163 | avril-juin 2008
La culture des élèves : enjeux et questions
DENIS Daniel et KAHN Pierre (éd.). L’École de la III
eRépublique en questions. Débats et controverses dans le Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson
Berne : Peter Lang, 2006. – 283 p.
Jean-Paul Martin
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/rfp/1031 DOI : 10.4000/rfp.1031
ISSN : 2105-2913 Éditeur
ENS Éditions Édition imprimée
Date de publication : 1 juin 2008 Pagination : 129-131
ISBN : 978-2-7342-1123-5 ISSN : 0556-7807 Référence électronique
Jean-Paul Martin, « DENIS Daniel et KAHN Pierre (éd.). L’École de la IIIe République en questions. Débats et controverses dans le Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson », Revue française de pédagogie [En ligne], 163 | avril-juin 2008, mis en ligne le 29 septembre 2010, consulté le 22 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/rfp/1031 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rfp.1031
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DENIS Daniel et KAHN Pierre (éd.).
L’École de la III e République en
questions. Débats et controverses dans le Dictionnaire de pédagogie de
Ferdinand Buisson
Berne : Peter Lang, 2006. – 283 p.
Jean-Paul Martin
RÉFÉRENCE
DENIS Daniel et KAHN Pierre (éd.). L’École de la IIIe République en questions. Débats et controverses dans le Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson. Berne : Peter Lang, 2006. – 283 p.
1 Cet ouvrage collectif s’inscrit dans une entreprise de redécouverte scientifique du Dictionnaire de pédagogie de F. Buisson, inaugurée dès les années quatre-vingt-dix par les travaux de Patrick Dubois. Depuis, d’autres philosophes et des historiens ont travaillé sur le Dictionnaire, ou enrichi la connaissance de son environnement, à l’occasion d’études diverses sur le rôle de F. Buisson et des protestants dans la fondation de l’École républicaine, la morale laïque, la naissance des sciences de l’éducation, etc. Plusieurs figurent parmi les contributeurs du présent volume, qui émane du groupe de recherche en histoire de l’enseignement de l’IUFM de Versailles, et qui fait suite à un ouvrage dirigé également par D. Denis et P. Kahn (2003), et consacré à la question des savoirs scolaires. L’approche, cette fois ci, prend plus de risques, elle vise à baliser les principaux débats qui traversent le Dictionnaire dans les domaines les plus divers : pédagogique, philosophique, politique, social. Le souci de contextualiser ces débats en mobilisant le « hors-texte » de l’ouvrage y est très présent, la dimension comparative
entre les deux éditions successives, le Dictionnaire de pédagogie (paru au tout début de la IIIe République) et le Nouveau dictionnaire de pédagogie (1911), est, elle aussi, présente, mais moins systématique. D’où l’hétérogénéité des contributions, quant au choix des thèmes ou de l’approche. Sans doute est-il fait appel ici aux meilleurs spécialistes des questions traitées, mais on ne peut se défaire de l’impression que manque parfois un fil conducteur, une hiérarchisation, voire un cahier des charges commun, en dépit d’un regroupement astucieux en quatre parties. En outre, l’ombre portée des débats contemporains sur l’École qui alimente en particulier la conclusion, si elle était sans doute inévitable, contribue à orienter la lecture dans un sens un peu particulier.
2 La première partie consacrée à des contextualisations éditoriales diverses, s’ouvre sur l’article de P. Dubois explorant la redécouverte actuelle du Dictionnaire en lien avec une conjoncture institutionnelle (le crépuscule de l’École de J. Ferry), un climat idéologique (les débats entre « républicains » et pédagogues) et une production scientifique qui a désenchanté le regard sur l’École républicaine. J.-Y. Mollier le replace dans le cadre de la grande aventure des dictionnaires au XIXe siècle et dans celui du renouvellement de l’édition scolaire. J. Helmchen le situe au regard d’une tradition encyclopédique allemande qui s’est mise à faire référence en France, traduisant une forme d’allégeance envers la « terre de la pédagogie ».
3 La seconde partie porte sur les enjeux philosophiques et pédagogiques, qui apparaissent ici largement indissociables. En effet, le Dictionnaire de pédagogie s’est voulu une tentative pour fonder philosophiquement des notions pédagogiques consensuelles, et l’histoire de la pédagogie, présentée par des philosophes professionnels (G. Compayré, H. Marion), a été conçue comme un substitut pour l’enseignement populaire à l’histoire de la philosophie enseignée dans les lycées.
L’influence du modèle germanique est largement présente ici à travers les analyses érudites que L. Chalmel consacre à la place du philanthropinisme, M. Soetard à celle de Pestalozzi, ou encore J. Béguery au kantisme et à la postérité kantienne. Les deux contributions de D. Hameline et de P. Kahn reviennent sur une question centrale particulièrement complexe : les usages des notions d’intuition et de méthode intuitive (traditionnellement associés à la pédagogie active, et aux leçons de choses). Le premier en propose une lecture chronologique par l’amont et par l’aval susceptible d’éclairer les malentendus auxquels a donné lieu cette méthode, le second s’attaque à la question de ses justifications philosophiques, ce qui le conduit à s’interroger sur la mise à l’écart du sensualisme, qui paraissait pourtant a priori avoir vocation à lui servir de fondement.
L’exercice conduit à souligner la prégnance de la tradition spiritualiste dans la philosophie républicaine, au regard de laquelle le sensualisme apparaît synonyme tantôt de passivité de l’esprit, tantôt d’utilitarisme épistémologique et moral.
4 La troisième partie traite des rapports entre laïcité, religion et spiritualité. L. Loeffel, se limitant à l’analyse du Dictionnaire de pédagogie, met l’accent sur l’importance d’une spiritualité qui prend sa source dans les religions minoritaires (judaïsme et surtout protestantisme), bien que de manière non exclusive : cette sensibilité religieuse ferait en quelque sorte converger modernité religieuse et pédagogique, et donc rendrait plus ou moins caduque l’opposition entre religion et laïcité au profit du partage autorité et liberté. M. Gueissaz revient sur une source majeure de la religion de F. Buisson et sur sa place dans le Dictionnaire : l’unitarisme américain de Channing ; elle insiste en particulier sur le concept de « self-culture » comme fondement d’une « éducation libérale » trouvant son inspiration dans le « souffle immortel » que Dieu a mis en tout
homme (p. 149), et susceptible d’unifier les différentes dimensions, pédagogiques, religieuses, sociales et politiques de la pensée de F. Buisson. Enfin A.-M. Chartier, en déplaçant le regard sur Buisson du Dictionnaire de pédagogie à sa lecture de S. Castellion, met à l’épreuve sa philosophie personnelle et tente d’évaluer l’influence de celle-ci sur le Dictionnaire de pédagogie.
5 Trois enjeux sociaux, culturels et politiques sont au cœur de la quatrième partie. À propos de l’apprentissage de la langue, P. Boutan montre combien la question des patois n’a cessé d’opposer deux conceptions : l’une, inspirée par le linguiste M. Bréal, valorise une forme de bilinguisme qui prend appui sur les langues vernaculaires pour apprendre le français, l’autre préconise la rupture complète de toute relation avec la langue-source et plus largement entre environnement familial et école. S’agissant de l’égalité des sexes, D. Tucat met l’accent sur l’importance d’une représentation idéologique omniprésente qui valorise le destin spécifique des femmes en tant qu’épouses et mères, et contredit de ce fait le principe d’égalité d’éducation pour les deux sexes pourtant mis au fronton de la laïcité républicaine. Cette représentation particulière de l’égalité fondée sur la complémentarité des sexes, en retrait sur certains points par rapport aux positions personnelles de F. Buisson, n’est guère contrebalancée par une position « féministe » qui ne s’exprime que sur des enjeux secondaires. Moins classique apparaît la mise en lumière des relations entre primaire et secondaire par les contributions d’H. Terral et D. Denis. Le premier s’intéresse au point de vue primaire sur cette dualité, à partir d’un matériau extérieur au Dictionnaire. Le second reconstitue avec minutie la problématique du Nouveau dictionnaire de pédagogie : il montre que les enjeux essentiels se résument d’une part à allonger la scolarité des élèves de l’enseignement primaire par un enseignement post-scolaire qu’on souhaite rendre obligatoire ; d’autre part à adopter vis-à-vis du secondaire une stratégie de contournement « sur le temps long » qui permettrait à l’enseignement primaire d’imposer largement ses méthodes, son esprit et le rôle de ses maîtres dans le cadre de la future réforme de l’enseignement. Les deux auteurs finalement convergent dans une appréciation nuancée qui bouscule, semble-t-il, quelques idées reçues. La volonté de maintenir la séparation des ordres primaire et secondaire constituerait in fine un moyen « de lutter contre les injustices qu’elle représente » (p. 254) ; elle donnerait
« une chance au primaire », en refusant a priori de considérer que sa seule vocation soit de « mimer le secondaire » (p. 250-251). Mais ne faudrait-il pas alors se déprendre des réquisits du sociologisme contemporain qui stigmatise cette séparation des ordres comme « conservatrice » ? H. Terral et D. Denis semblent hésiter à aller ici jusqu’au bout. Cette perspective que pressentait, semble-t-il, F. Buisson, notamment dans son article Émulation (cité à juste titre p. 249), ne s’impose-t-elle pas pourtant aujourd’hui face au désenchantement engendré par les politiques d’unification dont on impute largement les échecs, précisément, à leur logique uniformisatrice et au fait qu’elle ont privilégié de manière outrancière le modèle culturel hérité du secondaire1 ?
6 D. Denis et P. Kahn, dans la conclusion générale, préfèrent se situer sur le terrain (plus solide à leurs yeux ?) des acquis pédagogiques de l’École républicaine pour instruire le procès des théories néo-républicaines actuelles. Ce faisant, ils n’ont aucun mal à déconstruire le mythe anhistorique mis en avant par les tenants de ces théories. Mais obnubilés par leur visée polémique, ils omettent d’autres pistes, peut-être tout aussi éclairantes pour penser aujourd’hui le rapport entre unité et diversité, entre universalisme et particularisme à l’École. Car des tensions sinon exactement semblables, du moins comparables, ont bien existé dans l’École de la IIIe République et
cet ouvrage s’en fait l’écho. Il en va ainsi, par exemple, de la tension entre égalité- uniformité et égalité dans la différence qui se retrouve à la fois dans les relations entre les sexes et dans les relations entre les ordres d’enseignement. Il en va également ainsi de la tension particulier et universel, ou encore concret et abstrait, sous-jacente à la question des patois, du travail manuel, des rapports de la famille et de l’école. À chaque fois des solutions ou des compromis variables ont été débattus et trouvés, que l’on peut juger alternativement progressistes ou conservateurs mais qui rompent avec l’image de monolithisme prêté à l’École républicaine. Ce sont ces compromis qu’il appartiendrait de penser. Ce n’est pas le moindre mérite de cet ouvrage que de les donner à voir.
NOTES
1. Pour une analyse récente prolongeant cette perspective, voir le dossier « L’École juste » publié dans la Revue française de pédagogie, n°159, 2007.
AUTEURS
JEAN-PAUL MARTIN Université Lille 3