeune pharmacien de Narbonne, avait entrepris dès 1827 des fouilles dans la grotte de Bize (Aude). Il y découvrit des vestiges humains et en déduisit la coexistence de l'homme et des espèces disparues. Il s'efforça alors de dissocier ses recherches des débats de la théologie naturelle en ne faisant presque aucune allusion à la Bible ou au déluge dans ses interprétations Ses conclusions furent bientôt confirmées par celles de Jules Christol (1802-1865), naturaliste de Montpellier qui avait exploré les cavernes du département du Gard, dont celle de Souvignargues Des découvertes identiques eurent lieu dans toute l'Europe Mais elles ne suscitèrent pas l'attention du monde scientifique dans son ensemble. L'homme fossile restait à ses yeux un fait douteux car il avait été exhumé dans des sites dont la stratigraphie était mal assurée. Le sol des cavernes notamment pouvait être le résultat de l'action de courants souterrains qui auraient mélangé dans des terrains remaniés des vestiges d'époques dif- férentes. Aussi les doutes sur la stratigraphie des grottes, résumés en 1845 par le géologue Jules Desnoyers (1800- 1887) dans le Dictionnaire universel d'histoire naturelle de Charles d'Orbigny furent acceptés jusqu'en 1859.

Les sites de plein air, quant à eux, étaient très peu nombreux. L'un avait été découvert par Auguste Aymard (1808-1889) dans les environs du Puy-en-Velay à la montagne de Denise (Haute-Loire). Mais les ter- 1. P. TOURNAL, « Note sur la caverne de Bize, près Narbonne », Annales des sciences naturelles, XV, 1828, pp. 348-350. 2. J. DE CHRISTOL, Notice sur les ossements fossiles des cavernes du département du Gard, présentée à l'Académie des sciences le 29 juin 1829, Montpellier, J. Martel, 1829. 3. Parmi elles, celles de Schmerling (1791-1836) dans les environs de Liège furent les plus importantes et donnèrent lieu à une publica- tion détaillée. P.C. SCHMERLING, Recherches sur les ossements fossiles découverts dans les cavernes de la province de Liège, 2 vol., Liège, Collardin, 1834-1835.

4. J. DESNOYERS, « Grottes ou cavernes », C. d'Orbigny dir., Dictionnaire universel d'histoire naturelle, Paris, Renard, 1845, t. 6, pp. 343-407.

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rains y étaient volcaniques et leur datation posait tout autant de problème. Seuls les gisements d'Abbeville (Somme), explorés par Boucher de Perthes et situés aux franges du Bassin parisien, présentaient une succession régulière de couches géologiques. Mais ils restaient inconnus des savants.

L'argument de remaniement des terrains venait au premier rang pour nier l'authenticité de l'homme fossile.

Il était bien évidemment combattu par les auteurs des découvertes ; mais ceux-ci n'avaient pas pour autant une position affirmée sur la portée des données archéo- logiques exhumées. Tous affirmaient sans doute que l'homme avait été contemporain ou très proche dans le temps des grands mammifères éteints. Mais rares étaient ceux qui en tiraient des conclusions sur l'âge géologique ancien de l'espèce humaine. Nombreux étaient au contraire les arguments embarrassés qui tentaient de limiter la portée subversive des découvertes en suggé- rant que la chronologie biblique pouvait sans doute rendre compte de leur antiquité. Christol, en 1829, avouait que rien ne lui permettait de conclure à l'ancien- neté de l'homme sur l'échelle absolue des temps géolo- giques car la date des dernières extinctions d'espèces restait inconnue. Aymard en 1847 alors qu'il présentait son homme du Velay à la Société géologique de France, s'attachait de même à résumer tous les faits qui pou- vaient donner à penser que l'époque où l'homme était encore le contemporain des mastodontes n'était pas très éloignée du présent. Il insistait tout particulièrement sur la similitude de la flore du gisement avec celle de l'époque moderne qui indiquait un climat voisin de celui des temps actuels, signe de la permanence des milieux de vie. Il suggérait aussi que le paroxysme volcanique avait pu accumuler en peu de temps les terrains qui fossili- saient les vestiges. L'homme fossile n'était donc pas très ancien et avait toujours vécu dans un environnement proche de celui des temps modernes.

1. A. AYMARD, « Des fossiles humains trouvés sur la montagne de

Denize, près Le Puy... », Bulletins de la Société géologique de France, 2 série, V, 1847, pp. 49-62.

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Le débat sur l'homme fossile, par ses méthodes et ses analyses, tentait de se situer dans la science et hors de la religion. Il se trouvait, par ces hésitations, partiellement réinvesti par des présupposés hérités de la tradition chrétienne. L'homme fossile des paléontologistes n'était plus l'homme antédiluvien des théologiens, mais il s'en rapprochait par l'âge qui pouvait lui être attribué.

Avant 1859, un seul auteur proclamait la haute anti- quité de l'homme sur l'échelle des temps géologiques. Il s'agissait de Jacques Boucher de Crèvecœur de Perthes (1788-1868), directeur des douanes à Abbeville et ama- teur d'archéologie celtique. Initié par Picard, son col- lègue à la Société d'émulation d'Abbeville, à l'étude des instruments de silex, Boucher de Perthes entreprit après 1837 des recherches dans les tranchées ouvertes par les travaux de réfection des fortifications de sa ville. Il découvrit dans un premier temps des instruments polis ou taillés de belle facture, engagés dans des terrains contenant les ossements d'espèces modernes comme le cheval et le chien. Mais en 1842 eut lieu une découverte de nature différente lorsqu'un outil taillé fut exhumé dans la couche à ossements de mastodontes (mammouth et rhinocéros) de la carrière de Menchecourt-lès-Abbe- ville. Boucher de Perthes eut alors l'intuition de la succession chronologique de deux industries de la pierre taillée et de la pierre polie que les travaux de Picard lui avaient appris à considérer comme distinctes par la typologie. Ces deux industries étaient engagées dans des niveaux géologiques séparés par des terrains stériles.

Ces derniers lui paraissant correspondre au diluvium des géologues, il put conclure dès 1849, dans le premier volume des Antiquités celtiques et antédiluviennes, à l'existence d'un peuple beaucoup plus ancien que les Celtes et auteur de l'industrie de la pierre taillée. Cette humanité désignée par l'adjectif d'antédiluvien n'avait rien de commun cependant avec les conceptions de la théologie naturelle. En effet, elle n'avait pas été la victime du déluge biblique, mais d'une autre catastrophe plus ancienne et plus radicale, puisqu'elle n'avait laissé

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survivre aucun Noé, comme le prouvait géologiquement le niveau stérile — dépourvu de fossiles et de silex — qui séparait les deux étages archéologiques. L'histoire de l'humanité se divisait donc en deux époques majeures : celle des temps antérieurs à la Bible qui se terminait par la destruction de la première espèce humaine et celle dont rendaient compte les Ecritures, commencée par une nouvelle création et marquée par l'épisode du déluge Cette théorie du double déluge et de la double création de l'homme ne venait pas directement contre- dire le récit de la Bible puisqu'elle se contentait de le prolonger vers un passé plus lointain dont la mémoire n'avait pu se transmettre alors que tous ses témoins avaient disparu brusquement. Dans cette conception rien n'impliquait la haute antiquité géologique de l'homme, puisque Dieu qui avait créé la faune actuelle en sept jours avait bien pu produire et détruire sa précédente création en peu de temps. Mais Boucher de Perthes soutenait néanmoins l'hypothèse de la très grande ancienneté de l'homme. Il lui semblait impos- sible que la terre encore convulsée des suites du premier déluge ait pu sans délai recevoir l'homme recréé.

Dans le second volume des Antiquités celtiques et antédiluviennes, en 1857, la rupture avec la tradition était plus radicalement consommée. L'antiquité de l'homme y était affirmée non plus comme une hypothèse mais comme un fait. La théorie du déluge était abandon- née au profit d'une théorie des glaciations et le création- nisme relégué dans les temps lointains des origines premières. L'auteur lui préférait désormais un trans- formisme original qui prenait ses racines dans les sys- tèmes naturalistes du XVIII siècle autant que dans l'œuvre de Lamarck (1744-1829)

Avec Boucher de Perthes était signé l'acte de décès de l'homme antédiluvien, et pour mieux le proclamer l'amateur d'Abbeville préférait désormais l'appellation 1. J. BOUCHER DE PERTHES, Les antiquités celtiques et antédilu- viennes, vol. 1, Paris, Treuttel et Würtz, 1849.

2. J. BOUCHER DE PERTHES, op. cit., vol. 2, 1857.

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d'homme tertiaire qui référait à un âge géologique ancien. Mais son œuvre resta largement ignorée des milieux scientifiques. En 1849, tout autant que son statut d'amateur arrivé tardivement à l'archéologie, sa géolo- gie, sa géologie diluvienne et son catastrophisme l'avaient discrédité aux yeux d'une opinion savante qui avait abandonné de telles conceptions. Celle-ci ignora le premier volume des Antiquités... ou se garda prudem- ment d'émettre un jugement. Elle ne prit pas même garde au second volume dont les conceptions d'ensemble étaient pourtant plus adaptées à la science du temps.

En 1859, personne ne connaissait Boucher de Perthes.

Il fallut donc que des naturalistes dont le statut était plus affirmé refissent les mêmes découvertes pour que la valeur des conclusions de l'amateur d'Abbeville fût enfin reconnue.

A la fin des années 1850, la Société géologique de Londres engagea dans la caverne de Brixham (Devon) une campagne de fouilles paléontologiques et géolo- giques. Les travaux étaient surveillés par des scienti- fiques mandatés par la société londonienne et Hugh Falconer (1808-1865), son président, supervisait lui- même les recherches. Celles-ci furent donc menées avec soin, par décapage stratigraphique attentif (exploration des couches les unes après les autres). Or, en sus des ossements d'espèces fossiles que l'on espérait y trouver, les niveaux contenant des vestiges d'espèces disparues fournirent des silex taillés. Falconer qui effectuait un voyage sur le continent décida alors de rendre visite à Boucher de Perthes, dont il connaissait les travaux.

L'examen des sites d'Abbeville et la comparaison avec Brixham le convainquirent définitivement de la coexis- tence de l'homme et des animaux disparus. Il engagea ses collègues responsables de la fouille du Devon, Evans (1823-1908) et Prestwich (1812-1896), à se rendre dans la Somme. Ceux-ci décidèrent à leur retour d'exposer leurs convictions devant la Royal Society et la Société géolo- gique de Londres. Leurs arguments réussirent à empor-

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ter l'adhésion de Charles Lyell (1797-1875), alors le plus célèbre de tous les géologues. A l'automne 1859, ce dernier prononça, devant l'Association britannique pour l'avancement des sciences, un discours d'introduction qui a été considéré comme l'acte de naissance de la préhistoire

Avec l'intervention de Lyell, l'homme fossile devenait en effet l'homme préhistorique, ou quaternaire. La géo- logie uniformitarienne (selon laquelle seuls les phéno- mènes géologiques actuels ont agi dans le passé avec la même intensité qu'aujourd'hui) exposée dans les Prin- cipes de géologie dès 1833 fournissait un cadre à la mesure de l'ancienneté de l'homme. Ayant admis comme seuls acteurs géologiques les forces agissant dans le présent, avec une intensité identique et donc faible, le géologue devait insister sur l'antiquité de l'homme car l'extinction des grands mammifères, de même que la formation des terrains qui fossilisaient les niveaux archéologiques, n'avait pu être que très lente et récla- mait une durée mesurable à l'échelle de la géologie, non à celle de l'histoire. De fait, Lyell admettait explicite- ment dans son discours la très haute antiquité de l'homme.

La conversion de Lyell rallia une partie du monde savant. En France, Albert Gaudry (1827-1908) et Edouard Lartet (1801-1871) prirent à l'Académie des sciences la défense de l'homme quaternaire Mais les hésitants restaient nombreux derrière le secrétaire de l'Académie, Elie de Beaumont, qui pesait de tout son 1. C. LYELL, « On the Occurrence of Works of Human Art in Post-Pliocène Deposits », Report to the Nineteenth Meeting of the British Association for the Advancement of Science, London, J. Mur- ray, 1860, pp. 93-97. 2. A. GAUDRY. « Os de cheval et de bœuf appartenant à des espèces perdues trouvés dans la même couche du diluvium d'où l'on a tiré des haches en pierre », séance du 16 septembre 1859, Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des sciences, IXL, 1859, pp. 453-454. E. LARTET, « Sur l'ancienneté géologique de l'espèce humaine », séance du 19 mars 1860, note non reproduite, ibid., L, 1860, p. 599.

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poids contre cette reconnaissance. La première commu- nication de Lartet fut ainsi soumise à veto et ne parut pas dans les comptes rendus de l'Académie.

L'épisode qui décida de la majorité fut, quelques années plus tard, celui de la mâchoire de Moulin-Qui- gnon. Alors que les vestiges industriels se multipliaient, les ossements de l'homme préhistorique restaient introu- vables, et cette absence fournissait un argument majeur à l'opposition. Boucher de Perthes, fier de sa promotion au rang de précurseur, avait l'ambition d'être aussi le premier à découvrir les fragments du squelette de l'auteur des industries de la pierre taillée. Il promit donc une forte récompense à l'ouvrier qui en ferait la trou- vaille. Comme il se devait, celle-ci ne se fit pas attendre et, en 1863, une demi-mâchoire humaine, encore enga- gée dans un terrain contenant des espèces disparues, fut exhumée sur le front de la carrière de Moulin-Quignon près d'Abbeville. Loin de soupçonner la supercherie, l'archéologue appela les savants français et anglais à venir examiner sa découverte. Armand de Quatrefages (1800-1892), éminent professeur au Museum d'histoire naturelle, fut convaincu de l'authenticité du vestige et se prononça dans ce sens à l'Académie des sciences . Mais dans le même temps le Britannique Falconer publiait ses doutes sur la découverte. Après avoir comparé l'état de conservation de la mâchoire à celui d'ossements médié- vaux, il concluait à la supercherie L'Académie des sciences réagit alors très défensivement à la mise en doute de la compétence d'un de ses membres les plus éminents. Elle créa une commission d'enquête bilaté- rale, présidée par le naturaliste Milne-Edwards (1800- 1885), où les savants français disposaient d'une voix de majorité. La mâchoire put ainsi être reconnue comme authentique !

1. A. DE QUATREFAGES. « Note sur la mâchoire humaine dé- couverte par M. Boucher de Perthes dans le diluvium d'Abbeville », séance du 23 avril 1863. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des Sciences, LVI, 1963, pp. 782-788. Times, 25 april 1863, p. 11. 2. H. FALCONER, « The Reputed Fossil Man of Abbeville », The

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Ce fut donc sur un faux archéologique que s'opéra la conversion de la communauté scientifique française à la préhistoire. Les opposants irréductibles ne furent bien- tôt plus que quelques isolés, alors qu'une discipline nouvelle pouvait se développer. Mais son objet restait imprécis ; les vestiges étaient rares et les cadres d'inter- prétation vagues. Son existence ayant été reconnue, la préhistoire devait désormais être inventée.

L'invention de la préhistoire

Dans les années qui suivirent la reconnaissance de la haute antiquité de l'homme, fut mise en place une discipline scientifique qui prit le nom de paléoethnologie ou d'anthropologie préhistorique, avant celui de préhis- toire.

Cette naissance se manifesta par la mise en place d'institutions spécialisées dont les premières virent le jour en France et qui permirent la formation et l'enca- drement d'une communauté scientifique.

Chronologiquement, la plus ancienne de ces institu- tions fut le musée des Antiquités nationales de Saint- Germain-en-Laye. Fondé en 1857 par décret impérial, il devait à l'origine recevoir les vestiges du passé national depuis l'époque gallo-romaine jusqu'au Moyen Age.

Mais la découverte d'une histoire dont les racines plon- geaient plus loin dans le temps en modifia la vocation et il inclut les époques dites celtique et préhistorique. Des dons du roi du Danemark et de Boucher de Perthes formèrent le noyau des collections d'objets de silex qui, lors de l'inauguration du musée en 1867, composaient déjà plusieurs salles préhistoriques. Saint-Germain devint dès lors tout à la fois un centre de diffusion et un lieu de recherche qui fut dominé dans la seconde moitié du siècle dernier par le conservateur Gabriel de Mortil- let (1821-1898).

Ce dernier prit en outre l'initiative de pourvoir la préhistoire d'une revue spécialisée. Sous le titre de Matériaux pour l'histoire positive et philosophique de l'homme, elle parut de 1864 à 1889, date de sa trans-

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formation en un nouvel organe intitulé L'Anthropologie.

Dès l'origine la revue s'était donné comme but d'assurer les échanges entre les spécialistes, mais aussi de promou- voir les études préhistoriques auprès d'un plus large public. Elle fut une tribune active pour tous les débats nationaux.

A l'échelle internationale elle fut relayée par des congrès internationaux d'anthropologie et d'archéologie préhistoriques qui furent organisés (toujours sur initia- tive de Mortillet) dès 1866. De Norwich (1868) à Moscou (1892), et de Stockholm (1873) à Lisbonne (1880), ils se tinrent dans toute l'Europe et favorisèrent les échanges entre les communautés nationales. Annuels à l'origine, ils s'espacèrent cependant pour disparaître en 1912 (Genève).

Dès les années 1860 étaient donc en place des struc- tures qui permettaient de conclure à l'existence d'une discipline autonome, dont le dynamisme ne faisait pas de doute. La recherche et la diffusion dans un plus large public étaient assurées. Seules les institutions d'ensei- gnement furent plus longues à se mettre en place.

Science d'amateurs à ses origines, la préhistoire resta longtemps affaire d'autodidactes. La première généra- tion de préhistoriens, celle qui, à l'image de Mortillet, s'engagea dans les recherches dès les années 1860, n'avait suivi aucune formation. Ce fut pour la génération suivante, quelque quinze années après la fondation de la discipline, que furent mises en place des structures qui restaient embryonnaires puisque la préhistoire fut long- temps exclue de l'Université. Une première étape fut franchie néanmoins avec la création en 1876 de l'Ecole d'anthropologie, prolongement de la Société d'anthro- pologie de Paris, où Gabriel de Mortillet inaugura un cours de préhistoire. En 1882 enfin, la discipline fit une timide entrée dans l'université, avec la mise en place par Emile Cartailhac (1845-1921) d'un cours facultatif dans le cursus de licence de la faculté des lettres de Toulouse.

Science d'amateurs à ses origines, la préhistoire le resta par conséquent jusqu'au début du XX siècle. La

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création de la Société préhistorique de France en 1904, l'introduction dans les cursus universitaires (en liaison avec l'ethnologie en 1927), la création d'une première chaire au Collège de France pour l'abbé Breuil (1877- 1961) en 1929 et l'organisation progressive d'une archéo- logie métropolitaine d'Etat furent autant d'étapes fran- chies vers la professionnalisation.

Ces premières institutions spécialisées servirent de cadre à l'élaboration d'un véritable paradigme préhisto- rique, qui définissait à la fois des principes explicatifs généraux, des méthodes privilégiées et des directions de recherche.

Dans la seconde moitié du XIX siècle ce paradigme se situa largement sous la bannière du transformisme.

Ce fut sans doute une coïncidence que la parution de l'Origine des espèces de Darwin dans l'année où fut reconnue la valeur des travaux de Boucher de Perthes.

Mais elle se transforma rapidement en une conjonction fertile. Dans le second volume des Antiquités celtiques et antédiluviennes, Boucher de Perthes avait déjà lié la question de l'homme préhistorique à celle du trans- formisme. Ayant abandonné l'hypothèse d'une double création divine, il admettait désormais que le type humain avait sans doute subi des transformations de même ordre que celles qui avaient affecté les espèces disparues retrouvées dans les terrains géologiques. Mais son transformisme, qui s'exprimait en termes lamar- ckiens de modification du milieu, se doublait de concep- tions spiritualistes largement héritées des auteurs du XVIII siècle. Ainsi l'amateur d'Abbeville pensait-il que le phénomène de la transformation physique des espèces s'accompagnait de la permanence de l'esprit, principe universel et éternel qui s'incarnait d'être en être sans perdre son essence. Si l'homme tertiaire était différent de l'homme moderne, son intelligence et son sens moral restaient inchangés.

Ce transformisme spiritualiste avait sans doute peu de points communs avec le matérialisme des pensées d'un Lamarck et d'un Darwin, il n'en établissait pas moins le

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premier lien entre la question de l'antiquité de l'homme et celle de la transformation des espèces. Avec Lyell fut franchie une deuxième étape du rapprochement. Il connaissait les travaux de Darwin avant la parution de l' Origine des espèces et les mentionnait dans son discours de 1859. Il n'en tirait pas cependant de conclusion sur leur application éventuelle à la préhistoire.

Ce lien s'établit rapidement et la préhistoire de la seconde moitié du XIX siècle devint un véritable labora- toire de transformisme appliqué. Les découvertes de la paléontologie humaine devaient venir confirmer l'évolu- tion morphologique d'un type humain s'éloignant tou- jours plus de celui des singes anthropomorphes. Dans le même temps, l'archéologie des vestiges industriels devait établir l'existence parallèle d'une évolution intel- lectuelle et culturelle et confirmer l'universalité de la loi du progrès.

Le transformisme des préhistoriens du siècle dernier devait cependant bien peu à Darwin ou même à Lamarck. Accepté comme une réalité indiscutable, il ne fut jamais en lui-même source d'une réflexion théorique.

Ses modalités ou ses causes ne suscitèrent pas d'inter- rogation. Dans l'ensemble, les préhistoriens se sou- mirent à la vision alors la plus généralement répandue en France d'un transformisme dominé par l'influence du milieu et l'hérédité des caractères acquis et désigné par le terme de néo-lamarckisme. Sa caractéristique princi- pale ne tenait cependant pas à ses modalités, mais à son universalité et à sa stricte linéarité. Touchant tout à la fois le biologique et le culturel, il excluait toute notion d'évolution divergente ou parallèle. Dans l'histoire de l'homme et de ses cultures, il prenait la forme de la lignée, non celle de l'arbre aux multiples embranche- ments.

Ce fut sous le règne de ce transformisme rigide que fut inventée la préhistoire. Il fut le principe organisateur de la majorité des grands débats fondateurs du premier paradigme préhistorique.

Le plus important de ces débats fondateurs fut celui

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qui permit la mise en place d'une chronologie. Lorsque furent reconnus les travaux de Boucher de Perthes, celle-ci restait embryonnaire puisqu'elle se résumait au système des trois âges et à la distinction opérée entre la pierre taillée et la pierre polie, bientôt désignées par les termes de paléolithique et néolithique Mais aucun principe organisateur ne permettait de distinguer des étapes dans chacune de ces ères. Aucun schéma d'ensemble ne permettait notamment de classer l'indus- trie de la pierre taillée d'Abbeville, caractérisée par les haches en amande, et les industries sur éclat découvertes dans les cavernes et différentes par leur typologie.

Dans les années 1860 les premiers préhistoriens se préoccupèrent donc de découvrir pour les outils de silex un principe de classification qui serait au sein de l'âge de la pierre l'équivalent du système de Thomsen. Le pre- mier à se pencher sur le problème fut le naturaliste Edouard Lartet (1801-1871). Déjà célèbre pour ses tra- vaux de paléontologie et notamment pour l'exploitation du gisement de Sansan (Gers) l'ancien avocat se pas- sionna dès 1859 pour la question préhistorique. Après l'examen des vestiges des cavernes de Massat (Ariège) et d'Aurignac (Haute-Garonne) en 1860, il proposa une subdivision de l'âge de la pierre taillée qui, pour la première fois, faisait se joindre étroitement le temps de l'évolution biologique et celui de la préhistoire. Il discer- nait en effet les époques par les niveaux paléontolo- giques qui leur correspondaient. Il distinguait ainsi, dans ce qu'on nomme aujourd'hui paléolithique, l'âge du grand Ours des cavernes (le plus ancien, auquel il ratta- chait Aurignac), l'âge de l'Elephant ou du Rhinocéros, l'âge du Renne et l'âge de l'Aurochs (auquel il attribuait le gisement de Massat

1. Ces termes ont été forgés par le Britannique John Lubbock en 1865 ; cf. LUBBOCK J., L'homme avant l'histoire, trad. fr., Paris, 1867

(Prehistoric Times, as Illustrated by Ancient Remains and the Manners and Customs of Modern Savages, London, 1865).

2. Il y avait découvert en 1837 les ossements tertiaires d'un grand singe très proche de l'homme qui l'avaient convaincu de l'antiquité de ce dernier.

3. E. LARTET, « L'homme fossile dans la Haute-Garonne »,

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En compagnie du Britannique Henry Christy ( 1810- 1865), il explora à partir de 1863 les cavernes de la vallée de la Vézère (Dordogne) parmi lesquelles se trouvaient les sites de la Madeleine, de Laugerie-Haute et du Moustier. De l'abondance des découvertes il déduisit la nécessité d'une classification plus élaborée et admit l'insuffisance du critère paléontologique. Il fallait lui adjoindre l'analyse typologique1 et il modifia en consé- quence son premier schéma chronologique. L'âge de la pierre taillée était désormais divisé en un âge de l'Elé- phant et du grand Ours (gisements d'Abbeville et du Moustier) et un âge du Renne comportant deux sub- divisions (ancien, gisement d'Aurignac, et récent, gise- ments de Laugerie-Haute, de la Madeleine). Ces sub- divisions permettaient de classer sur une échelle de temps relatif les gisements alors connus, mais elles res- taient fondées avant tout sur la paléontologie.

Gabriel de Mortillet, jeune géologue récemment appointé à la section préhistorique du musée de Saint- Germain et rédacteur de la revue spécialisée les Maté- riaux pour l'histoire positive et philosophique de l'homme, dénonça sans tarder les insuffisances d'une telle chronologie. En 1869 il affirmait que l'évolution des faunes se faisait sur une échelle de temps plus lente que l'évolution des cultures et qu'il arrivait fréquemment que la distinction entre deux faunes fût délicate. A l'inverse, disait-il, les données de la typologie étaient sans ambiguïté. Les produits de l'industrie lithique révé- laient des changements profonds et généraux qui per- mettaient d'établir des coupures entre les cultures L'homme fossile en France, Paris, 1864, pp. 190-246. 1. E. LARTET et H. CHRISTY, « Sur des figures d'animaux gravées ou sculptées et autres produits d'art et d'industrie rapportables aux temps primitifs de la période humaine », Revue archéologique, n série, V, 1864, pp. 233-264. 2. G. DE MORTILLET, « Essai de classification des cavernes et des stations sous abri fondé sur les produits de l'industrie humaine », communication à l'Académie des sciences du 19 mars 1869, reproduite dans les Matériaux pour l'histoire positive et philosophique de l'homme, 2 série, 1, pp. 172-179.

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Le projet de 1869 parut sous sa forme achevée en 1872 Chaque époque y était désignée par le nom d'un gisement éponyme, sur le modèle de la nomenclature géologique. Le paléolithique était divisé en époques de Saint-Acheul, du Moustier et de Solutré, pour les indus- tries de pierre, et de la Madeleine pour les industries de silex et d'os. Le néolithique comprenait, pour la période de la pierre polie, l'unique époque de Robenhausen.

L'ancienneté relative de chaque période était établie à la fois par sa position stratigraphique, par les espèces fossiles contenues dans le niveau archéologique et par la détermination des types industriels. Dans ce schéma le transformisme sous-jacent était plus radical que dans la chronologie de Lartet puisqu'à l'évolution biologique des espèces s'ajoutait l'évolution des types industriels, signe d'une progression technique et culturelle tout aussi linéaire. Les cultures industrielles identifiées par Mortil- let étaient par ce principe strictement assimilées à des époques. Le caractère rigoureusement linéaire du schéma apparaissait dans les étapes mêmes de sa mise au point. Dans un premier temps en effet, Gabriel de Mortillet avait inclus dans la succession chronologique l'époque d'Aurignac, située selon lui entre celles de Solutré et de la Madeleine. Mais celle-ci se pliait mal au schéma transformiste d'ensemble. En effet, si elle voyait apparaître les premiers outils en os, elle semblait dans le même temps marquer une régression technique de l'industrie lithique si bien que Gabriel de Mortillet préféra la supprimer de sa chronologie des temps paléo- lithiques. Ne pouvant s'intégrer aisément dans le schéma d'ensemble, elle cessait par là même d'exister! Par cet 1. G. DE MORTILLET, « Classification des diverses périodes de l'âge de la pierre », Revue d'anthropologie, 1872, pp. 432-435. 2. Les lames aurignaciennes sont en effet des objets moins élaborés que les belles feuilles de laurier, objet typique du solutréen moyen et connu pour la finesse de sa technique de retouche par enlèvements plats. L'aurignacien ne fut réintroduit dans la chronologie du paléoli- thique qu'au début du XX siècle, mais il était désormais placé entre le moustérien et le solutréen.

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exemple se révélaient dans un même temps l'utilité et les abus de l'utilisation du transformisme par les préhisto- riens du siècle dernier.

Dans l'ensemble cependant, la chronologie de Mortil- let et son extrémisme transformiste sous-jacent ne furent pas sérieusement remis en question dans la seconde moitié du XIX siècle. Ils servirent de cadre à la majorité des recherches et de principe directeur à la plupart des campagnes de fouilles. Ils formaient sans conteste la pièce maîtresse du premier paradigme préhistorique.

La seule remise en question radicale du modèle chro- nologique de Gabriel de Mortillet fut celle du préhisto- rien belge Edouard Dupont (1841-1911) qui refusa son extrême linéarité pour défendre le principe d'évolutions techniques parallèles. Au Congrès international d'anthro- pologie et d'archéologie préhistoriques de Bruxelles, en 1872, il défendit contre Mortillet un schéma dualiste Les industries des habitats de plein air des plaines avaient évolué sans intermédiaire de l'acheuléen au robenhau- sien. Dans le même temps, celles des habitats sous abri des montagnes avaient vu le moustérien (qui n'était plus une industrie — culture technique — dérivée de celle de Saint-Acheul) se transformer successivement en solu- tréen, aurignacien et magdalénien. Au néolithique, la culture propre aux régions de montagnes s'était éteinte sous l'effet d'invasions venues des plaines et imposant le robenhausien. Un tel schéma était bien différent de celui de Mortillet. Il admettait en effet un transformisme plus complexe puisque la loi du progrès, qui restait univer- selle, se traduisait différemment suivant les régions.

L'assimilation d'un faciès industriel avec une étape unique et universelle de l'évolution biologique et intel- lectuelle de l'espèce humaine devenait illusoire.

Dans l'ensemble ce modèle eut bien peu de succès et E. Dupont n'eut pas de disciple dans la seconde moitié 1. E. DUPONT, « Classement des âges de la pierre en Belgique », Congrès international d'anthropologie et d'archéologie préhistoriques, Comptes rendus de la sixième session, Bruxelles 1872, Bruxelles, 1873, pp. 459-479.

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du XIX siècle, si ce n'est Clémence Royer (1830-1902), célèbre pour sa traduction peu fidèle de l'Origine des espèces de Darwin et pour sa défense de la cause fémi- niste. Dans un article de la revue Philosophie positive de Littré, en 1876, elle reprenait en effet le principe des évolutions parallèles. Mais aux lignées séparées de Dupont, elle substituait celle d'embranchements diver- gents. D'une industrie unique de la pierre taillée, appa- rue à l'ère tertiaire son modèle dégageait deux lignées évolutives. La première voyait l'acheuléen se trans- former en solutréen, tandis que la seconde passait du moustérien au magdalénien

E. Dupont et C. Royer furent seuls à s'engager sur la voie de la contestation radicale du modèle de Gabriel de Mortillet. Dans l'ensemble, il restait incontesté : les préhistoriens de la seconde moitié du siècle dernier s'attachèrent donc à le compléter plus qu'à le détruire et les révisions furent de détail, non de structure.

Les propositions de modification portèrent souvent sur la nomenclature. Nombreux furent les auteurs qui contestèrent en effet le choix des sites éponymes du projet de 1872. Dans les pays étrangers, certains cher- chèrent de nouvelles appellations qui feraient référence à des sites nationaux. Ces noms différents devaient permettre l'insistance sur la spécificité des faciès indus- triels locaux ou nationaux. Mais le changement de voca- bulaire ne s'accompagnait pas d'une remise en question de la division du paléolithique en quatre cultures assimi- lées à des époques. C'est ainsi qu'en Italie Pinsero proposa de diviser la pierre taillée en phases de Peru- gina, de Vibratiana, de Vintimilia et de Fanian3. De même le Belge A. Rutot préféra-t-il, au début du siècle suivant, le moséen à l'acheuléen, le campinien au mous- térien, l'hesbrayen au solutréen et le flandrien au mag-

1. La question des silex tertiaire sera abordée ci-après.

2. C. ROYER, Les âges préhistoriques. Leurs divisions, leur succes- sion, leurs transitions et leur durée, extr. de Philosophie positive, mars-avril 1876, Paris, 1876. 3. PINSERO, La psicologia dell'uomo preistorico, Milano, 1895.

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dalénien En France Edouard Piette (1827-1906) pro- posa une réforme complète de la nomenclature paléolithique. Il ne s'agissait plus de choisir de nouveaux sites éponymes, mais d'utiliser des termes en référence directe avec le caractère typologique de chaque époque industrielle. Il proposait les expressions d'époques amygdalitique (des grands instruments amygdaloïdes du chelléen), niphétique (des grands outils aux formes variées du moustérien) et glyptique (des beaux-arts, solutréen et magdalénien). Dans cette dernière il établis- sait une subdivision stylistique et chronologique entre une époque éburnéenne (de l'ivoire, solutréen), une époque de la sculpture et une époque de la gravure (magdalénien) Mais toutes ces tentatives furent sans effet et les termes forgés par Mortillet se sont conservés jusqu'à nos jours.

En France cependant les recherches portèrent moins sur la nomenclature que sur la découverte de nouveaux échelons qui viendraient compléter la chronologie de Mortillet sans en modifier les principes directeurs.

E. d'Acy, étudiant plus finement la typologie des objets découverts dans les environs d'Abbeville par Boucher de Perthes et ses disciples, établit l'existence d'une sub- division nouvelle entre le chelléen plus ancien et caracté- risé par les beaux bifaces en amande et l'acheuléen, époque de transition vers le moustérien qui voyait se multiplier les outils sur éclat

Mais l'essentiel des recherches sur les époques inter- médiaires porta sur la question longuement débattue du hiatus. Dans les années 1860 E. Lartet et G. de Mortil- let avaient tous deux insisté sur la lacune qu'ils obser- vaient entre les dernières industries du paléolithique 1. A.-J. RUTOT, Les conditions d'existence de l'homme, Bruxelles, 1907.

2. A. PIETTE, « Etudes d'ethnographie préhistorique », L'anthro- pologie, VI, 1895, pp. 276-292. 3. Le biface est un outil sur nucleus taillé sur ses deux faces. Au XIX siècle, il est souvent désigné sous le nom de « hache ». 4. E. D'ACY, Note sur les patines des silex taillés des alluvions de Saint-Acheul et sur l'ordre de leur superposition, Paris, 1880.

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utilisant exclusivement la pierre taillée et celles du néoli- thique qui dénotaient la maîtrise du polissage. Cette absence d'intermédiaire fut traduite dans la théorie du hiatus qui faisait intervenir entre les deux grandes sub- divisions de la préhistoire une époque troublée de grandes migrations. Les migrants auraient apporté les techniques nouvelles, ainsi que les animaux domes- tiques, et les auraient brutalement imposés. Cette théo- rie fut exposée en détail dans le manuel de G. de Mortillet, Le préhistorique, en 1883 Mais l'importation brutale et instantanée d'une culture nouvelle par un peuple mystérieux venu de l'Orient posait problème et la théorie du hiatus vit apparaître rapidement ses premiers contradicteurs. A leur tête se trouvait Emile Cartailhac (1845-1921), discipline dissident de Mortillet et chef de file des préhistoriens toulousains. Dans La France pré- historique il résumait ses réserves en affirmant que le hiatus néolithique n'était rien de plus qu'une lacune dans les connaissances. Les premières découvertes d'indus- tries intermédiaires entre pierre taillée et pierre polie vinrent sans délai confirmer cette affirmation. Au début du siècle déjà les Scandinaves avaient découvert dans les kjœkkenmœddings (amas coquilliers) une industrie de la pierre taillée qui précédait de peu celle de la pierre polie.

Thomsen et Worsaae avaient tous deux insisté sur l'anté- riorité de ce faciès industriel dont l'outil typique était le tranchet, objet taillé d'une forme proche de celle des haches polies. A la fin des années 1880, l'archéologue amateur de l'Yonne Philippe Salmon (1823-1900) décou- vrait une industrie similaire dans le gisement de Cam- pigny (Seine-Maritime). Les outils taillés, pics et tran- chets, qui rappelaient les formes néolithiques étaient engagés dans un niveau dont le renne était absent. Salmon en concluait à l'existence d'une nouvelle division de l'âge de la pierre taillée, le campinien, plus récent que le magdalénien de Mortillet Mais cette industrie n'était 1. G. DE MORTILLET, Le préhistorique, Paris, Reinwald, 1883.

2. E. CARTAILHAC, La France préhistorique, Paris, Alcan, 1889.

3. Le site de Campigny fut fouillé par Salmon dès 1886. Les conclusions définitives de l'auteur furent publiées en 1898 : P. SAL- MON, G. AULT DU MESNIL et J. CAPITAN, « Le campinien, fouille d'un

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pas elle-même une transition entre les techniques de la pierre taillée et de la pierre polie. Les découvertes de cette nature furent faites par la suite par E. Piette. Des collections recueillies à Gourdan (Haute-Garonne) où une stratigraphie concordante présentait une superposi- tion de niveaux paléolithiques et néolithiques, il put déduire qu'à l'opposé de la discontinuité observée pour les outils de pierre, se dessinait une continuité des outils sur os. Les harpons magdaléniens se retrouvaient dans une forme et avec des ornements inchangés dans le premier néolithique1. Ce fut alors que l'exploration du gisement du Mas-d'Azil (Ariège) lui permit de mettre au jour une industrie lithique de transition. Superposés à un niveau magdalénien très riche, se trouvaient en effet des outils de silex taillé dont les tranchants étaient aiguisés par polissage2. La transition entre les techniques de la taille et du polissage était ainsi attestée et la théorie du hiatus définitivement infirmée.

L'entrée de l'azilien dans la chronologie préhistorique remettait certes en question l'hypothèse des migrations orientales défendue par Mortillet, mais elle ne venait pas ébranler les fondements mêmes de son schéma classifica- toire. Elle semblait au contraire confirmer l'existence d'une évolution technique linéaire. C'est pourquoi G. de Mortillet accepta la réalité de cultures qui furent appelées mésolithiques à la fin du XIXe siècle. Il lui semblait cependant — et ce fut sa seule réserve — que le site du Mas-d'Azil n'était pas l'éponyme idéal. Il lui préféra celui de la Tourasse (Haute-Garonne) dont fond de cabane au Campigny, commune de Blangy-sur-Bresle (Seine- Inférieure) », Revue de l'École d'anthropologie, VIII, 1898, pp. 365- 408.

1. E. PIETTE, « Études d'ethnographie préhistorique, Répartition stratigraphique des harpons dans les grottes des Pyrénées », L'Anthro- pologie, VI, 1895, pp. 276-292. galets coloriés qui n'ont jusqu'à ce jour pas été expliqués. E. PIETTE, 1886. Le niveau baptisé azilien est surtout célèbre pour ses étranges « Études d'ethnographie préhistorique. Les plantes cultivées du Mas- d'Azil. Les galets coloriés du Mas-d'Azil ». L'Anthropologie, VII, 1896, pp. 1-17; 385-427. 2. Le site sous abris du Mas-d'Azil fut exploré par Piette à partir de

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l'industrie intermédiaire n'était pas accompagnée de ces curieux galets coloriés nombreux au Mas-d'Azil et dont l'authenticité était douteuse. Les deux appellations de tourassien et azilien se maintinrent en parallèle pendant quelques années, jusqu'au triomphe définitif de la seconde au début de ce siècle.

Dans l'ensemble, la chronologie de Mortillet restait donc intacte au début du XX siècle. Ses principes fonda- teurs restaient acceptés majoritairement et seules des modifications de détail avaient été opérées. Mais la décennie 1900 devait marquer l'ébranlement de la construction. Si les termes imaginés par Mortillet furent conservés jusqu'à nos jours, les principes organisateurs de sa classification furent remis en question. C'est ainsi que le premier paradigme inventé pour la préhistoire ne survécut pas au tournant du siècle.

La réintroduction de l'aurignacien, éliminé par Mor- tillet entre 1869 et 1872, marqua la fin de l'évolution- nisme strictement linéaire des préhistoriens des pre- mières générations. Cette réintroduction fut l'œuvre de l'abbé Henri Breuil (1877-1961). Avec lui le modèle diffusionniste des ethnologues l'emporta sur le modèle évolutionniste des biologistes. En effet, la réintroduc- tion de l'aurignacien dans la chronologie paléolithique ne fut pas sans poser problème. Les découvertes de la seconde moitié du XIX siècle révélaient que cette indus- trie n'était pas, comme l'avait cru Mortillet, un inter- médiaire entre solutréen et magdalénien, marqué par l'apparition d'un premier outillage sur os dont la tech- nique serait portée à sa perfection à l'époque suivante.

Tout au contraire, les découvertes de Adrien Arcelin à Solutré (Saône-et-Loire) révélaient qu'elle était présolu- tréenne Les premiers instruments sur os étaient donc apparus précocement pour disparaître au solutréen et réapparaître au magdalénien. L'évolution linéaire ne pouvait plus rendre compte des réalités de la strati- 1. A. ARCELIN, « Les nouvelles fouilles de Solutré, près Mâcon, Saône-et-Loire », L'Anthropologie, I, 1890, pp. 295-313.

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graphie et c'est pourquoi Breuil adoptait pour les expli- quer le modèle diffusionniste. L'apparition d'un nou- veau faciès n'était plus désormais le résultat d'un progrès lent mais régulier des techniques suivant la progression biologique des facultés humaines. Elle était la marque de l'importation d'une nouvelle culture, exogène et surimposée à la culture locale La progression des techniques n'était plus une nécessité liée à la loi du progrès universel, mais une réalité historico-géogra- phique fluctuante. Le hasard des migrations humaines interdisait d'en imaginer un cours prédéterminé, uni- voque et partout identique. Il permettait d'envisager le développement de cultures locales et contemporaines bien que distinctes. Ainsi, Denis Peyrony (1869-1954) put-il à partir de 1933 définir le périgordien, coexistant avec l'aurignacien dans le sud-ouest de la France

La première moitié de ce siècle vit donc la destruction progressive de la chronologie de Mortillet. Certes, les époques inventées par lui conservaient leur nom, mais les principes qui les avaient définies avaient disparu. L'assimilation stricte d'une culture industrielle et d'une époque chronologique au nom de l'évolutionnisme per- dait tout son sens et les datations relatives mais univer- selles (et par là même presque aussi « absolues » que des dates chiffrées) se transformaient en repères chrono- logiques locaux.

Les principes paradigmatiques établis par Mortillet furent sans conteste formateurs de la préhistoire à ses débuts. Ils servirent à définir des directions de recherche légitimes et alimentèrent, avant d'être contestés, un des débats fondateurs de la discipline au XIX siècle. Ils eurent aussi des répercussions sur la pratique de la science et sur ses méthodes. L'accent mis sur les enchaî- nements chronologiques linéaires imposa les fouilles 1. H. BREUIL, « Les subdivisions du paléolithique supérieur et leur signification », Congrès international d'anthropologie et d'archéologie préhistoriques, Genève, 1912, pp. 165-238. la Vézère, Aurignacien et périgordien », Bulletins de la Société préhis- torique de France, 1933, pp. 543-559. 2. D. PEYRONY, « Les industries aurignaciennes dans le bassin de

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