M ARC C HEMILLIER
Solfège, commutation partielle et automates de contrepoint
Mathématiques et sciences humaines, tome 110 (1990), p. 5-25
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SOLFEGE,
COMMUTATION PARTIELLE ET AUTOMATES DE CONTREPOINTMarc CHEMILLIER1
RÉSUMÉ -
Cet article s’inscrit dans un travail d’étudemathématique
de la combinatoire musicale. Dans les deux premières parties, on propose un modèle formel de lasynchronisation
musicale, dont on donne quelques propriétés abstraites en comparant ce modèle à d’autres modèles de synchronisation utilisés pour leparallélisme
en informatique théorique. Dans la troisième partie, on décrit un algorithme de production automatique de contrepoint par automates finis.
SUMMARY - Solfege,
partial
commutation, and counterpoint automata.This article is part of a research on a mathematical structure for musical combinatorics. In the first part, we propose an
algebraic
structureadapted
to the representation of the musical synchronisation. We then compare this structurewithformal
tools which are studied inthe field of
concurrent programming. In the last part, we describean
algorithm
to produce counterpointby
meansoffinite
automata.INTRODUCTION.
Ce travail s’inscrit dans une recherche sur un modèle
théorique général
permettant dereprésenter
les relations de base
qui
existent entre les différents éléments d’un texte musical: relation de succession d’une part, maisaussi,
pour lamusique polyphonique,
relation de simultanéité. La relation de succession est traditionnellementreprésentée,
dans la théorie deslangages formels,
en considérant des suites de
symboles
que l’on met bout à bout au moyen d’uneopération
deconcaténation,
et conduit à étudier la structure de monoïde libre sur unalphabet.
Mais dans lecas d’un texte
musical,
il est nécessaire d’enrichir la structure de monoïde en définissant unenouvelle
opération correspondant
à lasuperposition
deséquences
musicales. Une telle extension estproposée
dans[8],
et conduit à étudier la structurealgébrique
desolfège.
Après
avoirrappelé
dans lapremière partie,
lesprincipales
définitions du modèleproposé,
on étudiera dans la deuxième
partie
lesanalogies
que ce modèleprésente
avec d~-,ix autresmodèles formels utilisés pour l’étude du
parallélisme
eninformatique.
Eneffet,
la notion depolyphonie
musicalequi
est au centre duprésent
travail n’est pas sans ressemblance avec celle desynchronisation
de processusparallèles.
On donneraégalement quelques
résultatsthéoriques
de reconnaissabilité par automates finis concernant le modèle
présenté.
Dans la troisièmepartie
de cet
article,
onappliquera
lesprincipaux
résultats énoncésprécédemment
à ladescription
d’unalgorithme
deproduction automatique
decontrepoint.
1 LITP, Université de Paris 7, 4, place Jussieu, 75005 ; (actuellement: LaBRI, Université de Bordeaux I, 351,
cours de la Libération, 33405 TALENCE).
Les définitions et notations utilisées dans cet article sont celles de la théorie élémentaire des
automates et des
langages
formels(cf. [18]).
1. SUCCESSION ET
SIMULTANÉITÉ.
a. Notion de
polyphonie
musicale.Pour introduire le
point
de vueadopté
dans cetravail
revenons à un texte écrit par lecompositeur
Iannis Xenakis au début des annéessoixante,,
intituléMusiques fo rmelles (cf.
[30]).
Ce textequi exposait
lesprincipaux procédés
decomposition
deXenakis, proposait également
une manièreoriginale
de considérer lesphénomènes musicaux,
que l’on trouverarésumée dans les deux citations suivantes : "Postulat. - Nous nous refuserons
systématiquement
unjugement
dequalité
sur tout événement sonore; cequi comptera,
seront lesrelations abstraites à l’intérieur de l’événement ou entre
plusieurs
événements et lesopérations logiques
que l’on pourra leurinfliger.
A cetitre,
son émission est une sorted’énoncé, d’écriture,
une sorte de
symbole
sonoreque
l’on peut, à son tour, notergraphiquement
par unelettre,
a"(p.
186),
etplus
loin:"RÉSUME.
Soit trois événements a,b,
c, émissuccessivement ;
Premièreétape:
ondistingue
trois événements et c’est tout. Deuxièmeétape:
ondistingue
une «successiontemporelle»
c’est-à-dire unecorrespondance
entre événements et instants. Il en résulte : a avantb ~ b avant a
(non commutativité)" (p. 190).
Lesspécialistes
eninformatique théorique
aurontreconnu dans
l’équation
ci-dessus uneopération
familièreappelée
concaténation. C’est bien à cetteopération
que l’on feraappel ci-après
pourreprésenter
l’idée de succession d’événementsmusicaux,
dans le cadre d’un monoïde libre sur unalphabet.
Cependant,
l’un des aspects essentiels de lapolyphonie
musicale est de mettre enjeu,
nonpas une
séquence
d’événements sonores, maisplusieurs séquences, synchronisées
entre elles.Pour
compléter
notremodèle,
il est donc nécessaire de réfléchir sur la nature du ou des mécanismes desynchronisation qui
interviennent dans lamusique polyphonique.
Patrick
Greussay
avaitdéjà examiné,
en1973, quelques
aspects de lasynchronisation musicale,
en relation avec certainestechniques
utilisées pour leparallélisme informatique.
Danssa thèse intitulée Modèles de
description symbolique
eninformatique
musicale(cf. [19] p. 111),
il
proposait
entre autresexemples,
l’extrait musical suivant :Figure
1.Organum
à deux voix de l’Ecole deCompostelle (environ 1125)
Cet
exemple
faitapparaître
deux processusqui
se déroulent enparallèle
avec une relativeindépendance.
Lasynchronisation
des deux voix n’est réaliséequ’en
certainspoints,
la voixgrave attendant pour passer à la note suivante la fin du mélisme de la voix
aiguëe.
Selonl’expression
deGreussay,
lapartie supérieure
"fait avancer" le ténor.Le
point
de vue deGreussay
consistait à montrer comment onpouvait
réaliser en machineune
synchronisation
de ce type. Dans notreperspective
de formalisation de la combinatoiremusicale,
nous supposerons résolu ceproblème
de lasynchronisation effective,
enmachine,
deséquences
musicales(à
l’aide deséquenceurs
MIDI parexemple),
pour ne retenir del’exemple
ci-dessus que l’observation suivante : les notes de la voix inférieure doivent être émises en
même temps que certaines notes de la voix
supérieure.
Enplus
de la relation desuccession,
ilfaut établir une relation desimultanéité entre certains événements
figurant
dans laséquence.
L’idée la
plus
naturelle, pourreprésenter
lefragment
musical ci-dessus en tenant comptede
cettedeuxième
relation,
consiste à admettre que dans la successiontemporelle
nefigurent
pas que des événementsisolés,
mais aussi des blocs d’événements simultanés.Ainsi,
laséquence
deviendra :
De cette idée de succession de blocs d’événements
simultanés,
il estpossible
dedégager
unmodèle
simple
desynchronisation,
que l’on va exposer dans la section suivante. La deuxièmepartie
de l’article consistera à comparer le modèle ainsi construit avec deux autres modèles desynchronisation
bien connus eninformatique théorique.
b. Structure
algébrique
desolfège.
On considère un ensemble E
d’événements,
P =P(E)
l’ensemble de sesparties
sera considérécomme un
alphabet,
et onappelle
blocs les éléments del’alphabet.
On forme le monoïde libre P* sur Pqui
est l’ensemble desséquences musicales,
muni de la traditionnelleopération
deconcaténation,
notée par unpoint.
On note 1 laséquence
vide.Dans
P*,
on définit une loi decomposition,
notéeIl, correspondant
à lasuperposition
dedeux
séquences
musicales :1)
pour tout u deP*,
u Il 1 = 1 Il u = u.2)
pour u et v nonvides,
soient u= au’,
v =bv’,
avec a et b dans P. On pose :De la même
façon,
on définit dans P*l’interposition
dedeux. séquences musicales,
notée1:
1)
pour tout u deP*, u 1 1=11
u = 1.2)
pour u et v nonvides,
soient u =au’,
v =bv’,
avec a et b dans P. On pose :Si lul 1
désigne
lalongueur
du mot u , on a :L’ensemble P* se trouve ainsi muni de trois
opérations
.,Il,1,
vérifiant lespropriétés
suivantes :
1) (P*, .)
est un monoïde d’élément neutre 1.2) (P*, Il, -L)
est un treillis distributif.3) .
est distributive àgauche
sur Il et1.
4)
1 est neutre pour Il.On convient
d’appeler solfège
un ensemble S muni de trois lois .,Il , 1
vérifiant les quatrepropriétés
ci-dessus. Un tel ensemble est donc ordonné par sa structure detreillis,
etdispose
d’un
plus petit élément, qui
est aussi neutre pour uneopération compatible
àgauche
avec larelation d’ordre. L’ensemble N des entiers
naturels,
muni desopérations
+, max, min est unexemple
d’une telle structure.Si X et Y sont des
parties
deP*,
on définit lasuperposition
de X et Y:ainsi que la
superposition
àlongueurs égales
de X et Y :EXEMPLE. Soient u et v les deux
séquences
suivantes :u =la 0 si 0
do ~,v = la o
sol fa mi ré mi 0.La
concaténation,
lasuperposition,
etl’interposition
de u et v serontrespectivement :
uv
= la ~ si o do o la o
sol fa mi ré mi 0,u U v = la 0 si do
sol fa mi ré
min,
u 1. v =la0
0 000.Ces trois
séquences
musicales sontreprésentées figure
2. Dans la conventionadoptée ici,
les événementscorrespondent uniquement
àl’attaque
des notes.Chaque
bloc a pour durée unecroche,
et le blocvide o indique
que laséquence
seprolonge
sansqu’il
y ait une nouvelle attaque de note.Figure
2.Dans la suite de cet
article,
on examinera successivement deux autres types desynchronisation,
utilisés pour leparallélisme
eninformatique
et dont lespropriétés
formellessont bien connues :
1)
leproduit
desynchronisation (dans
un monoïdepartiellement
commutatiflibre),
et2)
le shuffle littéral.On comparera chacun de ces deux modèles avec celui de la
superposition qui
a étéprésenté
ci-dessus. La
comparaison
entre le shuffle littéral et lasuperposition
seraégalement
l’occasiond’énoncer
quelques
résultatsthéoriques
de reconnaissabilité par automates finis concernant lasuperposition.
2.
MODÈLES
DEPARALLÉLISME.
c. Monoïdes
partiellement commutatifs
libres.Considérons deux processus, tous deux constitués d’une succession d’actions
qui
peuvent êtrerespectivement:
a ou b pour lepremier
processus, et a ou c pour le second. Parexemple :
et
La
règle
desynchronisation
est la suivante : les actions communes aux deux processus doivent être exécutées en commun par l’un et par l’autre.Le résultat de cette
synchronisation
peut être schématisé comme suit :Figure
3.La relation de succession entre les occurrences des différentes lettres
apparaît
ici comme unerelation d’ordre
partiel.
Lesobjets
de ce type ont été définis formellement par Viennot sous lenom
d’empilements
depièces(cf. [28] p.324]).
Si l’on
peut
intervertir l’ordre danslequel
sont effectuées les actions b et c, en revanche il n’est paspossible
de permuter a etb,
ni a et c.Ainsi,
si l’onreprésente séquentiellement
les différentes actions à exécuter pour la
synchronisation
de pl et p2, alors c b ba b c,
etb c b a b c
conviennent,
mais b c a b b c ne convient pas. Dans le casgénéral,
on diraque l’ensemble des lettres est muni d’une relation de commutation
partielle.
Si A est
l’alphabet,
et e cette relation(supposée symétrique
etantiréflexive),
on forme surle monoïde
A*,
la congruenceengendrée
par les relations du type ab ~ba,
pour(a,b)
appartenant
à e. Lequotient
de A* par cette congruence est notéM(A,e).
C’est le monoïdepartiellement commutatif libre
sur A associé à e, et ses éléments sont des traces. Pour u dansA*, [u] désigne
sa classe dansM(A,e),
et ~ est lasurjection canonique
de A dansM(A,e), qui
à uassocie t(u) = [u].
Dansl’exemple ci-dessus,
le résultat de lasynchronisation
de pl et P2 est une classe deM(A,e),
dont unreprésentant
est c b b a b c.On
peut imaginer
d’associer à une trace différentesreprésentations
sous forme desuccessions de blocs d’actions simultanées
(ou plutôt
d’actions"pouvant
être exécutéessimultanément").
Parexemple,
la trace de lafigure
3pourrait
êtrereprésentée
par :Dans cette
perspective, qu’en
est-il de lasuperposition :
pl 11p2 ?
On constatequ’elle
ne convientpas pour
représenter
lasynchronisation
des deux processus pl et p2 :Il est facile de voir
qu’une
condition nécessaire et suffisante pour que les deux modes desynchronisation coïncident,
est que les actions communes à deux processusapparaissent
dansles mêmes
positions
pour chacun de ces deux processus. Ce n’est pas le casici, puisque
aapparaît
en troisièmeposition
dans pl, et en deuxièmeposition
dans p2.Il est
possible
de donner une formulationprécise
de cettepropriété.
C’est ce que nous allons faireci-après,
mais il fautauparavant rappeler quelques
résultats élémentaires concernant les monoïdespartiellement
commutatifs libres.d. Produit de
synchronisation
etsuperposition.
Une trace de
M(A,e),
c’est-à-dire une classed’équivalence, s’exprime
au moyen duproduit
de
mixage.
Celui-ci a été introduit par De Simone[13],
de la manière suivante.Soient A et B deux
alphabets,
on considère le monoïde libre(A
UB)*.
Pour toutepartie
Cde A U
B,
on définit laprojection
surC,
notéenc,
comme étant lemorphisme
de(A
UB)*
dans C* tel que
xc(x)
= x pour xappartenant
àC,
et1tc(x)
= 1 pour xappartenant
à(A
UB)-C.
Pour A et B(inclus
dans A UB),
on définit les deuxprojections
1tA et 1tB. Soient X et Y deuxparties respectivement
de A* et B *. Leproduit
demixage
de X etY,
noté X m Yest une
partie
de(A
UB)*
définie par :On note A la
diagonale
de A x A. Unepartie
A’ de A est uneclique
pour la relation de commutation e(resp.
de non-commutationë ),
si la restriction de e U A(resp. é )
à A’ estA’ x A’. Un recouvrement par
cliques
de e(resp. à)
est une famille departies Al, A2,... Ap
de A telles que e Usa
(resp. ë)
soitégal
à l’union desAi
xAi,
pour 1 p. Le résultat suivant donnel’expression
de la classe d’un mot u de A* au moyen duproduit
demixage [14] :
PROPOSITION 1. Si
A,, ... Ap
est un recouvrement parcliques
deà,
alors pour u et v dansA*,
on a :1)
u = v si et seulement si1ti(u) = 1ti(v)
pour tout i _ p, Xidésignant
laprojection 1tA.de
A* dans
Ai*.
Si B est une
partie
deA,
ongénéralise
pourM(A,e)
la notion deprojection,
en définissant xB deM(A,e)
dansM(B,eIB)
parxB([u]) = [1tB(u)].
Cette définition a bien un sens, car siu = v, alors pour tout i p,
1ti(1tB(U)) = 1tA¡nB(U) = 1tB(1t¡(U)) = xB(xi(v)) = xi(xB(v)),
doncd’après
le théorèmeci-dessus, ~t8(u)
estéquivalent
à1tB(v). A raide de
cesprojections,
on peut énoncer un résultatanalogue
auprécédent :
PROPOSITION 2. Si t et t’ sont deux éléments de
M(A,e),
alors t = t’ si et seulementsi
1ti(t) = xi(t’)
pour tout i z p.Le
produit
demixage
permet de donner une définitionprécise
du modèle desynchronisation présenté
dans la sectionprécédente,
sous la forme d’uneopération
sur les tracesappelée produit
de
synchronisation,
notée 181(cf. [ 15]
p.6).
Sous sa formegénérale,
ils’agit
d’uneopération
ensembliste dans
M(A,e).
SoitAi, A2, ... Ap
un recouvrement parcliques
de é.Remarquons
d’abord que tous les mots de
Ai*
sontrigides (i.
e. seuls dans leurclasse).
Ceci vient de ce queelAi
est vide. On peut donc les identifier à leur trace, et identifierAi*
àM(Ai,elAi).
Si
Xl, ... Xp
sont desparties
deA1*, ... Ap*,
on pose :pour
En considérant le cas où tous les
Xi
sont réduits à dessingletons ti,
on peut définir pour toutp-uplet tl, ... tp
deA 1 *, ... Ap*
tel quetl
m... mtp
soit une classe non vide deM(A,e)
notée t, le
produit
desynchronisation
desti :
tl 181 ... 181 Íp = t.
EXEMPLE. La relation de non-commutation à
correspondant
àl’exemple
de lafigure
3 estreprésentée figure
4. On areprésenté également
un recouvrement parcliques
de ë :A,
={a,b},
et
A2
={a,c}.
Figure
4.Les mots :
u = c b b a b c,
etv = b c b a b c,
ont desprojections identiques respectivement
surA1 *
et surA2* :
b b ab,
et c a c, c’est-à-dire pl et p2. Ilsreprésentent
donc la même trace, et cette trace est leproduit
desynchronisation
des deux processus :Par contre, le mot b c a b b c se
projette
surAl *
en b a bb,
donc il donne une tracedifférente.
Pour énoncer la
propriété
étudiée mettant en relation lasuperposition
et leproduit
desynchronisation,
il reste à établir un lien entre lesséquences
de blocs d’événements simultanés(ou "pouvant
être exécutéssimultanément"),
et les traces deM(A,e).
On utilise pour cela lasurjection canonique t
de A* dansM(A,e),
en laprolongeant
de manièreadéquate.
On forme P =
P(A),
et P* lesolfège
associé. On considère l’ensembleC,
inclus dansP,
descliques
de la relation de commutation e, et on forme le sous-monoïde C* de P*(cf. [ 14]
p.
55).
Par définition descliques
de e, C contient lessingletons de A,
donc A* peut être identifié à un sous-monoïde de C*. Lescliques
de la relation de commutation regroupent les actionsqui
peuvent être exécutées simultanément.On
prolonge
alors ten un morphisme de
C* dansM(A,e).
Poursimplifier
lesnotations,
on notera avec le même
symbole ~
et sonprolongement
à C*. Il suffit de définir t pour tous les éléments deC,
de la manière suivante :1)
pour a dansA, t(a) = [a]
= a.2)
pour c dansC,
avec card c >2, ~(c) = ~(c-a).a.
Cette définition a bien un sens, car les éléments de c commutent tous entre eux.
EXEMPLE. Soit t la trace étudiée dans
l’exemple
de la sectionprécédente (figure 3).
L’élémentde C* ci-dessous
appartient
àt-l(t):
Si
Ai , A2, ... Ap désigne
un recouvrement parcliques
de la relation de non-commutationé,
et t une trace, on note
Itli
le nombre de lettres deAi apparaissant
dans t, etItlij
le nombre de lettres deAi
flAj apparaissant
dans t. Dire que les éléments deAi
nAj qui apparaissent
dansun processus t de
Ai* apparaissent
dans la mêmeposition
dans t’ deAj*,
peuts’exprimer
demanière
équivalente
par la condition :On est alors en mesure d’énoncer la
proposition
suivante :PROPOSITION. Soient
tl,
...tp
appartenant àA1*,
...Ap*,
tels que leurproduit
desynchronisation
soitdéfini.
Alors :si et seulement si pour tous
i, j.
DÉMONSTRATI4N.
On note t leproduit
desynchronisation
desti,
et z leursuperposition.
On note
respectivement 1ti,
1ta lesprojections
associées àAi
et{ a } .
CONDITION
NÉCESSAIRE. Supposons qu’il existe ti
ettj,
et une lettre a deAi
nAj qui
n’apparaît
pas dans la mêmeposition
dansti
et danstj.
En posant k =1 ti 1 a
on a :1 t¡ .1 tj 1 a
k.On a
1ta(tj) = 1ta(1tj(t)) = 1ta(t) = 1ta(1ti(t)) = 1ta(ti)’
car aappartient
àAi
etAj,
donc les nombresd’occurrences de a dans
tj
et t sontégaux
à k. Soit n le nombre d’occurrences de a dans D’oùCONDITION SUFFISANTE.
Supposons Iti 1 tjli~
=1t¡lj
=Itjli,
pour tousi, j.
Vérifions que zappartient
à C*. S’il existe un bloc de zqui
n’est pas uneclique
pour la relation decommutation,
ce bloc contient deux lettres a et b distinctes ne commutant pas. Ellesappartiennent
donc à unAk.
Si c est la lettre detk qui
occupe la mêmeposition,
alors c diffèrede l’une des deux
lettres,
parexemple
de a. Dèslors,
a est une lettre deAi
flAk apparaissant
dans
ti
etqui n’apparaît
pas danstk
à la mêmeposition,
cequi
est contraire àl’hypothèse.
Pour montrer
que 41 (z)
= t, vérifions1ti(t(Z)) = 1ti(t) quelque
soit i z p(cf. Proposition 2).
Pour idonné,
on construit u tel quez = ti Il u,
en posant : u delongueur 1 il,
etchaque
bloc
u[k] de
u vaut:z[k] - ti[k]
sik 1 ti l ,
etz[k]
sinon.D’après
la définition det, on a
alors : et sinon. Par
ailleurs, u[k]
ne contient aucun élément de
Ai,
carsinon,
pour uncertain j # i,
cet élément serait dansAi
nAj5
en
position
k danstj,
mais pas enposition
k dansti,
cequi
contreditl’hypothèse.
D’où :1ti(t(u[k]))
= 1 pour toutk,
cequi
donne1ti(t(z)) = ni(,~ (ti»
=ti, donc 1> (z)
= t. ae.
Shuff le
littéral._
Nous allons à
présent
examiner le deuxième type desynchronisation
annoncé à la fin de lapremière partie :
le shuffle littéral. Larègle
desynchronisation
des deux processus enjeu
est lasuivante : chacun des processus exécute une action à tour de rôle. Si par
exemple
on considèreles deux processus
ci-après :
alors le résultat de la
synchronisation
sera laséquence
suivante :ce
qui
conduit à la définition d’une nouvelleopération
entreséquences, appelée shuffle
littéral.Une définition formelle est donnée dans
[3],
p. 0-15. Pour u = ul...un et v = vl...vn de mêmelongueur,
soitI(u,v)
= UiV~..Uj~ le mot obtenu en alternant une lettre de u et une lettre de v, de 1 à n.Ensuite,
pour u et v delongueurs différentes,
soit parexemple
v =v’w,
où Il = lul. On pose alors: u w 1 v =I(u,v’)w
et v u~ 1 u =I(v’,u)w.
La relation entre ce mode de
synchronisation
et celuireprésenté
par lasuperposition apparaîtra
clairementgrâce
àl’exemple
donnéfigures
5 et6,
où les deux types desynchronisation
sontappliqués
aux processus pi = ai a2 a3 a4 et p2 =b, b2 b3 :
Figure
5.On passe du shuffle littéral à la
superposition
enregroupant
dans un même bloc d’événementssimultanés,
les lettresapparaissant
à l’intérieur d’un même facteur dans la factorisation ci- dessus.Figure
6.Il en résulte une
analogie
très forte entre ces deux modes desynchronisation,
cequi
peut se traduire formellement en donnant au shuffle littéral une nouvelledéfinition, calquée
sur celle dela
superposition :
1)
pour tout u deA*, U w 1 1 = 1 w 1 U = u,
2)
pour u et v nonvides,
soient u =au’,
v =bv’,
avec a et b dans A. On pose : u u~ 1 v =(ab)(u’
w 1v’).
Notons que la condition 1
exprime
que le mot vide est neutre pour le shuffle littéral.Malgré
cetteanalogie,
la réductionopérée
enregroupant
dans un même bloc les lettres d’un même facteur fait de lasuperposition
uneopération plus simple
que le shufflelittéral,
et lespropriétés
formelles dontjouit
lapremière
sontplus
nombreuses etplus systématiques
que cellesqu’on peut
vérifier concernant la seconde.Par
exemple,
on a vu que lasuperposition
est commutative et associative. Il est facile de voir que le shuffle littéral n’est pascommutatif,
etl’exemple ci-après
montrequ’il
n’est pas nonplus
associatif :
Si l’on se
place
àprésent
dupoint
de vue de la reconnaissabilité par automatesfinis,
ondémontre que les deux
opérations
se comportent de la mêmefaçon lorsqu’elles
combinent entreeux deux
langages
reconnaissables. On a en effet le résultat suivant(les principaux
résultatsénoncés
ci-après
sont détaillés dans[ 10] ) :
THÉORÈME
1. Si X et Y sont deslangages reconnaissables,
alors X IlY,
X 1 Y et X w 1 Ysont aussi reconnaissables.
Les situations
divergent lorsqu’on
s’intéresse auxopérations itérées,
construites de la manière suivante : soit X unlangage,
on pose :pour tout n
entier, puis
on définit .’et de même à
partir
du shufflelittéral,
on définitX w 1 *.
Dans le cas d’un
langage Xfini,
on voit de manière évidente que lelangage
Xo est lui aussifini. Par contre, pour le shuffle littéral
itéré,
cette remarque est fausse. Il faut laremplacer
par le résultat suivant(cf. [3] ) :
PROPOSITION: Si X
est fini,
alorsX~’ 1 *
est reconnaissable.Si l’on considère à
présent
unlangage
Xreconnaissable,
on observe à nouveau descomportements
différents. Pour lasuperposition itérée,
on a le théorème suivant(cf. [ 10] ) : THÉORÈME
2(Latteux).
Si X estreconnaissable,
alors XO est aussi reconnaissable.Ce résultat est d’autant
plus remarquable
que pour le shuffle littéralitéré,
on a un résultatnégatif :
lelangage (a2(ab)*b2)~’ 1 *
n’est pas reconnaissable.Dans la suite de cet
article,
on montre comment le résultat énoncé ci-dessus concernant la reconnaissabilité par automate fini de lasuperposition
de deuxlangages
reconnaissables(théorème 1) peut
être utilisé pour concevoir unalgorithme
deproduction automatique
decontrepoint.
z
3. AUTOMATES FINIS ET CONTREPOINT.
Les traités d’harmonie et de
contrepoint
traditionnels établissent à des finspédagogiques,
des"règles"
déterminant l’ensemble desséquences
musicalesjugées
conformes à unstyle
donné. Leplus
souvent, cesrègles prescrivent,
pour une situationdonnée,
l’éventail des transitionsacceptables,
et l’exercice de l’élève consiste àproduire
uneséquence
musicale en"appliquant
lesrègles".
En
fait,
cette manière de concevoir laproduction
demusique
parapplication
derègles
ne selimite pas au strict contexte
pédagogique:
en dehors del’improvisation complètement libre,
touteforme de
production
musicale lamanifeste,
à desdegrés
divers.L’application
derègles
peut êtreparfois complètement
mécanisée comme dans le cas des "automates musicaux": la boîte àmusique
d’un nourisson en est unexemple
familier danslequel
l’automate se réduit à une bouclequi
tourne sur elle-même. Mais cetexemple
un peuparticulier
n’est pas aussiinsignifiant qu’il
n’y paraît.
A la fin du XVIIIèmesiècle,
de nombreux fascicules ont étépubliés qui proposaient
au lecteur le moyen de composer des
pièces
demusique automatiquement,
"sans même savoir lamusique".
L’und’eux,
paru sous le titre Ludus melothedicus(cote
BN: Vm81137),
estreproduit
enfigure
7.Figure
7.Dans ces méthodes de
composition automatique, l’algorithme
est le suivant: on tire au hasardune
première
mesure dans une liste de mesurespossibles, puis
une deuxième mesure dans uneautre
liste,
etc.jusqu’au tirage
de la dernière mesure dans une dernière liste. Les listes sont bien sûr conçues pour que les enchaînements des différentes mesures tirées se fassentnaturellement, quelque
soient les résultats destirages.
La méthode a eu suffisamment de succès àl’époque
pourqu’on l’applique
à laconception
depetites
machines à composerappelées "componium" (figure 8):
les listes de mesures sont matérialisées par descylindres,
enfilés côte-à-côte sur un mêmeaxe, les
tirages
étant réalisés en faisant tourner ces différentscylindres
les unsaprès
les autres.On est en droit de considérer ces machines comme les
premiers
prototypes réalisés eninformatique
musicale.Figure
8.Componium portatif,
vers 1830.Paris. Musée Instrumental du CNSM
(E. 1908)
Du
point
de vue deslangages formels,
on se trouve enprésence
delangages
obtenus parfactorisation :
Dans l’un de ces
jeux musicaux,
attribué à Mozart(cote
BN :Vm 7 6912,
cf aussi[24]),
l’auteursuggère également
d’utiliser l’étoile dulangage
ci-dessus : "Veut-on avoir un Walzerplus long
on recommence de la même
manière,
et ainsi cela va àl’infini",
d’où lelangage :
On obtient des
expressions
rationnelles élémentaires. Les automates finiscorrespondant
à ceslangages
reconnaissables sontreprésentés figure 9,
ainsi quequelques exemples
depremières
etde deuxièmes mesures tirées du Ludus melothedicus.
Figure
9.A dire
vrai,
l’idée de définir desrègles
de transitions musicales à l’aide degraphes
oud’automates finis ne s’est pas cantonnée à ces
jeux
musicaux. On la retrouve à l’oeuvre auXXème siècle dans des
pièces
demusique
savante, comme entémoigne
l’extrait de la 3ème Sonatepour piano
de PierreBoulez ~ 1957) reproduit figure
10.Figure
10. PierreBoulez,
3ëme Sonate(ed. Universal).
Dans le cas
général
de la"composition musicale",
la part d’automatisme estplus
ou moinsimportante
dansl’application
derègles
pour contrôler les transitions du discours musical. Mais lesexemples
décrits ci-dessus laissent entrevoir l’intérêt que peutprésenter
le modèle desautomates finis
pourl’application
del’informatique
à lagénération
musicale.REMARQUE.
La Suite Illiac de Hiller etIssacson, généralement
considérée comme l’acte de naissance del’informatique
musicale(1959,
cf.[20]), proposait déjà
un traitementautomatique
des
règles
ducontrepoint
traditionnel.L’informatique
musicale adepuis
suscité de nombreuses recherches sur lapossibilité
de traiter par ordinateur des ensembles derègles musicales,
àpartir
de modèles formels divers. Mentionnons
quelques
travaux récents dans ce domaine: Jan Vandenheede étudie lespossibilités
dulangage
PROLOG pour"spécifier
etgérer
desrègles
musicales de
façon
confortable"(cf. [26]) ;
KemalEbcioglu
propose unsystème expert
pour harmoniser des chorals dans lestyle
de Bach au moyen de "deux centrègles environ, réparties
en
plusieurs
groupes, dont chacun observe le choral d’unpoint
de vuedifférent,
comme lesquelette
desaccords,
leslignes mélodiques
desparties individuelles,
et la structure hiérarchisée du chant et de la basse"(cf. [16]) ; Christoph
Lischka s’intéresse au mêmeproblème,
d’unpoint
de vue connexioniste
(cf. [21]) ; enfin,
BemdStreitberg
introduit la notion de"température"
d’une
séquence
decontrepoint
comme étant le nombre de violations desrègles contrapunctiques
dans la
séquence (cf. [25]).
Pour leproblème plus spécifique
de l’écriturecanonique,
GiancarloBizzi a
proposé
unimportant
travail de formalisation fondé sur les "carrésmagiques"(cf. [4]).
f .
La théorie de Pierre Barbaud.L’étude
systématique
desrègles
élémentaires de lamusique
tonale au moyen d’un formalismerigoureux
faisant référence aux automatesfinis,
a été introduite au milieu des années soixante dans les deux ouvrageshistoriques
de Pierre Barbaud Introduction à lacomposition
musicaleautomatique (1965, [1])
et Lamusique discipline scientifique (1968, [2]).
Pour illustrerl’approche
de PierreBarbaud, plaçons-nous
dans la tonalité de DOmajeur.
On considère danscette tonalité l’ensemble des accords
parfaits
que l’onpeut
construire surchaque degré
de lagamme, et on note par des chiffres romains ces
"degrés harmoniques".
On éviteracependant
l’accord de
quinte
diminuée construit sur la sensible et onremplacera
l’accord mineur du troisièmedegré
par un accordparfait majeur (noté IIIh4) empruntant
au ton relatif LA mineur.On obtient la liste :
I, II, IIIM, IV, V, VI,
avec 1 ={ do, mi, sol { ,
etc. On s’intéresse alors auxséquences harmoniques
formées par des accords de cetteliste, supposés
tous à l’étatfondamental. Les transitions sont données par un automate fini comme celui de la
figure
11(cf.
[2]
p.56).
La matrice de transitionindique
pourchaque
accord l’ensemble des accordsqui
peuvent lui
succéder,
au moyen de 1placés
dans laligne correspondante.
Voici unexemple
deséquence harmonique
obtenue par l’automate ci-dessous :Figure
I1.Pour obtenir les
lignes mélodiques
de lapolyphonie,
on part d’uneposition
arbitraire pour lepremier
accord de laséquence,
et on construit lespositions
des accords suivants au moyen de la"règle
des indices"(cf. [2]
p.51 ).
Lapolyphonie
estsupposée
à quatrevoix,
et la fondamentale dechaque
accord est doublée.1)
Si la basse monte d’uneseconde,
d’unetierce,
ou d’une quarte, alors lafondamentale,
latierce,
et laquinte
dupremier
accord sont suiviesrespectivement
de laquinte,
lafondamentale,
etla tierce de l’accord suivant.
2)
Si la basse descend d’uneseconde,
d’unetierce,
ou d’une quarte, alors lafondamentale,
latierce,
et laquinte
dupremier
accord sont suiviesrespectivement
de latierce,
laquinte,
et lafondamentale de l’accord suivant.