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Psychothérapie et psychiatrie forensique

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Texte intégral

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B. Gravier

introduction

Si la psychothérapie s’est souvent aventurée dans des aspects du soin souvent éloignés des indications classiques, les domai­

nes judiciaires et pénitentiaires ont été pendant longtemps considérés avec circonspection par les psychothérapeutes qui estimaient cet espace peu propice à une telle démarche et les patients qu’on y rencontre peu acces­

sibles à un tel traitement. Pourtant, la réflexion sur les rapports entre le crime et le psychisme fait depuis longtemps partie intégrante des préoccupations des psy­

chanalystes qui ont produit une théorisation abondante1 sans que cela débouche sur une véritable institutionnalisation de la pratique psychothérapique dans ce domaine. Plusieurs mouvements distincts ont amené à reconsidérer cet état de fait :

• La prise de conscience de l’importante souffrance psychique qui s’exprime dans les lieux de détention.

• Le constat de la possibilité de proposer à des sujets pris dans la violence et le passage à l’acte une approche psychothérapique permettant, soit de travailler avec eux sur la violence interne qui les habite,2 soit de gérer les manifestations les plus préoccupantes d’une pulsionnalité déviante afin de prévenir la réitéra­

tion de comportements transgressifs.3,4

• L’évolution des systèmes pénaux qui ont multiplié les dispositifs visant à im­

poser un suivi psychiatrique dans un but de prévention et de contrôle des actes déviants. Le droit des mesures, profondément remanié récemment dans le code pénal suisse fait ainsi la part belle aux injonctions thérapeutiques, incitant de plus en plus les magistrats à imposer un traitement psychothérapique pendant la dé­

tention ou comme alternative à celle­ci.5

la psychiatrieforensique

:

unesituation inconfortable pour lepsychothérapeute

Jusqu’à présent, le terme psychiatrie forensique n’a été que peu utilisé en français alors qu’en anglais ou en allemand il spécifie un espace de pratique qui a pour cadre le procès pénal et les institutions où la loi pénale définit un espace d’intervention.

Psychotherapy and forensic psychiatry Psychotherapists in the forensic field are in an uncomfortable position. The reluctance of patients to be subjected to such obligatory treatments and to face their own violence contributes to this difficult position. The mis­

sion of public safety assigned to these treat­

ments, their assessment through risk of reci­

divism rather than therapeutic effectiveness as well as misconception by lawyers and au­

thorities of what psychotherapy really is rein­

force the difficulty of such a practice. However, a clarification of the nature of each type of in­

terventions allows the establishment of viable psychotherapeutic framework adapted to penal constraints. The developments of approaches specifically tailored to prison settings as well as to sexual offenders are illustrations of this point.

Rev Med Suisse 2010 ; 6 : 1774-8

Les psychothérapeutes dans le domaine forensique sont en position inconfortable. Le caractère obligatoire des traitements, la réticence des patients à s’y engager ou leur difficulté à affronter leur propre violence contribuent à cet inconfort. La dimension de sécurité publique associée à ces traitements, leur évaluation en fonction de la diminution du risque de réci­

dive et non en termes d’efficacité thérapeutique et la mécon­

naissance de ce qu’est une psychothérapie par les autorités et les avocats renforcent la difficulté de cet exercice. Pourtant, un travail de clarification des interventions respectives permet de construire un cadre psychothérapique viable articulé avec les contraintes pénales. Le développement d’approches spé­

cifiques au milieu carcéral ainsi qu’avec les auteurs d’infrac­

tions à caractère sexuel illustre ce dernier point.

Psychothérapie et psychiatrie forensique

perspective

Pr Bruno Gravier

Service de médecine et de psychiatrie pénitentiaires

Site de Cery 1008 Prilly

Bruno.Gravier@chuv.ch

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L’adjectif forensique possède deux sens : si dans le do­

maine médical, il concerne l’usage de la science dans le cadre des actions légales, son acception la plus étymolo­

gique renvoie au forum, à la cité et au débat public.

La psychiatrie forensique est une pratique au confluent de la loi et de la psychiatrie. C’est ce qui fait que les thé­

rapeutes sont régulièrement interpellés par le retentisse­

ment public des crimes commis et la nécessité de répondre devant la société, non seulement du traitement, mais de ce qu’il peut advenir du sujet et du risque dont il est porteur.

Le terme forensique souligne ainsi la position particulière du soignant pris dans un tout autre contexte que son espace habituel de soin et qui, plus que tout autre, doit rendre de multiples comptes.

Diversité des situations

Le terme thérapie en psychiatrie forensique recouvre nombre de situations thérapeutiques à l’interface entre les domaines médical et pénal (tableau 1).

Il s’agit, en général, de mandats de traitement dont se voient chargés les médecins par l’autorité judiciaire à l’issue d’un jugement. Ce terme peut aussi concerner un traitement décidé volontairement par le patient, indépendamment de toute injonction, dans un contexte de procédure pénale, en liberté ou en prison. Il n’est pas rare qu’un patient fasse une démarche thérapeutique volontaire alors qu’il est pour­

suivi pour un délit. La dimension forensique s’impose parce que cette situation posera, un moment ou l’autre, la ques­

tion de l’articulation avec l’autorité pénale et celle de la communication du contenu du travail thérapeutique à un expert, aux autorités judiciaires ou au défenseur du patient.

Lorsque le juge indique au condamné qu’il doit suivre une thérapie, la confusion s’installe quasi inéluctablement autant pour le patient que pour le psychiatre ou le psycho­

logue qui sera amené à recevoir la demande. L’injonction n’est qu’une incitation forte et beaucoup de clarifications et de cheminements seront nécessaires avant qu’une au­

thentique démarche ne se mette en forme. La confronta­

tion du sujet à la justice est, avant tout, déclencheur d’une rencontre, quelle que soit la personne qui sollicite la ren­

contre. Il peut s’agir de ceux qui jugent la personne, de ceux qui vont l’accompagner dans l’exécution de la sanction (au to­

rité d’exécution des peines, travailleurs sociaux), mais aussi du patient lui­même qui en fait la demande par souci stra­

tégique ou dans une demande plus authentique. Ce temps de rencontre permet d’évaluer la réalité de la demande et de valider l’éventuelle indication thérapeutique qu’impli­

que la décision judiciaire lorsque le jugement a eu lieu.

La psychothérapie considérée comme vecteur du contrôle social

Il existe une très forte pression sur le soin à l’intention de ces sujets. Les instances politiques et judiciaires témoi­

gnent souvent d’attentes démesurées en regard des moyens et des structures largement insuffisantes qui existent dans

ce domaine. Ces attentes se compliquent d’une grande confusion quant à ce que l’on peut attendre du soin psy­

chiatrique en général et de la psychothérapie en particulier.

Pour les magistrats, avocats, et acteurs du monde péniten­

tiaire le terme thérapie est souvent employé en parfaite méconnaissance. La psychothérapie apparaît ainsi parée de vertus qui l’éloignent de sa réalité thérapeutique : mé­

lange de prise de conscience à travers la reconnaissance de la gravité des actes commis, de contrition et de repentir, rééducation de comportements socialement inacceptables, etc. La psychothérapie est souvent comprise comme une sorte de parcours moral qui répond au message du Conseil fédéral suisse en permettant de «favoriser l’amélioration des auteurs d’infraction susceptibles de se corriger».a

On peut comprendre aisément que la société aux prises avec l’émotion suscitée par certains actes criminels ne puisse concevoir le soin que par ses effets sécuritaires sans se préoccuper des prérequis nécessaires à toute approche psychothérapique. A l’inverse, certaines affaires récentes ont souligné que l’usage de la psychiatrie comme instru­

ment d’évaluation, de contrôle et de suivi de l’action pénale pouvait conduire à des apories et à des logiques d’enfer­

mement peu intelligibles où seule domine l’anticipation de la dangerosité.

Une psychothérapie comme obligation ?

Le psychiatre forensique se trouve au centre d’un conflit de priorités et de responsabilités : «le paradigme étant que le délinquant souffrant de troubles psychiques, détenu dans une structure hospitalière sécurisée peut être amené à recevoir un traitement qu’il refuse». Le psychothérapeute n’échappe pas à ce conflit, source de problématiques complexes «systémiques, transférentielles et contre­trans­

férentielles»6 qui vont émerger de la rencontre avec le pa­

tient. Le psychothérapeute doit ainsi interroger son inter­

action avec le système de justice pénale, son rôle comme confident de son patient, mais aussi ce qu’il peut ressentir, dans son contre­transfert, de l’émotion et de la souffrance de la victime de son patient.

a Message du Conseil fédéral concernant la modification du code pénal suisse (disposi- tions générales, entrée en vigueur et application du code pénal) et du code pénal mili- taire ainsi qu’une loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs du 21 septembre 1998, art 213.4 «Mesures thérapeutiques et internement» p. 1874.

Tableau 1. Psychothérapies en psychiatrie forensique et les différents cas de figure

• Thérapies ordonnées entrant dans le cadre d’un article 59 (en milieu carcéral, art 59-3, en milieu fermé hospitalier ou autre, en milieu ouvert), ou 60

• Thérapies ambulatoires ordonnées dans le cadre d’une exécu- tion de peine

• Thérapies ambulatoires ordonnées dans le cadre d’un article 63 CPS lorsque le patient est laissé en liberté

• Thérapies volontaires ou recommandées entrant dans le cadre d’un article 64

• Thérapies se déroulant dans le cadre d’un placement selon l’article 61

• Thérapies volontaires demandées par un patient, inculpé mais laissé en liberté, et ayant en perspective un jugement

• Thérapies en milieu pénitentiaire dans le cadre d’une détention préventive

• Selon les législations cantonales : les traitements ordonnés, avant jugement, par un juge suivant les dispositions du code de procédure pénale

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La tension va s’exacerber lorsque le thérapeute devra rendre compte de son travail à l’autorité qui le mandate. Il n’est plus alors un simple témoin mais ne doit ni ne peut, non plus, se prévaloir d’un rôle d’expert, compte tenu de sa place particulière auprès de son patient. Il y a un espace spécifique à définir, ce qu’ont fait les tribunaux anglais en entendant le thérapeute comme «témoin professionnel».6 L’enjeu est bien de témoigner dans le respect du mandat social, mais aussi de l’identité spécifique de psychothéra­

peute.

L’efficacité thérapeutique est confondue avec la prévention de la récidive

Un traitement doit être évalué dans ce qu’il apporte de soulagement ou d’effet thérapeutique. A contrario, en ac­

cord avec la logique pénale, les autorités se soucient avant tout de l’influence de ce traitement sur la diminution de la dangerosité de la personne qui y est astreinte et la pré­

vention du risque de récidive. Nous nous trouvons ainsi au cœur d’un autre conflit majeur de la pratique en psychiatrie forensique : l’efficacité du traitement doit­elle être évaluée en fonction de l’apaisement des symptômes du patient, quels qu’ils soient, ou doit­elle être guidée par des préoc­

cupations de sécurité publique ?

Cette préoccupation conduit les autorités pénales et pénitentiaires à ne considérer comme pertinentes que des approches orientées vers le délit et sa prévention. Il est d’ailleurs étonnant de constater que même dans nombre de travaux médicaux, le taux de récidives est un critère majeur de l’efficacité thérapeutique. Ceci conduirait donc à privilégier les approches cognitives qui semblent les plus évaluables et les plus pragmatiques. La réalité clinique est toute autre et, comme toujours, plus nuancée.

Bien sûr, la prévention du risque de réitération est une préoccupation que tous les acteurs qui interviennent dans ces domaines se doivent de partager. Il n’est pas possible de faire abstraction du contexte du soin et des pressions mentionnées plus haut. Cependant, la prévention de la ré­

cidive est une démarche criminologique qui ne peut se concevoir que de manière pluridisciplinaire en prenant en considération tous les éléments qui entrent en jeu dans la réponse sociale (privation de liberté, accompagnement so­

cial, etc.) et non en se focalisant sur la seule thérapeutique.

L’étude de l’impact des approches thérapeutiques sur ce point précis butte sur de nombreux obstacles : insuffi­

sances d’études, faible nombre de sujets inclus, méthodo­

logies difficilement applicables, questions éthiques, etc.

Un consensus se dégage néanmoins pour souligner l’impor­

tance et les apports des approches psychothérapeutiques, et notamment les psychothérapies d’inspiration psycho­

dynamique.7,8 Il convient cependant d’être très prudent pour privilégier une approche spécifique,9,10 l’important étant d’intégrer les contingences propres à la réalité judi­

ciaire du patient en s’inscrivant dans une démarche pluri­

disciplinaire.8

Les méta­analyses soulignent que les méthodes qui semblent les plus probantes dans cette optique, sont celles où le thérapeute inclut dans sa démarche des stra­

tégies de prévention de la récidive (relapse prevention pro­

grams).11 D’autres méta­analyses soulignent que, indépen­

damment des écoles, la prévention de la récidive est tri­

butaire de trois principes :

• prise en charge des sujets à haut risque (risk principle) ;

• intérêt porté aux facteurs criminogènes (impulsivité, aso­

cialité, instabilité, intérêts sexuels déviants, need principle) ;

• attention portée au mode de vie et à la réceptivité du patient, sa motivation, son style d’apprentissage social (res­

ponsivity principle).12

«En somme, ceci correspond à ce que la littérature por­

tant sur la psychothérapie en général identifie comme un besoin de flexibilité dans la mise en place du traitement»

en conclut Marshall,13 et qui rejoint la préoccupation men­

tionnée plus haut d’intégrer dans la démarche de soin l’ensemble de la réalité du patient et de ne pas réduire l’approche thérapeutique à cette seule dimension crimi­

nologique.

Prendre en considération ces contraintes

Une fois ces préalables posés, il est bien des situations qui relèvent d’un authentique travail psychothérapique.

Mais, dans ce contexte et avec des patients, a priori, peu enclins à s’y engager en raison de leur structure psychique, de leur absence de motivation, ou de la simple incompré­

hension de ce qu’implique un travail sur soi, il convient de définir le cadre, les objectifs, les possibilités et les limites d’un tel travail.

Seul un travail en réseau permettant des moments de rencontre interdisciplinaire pourra construire un cadre psy­

chothérapique adapté aux contraintes mentionnées plus haut qui va respecter les rôles et missions de chacun et la part d’intimité indispensable à l’accompagnement psycho­

thérapique.

L’obligation de soin peut ainsi conduire à une nouvelle forme de contractualisation thérapeutique. Ainsi, au mo­

ment de l’entrée en soin, patient et autorités mandantes seront parfaitement au clair sur la manière dont le théra­

peute rendra compte de sa mission, quelles informations il transmettra et quel domaine restera dans la confidentia­

lité thérapeutique. C’est dans cet échange que peuvent se dégonfler les illusions qui surgissent de l’injonction théra­

peutique. La mise en commun autorise à fixer des objectifs qui tiennent compte de la réalité psychique du patient mais aussi de sa situation globale. C’est là aussi que se distinguera la fonction de thérapeute qui accompagne un processus de changement de celle de l’expert qui évalue le risque criminologique.

laprisonetla priseen chargedes délinquantssexuels

Pendant des lustres on a estimé que ces deux domai­

nes étaient imperméables à une approche psychothérapeu­

tique. De nombreux travaux ont montré ces vingt dernières années l’apport qu’une telle approche pouvait constituer et le caractère fécond de la pratique de certains praticiens.2,14

Psychothérapie en prison

L’incidence de la pathologie psychiatrique15 et la réalité des souffrances psychiques que l’on rencontre dans le monde carcéral obligent à poser la question éthique de la

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manière dont un tel cadre peut être adapté aux soins. La prison est, bien sûr, loin de constituer un cadre thérapeu­

tique idéal au sens où le voudrait une pratique psychothé­

rapique bien codifiée. La confidentialité, voire la simple discrétion, indispensables à la continuité thérapeutique y sont difficiles à respecter. Le thérapeute est écartelé entre l’attention portée aux règles pénitentiaires et à la sécurité et ce que peut lui révéler son patient. La régularité y est souvent difficile à respecter.16 Aussi faut­il intégrer certains paramètres spécifiques à la population et à l’environnement pénitentiaires :17 les dimensions d’espace et de temps pro­

pres à la vie carcérale, la situation psychique du détenu dans sa trajectoire pénitentiaire, la clarification des rôles du soignant, etc.

Le quotidien de la vie pénitentiaire18 avec ses violen­

ces, les corps meurtris par les automutilations, grèves de la faim et autres pathologies du comportement qui s’ins­

crivent dans le refus et le passage à l’acte, témoigne de l’incapacité de beaucoup de ces sujets à faire la différence entre pensée et action et à porter attention à leur monde intérieur. Cet espace de vide psychique s’est révélé un espace, malgré tout, propice à certaines approches psycho­

thérapeutiques individuelles, groupales, ergothérapiques ou favorisant l’expression créative.19 C’est à partir de l’ap­

proche psychothérapique développée dans le monde car­

céral que l’on a pu se rendre compte que les patients pré­

sentant des structures de personnalité psychopathique ou antisociale pouvaient s’engager dans une démarche person­

nelle permettant d’envisager un apaisement et une élabo­

ration individuelle.

Un travail psychothérapique en prison conduit d’abord à la mise en place d’un dispositif thérapeutique suffisam­

ment contenant pour faire face à la violence du patient, à celle de son histoire et à celle de l’environnement péni­

tentiaire. C. Balier 20 a appelé «psychanalyse des agirs» ce travail psychothérapique particulier avec des patients fonc­

tionnant sous le primat du recours à l’acte et luttant contre un vécu traumatique et un sentiment d’imminence d’anéan­

tissement. L’enjeu premier, avant toute reconstruction mé­

tapsychologique et tout travail sur le sens, sera de favoriser une rencontre avec un individu et son histoire et non seu­

lement avec son acte délinquant et de l’aider à se réinscrire dans son humanité. C’est à cette condition que pourra se travailler le passage à l’acte du patient et que celui­ci pour­

ra accéder à un monde interne souvent effrayant et persé­

cuteur qui émerge dans la rencontre psychothérapique à travers des cauchemars et une ébauche de mentalisation.

Le paradigme de la prise en charge des auteurs d’agression sexuelle

Une revue de la littérature13 indique que plus de cin­

quante caractéristiques des délinquants sexuels ont été prises comme objectifs par différents programmes de thé­

rapies cognitivo­comportementales. Les méthodes varient considérablement allant de la confrontation, parfois bru­

tale, à des approches plus motivationnelles, voire psycho­

éducatives. Finalement, l’analyse des différentes formes de pratiques thérapeutiques existantes, passée en revue par une des équipes les plus prolifiques dans ce domaine13 souligne certains points forts du travail psychothérapique

qui, là encore, place le débat au­delà des querelles d’école : privilégier l’empathie à la confrontation, développer des compétences permettant une vie plus épanouie (good live model), aider à surmonter les difficultés face à l’intimité et au sentiment de solitude affective, développer une relation d’attachement secure entre patient et thérapeute, travailler sur l’expression des émotions.

Les approches plus psychodynamiques insistent sur la prise en compte de la fragilité du narcissisme de ces sujets, leur propension au clivage, à l’emprise et à la destructivité.

Elles attachent une importance toute particulière à l’ana­

lyse des processus transféro­contre­transférentiels. Celle­ci interroge notre capacité à rester thérapeute face à de tels sujets et aide à surmonter la sidération que leur discours provoque dans notre propre psychisme.21,22

Dans la continuité de cette réflexion, nous avons déve­

loppé au sein de notre pratique un travail de «thérapie ac­

tive», permettant de construire un cadre psychique articulé avec les exigences de la réalité 23 à travers le travail d’équipe et la cothérapie. Exister dans le vide de la pensée du pa­

tient, à travers la recherche des mots justes, aborder des contenus psychiques à forte densité émotionnelle et ap­

procher les traumatismes du sujet, permettent, avec une attitude active qui vient nommer l’inacceptable de l’acte, d’éviter au discours pervers de constituer le seul fil con­

ducteur de l’accompagnement thérapeutique.

Rester thérapeute dans un cadre de contrainte

Nous nous trouvons donc au «carrefour de demandes et d’attentes souvent urgentes, très diverses et, parfois aussi, irréalistes» qui constituent autant de zones de pres­

sions susceptibles d’inférer tant sur l’identité du thérapeute que sur la relation avec le patient. Ce cadre et ces inter­

faces spécifiques ne peuvent être tenus à l’écart de la ré­

flexion du psychothérapeute.24

C’est au contraire une ouverture à un renouvellement et un enrichissement des approches psychothérapeutiques autant en termes de méthodes que de théorisation et de conceptualisations. Prendre en considération ce cadre spé­

cifique, l’intégrer de manière à ce qu’il rende compte du vécu du sujet pris dans son acte et la rencontre avec la loi nous paraît faire partie intégrante de l’élaboration psycho­

thérapique. Par exemple, l’articulation avec d’autres acteurs ouvre la porte à «l’intercontenance des cadres»,25 terme qui insiste sur un travail en interinstitution (soins­justice­

travail social) qui va au­delà d’un simple emboîtement mais respecte les espaces et identités propres et aide à penser les mouvements affectifs qui s’y déploient. C’est aussi dans cette articulation que doivent être travaillés, en écho avec le cheminement psychothérapeutique, les effets de clivage et de déni prévalents dans le fonctionnement psychique des sujets dont nous nous occupons.

Les supervisions et intervisions devront donc intégrer ces aspects qui vont fatalement interférer avec l’établisse­

ment d’une relation transféro­contretransférentielle, en po­

sant la question de la loyauté du thérapeute avec son patient ainsi que celle de la manière dont l’acte commis et jugé va être questionné dans le travail thérapeutique autant comme émergence d’un vécu psychique que comme objet d’une réponse sociale dont il faudra rendre compte.

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A travers ces quelques indications sur le travail psycho­

thérapique dans le champ forensique, on aura compris qu’avant de viser l’efficacité, la prévention du risque et l’articulation avec le monde judiciaire et pénitentiaire, le travail du psychothérapeute est de penser la rencontre avec ces sujets aux prises avec l’image monstrueuse d’eux­

mêmes que leur renvoie la société et à qui il est fonda­

mental de permettre d’accéder à une humanité retrouvée.

Implications pratiques

La psychothérapie avec des patients délinquants peut s’initier à tout moment d’un parcours judiciaire

Elle ne doit jamais faire l’impasse sur le statut pénal du patient et les attentes des autorités à l’égard du soin

Le dialogue avec celles-ci est indispensable pour définir un cadre cohérent et préciser ce qui peut être attendu d’une psychothérapie

Le thérapeute ne peut agir comme expert criminologue en se livrant à une prédiction de la dangerosité

Il doit, par contre, contractualiser clairement avec son patient et les autorités qui le mandatent, dès le début de la prise en charge ce qui restera dans la confidentialité et ce qui sera transmis

Les approches psychothérapiques doivent tenir compte de la globalité de la réalité du patient sans la réduire à sa seule réalité criminologique

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9 Milgrom E, Bouchard P, Olié JP. La prévention mé- dicale de la récidive chez les délinquants sexuels, Rap- port adopté le 8 juin 2010 par l’Académie Nationale de Médecine, consultable sur www.academie-medecine.fr 10 Aubut J. Quels sont actuellement les moyens et les modalités spécifiques d’organisation recommandés dans le traitement des auteurs d’agression sexuelle ? in Thurin

JM, Allilaire F. 5e Conférence de consensus de la Fédéra- tion française de psychiatrie, psychopathologie et traite- ments actuels des auteurs d’agressions sexuelles, John Libbey Eurotext, Paris. Consultable sur internet http://

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12 Hanson RK, Bourgon G, Helmus L, Hodgson S.

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22 ** Balier C. Psychanalyse des comportements sexuels violents. Paris : Presses Universitaires de France, collection Fil Rouge, 1996.

23 Gravier B, Legoff V, Devaud C. Les thérapies acti ves.

In Ciavaldini A. et Balier C. (eds). Agressions sexuelles : pathologies, suivis thérapeutiques et cadre judiciaire.

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24 Raggenbass R. Introduction à la journée de réflexion de la Société Suisse de Psychiatrie Forensique, Morat, 3.11.2009. (non publié)

25 * Ciavaldini A. Dispositif inter-institutionnel pour travailler avec les familles de sujets auteurs de violen- ces sexuelles. In Ciavaldini A (eds). Violences sexuelles, le soin sous contrôle judiciaire. Paris : In Press, 2003;

135-43.

* à lire

** à lire absolument

Bibliographie Remerciements

A Mireille Stigler­Langer pour sa relecture attentive et ses conseils.

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