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Enquête sur l'immigration dans la ville

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Academic year: 2022

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MULHOUSE D'AILLEURS

Enquête sur l'immigration

dans la ville

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Frédérique Meichler Sylvie Birot Pierre Freyburger

M U L H O U S E D ' A I L L E U R S

Enquête sur l'immigration dans la ville

éditions du Rhin

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La réalisation de cet ouvrage a été rendue possible

grâce à la participation financière du FAS (Fonds d'Action Sociale) et de la Délégation Régionale de la Caisse des Dépôts

et Consignations d'Alsace.

Couverture : François JEKER

<9 Éditions du Rhin - Mulhouse 1998 Éditions du journal L'Alsace

ISBN 2 86339 134 8

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À Lyhem, Maside, Pascal, Ophélie, Ales, Myriam, Nihat, Marion, Johan, Émeline, Abdullah, Cindy, Marouane, Sarah, Nicolas,

nés à Mulhouse le 27 octobre 1997, date de remise du manuscrit

à nos éditeurs.

Bienvenue à Mulhouse.

À nos enfants.

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« Tout le monde vient d'ailleurs, ce qui n'empêche qu'il ne soit chez lui ici.

Il n'y a pas d'étrangers et nous le sommes tous.

Ici est partout, il n'y a que des ici ».

Michel SERRES, philosophe

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AVANT-PROPOS

Mulhouse est un grand port de mer.

Benoît BRUANT

Conservateur des musées municipaux de Mulhouse.

Au commencement,

il y avait le flux de l'eau, une mer, une rivière puis un marécage, une étendue d'eau qui recouvrait la terre. C'est d'un bout de terre ferme entre l'eau de l'Ill et le ciel qui s'y reflète, entre les grandes montagnes des Vosges, les collines du Jura, le Rhin puissant et coléreux que la ville est née ; les pieds dans la mer Méditerranée, la tête dans la mer du Nord et le cœur partagé par le sillon étin- celant de la plaine de Rhénanie.

Point sans importance ? Peut-être, mais en tous cas petite pierre solide dans le gué du flot magnifique et besogneux des hommes qui parcourent sans cesse cette voie. Ville de flux et de confluence, vaste toile humaine sans trame ni fin, son histoire est l'éternel et laborieux recommencement de celles et ceux qui l'ont aimée, de ceux qui sont venus y chercher fortune.

Le premier mulhousien ? La légende veut que ce soit un vieux meunier chassé par les Huns qui ravageaient les bords du Rhin venu, un maigre bagage à la main, y construire un moulin. Un jour d'hiver, il trouve à sa porte un jeune guer- rier épuisé. « Le gars de pays étranger resta volontiers au moulin, avec grand zèle il moulait, et devint cher au meunier ». Étrangers tous deux donc, quelle image magnifique pour le destin de la ville, de son nom : « Mülhausen » francisé en Mulhouse et qui veut dire : « la maison du moulin ». Bien sûr, à part le mou- lin que la tradition ancestrale situait au coin de la place de la Concorde et de la

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rue de l'Arsenal, l'histoire est imaginaire. Elle révèle cependant l'alchimie mul- housienne qui par la force du travail transforme l'eau rebelle en source de richesse.

La ville est inventée par les hommes pour, dit-on, se projeter plus vite vers l'ave- nir. L'empereur Frédéric Barberousse, à la fin du XIIe siècle, est plus sûrement l'instrument qui d'un groupement de baraques fait jaillir la cité. Sans doute fait- on endiguer le cours lascif et voyageur de l'Ill et combler une partie du terrain qui deviendra la place de la Réunion. Tout autour, les parcelles sont loties et des avantages accordés pour attirer des étrangers. La communauté est liée par un serment de fidélité collectif, en principe égalitaire, qui la soude autour de la défense de ses remparts et de son marché. Entourée d'eau, elle est comme un esquif fendant hardiment les flots.

Une ville ne naît pas de ses enfants comme de l'union du jeune guerrier et de la fille du meunier. Rassemblement laborieux des diversités, elle agrège sans cesse, à un rythme changeant, ceux venus d'ailleurs. Issus d'autres villes, hier de la campagne du Sundgau ou aujourd'hui d'Anatolie. Elle rompt les anciens liens et fait apprendre, souvent dans la douleur, de nouveaux modes de vie, avant tout basés sur l'individualisme. Eldorado et terre du regret de ceux que l'on quitte pour se fondre en elle, telle est sa nature.

Mulhouse est une ville, elle ne peut donc avoir d'autre destin que celui d'être un creuset humain et il en est effectivement ainsi depuis huit siècles.

La cité oppose un flot mouvant, mélangeur d'hommes, au roc arrogant de la féo- dalité. Les « bourgeois » sont des propriétaires, des hommes libres, les autres citadins sont appelés « hintersassen » ce qui veut dire : « ceux qui sont assis der- rière nous ». Ils sont à la fois les serviteurs des premiers et leurs protégés parce qu'ils se sont fixés en ville sans acquérir de propriété. La protection dont jouis- sent les citadins de tous rangs n'est pas un vain mot. La ville y engage à de nom- breuses reprises ses relations, ses finances, sa bannière de guerre.

1527, Mulhouse coule doucement vers la Réforme religieuse, la toile d'araignée des amarres qui la relie à son rivage cède fil à fil. Suite à une tentative violente de retour au catholicisme, elle devient plus méfiante à l'égard des étrangers, souabes ou français. Liée à son choix religieux, il lui faut endiguer, canaliser l'at- trait naturel qu'elle exerce pour ne pas être submergée par la véritable mer catholique qui l'environne maintenant et qu'elle ne veut pas paraître dominer.

Toute son histoire se résume à l'image d'une barque, dont elle a la forme, navi- gant sur le flot des hommes et de leurs colères. On croit qu'elle va être submer- gée au moment où elle surgit sur l'écume d'une vague.

Son amarrage rompu, elle lance des filins plus longs qui la relient au monde pro- testant et lui permettent d'être sélective. C'est alors que la plupart des « grandes familles » débarquent et font souche dans la cité. Les Dollfus viennent de Bavière, les Heilmann et les Risler de Porrentruy, les Thierry et les Lambert de

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Lorraine,... Beaucoup échouent à Mulhouse à cause de leur religion réformée

" qu'ils ne peuvent pratiquer ailleurs. Le plus grand historien de ces lignées déclare : « Nous, descendants des bourgeois de Mulhouse, nous sommes faits - des éléments dont se compose presque partout la bourgeoisie des villes : mélange d'apports divers, sans cesse renouvelés, se fondant en un milieu régi par des lois d'assimilation particulières ».

Au cours du XVIIe siècle, l'Alsace subit, comme une bonne partie de l'Europe centrale, une guerre dévastatrice. Dans le Haut-Rhin, certaines paroisses per- dent la moitié voire les trois-quarts de leurs habitants. Ayant eu à souffrir . maintes vexations en raison de sa religion, la ville sait recueillir les naufragés de . ce déluge de misère mais reste refermée sur elle-même. Dans une Alsace deve- nue française, repeuplée grâce à l'immigration, Mulhouse, épargnée par les affrontements, s'est enrichie. Un ordre établi, favorable aux propriétaires, entraîne la bourgeoisie à renforcer un processus mécanique d'exclusion, au fur et à mesure que l'attractivité commerciale et artisanale de la cité progresse.

L'admission à la bourgeoisie devient quasiment impossible, lentement les manants sont privés de leurs droits : interdiction d'acheter des immeubles, de posséder des terres... Leur statut devient fragile et se rapproche de celui des étrangers. Ce processus, que plus aucune guerre ou disette ne peut justifier, a pour but de permettre à la vieille bourgeoisie de « préserver son identité ».

Le trait de génie des Mulhousiens, c'est l'installation de l'industrie. Avec la créa- tion de la première manufacture d'impression sur étoffes en 1746 puis de la deuxième, puis d'une filature et tissage de coton en 1754, tout change en pro- fondeur sans que personne ne s'en aperçoive vraiment. En ville, on ne sait pas imprimer le tissu, il est donc nécessaire de faire venir les compétences d'ailleurs.

Le premier contremaître Henri-Paul Desplands est débauché dans les ateliers de Cortaillod, au bord du lac de Neuchâtel en Suisse. Très vite, il faut d'autres ouvriers que les corporations avec leurs règles tatillonnes ne peuvent fournir.

Alors on recrute dans les régions protestantes en Suisse, en Allemagne puis dans le comté de Montbéliard. La langue française se mélange aux patois ger- maniques de tous accents : le grand métissage débute.

En 1754, le Conseil autorise les étrangers mariés à s'établir dans la commune, mais leur employeur devait garantir qu'ils ne tomberaient pas à la charge de la cité. Mine de rien, c'est une décision d'une extrême importance. Jusque là, seuls les étrangers célibataires pouvaient résider en ville. A partir de ce moment, Mulhouse va véritablement devenir une ville d'immigration. L'industrie des toiles peintes est prospère : elle a besoin de terres nouvelles. Il lui faut bien sûr des compétences techniques affirmées mais plus encore des bras nombreux et bon marché parmi lesquels, déjà, des enfants. Ces bras agiles sont pauvres, la ville concentre la misère aux alentours de la Porte haute. En 25 ans, la popula- tion augmente de 90 %, les étrangers et admis à résidence deviennent majori-

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taires en nombre, déséquilibrant de l'intérieur le vieux système politique hérité du Moyen-Age. Dès 1789, la révolution qui gronde à ses quatre portes ronge le calfatage de sa coque et en disjoint lentement les planches. Un blocus douanier provoque une grave crise économique ; de nombreux ouvriers, attirés par les valeurs de liberté et d'égalité que porte le mouvement révolutionnaire, quittent la ville.

En 1798, les 3 500 bourgeois privilégiés négocient habilement leur rattachement à la France. En se partageant les biens de la commune, ils restent maîtres chez eux pour plus d'un siècle encore. La réunion, en introduisant le principe d'éga- lité des droits né de la Révolution, brise le corset de particularisme qui ceint les cœurs comme la ville elle-même. En l'espace d'un siècle, Mulhouse va devenir la deuxième ville d'Alsace grâce à un modèle unique d'intégration : de la ville dans la communauté nationale française d'abord, des étrangers dans la ville grâce aux idéaux républicains ensuite. La grande histoire de Mulhouse com- mence, elle est une aventure terrible et fantastique. Fantastique, parce que sur un siècle, la population de la ville est multipliée par plus de 10 ; terrible, parce que concentrer tellement de pauvre monde sur un si petit espace pose des pro- blèmes énormes de logement, de santé,...

Toutes les grandes villes de l'époque se gonflent de la population qui les entoure. Mulhouse, centre industriel, aspire à elle des flots d'hommes et de femmes rendus mobiles par la pauvreté et par l'espoir de mieux vendre leur savoir-faire. Ces déplacements varient en fonction des lieux d'origine mais éga- lement des époques. Le peuplement de la ville a une spécificité nette que la pré- sence de la frontière renforce encore. Plus du quart des migrants au début du siècle dernier sont étrangers, suisses ou allemands (badois, wurtembergeois).

Les Allemands constituent encore près du quart des migrants à eux tous seuls, après le milieu de ce siècle. Mulhouse est une mer qui aspire à elle ces petites flaques inégales, des fois très loin à travers de multiples petits ruisseaux et rivières. L'eau n'a pas toujours la même couleur mais la mer les mélange toutes en une seule, riche et originale. L'apport multiculturel de l'immigration fait l'image plurielle de Mulhouse ; ville gauloise rebelle dont la forte tradition des sociétés sportives, la puissance du mouvement mutualiste, l'originalité syndicale puise sa source en Suisse et surtout en Rhénanie. Tous les styles et toutes les influences se lisent sur la peau urbaine comme autant de greffes ou de cicatrices.

La profonde unité de la ville est paradoxalement sa diversité extrême.

Cette mer se remplit par à-coups violents. Elle attire à elle un grand nombre de gens à marée montante puis vient la crise, la marée se retire légèrement, quelques années passent et de nouvelles crues mettent de gros flots divers en contact brutal. Ces soudaines montées de niveau, avec leurs débordements, se renouvellent régulièrement du XVIIe siècle à aujourd'hui et produisent chaque fois de grandes difficultés pour les résorber. Plus on se rapproche de notre

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époque, plus l'origine du flux devient très proche et en même temps très loin- taine. Le phénomène est absolument imperceptible. Au début du XIXe siècle, la population augmente d'environ 700 personnes par an, ce qui fait, très artificiel- lement, deux personnes par jour. Ceci, sachant que l'essentiel des arrivées se fait avec les beaux jours. Dans la deuxième moitié de ce siècle, cela représente cinq personnes par jour et dans les années soixante, environ dix personnes pour Mulhouse et sa grande banlieue. Cela n'apparaît pas énorme mais, prise en compte l'insuffisance régulière de logements, le décalage se révèle énorme.

La ville est faite de violence retenue, le fracas des vagues humaines se faisant dans un silence de mer d'huile. Ce calme apparent a frappé de nombreux obser- vateurs au siècle dernier. Il s'attendaient à être assourdis par le bruit des machines et des gens affairés comme dans la plupart des villes industrielles. En sortant de la gare, ils découvraient de beaux hôtels particuliers, le clocher aigu de Saint-Étienne, par temps lourd un manteau de fumée noire suspendu au-des- sus de la ville au loin, mais ils percevaient peu de mouvement. La vie de Mulhouse est une intimité qui ne se dévoile qu'à celui qui sait la découvrir. C'est ainsi que ses habitants sont jugés à tort comme excessivement sérieux et peu enclins à la distraction. L'animation de la ville est éclatée en de multiples petits centres vivants, éloignés des beaux quartiers qui donnent à la cité une image de pierre et de béton tranquille. Ces milliers d'hommes, de femmes et d'enfants se mélangent sans trop de difficulté, la vie du travail rythme leurs solidarités. Tout ne va cependant pas de soi, l'eau dormante se réveille parfois brutalement. Le XIXe siècle connaît des crises graves et, dans ces cas-là, l'étranger n'est plus le bienvenu. On cherche à l'exclure ou on lui demande carrément de partir, c'est pratique, la frontière n'est pas loin. Il en va ainsi en 1780, 1825, 1847,... la terre mulhousienne gorgée d'hommes rend son flux dans des hoquets douloureux.

Les autorités pratiquent une préférence nationale évidente. Au XIXe siècle, les ouvriers étrangers sont à la merci du non renouvellement de leur carte de sûreté en cas de chômage. Il suffit de les obliger à présenter dans un délai très court leur certificat de travail pour provoquer des expulsions massives ; c'est ce que fait le maire de Mulhouse en 1830. En 1848, la crise se prolonge et, pour aider les chômeurs, on leur fait creuser le canal de décharge. Ils devaient cependant être de nationalité française et domiciliés à Mulhouse. Cela n'a, après tout, rien d'anormal mais le résultat est net, les ouvriers déracinés vivent avec un statut très précaire et c'est cette fragilité qui favorise le grand bond en avant de l'in- dustrie mulhousienne , hier comme aujourd'hui.

L'immigration bouleverse complètement l'organisation de la vieille cité et fait naître une métropole moderne. De majorité protestante, elle passe, en quelques décennies à peine, à une majorité catholique et il ne faudrait pas croire que cela se fait sans tensions entre les communautés. Longtemps, il n'y a qu'une église pour près de 20 000 catholiques et lorsqu'on en construit une, on ne trouve rien

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de mieux que de la consacrer au même saint que le temple protestant, sous pré- texte qu'il est le patron de la cité... Résultat, de nombreuses personnes confon- dent les deux édifices. En fonction des réactions des uns ou des autres, on a tôt fait de vous ramener à votre communauté d'appartenance : catholique, protes- tant ou juif. Chacun a d'ailleurs un certain nombre de commerces qu'il fré- quente préférentiellement. Dans de nombreuses entreprises, la carrière est liée à la communauté d'appartenance, au moins jusqu'à la guerre. Cette vie des dif- férentes communautés tendue vers un respect mutuel difficile mais globalement toujours réussi est l'un des grands non-dits mulhousiens. A part une fusion com- munautaire un peu plus lente, le problème est-il si différent aujourd'hui ? Lorsque l'on se met à exploiter intensivement la potasse en 1920, on manque de bras. On recrute des mineurs en Italie et en Pologne pour compléter les effectifs des Français. Ces Polonais habitent des cités que certains appellent « la colonie », vivent repliés sur eux, se marient entre eux et ce, jusque dans les années cin- quante. Cette vie communautaire très forte ne s'affaiblit qu'avec les petits enfants des premiers arrivants. Ils sont déjà l'objet d'un comportement raciste très marqué de la part des Alsaciens qui ne fera que s'accentuer avec la crise, et qui ressemble, toute proportion gardée, à ce que vivent aujourd'hui les Turcs.

L'Alsace est une petite rivière humaine bien disputée, chaque berge en réclame la propriété. En 1871, elle est rattachée à l'empire allemand, 47 ans plus tard elle revient à la France : premier aller-retour. En 1940 et en 1944, deuxième aller- retour. A chaque « voyage » de la frontière, une guerre meurtrière qui couche dans la terre d'Europe des millions d'hommes jeunes qui manquent à l'appel pour la construction de l'avenir. De nombreux Allemands et Suisses sont deve- nus de bons Français de dialecte alémanique ; c'est l'une des grandes originali- tés du modèle d'intégration mulhousien. Les guerres entre l'Allemagne et la France obligent à chaque fois à choisir son camp sans tenir compte ni des familles ni des sentiments..., tant pis pour l'amour. Le choix de la bourgeoisie est clair, c'est la France et elle le payera fort cher, le tissu industriel de la ville aussi. Après tant de va-et-vient, plus rien ne sera comme avant, le ressort humain qui fait l'énergie de Mulhouse et sa particularité est cassé.

Au retour de la paix, les habitants de la grande cité sont nettement moins nom- breux. Il leur faudra plusieurs années pour reconstituer leurs usines et, lors- qu'elles peuvent enfin tourner à plein, il n'y a définitivement plus assez de bras dans la région. C'est la grande différence avec la situation antérieure. Alors on va en chercher là où il y en a. Mulhouse, mer septentrionale placide, se tourne franchement vers la Méditerranée, l'Italie d'abord puis l'Afrique du Nord à par- : tir de 1960 et, bien plus tard, la Turquie. Son horizon passe des nuances des | brumes du Nord à la lumière franche du Sud. La nature du mélange mulhousien évolue. Les nouveaux habitants arrivent de leurs campagnes ensoleillées et pauvres dans une société riche aux rapports humains de plus en plus complexes.

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Il y a donc un grand décalage qui les rend fragiles et qui pousse au repli sur soi.

Cette société moderne a soif de confort et de consommation et est certainement plus égoïste qu'avant. Quand on n'a rien, on n'a pas grand chose à perdre, mais quand on possède quelque chose...

Ce qui change, c'est aussi l'accueil. Mulhouse est une ville qui a mal vieilli et qui s'est étendue de manière anarchique. On concentre une bonne partie de ces nouveaux arrivants dans les quartiers de la périphérie et les îlots délabrés du centre-ville. Lorsqu'on a rasé ces quartiers, le vieux Mulhouse a perdu son île et les gens sont partis vers la périphérie retrouver les autres étrangers qui y habi- taient déjà. Il n'en reste pas moins que les grandes entreprises de la région ont organisé leur production autour d'une main-d'œuvre bon marché. Les « immi- grés » ont donc de nombreux avantages et, s'ils ne sont pas toujours stables à leur travail, ils acceptent des salaires très bas, leur statut juridique est fragile, ils hésitent à réclamer et font souvent les travaux les plus dangereux.

Il y a un peu plus de vingt ans, les Alsaciens ont eu la possibilité de trouver des emplois en Suisse, toujours comme ouvriers, mais avec un salaire nettement supérieur. Ils sont donc partis en masse travailler là-bas, devenant des immigrés le temps d'une journée de travail. C'est à ce moment que l'on a commencé à parler de problèmes de « cohabitation ethnique » et de « seuil de tolérance » sans que l'on puisse dire que les deux choses soient liées ; les époques concor- dent, c'est tout.

Il y a 10-15 ans, lorsque le chômage est apparu dans l'industrie, on s'est mis à par- ler de problèmes religieux. Aujourd'hui, chaque signe trop voyant est immédia- tement décrié comme confirmant la mauvaise opinion que l'on a « d'eux », que ce soit une statue de bouddha qui dépasse d'une clôture ou des problèmes de parking devant les mosquées... Sans nier la réalité et la complexité des nom- breux problèmes posés, constatons que l'enfermement dans une logique « eux » et « nous » conduit, de notre propre fait, la barque mulhousienne dans un bras mort. Lentement, notre société, qui n'a pas réussi à concevoir une fusion avec ces populations d'Afrique du Nord et d'ailleurs, a créé une sorte d'apartheid invi- sible. Séparation dans la place accordée dans la ville, au sein de la culture, réti- cence à travailler sous sa responsabilité lorsqu'elle en a, transformation des problèmes réels de cohabitation en symboles d'une incapacité à vivre ensemble, refus d'embauche et pratique bien partagée d'une préférence nationale larvée...

Il manque à Mulhouse la figure emblématique d'une statue de la Liberté comme celle qui émerge de la baie de l'Hudson face à Manhattan. Ici, para- doxalement plus que là-bas, l'émigration construit la société, sans elle il n'y a rien. La grande différence mulhousienne, à l'identique de la France d'ailleurs, est de refuser de mettre cette évidence au centre de l'image qu'elle se fait d'elle- même. Ce flot humain en perpétuel mouvement qui fait sa richesse depuis deux siècles est subi plus qu'assumé. Dans son travail intense de fusion humaine, la

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ville sue et évapore ses souvenirs, que de milles parcourus depuis le petit mou- lin. De génération en génération, les hommes ne gardent mémoire que de quelques moments sans importance. Avec ces toxines des douleurs de l'intégra- tion, ils perdent les germes de grandeur de leur histoire. Il ne leur reste alors qu'une mémoire courte, tellement courte que la cité en oublie sa nature de ville d'immigration, égale à un grand port de mer. C'est ce destin auquel il lui faut aujourd'hui faire face pour redevenir cet instrument magnifique inventé par les hommes pour se projeter vers l'avenir.

Pour en savoir plus :

Il n'existe malheureusement pas de source facile d'accès. On consultera avec profit :

l'annuaire statistique de Mulhouse de 1967, l'analyse de Raymond Oberlé

« Étude sur la migration de main-d'œuvre de la porte d'Alsace vers Mulhouse... » dans le Bulletin de la Société Industrielle 1981-N°4, l'article de Paul Stoeber « Condition des manants à Mulhouse » dans le Bulletin du Musée Historique de 1883. Les deux meilleures études sont : Roland Schwab

« L'origine géographique de la population mulhousienne (1800-1962) », Région Basilensis 1974-5, pages 47 à 59 et Sibylle Panke « L'immigration à Mulhouse au XIXe siècle », Maîtrise d'histoire sous la direction du professeur Pinol, Université des Sciences Humaines de Strasbourg 1992-1993. (Exemplaire dis- ponible aux Archives municipales de Mulhouse N° 3318). Pour replacer l'en- semble dans un cadre plus large, rien ne vaut la lecture de Gérard Noiriel Le creuset français, histoire de l'immigration XIXe-XXe siècle disponible en

« poche », collection Point d'Histoire.

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PRÉFACE

Michel WIEVIORKA

Directeur d'études à l'école des hautes études en sciences sociales CNRS Directeur du CADIS (Centre d'Analyse et d'Intervention Sociologique)

Il est des études monographiques qui abordent un problème particulier ou une situation locale, avec éventuellement un luxe de précisions confinant à l'érudi- tion et en se gardant bien de formuler des questions générales ou de montrer comment leur rapport pourrait dépasser l'objet limité qu'elles ont choisi d'éclai- rer : leur intérêt est faible. À l'inverse, il en est qui, à partir de connaissances pré- cises et localisées qu'elles apportent, permettent de mieux penser des problèmes ou des révolutions globales, bien au-delà de la situation nécessaire- ment singulière qui a justifié leur élaboration. De toute évidence, l'enquête de Frédérique Meichler, Sylvie Birot et Pierre Freyburger relève de cette deuxième catégorie. De belle manière, en effet, elle apporte sur Mulhouse des informa- tions étayées, solides, approfondies, en même temps qu'elle nous aide à réfléchir sur de vastes enjeux : l'immigration, le racisme, le Front national. Le point de vue spécifique, sur Mulhouse, autorise très directement la réflexion de portée générale, sur la société française et il faut souligner d'emblée cette grande qua- lité d'un travail qui porte sur la réalité locale sans jamais verser dans le loca- lisme, et qui analyse une situation de province dans des perspectives qui sont tout le contraire du provincialisme.

Les auteurs manifestement connaissent et aiment leur ville, l'ouvrage donne toute sa place à son histoire et donc à l'épaisseur d'un passé dont un moment décisif fut certainement l'installation de l'industrie, dès le milieu du XVIIIe siècle. De majorité protestante, industrielle et, de ce point de vue, sem- blant donner raison au grand sociologue Max Weber, qui associe l'esprit du capi-

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talisme à l'éthique protestante, Mulhouse est aussi, et depuis fort longtemps, une ville plurielle, qui a accueilli toutes sortes d'immigrés, et dont les liens histo- riques et économiques avec l'Algérie sont denses et anciens. Les thèmes de l'in- tégration, de la xénophobie et du racisme ont scandé la vie de la Cité tout au long du XIXe et du XXe siècles, associant en permanence la question sociale, celle de l'emploi, du travail et des difficiles conditions d'existence des tra- vailleurs immigrés, et la question de la différence culturelle, plus ou moins réduite à la nature et donc à la race, et d'autant plus aiguë qu'à plusieurs reprises la crise économique a encouragé les pulsions xénophobes. Tout n'est pas nouveau, par conséquent, dans les débats qui agitent cette ville.

Pourtant aujourd'hui, Mulhouse constitue une situation paradoxale, où l'écono- mie locale est loin d'être sinistrée ; où l'immigration est une réalité importante, mais ne présente aucun caractère spectaculaire, et pour laquelle un traitement politique, social et culturel intelligent est assuré ; et où, en même temps, le Front national est en progression constante, au point d'avoir emporté la victoire lors de l'élection cantonale de septembre 1997.

Frédérique Meichler, Sylvie Birot et Pierre Freyburger, fil par fil, dénouent cet écheveau de réalités apparemment contradictoires, avec patience, précision, avec aussi un sens poussé de la pédagogie. La première tâche qu'ils se sont don- née était à l'évidence de faire le point sur l'immigration, telle qu'elle se présente à Mulhouse, sur la façon dont elle se loge, sur son accès à l'emploi, sur sa démo- graphie ou sur ses modes de vie. Compensant la froideur des indispensables données statistiques par d'heureux aperçus sur les trajectoires et la situation des différents groupes issus de l'immigration, évitant l'emportement idéologique des discours antiracistes trop faciles car non documentés, les auteurs, calme- ment, avec sensibilité mais sans sensiblerie nous font connaître et comprendre la diversité du réel.

Et très vite, le lecteur est amené à se débarrasser d'idées reçues, trop superfi- cielles, voire erronées. Il est souvent dit, par exemple, y compris dans des travaux fort sérieux de sciences sociales, que les Turcs empruntent un chemin qui n'est pas celui de l'intégration rapide et développent un communautarisme relative- ment efficace : nos auteurs montrent que cette idée est inacceptable, ils expli- quent qu'elle passe à côté de l'essentiel qui est que les Turcs en question sont des déracinés, venus pour la plupart du temps directement des lointaines cam- pagnes d'Anatolie, plongeant par conséquent sans transition dans la modernité de notre pays sans avoir connu les étapes intermédiaires qu'ont vécues dans leur propre société de départ la plupart des autres immigrations, algérienne ou marocaine notamment.

Parmi les idées fausses, les plus dévastatrices sont celles qui alimentent le dis- cours du Front national. L'enquête est ici d'autant plus salutaire que le ton n'est guère celui de la polémique. Les immigrés, plus que d'autres, souffrent du chô-

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mage ; ils sont capables d'être des entrepreneurs actifs et pas nécessairement enfermés dans le particularisme d'un « ethnic business » replié sur une clientèle communautaire. Au plus loin des mensonges déversés par le Front national, ils ne bénéficient pas d'aides sociales indues et ne pervertissent en aucune manière les mécanismes de la redistribution sociale. Leur accès au logement social n'est pas particulièrement facilité et si certains d'entre eux s'installent dans le parc immobilier privé dont ne veulent plus les couches moyennes mulhousiennes, cela évite l'effondrement du marché et ne s'apparente en aucune façon à une

« invasion ». Souvent présentés dans le discours raciste ou xénophobe comme la crise de l'école publique, ils sont en réalité surtout les victimes de comporte- ments de « Français de souche » qui par exemple préfèrent quitter Mulhouse pour sa banlieue plutôt que d'envoyer leurs enfants dans des écoles où ils côtoieraient des élèves issus de l'immigration, ce qui a pour effet de rendre dif- ficile le brassage social qui est un des atouts classiques de l'école publique. Et pourtant les enfants issus de l'immigration ne réussissent pas plus mal que les autres, et même, semble-t-il, plutôt mieux dans l'ensemble. Sur un autre registre, celui de la sécurité, le Front national associe l'immigration et la délinquance ou développe l'image de « zone de non-droit » : là aussi, l'enquête, puisant aux meilleures sources, a raison des contre-vérités.

Ainsi, les descriptions fines et documentées que cet ouvrage rassemble appor- tent un argumentaire raisonné face au discours de la haine, de la peur et du mépris déversé par le Front national, dont les affirmations sortent à bien des égards laminées par le travail de nos auteurs.

Si cet ouvrage est si utile, c'est également parce qu'il donne à voir, toujours avec finesse et précision, la façon dont les responsables locaux ont choisi d'aborder les questions liées à l'immigration. Les dossiers sont ici parfois très complexes : quelle attitude adopter à l'école, par exemple, en matière de langues d'origines ? Ce qui frappe, à Mulhouse, c'est le courage politique, le souci de prendre ces questions à bras-le-corps, et de donner une expression concrète à des idées qui trop souvent ailleurs demeurent abstraites. À Mulhouse, par exemple, une expé- rience unique en France a consisté à créer l'Espace Alpha, sorte de sas permet- tant à des enfants primo-arrivants âgés de 7 ans d'apprendre le français de manière intensive avant d'être intégrés dans les écoles de la ville ; de même, les bibliothèques sont organisées de façon à contribuer à l'intégration des jeunes issus de l'immigration.

On se demande souvent si l'islam est susceptible d'institutionnalisation en France. L'expérience de Mulhouse est, là aussi, intéressante, même si elle n'est pas particulièrement encourageante. Dans cette ville qui compte quelque 15 % de musulmans, il existe plusieurs lieux de culte, chacun identifié à un groupe national (ou parfois politique) et la municipalité a participé à divers efforts pour rassembler les divers représentants de l'islam dans la perspective de créer une

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mosquée digne de ce nom et ouverte à tous. Mais ces tentatives, singulièrement laborieuses, ont pour l'instant échoué.

Même si les questions posées par l'immigration ne sont pas toutes faciles à résoudre, comme le montre ainsi le dossier de l'institutionnalisation de l'islam, il ressort de l'étude fouillée de sa diversité et de sa complexité, comme de la pré- sentation des politiques qui sont mises en forme par la municipalité, qu'elles ne constituent en aucune façon un ensemble de problèmes insolubles ou une source de difficultés insurmontables. Dès lors, l'ascension si impressionnante du Front national à Mulhouse ne peut s'expliquer par la réalité de l'immigration, dont ce parti construit des représentations excessives, dramatiques, et à bien des égards fallacieuses, ni par l'impuissance politique de la municipalité. Elle pro- cède bien davantage d'autres facteurs : affaiblissement de la droite classique, sentiment de menace dans l'identité nationale en même temps que sur l'identité régionale, alsacienne, peur et incapacité de ceux qui se reconnaissent dans son discours de se projeter avec confiance vers l'avenir.

Peut-on aller plus loin et tirer de cet ouvrage des leçons d'une portée encore plus générale ? Assurément oui. À Mulhouse, comme ailleurs en France, la gauche est amenée à reconnaître l'existence d'une grande diversité culturelle ; l'immigration n'est pas la seule expression de cette diversité, mais elle est la plus spectaculaire, qu'il s'agisse de modes de vie communautaire, d'un islam pluriel (et qui n'a pas le monopole du religieux) ou de références à des origines eth- niques ou nationales. Les identités culturelles, ici, sont pour une part importées ou reproduites, apportées dans leurs bagages par les immigrés, elles sont aussi, ce qui complique tout, le fruit plus ou moins instable d'une production, l'invention de personnes et de groupes qui fabriquent leur spécificité culturelle, souvent parce qu'ils sont soumis à l'exclusion sociale et au racisme. La reconnaissance des identités collectives est délicate à assumer, car elle risque en permanence de faire basculer les populations concernées dans le communautarisme, ou de les stigmatiser en leur imposant des définitions ethniques, religieuses ou autres que tout le monde, en leur sein, n'a pas nécessairement envie de partager ; elle est pourtant indispensable, car sans elle, des individus et des groupes se sentent niés, méprisés, disqualifiés, et risquent de se radicaliser. Dans cette situation, la droite semble bien moins capable que la gauche d'opérer un ajustement poli- tique ; elle risque de perdre une partie de son électorat si elle semble s'ouvrir trop aux demandes ou, tout simplement, aux réalités que signifie la présence d'une immigration visible dans ses différences culturelles, et elle n'a guère d'al- ternative forte à opposer au Front national. Tout au plus peut-elle mettre en avant un discours qui parle avant tout de la République, une et indivisible, et qui promeut ses grands et nobles principes de liberté, d'égalité et de fraternité ; mais dans un pays qui peine à tenir les promesses de la devise républicaine, qui compte plusieurs millions de chômeurs et voit le racisme progresser, comment

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parler avec réalisme d'égalité ou de fraternité ? Ce que suggère le livre de Frédérique Meichler, Sylvie Birot et Pierre Freyburger, c'est en définitive que face à l'immigration, face à la différence culturelle, il n'est plus possible de tenir un discours abstrait, dont l'universalisme devient sans prise sur la réalité. Le problème est d'éviter de favoriser les dérives communautaristes des popula- tions issues de l'immigration, ou d'autres d'ailleurs, sans tomber ni dans la xéno- phobie et le racisme d'un nationalisme éventuellement mâtiné de régionalisme, ni dans des propos incantatoires de ceux qui croient suffisant de marteler la devise de la République alors qu'ils sont dans l'incapacité croissante de la faire fonctionner telle quelle, et tout aussi incapables d'en proposer l'aggiornamento, pourtant possible et nécessaire. On peut le dire très simplement : le mérite de cette enquête est de suggérer que la seule voie réaliste et équitable face à l'im- migration consiste à promouvoir, à Mulhouse comme ailleurs, l'esprit démocra- tique, soucieux de reconnaître les particularismes culturels et de corriger les inégalités sociales tout en veillant au respect des valeurs républicaines du droit et de la raison. Cette voie est étroite, mais elle demeure encore possible.

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INTRODUCTION

Mulhouse est la ville française de plus de 100 000 habitants qui compte propor- tionnellement le plus d'étrangers : 16,9 % de la population, d'après le recense- ment de 1990. A cette date, Mulhouse devançait Paris (15,9 % d'étrangers), Strasbourg (13,9 %), Boulogne-Billancourt (13,3 %) et Villeurbanne (12,9 %).

Aujourd'hui, les étrangers représentent plus de 20 % des Mulhousiens.

Cette spécificité n'est pas un fait nouveau : de tout temps, la ville s'est construite et enrichie grâce aux apports de populations extérieures. Sans l'immigration ouvrière, Mulhouse n'aurait pu devenir une puissance industrielle et atteindre, au milieu des années soixante-dix, près de 120 000 habitants.

L'origine de ces Mulhousiens venus d'ailleurs, visible dans la rue, dans la cour des écoles, au marché, dans les transports en commun, dans les quartiers, pro- voque parfois des réactions de rejet, des peurs. L'immigration est souvent au cœur des conversations. Beaucoup de préjugés et de rumeurs circulent. Or, dans le domaine de l'immigration, il y a un vide à combler : on dispose de peu d'in- formations objectives, on oublie le déroulement de l'histoire et les raisons qui ont amené ces étrangers à venir s'installer en Alsace. On ignore très souvent le parcours des familles.

Comment sont-ils venus ? Comment vivent-ils ? Comment cohabitent-ils avec les autres Mulhousiens ? Quels sont les défis à relever dans les quartiers ? Nous avons essayé de répondre à ces questions à travers une enquête qui nous a conduit à rencontrer quelque 200 interlocuteurs.

Il nous a semblé important de donner la parole à des immigrés ou enfants d'im- migrés. Entendre leur voix, connaître leur histoire personnelle, percevoir ce qu'ils ressentent, c'est aborder la question de l'immigration de façon humaine.

Nous nous sommes entretenus avec des personnes qui côtoient les populations

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d'origine étrangère, dans le cadre de leur profession : employeurs, logeurs, ensei- gnants, travailleurs sociaux, personnel administratif, policiers, magistrats, res- ponsables associatifs, élus...

Nous avons réuni de nombreuses données statistiques, livrées dans cet ouvrage, dont beaucoup sont inédites et corrigent certaines idées reçues.

Notre objectif est d'approcher au mieux la réalité de l'immigration à Mulhouse, d'offrir à chacun un outil de réflexion pour permettre de juger, comprendre, se faire sa propre opinion, au-delà de toute polémique partisane.

Nous évoquons les communautés les plus importantes présentes à Mulhouse. Si dans plusieurs chapitres, nous parlons plus longuement des immigrations récentes (maghrébine et turque) c'est parce que ce sont elles qui focalisent sou- vent les crispations.

Enfin, nous nous sommes engagés dans cette démarche avant tout citoyenne pour répondre à une urgence : à la veille des festivités du bicentenaire de la Réunion de Mulhouse à la France, cette ville cherche son identité, ignore trop souvent ses atouts, présente des signes de repli sur soi et manifeste même par- fois la volonté d'exclure une partie de ses habitants.

Nous espérons que ce travail permettra à de nombreux Mulhousiens de mieux connaître leur ville, de mieux se connaître.

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Quartier Brossolette - juin 1997 - (photo : Nagi).

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CHAPITRE I

QUI SONT LES IMMIGRÉS ?

« Dans la rue, parfois, on ressent le racisme. Quand on marche, par exemple, et qu'on croise une personne âgée qui s'écarte instinctivement parce qu'elle a peur de vous. Quand on est en bande, la police nous

demande souvent nos papiers, et toujours aux arabes du groupe. » Propos de lycéens d'origine maghrébine.

1. Présence visible, perception confuse

Quelle est la réalité de l'immigration à Mulhouse ? Il suffit d'aller faire son mar- ché au Canal Couvert, de se promener dans la rue du Sauvage ou Porte Jeune, pour se rendre compte de la présence indiscutable à Mulhouse d'une forte com- munauté immigrée. Certains vivent mal ce particularisme mulhousien, perçu comme un handicap. En fait, cette mixité démographique n'est que la consé- quence des politiques de l'immigration des différents gouvernements depuis l'Entre-deux-guerres, de l'appel de main-d'œuvre étrangère de la part des

« locomotives » économiques de la région.

Aujourd'hui, Mulhouse voit grandir les enfants de ces travailleurs qui sont venus pour participer à la reconstruction du pays au lendemain de la guerre.

La présence d'une forte communauté algérienne résulte d'une histoire plus ancienne encore, liée à la colonisation, du temps où, à quelques kilomètres de Constantine, dans l'est algérien, des Alsaciens avaient fondé des villages qui portaient le nom de Ribeauvillé, Altkirch, Belfort, Eguisheim.

Étrangers, immigrés, maghrébins, musulmans. C'est ainsi que tour à tour on les désigne, tous ces gens au teint mat, aux yeux bruns, aux cheveux noirs, dont on voit tout de suite qu'ils ne sont pas d'ici. Ils ne sont pas comme nous. Mais que de confusions !

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Étrangers ?

Un étranger est une personne qui ne possède pas la nationalité française. Or, beaucoup de ceux que l'on désigne ainsi ne sont pas des étrangers. Certains ont fait la démarche d'une naturalisation. D'autres ont acquis la nationalité fran- çaise de droit, parce qu'ils sont nés sur notre sol. Ils sont nombreux donc à pos- séder une carte d'identité française.

Immigrés ?

Un immigré est une personne « non autochtone qui vient s'établir dans un pays, généralement pour y trouver un emploi ». Avec, la plupart du temps, l'espoir de rentrer un jour dans son pays d'origine.

Si cette définition correspondait à la situation des immigrés venus seuls à Mulhouse dans les années soixante, pour répondre à l'appel des grandes entre- prises (Peugeot, Citroën, SACM, etc.) qui manquaient de main-d'œuvre, elle ne reflète plus la réalité de ce que vivent à présent les familles installées ici, pour la plupart définitivement, et qui, comme les autres Mulhousiens, sont durement touchées par la crise économique et le chômage.

En fait, souvent, le critère permettant de caractériser l'immigré est tout simple- ment le degré de pigmentation de la peau. Critère visuel, simpliste et réducteur, qui a pour effet de stigmatiser ces personnes.

En effet, un jeune dont le grand-père est arrivé d'Algérie en 1962 pour venir tra- vailler à la SACM, dont les parents sont nés à Mulhouse et y ont été scolarisés, qui a lui-même grandi à Mulhouse, dont la langue maternelle est le français et dont la famille est de nationalité française depuis trois générations, est toujours perçu comme un immigré, voire même un étranger, alors qu'il n'est ni l'un, ni l'autre.

Alors qu'un Allemand ou un Anglais venu travailler dans une entreprise mul- housienne pour un contrat de quelques mois n'a pas, aux yeux de la population, le statut d'immigré. Pourtant, il en est un.

Maghrébins ?

Même s'il désigne les habitants des trois pays du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie), le terme de « maghrébin » est souvent utilisé comme synonyme d'im- migré.

Parce que les « étrangers » qui dérangent, même lorsqu'ils sont français, les

« immigrés » qui font peur, même s'ils sont nés ici, sont essentiellement les Maghrébins et les Turcs.

Les Polonais, les Italiens, les Espagnols, les Portugais, tous ces Mulhousiens d'origine étrangère arrivés par vagues dans les décennies précédentes, à présent bien intégrés, mélangés aux familles mulhousiennes par le biais des mariages mixtes, ceux-là ne se différencient plus des autres.

Pourtant, les plus âgés s'expriment toujours dans leur langue maternelle, des familles continuent à s'approvisionner dans les magasins d'alimentation tenus

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par des compatriotes, des camions viennent toujours livrer des tomates en quan- tité astronomique dans certains quartiers à la belle saison, au moment de la confection des sauces pour l'hiver.

Beaucoup de Mulhousiens achètent des raviolis frais, de la mortadelle ou du jambon San Daniele dans les stands du marché. Ils sont plus rares à passer la porte des épiceries turques.

Les Asiatiques, peu nombreux à Mulhouse, forment un groupe à part. On fré- quente plus facilement leurs commerces et leurs restaurants où il est souvent difficile de trouver une place le samedi soir.

Ils sont perçus comme « discrets », « réservés », ils paraissent « mieux s'intégrer » et leur présence semble être mieux acceptée.

Musulmans ?

Derrière les angoisses, le sentiment que « ces gens-là ne sont pas comme nous » se profile un critère déterminant dans les esprits : « ils sont musulmans ».

Certes, la majeure partie des communautés originaires du Maghreb et de la Turquie est de confession musulmane. On oublie souvent aussi l'Afrique Noire.

Pour bon nombre de Mulhousiens, l'appartenance à l'islam est la raison déter- minante de « l'impossibilité » de l'intégration, présente ou future.

Pourtant, on constate que la plupart des immigrés - parmi ceux qui sont croyants - pratiquent la religion dans la sphère privée, loin du regard des autres, sans soulever de vague, et que les jeunes qui perturbent parfois la quiétude des quartiers mulhousiens n'ont plus aucun repère religieux. Si certains revendi- quent leur appartenance à l'islam, ils en parlent confusément, se fabriquant une foi avec des bribes de références toujours obscures. Bref, ils ne connaissent pas la religion de leurs grands-parents.

Alors, tous ces « étrangers » dont certains sont français, tous ces « immigrés » dont certains sont nés ici, tous ces « Maghrébins » dont certains sont turcs, tous ces « musulmans » dont certains sont athées et qui, comme les Français, ont cha- cun un rapport différent à la religion, qui sont-ils vraiment ?

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ÉVOLUTION DE LA POPULATION MULHOUSIENNE

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Achevé d'imprimer en janvier 1998 sur les presses de Saint-Paul France S.A.

55000 Bar le Duc Dépôt légal: janvier 1998

W 1-98-0029

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