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Articulation et synergie des soins et de l’accompagnement : les données probantes dans les troubles mentaux sévères et persistants

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L’Information psychiatrique 2019 ; 95 (7) : 489-95

Articulation et synergie des soins

et de l’accompagnement : les données probantes dans les troubles mentaux sévères et persistants

Christine Passerieux

Centre hospitalier de Versailles, UFR Simone Veil-Santé, Professeur Université Versailles Saint-Quentin en Yvelines, France

Résumé.Alors que le constat de l’importance d’associer soins et accompagne- ments dès le début d’un trouble psychiatrique sévère est largement partagé, la mise en place des coopérations entre les acteurs sanitaires, sociaux et médicoso- ciaux reste complexe en France. Cet article propose de recenser les éléments de preuve allant dans le sens de la nécessité de cette coopération pour améliorer le devenir des personnes concernées. Sont envisagés les limites des soins lorsqu’ils sont proposés isolément et différents domaines où la synergie des soins et des accompagnements apparaît convaincante. Enfin, la question cruciale de la place de la personne dans ces modalités coopératives est abordée au travers de la pratique de la décision partagée.

Mots clés : schizophrénie, accompagnement, prise en charge, rétablissement, réhabilitation psychosociale, information du malade, décision, partenariat

Abstract.The interconnection and synergy of care and support: Compel- ling data in severe and persistent mental illnesses.While the importance of combining care and support at the beginning of a severe psychiatric disorder is widely recognized, cooperation between health, social, and medical-social actors in France is still complex. This article identifies the evidence that such cooperation is needed to improve the futures of those affected. We consider both the limits of care in isolation, and different areas in which there exists a convincing synergy of care and support. Finally, the crucial question of the place of the individual in these cooperative methods is addressed through shared decision-making practices.

Key words:, schizophrenia, support, care, recovery, psychosocial rehabilitation, informing patients, decision, partnership

Resumen.Articulación y sinergia de los cuidados y del acompa˜namiento:

los datos concluyentes en los trastornos mentales severos y persistentes.

A la vez que el balance de la importancia de asociar cuidados y acompa ˜namientos desde el principio de un trastorno psiquiátrico severo está ampliamente compar- tido, la puesta en marcha de las cooperaciones entre los actores sanitarios, sociales y médico-sociales sigue compleja en Francia. Este artículo propone revisar los elementos concluyentes en el sentido de la necesidad de esta cooperación para mejorar el futuro de las personas interesadas. Están considerados los límites de los cuidados cuando los mismos se proponen de modo aislado y también diferentes ámbitos en el que la sinergía de los cuidados y de los acompa ˜namientos aparece como convincente. Por fin la cuestión crucial del lugar de la persona en estas moda- lidades cooperativas se aborda mediante la práctica de la decisión compartida.

Palabras claves: esquizofrenia, acompa ˜namiento, atención, restablecimiento, rehabilitación psicosocial, información del enfermo, decisión, asociación

Introduction

Le constat est simple et évident : pour aller bien, il est utile d’avoir un toit sur la tête, d’être bien entouré et de recevoir des soins si on est malade. C’est d’une manière différente ce qu’exprime la définition proposée par l’OMS de la santé«un état complet de bien-être phy- sique, mental et social».Cette définition très générale,

qui correspond à une notion positive de la santé, a le mérite d’identifier trois sources de bonne santé qui inter- agissent : le physique, le psychique et le social. Ainsi, être en bonne santé, c’est avoir un bon équilibre physio- logique, mais aussi parce que nous sommes des êtres sociaux, entretenir des relations aux autres d’une qualité suffisante, avoir trouvé une place satisfaisante au sein d’une communauté, occuper des rôles sociaux et avoir des activités utiles et satisfaisantes.

Lorsqu’une personne souffre d’une pathologie psy- chiatrique sévère et persistante, cet équilibre est rompu

doi:10.1684/ipe.2019.1986

Correspondance :C. Passerieux

<cpasserieux@ch-versailles.fr>

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et chacun des déterminants de la santé contribue au déséquilibre et à la mauvaise santé. Les actions pos- sibles pour améliorer l’état de santé sont nombreuses et peuvent être décrites de manière très schématique en deux grandes catégories. La première s’inscrit dans le domaine des soins, qui s’adressent à la personne et visent à améliorer son équilibre physiologique, en parti- culier cérébral, à augmenter ses ressources psychiques et ses capacités decoping, ou à réduire ses déficiences.

Il s’agit des traitements psychopharmacologiques, psy- chothérapeutiques, des actions de psychoéducation, de remédiation cognitive, etc. La seconde catégorie est du domaine de l’action sociale et porte sur l’environnement de la personne : il s’agit par des accompagnements de réduire l’exclusion sociale subie par la personne, de soutenir son entourage, de favoriser son accès à un loge- ment, à un travail, à des activités utiles et facteur de lien social et, de manière plus globale, d’agir pour rendre la société moins rude, plus inclusive et plus favorable à l’exercice de la citoyenneté des personnes malades.

Alors que ces différents registres d’action existent dans tous les pays développés, leur priorisation, leur articulation, leur place dans les différents champs d’intervention, sont très dépendantes de la manière dont les sociétés se sont organisées pour répondre à ces situa- tions et dont elles conc¸oivent la question de l’autonomie et leur rôle propre dans la réduction des inégalités.

L’objectif de cet article est de montrer l’intérêt de mettre en œuvre ces différentes actions – soins et accompa- gnements – simultanément, voire de manière articulée.

En d’autres termes, il s’agit de faire un état des lieux des connaissances actuelles concernant les bonnes pra- tiques partenariales entre les professionnels de santé et les professionnels de l’accompagnement. Quelles sont les données de preuve que l’impact sur la santé des per- sonnes qui en bénéficient est plus important lorsque ces actions sont conduites ensemble ? Comment peuvent s’articuler ces différentes actions et coopérer les profes- sionnels qui les mettent en œuvre ? Comment travailler le mieux possible ensemble ?

Ces questions de coopération sont complexes, bien coopérer nécessite de bien se connaître, mais aussi d’avoir des identités claires et différenciées. La difficulté est sans doute accrue en France du fait de l’existence de deux secteurs d’intervention, le sanitaire et le médi- cosocial, dont les périmètres d’action se recouvrent en partie, alors qu’ils se différencient par leurs acteurs, leurs organisations, leurs modalités de fonctionnement, leurs tutelles et leur financement. L’ambition actuelle des pou- voirs publics et des acteurs de terrain de favoriser les échanges et la qualité des coopérations est clairement affichée, en particulier dans la mise en œuvre des pro- jets territoriaux de santé mentale (PTSM) [1]. Il ne s’agit pas ici d’aborder ces questions mais d’apporter des élé- ments pour aider à penser une coopération favorable à la santé globale des personnes qui vivent avec un trouble psychiatrique sévère et persistant.

Quels modèles pour penser l’articulation des soins et des accompagnements ?

Le modèle du handicap sur lequel s’appuie la loi de 2005 [2] propose trois niveaux de description du han- dicap, articulés les uns aux autres : les déficiences, les limitations fonctionnelles et les restrictions d’activité que subit la personne dans son environnement. Ces trois niveaux de description sont ceux de la Classi- fication internationale du fonctionnement (CIF) et ils suivent la logique fonctionnelle telle qu’on la connaît dans le modèle des soins de réadaptation [3]. La question posée est celle des déterminants du fonc- tionnement de la personne, et de leur poids respectif dans ses difficultés fonctionnelles. De très nombreuses données de la littérature montrent par exemple que la qualité du « fonctionnement » d’une personne vivant avec un trouble schizophrénique est corrélée assez fortement avec des caractéristiques individuelles

« objectives» comme ses compétences cognitives ou ses habiletés relationnelles et des caractéristiques«sub- jectives » comme ses compétences métacognitives, sa motivation, son humeur, son niveau de stigmati- sation internalisée, son estime de soi, sa résilience [4]. Des variables d’environnement comme le niveau de stigmatisation et de soutien social sont également rapportées [5].

Ce modèle est aujourd’hui largement utilisé pour concevoir et articuler des interventions thérapeutiques qui ciblent les déficiences et visent à en réduire l’impact fonctionnel. La remédiation cognitive en est l’exemple le plus clair mais l’ensemble des soins de réhabilitation partagent ce même objectif : améliorer l’insight et la connaissance de la maladie, apprendre à utiliser les soins grâce à la psychoéducation, améliorer les habi- letés sociales et réduire les pensées dysfonctionnelles par les thérapies cognitives et comportementales, etc.

Selon cette approche de réhabilitation, les mises en situation et les accompagnements sont utiles voire nécessaires afin de favoriser l’utilisation dans la vie quotidienne des habiletés travaillées dans les soins.

Cette logique fonctionnelle promeut également l’idée que des actions sont plus efficaces lorsqu’elles sont mises en œuvre conjointement et qu’elles visent un même objectif de fonctionnement dans un domaine spé- cifique, par exemple le domaine du travail comme nous le reverrons [6].

Parmi les autres modèles possibles, le modèle

«stress/vulnérabilité/compétence», constitue un cadre théorique particulièrement pertinent pour penser l’articulation entre les différentes actions de soins et d’accompagnement [7]. Selon ce modèle, l’apparition des crises, des symptômes ou des difficultés fonction- nelles est conc¸ue comme la résultante d’une interaction complexe entre des facteurs biologiques, des facteurs environnementaux et des facteurs comportementaux.

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Le modèle décrit des facteurs de vulnérabilité (en particulier neuropsychologiques), des facteurs de stress (adversité sociale, événements de vie, critiques et émo- tions exprimées dans le milieu familial, stigmatisation, alcool et toxiques...) et des facteurs de protection (qua- lité des relations intrafamiliales, compétences sociales, soutien communautaire, stratégies adaptatives, estime de soi, capacités de gestion du stress, traitement médicamenteux. . .). Il est donc possible de réduire crises, symptômes et difficultés fonctionnelles en amé- liorant la qualité de l’environnement de la personne et les capacités de celle-ci à construire cet environnement, et en renforc¸ant les compétences de l’ensemble des acteurs et la qualité de leurs interactions. L’un des intérêts de ce modèle réside dans sa compatibilité avec l’importance des actions favorables à l’inclusion sociale et la promotion des capacités des personnes à décider et à agir, tel que le propose le paradigme du rétablissement [8].

Quel est l’impact des soins sur

le fonctionnement des personnes vivant avec un trouble psychiatrique sévère et persistant ?

Le fonctionnement : de quoi s’agit-il ?

Également nommé«real life functioning»dans la lit- térature, il s’agit du niveau de performance atteint par la personne dans différents domaines ou rôles sociaux attendus, ce qui renvoie donc aux concepts de la CIF de limitation d’activité et restriction de participation. De nombreux instruments d’évaluation ont été développés à mesure que les études d’efficacité des programmes de soin se sont intéressées à leur impact sur le fonction- nement des personnes et plus seulement sur l’intensité de leurs symptômes. Cette cible thérapeutique plus glo- bale n’a cependant pas fait l’objet d’autant d’études que les cibles plus proximales symptomatiques. D’autre part, la mesure du fonctionnement est composite et relative- ment complexe [9].

Les traitements médicamenteux

Les antipsychotiques ont une efficacité largement éta- blie sur les symptômes positifs et ils permettent de limiter le recours aux hospitalisations. Il a également été montré qu’alors que la durée de vie des personnes vivant avec un trouble schizophrénique est largement diminuée par rapport à la population générale, la prise d’antipsychotique au long cours a un impact favorable en termes d’espérance de vie [10]. En revanche, il est également clairement établi que leur impact sur le fonctionnement est limité. Par exemple, l’étude CATIE montre un effet de taille très faible de l’ordre de 0,1 pour les patients qui sont restés dans l’étude pendant un an, avec toutefois une grande variabilité entre les sujets [11].

Les soins de réhabilitation

Les thérapies cognitives et comportementales (TCC)

Développées depuis une vingtaine d’années dans l’indication des troubles psychotiques, les TCC ont fait la preuve de leur efficacité pour réduire les symptômes positifs et la détresse des personnes qui en souffrent [12]. Une méta-analyse récente portant sur l’impact des programmes de développement des habiletés sociales conclut à leur efficacité sur les symptômes négatifs, les données sur le fonctionnement étant à ce jour moins nombreuses et moins robustes [13]. Cette question de l’impact des TCC sur le fonctionnement de personnes vivant avec un trouble schizophrénique est également l’objet d’une autre méta-analyse [14] qui conclut elle aussi à un impact modéré sur le fonctionnement (effet de taille de 0,25) mais qui ne se maintient pas dans la durée. Il n’est pas observé d’effet significatif de ces thé- rapies sur la qualité de vie, mais la variabilité inter-sujet est importante.

La psychoéducation

Elle vise à renforcer les compétences des personnes concernées et de leur entourage, à promouvoir leurs capacités à faire face, à réduire leur auto-stigmatisation et à développer leur sentiment d’efficacité personnelle.

Au-delà de permettre l’acquisition de connaissances sur les troubles, il s’agit donc de favoriser l’acquisition de savoir-faire, d’améliorer l’insight et les compétences métacognitives dont l’impact sur le fonctionnement a été démontré.In fine, l’objectif de la psychoéducation ou de l’éducation thérapeutique selon le paradigme du réta- blissement est d’apprendre à utiliser au mieux les soins et les aides accessibles.

Les données de la littérature [15] sont très robustes en ce qui concerne l’efficacité de la psychoéducation sur le taux de rechute et d’hospitalisation à moyen et long terme, et sur l’observance du traitement médica- menteux ; l’impact sur le fonctionnement des patients est moins clair : modéré ou faible selon les études.

L’efficacité de la psychoéducation est plus claire lorsque les familles sont impliquées, avec alors un impact positif sur leur fonctionnement, leur climat émotionnel et leur fardeau [16].

La remédiation cognitive

Sans surprise, c’est dans le domaine des différentes techniques de remédiation cognitive que les amélio- rations fonctionnelles ont été les plus recherchées et les plus clairement observées, leur objectif étant de réduire les troubles cognitifs et leur impact sur le fonc- tionnement. Les principales méta-analyses [17, 18] sont cohérentes : la remédiation cognitive a un impact favo- rable sur le fonctionnement avec un effet de taille faible à modéré (0,35 à 0,45), dépendant de la motivation de la personne et de l’expérience du thérapeute comme il est habituel dans les soins relationnels. L’impact est

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plus important si la remédiation comporte un travail sur les stratégies et l’utilisation des compétences dans la vie quotidienne et, résultat particulièrement intéressant, un effet bénéfique sur le fonctionnement n’est observé que lorsque des mesures de réhabilitation sont associées (0,47/0,05).

La synergie des soins

et des accompagnements : données de preuve dans différents domaines

L’emploi accompagné « enrichi »

L’apport du travail dans le parcours de rétablissement des personnes vivant avec un trouble psychiatrique sévère fait aujourd’hui consensus. Il est même consi- déré comme«la pierre angulaire»de ce parcours, sous réserve que ce travail soit souhaité, qu’il se déroule dans un environnement favorable et qu’il tienne compte des limitations de la personne. La logique de l’emploi accom- pagné (modèle IPS) qui promeut le schéma«place and train»s’impose comme la plus pertinente pour l’accès à l’emploi. Globalement le modèle IPS propose un accom- pagnement par unjob coachqui a pour mission d’aider la personne à trouver un emploi, d’aider les entreprises à trouver un aménagement de l’emploi compatible avec leurs besoins et les limitations fonctionnelles ou les symptômes de la personne, et d’accompagner l’ensemble des parties prenantes, en particulier en les aidant à identifier des solutions lorsque des difficul- tés apparaissent. En dépit de cet accompagnement, le maintien en emploi s’avère complexe pour des raisons multiples dont certaines sont bien évidemment liées aux manifestations persistantes de la maladie.

S’inspirant de la logique place and train, cer- tains programmes proposent, en même temps que l’accompagnement par le job coach, des soins ciblés sur les symptômes et déficiences qui posent problème dans l’emploi. Les études d’impact de ces programmes d’« emploi accompagné enrichi » sont encore peu nombreuses et de qualité moyenne, leurs résultats plu- tôt favorables doivent donc être confirmés [19]. Il est rapporté une plus grande efficacité après un premier épisode psychotique [20]. La nature des soins les plus utiles est discutée : les données sont hétérogènes pour la remédiation cognitive dont l’impact n’est pas démon- tré, mais il est recommandé de cibler les compétences immédiatement utiles et les troubles de la cognition sociale [7]. Les TCC qui ciblent les pensées dysfonc- tionnelles (sur-généralisation, dramatisation, inférences arbitraires, etc.) semblent pertinentes [21].

Mode de vie et hébergement

La désinstitutionnalisation

Parmi les études qui ont observé le devenir des personnes sortant de longs ou très longs séjours

hospitaliers lors de programmes de fermeture de structures asilaires, c’est sans doute le TAPS projet (à l’occasion de la fermeture des hôpitaux de Friern et de Claybury en 1985-1987) qui apporte les données les plus complètes. Une douzaine d’autres études, qui elles aussi concernent surtout des personnes vivant avec un trouble schizophrénique, vont dans le même sens. Il s’agit de programmes dans lesquels les personnes à leur sortie de l’hôpital ont bénéficié de soins ambulatoires et de facilités résidentielles.

À moyen et long terme, les données sont très cohé- rentes : les symptômes des personnes sont restés stables ou se sont améliorés et il n’a pas été observé d’augmentation du nombre de suicide ou de décès. Le fonctionnement social des personnes s’est très sensible- ment amélioré, ainsi que la qualité de vie dans deux tiers des cas. Mais si les personnes disent préférer leur nou- veau mode de vie, elles rapportent également se sentir isolées et souffrir d’un manque d’activité. Enfin, 10 % des personnes ne parviennent pas à s’adapter à ce change- ment de vie et sont hospitalisées à nouveau pour des durées prolongées [22].

Le programme«Un chez soi d’abord»

Après une phase d’expérimentation réussie dans 4 grandes villes franc¸aises (Lille, Marseille, Paris, Tou- louse), il est actuellement en cours de généralisation dans 12 autres villes, avec l’ambition affichée de l’ouverture à terme de nouvelles 2000 places. Dans ce programme, la seule condition à l’accès à un logement est d’accepter d’être accompagné par une équipe pluri- disciplinaire. Sans doute parce que le soin proposé (et non obligé) s’inscrit dans un«prendre soin global»et une réponse aux besoins fondamentaux des personnes, et qu’il prend ainsi sens pour elles, l’impact du pro- gramme est très favorable sur leur accès aux soins et leur état de santé global. Il est observé une diminution des symptômes, un meilleur suivi et meilleure connaissance et acceptation de la maladie, une réduction du nombre de jours d’hospitalisation, une amélioration de la qualité de vie, de l’estime de soi et du rétablissement, la reprise des liens avec l’entourage. Ces résultats sont particu- lièrement probants pour les personnes vivant avec un trouble schizophrénique [23].

Les parcours de santé favorables au rétablissement

La question de l’organisation des services pour le suivi des personnes souffrant de troubles psychiatrique sévères a donné lieu à de nombreux travaux et divers modèles de soins communautaires ont été testés. Le rapport du Centre de preuve [24] sur l’amélioration du parcours des personnes en situation de handicap psychique a recensé les caractéristiques communes des organisations favorables au rétablissement des personnes : un suivi ambulatoire, de préférence dans l’environnement naturel des personnes, évitant au

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maximum les restrictions de liberté et les hospitalisa- tions (surtout de longue durée), assurant une continuité des soins et des services, remplissant une fonction de case management, et multidisciplinaire c’est-à-dire impliquant une coresponsabilité sanitaire et sociale.

Plusieurs modèles ont été testés avec des données de preuve robustes lorsque des études ont été condui- tes [25]. Deux grandes déclinaisons existent aujourd’hui, avec de nombreuses variantes possibles. La première, le«Flexive Assertive Community Treatment»ou FACT, décrit en 2007 par le néerlandais Van Veldhuizen, met l’accent sur la continuité des soins, délivrés par une équipe unique, sans limitation de durée et flexibles en fonction de l’intensité de soin nécessaire. Chaque patient bénéficie d’une gestion individuelle de cas. Ce modèle a été très largement implanté aux Pays-Bas et un peu en Grande-Bretagne. Les données de preuves sont encore fragiles avec des études de type«avant/après», réunis- sant au total 372 patients et sur des périodes de 1 à 4 ans. Il est observé une diminution du nombre de jours d’hospitalisation, une amélioration de la qualité de vie des personnes et une forte diminution de leurs besoins non satisfaits.

La seconde déclinaison, le«Ressource-group Asser- tive Community Treatment»ou RACT, met l’accent sur le rétablissement et la capacité à décider, l’empowerment du patient. Le principe est d’intégrer dans l’équipe en charge de l’élaboration et du suivi du programme per- sonnalisé de réhabilitation : le patient lui-même, 3 ou 4 personnes choisies par lui (souvent parmi sa famille ou ses amis) et ses référents sanitaires et sociaux. C’est le patient qui détermine les objectifs généraux du projet personnalisé, projet ensuite décliné par le groupe au tra- vers de décisions communes sur les moyens d’atteindre ces objectifs. Le programme développé en Nouvelle- Zélande a été «manualisé»et diffusé en Suède. À ce jour, deux méta-analyses rapportent des éléments de preuve en faveur du RACT, réunissant 2263 patients dans le cadre de 17 études dont 6 essais contrôlés randomisés, et sur des durées de 1 à 5 ans. Un bénéfice est observé sur les symptômes (taille d’effet moyenne), le fonction- nement (taille d’effet élevé) et le bien-être (taille d’effet élevée).

Place de la personne dans les décisions la concernant : quelles sont les données de preuve concernant la décision

partagée ?

L’ensemble des données accumulées montre donc de manière convaincante la nécessité de proposer, aux per- sonnes qui vivent avec un trouble psychiatrique sévère, des soins adaptés et des accompagnements étroitement coordonnés. Il fait également de plus en plus consen- sus que ces différentes interventions doivent s’articuler

à partir du projet de vie de la personne concernée, et en particulier que les soins spécifiques de réhabilitation doivent être mobilisés en fonction de leur intérêt pour réaliser les objectifs du projet de vie. Ce renversement des priorités, cette place centrale donnée aux valeurs et aux aspirations de la personne malade s’inscrit dans un mouvement plus global de la médecine vers ce qu’on appelle aujourd’hui la décision partagée.

Dans le rapport de pouvoir entre les professionnels et les personnes concernées, s’illustrant dans la ques- tion de qui prend les décisions, on peut décrire un continuum entre une prise de décision par le seul profes- sionnel, dans une position paternaliste, éventuellement après avoir consulté la personne, et une décision par la personne concernée seule, dans une position active et informée, éventuellement après avoir pris l’avis du professionnel. La décision partagée correspond à la position intermédiaire dans laquelle professionnels et personnes concernées travaillent ensemble pour choi- sir les tests ou les traitements, partagent la réflexion sur les accompagnements utiles au projet de vie, s’informent mutuellement sur les niveaux de preuve ou les expériences permettant d’orienter les choix, etc. En santé mentale, ce mouvement vers la décision partagée s’impose autant aux accompagnants qu’aux soignants, et confronte les uns et les autres à des difficultés et des tensions similaires, entre respect de la personne, soutien à son autodétermination et devoir de protection.

Quel éclairage apporte la littérature à ces questions [27]?

Une première justification des soins orientés vers la décision partagée est qu’ils seraient plus efficaces.

Il est en effet légitime d’espérer des décisions de meilleure qualité, des patients plus actifs, plus impliqués et engagés dans leurs soins et dont l’évolution serait plus favorable. Il n’existe à ce jour qu’un nombre très limité d’études dont les résultats sont beaucoup plus nuancés. Une revue Cochrane qui s’appuie sur deux essais contrôlés randomisés conduits en Allemagne sur 512 personnes souffrant de troubles psychiatriques sévères (dont 107 souffrant de troubles schizophré- niques) conclut qu’il n’est observé ni augmentation des risques, ni bénéfice observable dans le devenir des per- sonnes. Quelques études plus récentes, conduites chez des patients déprimés, montrent avec un faible niveau de preuve un bénéfice sur les symptômes dépressifs.

La seconde justification est d’ordre éthique : la déci- sion partagée s’inscrit dans le droit à l’autodétermination qui est de plus en plus largement demandée par la société et les personnes connaissant des troubles psychiatriques :«nothing about us without us». Les don- nées sont en l’occurrence très claires : dans 115 études conduites sur cette question, une préférence pour la décision partagée est observée à 63 %. Et lorsque seules les études postérieures à 2000 sont prises en compte, la préférence est de 71 %. D’autre part, il est montré que les personnes sont d’autant plus satisfaites des

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décisions concernant leurs soins qu’elles y ont parti- cipé, et ce même pour les personnes qui initialement ne le souhaitaient pas. Enfin et assez logiquement, plus les personnes participent aux décisions les concernant, moins elles rapportent ultérieurement de besoins insa- tisfaits.

Mais au-delà de ces questions de mesure d’impact, c’est le processus lui-même de la décision partagée qu’il est utile de questionner et de construire. La déci- sion partagée suppose d’échanger des informations : sur les données de preuve concernant les différentes options thérapeutiques, sur leurs limites et incertitudes, sur leur faisabilité, sur les préférences, les valeurs, etc.

Il s’agit d’un processus continu, impliquant un accom- pagnement sur la durée, la trac¸abilité des décisions prises et qui doivent être régulièrement revisitées. Cette modalité de négociation contractuelle est sans doute au cœur des pratiques orientées rétablissement : il s’agit d’accompagner les personnes vers des choix plus réflé- chis, plus argumentés et plus matures, mais également plus autonomes.

Cette démarche complexe a besoin d’outils favorisant et structurant le dialogue entre les personnes vivant avec un trouble psychiatrique sévère, leurs aidants et leurs soignants. Les plans de crise en sont un exemple. Peu répandus encore en France mais assez largement uti- lisés dans les systèmes de santé inscrits depuis plus longtemps dans le paradigme du rétablissement, il s’agit de documents travaillés conjointement par la personne concernée et par son référent de parcours ou un pair aidant. Construits de manière très pédagogique, ces plans de crise visent à favoriser le repérage par la personne concernée de ses facteurs de stress, de ses manifestations précoces de rechute, de ses ressources pour y faire face et des appuis qu’elle peut chercher dans son entourage, et enfin de ses besoins et préférences en cas de crise voire d’hospitalisation.

Liens d’intérêt l’auteure déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

Références

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Références

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