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ISLAM-OCCIDENT : LE CHOC EST-IL FATAL?

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Academic year: 2022

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FATAL ?

› Rencontre entre Jean-Paul Brighelli et Tariq Ramadan

Propos recueillis par Paul-François Paoli

Dans Voltaire ou le Jihad. Le suicide de la culture occidentale (1), Jean- Paul Brighelli en appelle à l’esprit des Lumières contre l’islam et à un durcissement de la laïcité. Pour Tariq Ramadan, dont l’essai Être occidental et musulman aujourd’hui (2) a été republié, il faut éviter une confrontation qui ne peut être que mortifère. Débat tendu entre deux esprits inconciliables.

«

Revue des Deux Mondes – Tariq Ramadan, vous vous défi- nissez comme musulman et occidental. Que signifie l’Oc- cident pour vous, quelle en est votre définition ?

Tariq Ramadan J’ai pris la notion d’Occident du point de vue cultu- rel. Pour moi, c’est le corps de tout ce que représente la civilisation amé- ricaine et nord-européenne et qui peut aller, en l’occurrence, jusqu’à l’Australie. Ce n’est donc pas une notion géographique. Autrement dit, tout ce qui va être déterminé par la modernité occidentale. Pour ce qui m’intéresse, c’est une histoire qui est liée, contrairement à ce que l’on dit, non pas simplement aux traditions judéo-chrétiennes, mais aussi à

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rencontre

la tradition judéo-christiano-musulmane. Il y a dans l’Occident beau- coup d’islam. Philosophiquement, scientifiquement et artistiquement.

Il y a aussi un certain nombre de marqueurs, parmi lesquels le primat de l’individu, la rationalité, le progrès, la démocratie et la sécularisation.

Celle-ci s’est faite partout en Occident, mais pas de la même manière.

Voilà ce que j’appelle « Occident ». Dans Être occidental et musulman aujourd’hui, je veux montrer que mon idée n’est pas simplement d’être musulman. Il s’agit d’assumer l’expérience historique qui consiste à être à la fois totalement occidental et totalement musulman.

Jean-Paul Brighelli Je vais partir d’une définition géographique : l’Occident, c’est ce qui est à l’ouest des barbares. C’est une définition grecque. Le barbare, c’est celui qui ne parle pas le grec. Il n’y a là rien de péjoratif. L’Occident, c’est aussi une

somme de civilisations successives qui for- ment une civilisation gréco-latino et judéo- chrétienne. Judéo-chrétienne parce que, comme l’avait vu Chateaubriand, Jérusalem était incluse dans l’Occident. Et c’est aussi une juxtaposition de nations. D’un côté c’est une civilisation qui tend vers l’unicité

culturelle, de l’autre vers la diversité politique. La combinaison des deux explique à la fois les tensions à l’intérieur de l’Occident et cette espèce de guerre civile que nous avons connue au XXe siècle, et la reconnaissance tacite de certaines valeurs. L’Occidental, surtout celui du Sud, qui est justement en contact avec l’islam, est un individu à

« contexte fort » pour reprendre les catégories d’Edward T. Hall – le grand linguiste du Langage silencieux et de la Dimension cachée. La culture occidentale repose sur une série d’implicites très profonds.

L’islam aussi repose sur une série de non-dits. L’ennui est que ce ne sont pas les mêmes…

Revue des Deux Mondes – Dans quelle mesure peut-on dire que l’islam est partie prenante de la culture occidentale ?

Tariq Ramadan est professeur d’études islamiques contemporaines à l’université d’Oxford (Oriental Institute, St Antony’s College) et enseigne également à la faculté de théologie d’Oxford.

Jean-Paul Brighelli est écrivain, journaliste et enseignant.

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Tariq Ramadan Je ne suis pas d’accord avec la définition que Jean- Paul Brighelli donne de l’Occident. L’Occident n’est pas une unicité de cultures. Quand vous venez de Londres et arrivez en France, vous sentez bien qu’il ne s’agit pas de la même culture. C’est la même civi- lisation, pas la même culture. L’unicité de la civilisation occidentale est fondée sur la diversité des cultures. Quand vous êtes dans le sud de l’Italie, vous n’êtes pas au centre de Paris mais dans la même civi- lisation. Plus profondément, votre vision judéo-chrétienne et gréco- romaine de l’Occident est fausse scientifiquement. Une grande partie de ce qu’a été la Renaissance – comme en atteste aussi bien Denis de Rougement dans son livre l’Amour et l’Occident ou Voltaire qui, dans Zadig, reprend un passage du Coran pour se l’attribuer, est aussi tributaire de l’islam. Et c’est encore plus flagrant en philosophie, où l’Aristote que l’on connaît au Moyen Âge est averroïste. J’ai beau- coup moins de problèmes avec Aristote que beaucoup de catholiques.

La participation de la pensée musulmane à la construction de la conscience européenne occidentale est fondamentale. Elle n’est pas l’autre de l’Europe mais une partie intégrante de l’Europe. Quand Benoît XVI affirme que les racines de l’Europe sont chrétiennes et grecques, il se trompe. Vous êtes en train de redéfinir l’histoire de la civilisation occidentale par la peur que vous voulez donner de l’islam.

Je parie sur la démarche inverse : voyons ce qui nous est commun. La civilisation occidentale est un corps de valeurs auquel toutes les tradi- tions monothéistes ont participé.

Jean-Paul Brighelli Nos points de vue sont d’autant plus incom- patibles que nous ne parlons pas de la même chose. Je suis très atta- ché à l’héritage arabe. L’amour courtois, par exemple, est passé par Al Andalus. Les troubadours puis les trouvères ont intégré l’influence arabe. Ce n’est pas cela qui me gêne mais autre chose. L’islam a ten- dance à se présenter comme un tout unifié et intemporel. Je suis prêt à reconnaître une dette honorable de l’Occident envers la pensée arabe de ses philosophes et de ses scientifiques. Cela ne me dérange pas du tout. J’ai habité longtemps Montpellier. À l’entrée de la faculté de médecine, il y a plusieurs grands noms de l’histoire de la médecine

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médiévale qui y ont enseigné, et ce sont des noms juifs et arabes. Cette influence correspond à une certaine forme d’expansion arabe – globa- lement aux Abbassides et Omeyyades – qui a marqué un coup d’arrêt à partir du XIIe siècle avec les Almohades, à une époque où l’islam s’est durci. La sensualité des Mille et Une Nuits n’a rien à voir avec le puritanisme de l’islam actuel. Et si nous nous sommes construits par des emprunts successifs, nous nous sommes également construits par des oppositions successives. L’Europe n’a eu de cesse de renvoyer les musulmans de l’autre côté de Gibraltar. On a mis sept siècles pour cela, jusqu’à la reprise de Grenade par Isabelle la Catholique. Enfin il faut aussi faire une distinction entre civilisation arabe et islam. Il y avait une civilisation arabe avant l’islam, vous ne pouvez identifier les deux. Et puis surtout c’est une greffe qui n’a jamais pris et cela tient au fait que la civilisation occidentale est une civilisation de l’héritage.

« Nous sommes des nains campés sur des épaules de géant », écrit Ber- trand de Chartres. Nous avons en permanence la révérence du passé.

Or ce qui caractérise l’islam moderne est qu’il n’a ni passé, ni pré- sent, ni futur. C’est une entité anhistorique. Je ne pense pas que cette conception des choses soit compatible avec les racines gréco-latines de notre civilisation. Enfin, quand on dit que la culture anglaise n’est pas la même que la culture romaine, c’est superficiel. En profondeur, c’est la même chose, même si les langues sont distinctes. Ce sont les mêmes valeurs fondamentales. On ne peut pas juxtaposer les cultures en Europe, il n’y en a qu’une. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Marx.

Tariq Ramadan Il faut être précis avec la terminologie. Vous dites :

« l’islam a tendance à ». Cela ne veut rien dire car l’islam n’est pas une personne. L’islam, ce sont les musulmans. Est-ce que les musulmans sont dans l’uniformisation de la pensée ? Absolument pas ! N’importe quelle initiation à l’univers musulman vous fait apparaître l’extraordi- naire diversité de l’islam. Diversité culturelle et linguistique, diversité légale, etc. La pensée musulmane comprend jusqu’à trente écoles juri- diques différentes ! Sans parler des chiites et des sunnites. Vous dites que vous voulez bien reconnaître une dette par rapport aux Arabes et vous avez raison de dire que les Arabes ne sont pas les musulmans.

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Mais huit cents ans de présence en Espagne avaient fait des Arabes qui y vivaient des Européens. Je n’attends pas que vous reconnaissiez une dette à mon endroit, je suis aussi occidental que vous. Parce que huit cents ans de participation à la constitution de la pensée européenne relèvent d’autre chose que de la dette. Les racines de l’Occident sont aussi arabes et musulmanes.

Jean-Paul Brighelli Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, en Europe les musulmans étaient des gens qui faisaient des razzias sur les côtes médi- terranéennes, aussi bien en Italie du Sud qu’en Sicile ou en Corse. Et ils n’étaient pas toujours arabes. C’est pour cela que j’insiste sur la différence. Il y a une grande civilisation arabe, que je ne confonds pas avec l’islam, qui est une religion. Nous avons une dette culturelle à l’égard de la pensée arabe, nous n’en avons pas à l’endroit de l’islam.

Il faut dissocier la culture de la religion. Je vous reconnais par ailleurs comme un Européen. Et j’habite une ville, Marseille, où vivent envi- ron 350 000 musulmans, dont neuf sur dix, nés en France, sont pour moi des citoyens français.

Revue des Deux Mondes – Tariq Ramadan, vous dites que l’islam ce sont les musulmans mais ce qui est problématique, c’est la difficulté qu’ils ont à s’accorder sur ce qu’est le « vrai islam ». Comment dialo- guer avec des gens aussi désunis ?

Tariq Ramadan Dire « l’islam » c’est dire le corps de principes qui est considéré par les musulmans comme universel. Ce corps de principes comprend le credo et la pratique. Après cela viennent les différentes interprétations du texte. Il y a une grande diversité d’inter- prétations qui peuvent aller des littéralistes aux mystiques en passant par les rationalistes ou les réformistes, dont je suis. Cette diversité est incontournable et je dis aux musulmans qu’il faut l’accepter.

Revue des Deux Mondes – Vous définissez-vous comme un réformiste ?

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Tariq Ramadan Oui, et pour certains littéralistes, je suis déjà sorti de l’islam, je ne suis plus un musulman. Je suis un réformiste pour qui la centralité de la mystique est très importante. Il n’en reste pas moins vrai que cette diversité fait que nous vivons une crise de légitimité.

Jean-Paul Brighelli Au fond, vous regrettez de ne pas avoir de clergé ?

Tariq Ramadan Au contraire, c’est une chance ! À la condition que l’on ne confonde pas l’unité et l’uniformité. Aujourd’hui, le monde musulman, pour des raisons historiques ou de luttes intestines, a de la peine à gérer la diversité. Et puis, à un moment donné, on sort de la diversité pour entrer dans l’inacceptable. À mes yeux, les gens de Daesh ou d’État islamique sont, par leurs actions, sortis de l’islam.

Je ne me donne pas le droit de dire qui est ou n’est pas musulman, mais ces gens, aussi musulmans se disent-ils, ne relèvent plus de l’agir de l’islam. J’ai le devoir moral de condamner ceux qui tuent au nom de l’islam et je l’ai toujours fait, que ce soit à Bali ou en Égypte. Cela précisé, à l’instant où nous parlons, le courant dominant du monde musulman condamne ces groupuscules. Si on écoute la voix des savants sunnites ou chiites, Daesh est clairement condamné.

Revue des Deux Mondes – Dans Être occidental et musulman aujourd’hui, vous écrivez que la position doctrinale des littéralistes consiste à vivre en Occident tout en refusant la culture occidentale.

Ainsi en est-il en France des salafistes. Comprenez-vous que ce com- portement nous soit intolérable ?

Tariq Ramadan Salafi veut dire « retour aux trois premières géné- rations de l’islam ». Autrement dit revenir à la fidélité première. Cela a engendré deux attitudes. L’une littéraliste et l’autre créative. Je veux réconcilier les musulmans avec l’énergie intellectuelle de leurs ori- gines. Autrement dit avec la curiosité ou l’ouverture d’esprit. Mais ce que nous avons aujourd’hui ce sont des salafistes littéralistes. Ce

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littéralisme-là est minoritaire mais il s’installe. Je comprends la peur et la nécessité de devoir gérer ce littéralisme.

Revue des Deux Mondes – Quand Gilles Kepel ou Dalil Boubakeur disent que les salafistes littéralistes sont très influents dans les mos- quées françaises, ils exagèrent ?

Tariq Ramadan Les littéralistes restent minoritaires mais leur nombre augmente et quelqu’un comme moi est considéré par eux comme voulant changer l’islam. Ils ont même demandé à des littéra- listes d’Arabie saoudite une fatwa contre moi. Pour eux, un homme qui dit qu’on peut être français et vivre avec la laïcité est sorti de l’is- lam. Ils sont liés à ce que l’on appelle faussement dans notre langage courant les wahhabites. Mais eux ne s’appellent pas ainsi, mais « sala- fistes ». Ils affirment être fidèles à la source et produisent beaucoup de livres parce qu’ils ont de l’argent. Les gouvernements occidentaux, et notamment le gouvernement français, qui me demande de développer un islam de France, développent, de leur côté, des relations avec ces États. Vous êtes en face d’un pouvoir qui vous dit : « Produisez un islam de France »… et qui soutient des littéralistes au pouvoir !

Jean-Paul Brighelli Entièrement d’accord sur ce sujet. Les gou- vernements français de ces trente dernières années et les intellectuels français ont donné dans cette schizophrénie. Ils ont fait des conces- sions pour des raisons politiques ou économiques et ont laissé s’instal- ler un islam régressif qui est encore minoritaire mais très dynamique.

À Marseille par exemple, les estimations sont entre 10 et 20 % – au minimum 35 000 fondamentalistes, ce n’est pas rien. Et leurs activi- tés ont un potentiel de nuisance élevé, qui font peur aux musulmans qui cherchent à se normaliser. J’ai assisté dans le Sud à des scènes très dures. On est ici à deux doigts d’une rupture violente. Parce que ces 10 % créent dans la population française une psychose qui se foca- lise sur les signes extérieurs de l’islam – le voile par exemple. Face à ce défi, certains, comme Pierre Manent dans son livre Situation de

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la France (3), proposent d’institutionnaliser les communautés, ce qui risque de créer une mosaïque où tout le monde va se regarder en chiens de faïence. Ce serait l’institutionnalisation d’un apartheid français, absolument étranger à l’idéal républicain. D’ailleurs une vio- lence antimusulmane monte dans toute l’Europe. J’ajoute que l’échec de l’éducation a des conséquences encore plus désastreuses pour les jeunes d’origine musulmane que pour les autres. L’islam politique prospère sur les ruines de notre système éducatif. J’ai des classes où il y a 80 % de musulmans et je témoigne du fait que le système éducatif a eu tendance à marginaliser des populations qui l’étaient déjà sociale- ment. Le mal vient de très loin. En outre – je développe ce thème dans mon livre –, la façon dont les intellectuels français ont détruit leur culture, notamment à travers le post-modernisme, a donné à un islam jusqu’au-boutiste le pain et le couteau pour s’exprimer. Ce n’est pas un hasard si la France fournit le plus fort contingent de djihadistes.

Tariq Ramadan Je suis d’accord avec vous sur cet aspect des choses.

Le déficit de l’école a accru l’impact du facteur religieux. Mais j’insiste sur le fait que les filles, qui s’en sortent beaucoup mieux que les gar- çons sur un plan scolaire ou professionnel, peuvent aussi bien assumer des pratiques religieuses.

Jean-Paul Brighelli En tant qu’enseignant, je confirme que les filles, bien souvent, investissent tout sur l’école, tandis que dans le même temps les garçons musulmans la rejettent. Il y a là un problème très grave car les garçons en France sont en train de virer au crétinisme choisi. Depuis les années deux mille, la « structure mâle » du monde musulman a constaté que les filles étaient en train de s’échapper. Du coup, les « grands frères » leur ont dit : « D’accord tu vas à l’école, tu vas à la fac, mais tu vas porter ostensiblement tous les signes de la religion la plus littéraliste. » Ces filles, dont le rêve était de quitter la famille et qui, pour pas mal d’entre elles, sortaient avec des non- musulmans, ont été récupérées par ceux qui leur ont enjoint de porter le voile ou la burqa. À Marseille les deux tiers des musulmanes sont voilées. Elles le sont plus à Marseille qu’à Alger !

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Revue des Deux Mondes – Tariq Ramadan, êtes-vous d’accord avec Jean-Paul Brighelli sur cet embrigadement des filles ?

Tariq Ramadan Non, c’est beaucoup plus complexe. Je pense que nous devons regarder au-delà de la réalité française. Prenons l’exemple de l’Amérique du Nord : la majorité des musulmans est très éduquée.

L’émancipation féminine ne signifie pas forcément le rejet de la pratique religieuse. Penser que c’est le « référent mâle » qui va déterminer l’évo- lution religieuse, c’est faire peu de cas de la capacité d’autonomie des femmes. Ce que l’on observe un peu partout est que la pratique religieuse, chez les femmes comme chez les hommes, augmente avec le niveau d’édu- cation. Contrairement à ce que pense Gilles Kepel, ce n’est pas parce que l’on est plus éduqué qu’on est moins religieux. On trouve chez les femmes tous les cas de figure. Il y a aussi des femmes qui s’émancipent de la famille et restent pratiquantes, en se voilant ou sans se voiler. Il faut sortir de ce fantasme sur les femmes qui sont en islam les marionnettes des hommes !

Revue des Deux Mondes – Les signes vestimentaires comme le voile ne relèvent-ils pas plus d’une revendication identitaire que d’une affi- liation spirituelle ?

Tariq Ramadan Je suis contre le foulard qui couvre le visage mais je pense qu’il faut aller au-delà de son ressenti personnel. On ne doit pas catégoriser la démarche de ces femmes. Chaque cas est individuel.

Revue des Deux Mondes – Êtes-vous favorable à une loi qui interdise le voile intégral ?

Tariq Ramadan Non, car je ne pense que pas que l’on puisse chan- ger les mentalités par la loi. Je suis pour la pédagogie. D’ailleurs le pouvoir politique n’interdira jamais aux femmes des pays du Golfe de venir à Paris…

Jean-Paul Brighelli … faire leurs courses sur les Champs-Élysées !

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Tariq Ramadan Exactement. On ne le fera pas parce qu’elles ont l’argent qui nous fera taire. Il faut aller au cas par cas, il y a des femmes chez qui c’est spirituel. On retrouve les contradictions des Occidentaux chez les musulmans. Certains musulmans ont un discours sur le « vivre ensemble » mais ils peuvent aussi s’enfermer dans une logique identi- taire. Ils vivent une tension intime entre le discours rationnel et l’émo- tivité. J’ai moi-même connu cette tension, nous la connaissons tous.

C’est pourquoi je ne suis pas d’accord avec vous. L’intégration est en marche, en France aussi. Mais l’école ne fait pas son travail et l’emploi n’est pas là. C’est à cause de cette carence sociale que le religieux ou le culturel, vécus sur un mode identitaire, prennent parfois le dessus.

Revue des Deux Mondes – L’intégration n’est-elle pas devenue un leurre ? Les frères Kouachi étaient intégrés…

Jean-Paul Brighelli À Marseille cette question est dramatique.

J’ai vu des femmes – musulmanes et non musulmanes – se faire trai- ter de putes par des groupes de Maghrébins parce qu’elles n’étaient pas voilées. Cela arrive tous les jours, même parmi les élèves. Les filles me disent : « On le met pour être tranquille. » C’est une réalité indiscutable.

Revue des Deux Mondes – Tariq Ramadan, ne pensez-vous pas que l’Occident est décadent et que l’islam peut être une force de substitu- tion sur le plan civilisationnel ?

Tariq Ramadan Je ne l’ai jamais dit et ne l’ai jamais pensé. Je viens de faire un livre avec Edgar Morin, qui pense que l’Occident est en train de perdre le nord. Je serais le dernier à avoir une pensée de la décadence occidentale surtout quand on voit l’état des sociétés majoritairement musulmanes. Personne n’a de leçon à donner à per- sonne. Car notre grand problème, que ce soit en Occident ou dans le monde majoritairement musulman, c’est que nous sommes tous dans une pensée victimaire. Aujourd’hui je veux être un témoin occi-

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dental et musulman. Je veux trouver des partenaires chrétiens, juifs occidentaux, agnostiques, bouddhistes… qui deviennent des sujets et sont solidaires les uns des autres. Cela ne m’intéresse pas de consta- ter la décadence en Occident. Certains musulmans le pensent, c’est vrai. Mais cette crise est partout : en Chine par exemple, les tradi- tions séculaires comme le confucianisme sont instrumentalisées par le capitalisme. Constater les catastrophes ne m’intéresse pas, ce qui m’intéresse, c’est de réveiller les responsabilités. Mon livre appelle à travailler ensemble au-delà des peurs, le vôtre stigmatise et fracture en alimentant les peurs et les caricatures.

Jean-Paul Brighelli L’Occident s’est suicidé culturellement depuis trente ans, telle est la thèse de mon livre. Pour toutes sortes de raisons.

Et un certain nombre de musulmans ont désormais tendance à consi- dérer l’Occident comme le « lieu de la guerre », dar al Harb… C’est cela, la réalité politique, loin des considérations religieuses – et l’islam se pare volontiers du visage conciliant de la religion pour avancer ses pions politiques, arracher des concessions, se tailler des territoires, désagréger l’unité de la République. Soit nous réagissons très vite, en confinant le religieux dans la sphère privée dont il n’aurait jamais dû sortir, soit nous disparaissons. Ce n’est pas un choc de civilisations, c’est un choc de cultures incompatibles. L’islam, dans sa version moderne, sa version politique, sa version impérialiste, n’est pas soluble dans notre démocratie – ou alors, il l’annihilera. Il est plus que temps de refondre la loi de 1905 en la complétant de façon à récupérer l’espace civil – à commencer par la rue –, qui ne peut pas être assimilé à un espace privé ! La civilisation occidentale s’est consolidée, au XVIIIe siècle, par les Lumières. Voltaire en est le symbole – le symbole de la lutte contre le fanatisme, l’obscu- rantisme et toutes les régressions intellectuelles et sociales. Et tous ceux qui prétendent faciliter l’islam en Occident en vertu d’un « c’est mon choix » absurde sont aveugles, ou très hypocrites.

1. Jean-Paul Brighelli, Voltaire ou le Jihad. Le suicide de la culture occidentale, Archipel, 2015.

2. Tariq Ramadan, Être occidental et musulman aujourd’hui, Presses du Châtelet, 2015.

3. Pierre Manent, Situation de la France, Desclée de Brouwer, 2015.

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