J.-M. Annoni F. Colombo
introduction
Les lésions cérébrales, qu’elles soient traumatiques, vasculai
res, inflammatoires ou tumorales, sont sources non seulement de décès (environ 30% après un traumatisme craniocérébral (TCC) ou un accident vasculaire cérébral (AVC)), mais surtout de handicap ou de séquelles à long terme. Bien que, par exem ple dans le TCC, l’amnésie posttraumatique soit un bon prédicteur de reprise de travail,1 il est modulé par plusieurs autres variables, en particulier cognitives et comportementales. Les séquelles co
gnitives et comportementales des TCC modérés ou sévères (avec lésions détec
tées au scanner) concernent respectivement trois quarts et deux tiers des pa
tients ayant survécu à un TCC sévère ou modéré, si l’on intègre les plaintes de l’entourage ou du patient luimême. La fréquence des troubles augmente si les lésions touchent le lobe frontal.2,3 Bien que moins connues, ces séquelles tou
chent également les patients victimes d’un AVC (60% trois mois postAVC),4 ou même de pathologies chroniques comme la sclérose en plaques (SEP, 30 à 40%
en début de maladie).5
La question est de connaître le rôle de ces variables dans la reprise profes
sionnelle. Il existe une grande variabilité dans le pourcentage de retours au tra
vail après une atteinte cérébrale et il semble que les facteurs pronostiques soient multiples. Par exemple, les patients en neurorééducation suite à un TCC ont de meilleures chances de retrouver leur profession si le séjour est plus court, s’ils sont plus jeunes et s’ils ont des résultats légèrement meilleurs à l’évaluation neuro
psychologique. Cependant, c’est le score aux questionnaires affectifs qui est le mieux corrélé avec une reprise d’activité. De manière intéressante, dans l’étude suivante, la plupart des personnes victimes d’un traumatisme sévère avait repris le travail alors que la majorité de celles victimes d’un traumatisme modéré (il s’agit bien entendu d’une population sélectionnée de TCC mineurs qui nécessi
taient cependant un séjour en neurorééducation) n’avait pas repris leur activité après leur séjour, ce qui montre la multiplicité des facteurs.6 Dans le cas des AVC non régressifs, la reprise professionnelle n’est que de 20% après trois ans.7 Les Return to work after brain lesion :
cognitive and behavioral factors
Complete or partial return to work (RTW) suc
ceeds in around 40% of TBI and 25% of stroke patients. Positive factors include : 1) posttrau
matic amnesia, hospitalization length, age, race, pretraumatic work and socioeducational status, quality of life, 2) premorbid intellec
tual level, learning, language and attentional, 3) social cognition and deficit’s awareness and 4) absence of behavioural impairment. In stroke, RTW is associated with normal neuro
logical and cognitive/communication abilities.
Vocational rehabilitation necessitates : 1) co
gnitive retraining (speed, visuospatial skills and memory), 2) behavioural approach (com
pensation, organization, abstraction) and 3) adap tation of work profile. Case management models, with early intervention, continuity of care and coordination, increase twofold par
tial or complete adapted RTW.
Rev Med Suisse 2011 ; 7 : 944-7
Environ 40% des patients post-TCC et 25% post-AVC repren- nent une activité professionnelle (complète ou partielle). Les facteurs pronostiques sont : 1) la durée de l’amnésie post- trauma tique, de l’hospitalisation, l’âge, le statut familial et économique antérieur et la qualité de vie ; 2) les capacités mnésiques, verbales et langagières ; 3) la cognition sociale et la perception du déficit cognitif et 4) surtout l’absence de troubles comportementaux. Après un AVC, toute séquelle sen- sorimotrice, comportementale ou cognitive interfère avec la reprise.
La rééducation englobe : 1) les entraînements cognitifs ; 2) une approche comportementale des tâches (compensation, organi- sation, abstraction, réentraînement) et 3) l’adaptation du poste.
Les modèles de case management avec intervention précoce permettent de doubler le taux d’une réintégration.
Troubles cognitifs et comporte- mentaux après lésion cérébrale :
impact sur la reprise professionnelle
mise au point
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4 mai 2011 Dr Jean-Marie AnnoniUnité de neurologie Département de médecine Université de Fribourg Dr Françoise Colombo Unité de neuropsychologie HFR Fribourg
Hôpital cantonal 1708 Fribourg
jean-marie.annoni@unifr.ch
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questions qui nous concernent sont les suivantes :
1. quels sont les facteurs cognitifs classiques de reprise ou de nonreprise professionnelle ?
2. Quels sont les autres facteurs ?
3. Quelles sont les interventions considérées comme effi
caces ?
influence desperformancescognitives surle retourautravail
Une majorité d’études s’est concentrée sur les TCC. Pour rappel, les troubles cognitifs dans les TCC sont de trois types. Tout d’abord, dans l’ensemble des traumatismes, on retrouve des difficultés de mémoire de travail et d’at
tention divisée, qu’elles soient mises en évidence lors d’éva
luations cliniques ou dans des études d’imagerie fonction
nelle (augmentation d’activités frontopariétales lors de tâches de mémoire de travail). Dans les traumatismes mi
neurs (Glasgow coma scale entre 13 et 15 à l’entrée), ce sont essentiellement des troubles attentionnels et de rappel mnésique ainsi qu’une fatigabilité qui prédominent. Les TCC sévères sont associés aux mêmes déficits, mais pré
sentent également un ralentissement, un trouble exécutif et d’abstraction, une baisse de la conscience des troubles et un émoussement affectif, associé parfois à une émotivité accrue.
Contrairement aux séquelles physiques qui semblent être plus accessibles aux stratégies technologiques,8 de nombreuses études, déjà depuis les années 19701980, ont montré que les performances cognitives à l’examen neuro
psychologique (tableau 1) pouvaient différencier les per
sonnes qui retournaient au travail des autres. En particu
lier :
• les capacités intellectuelles et de raisonnement mesu
rées par l’échelle d’intelligence de Wechsler (score global, subtest de similitudes, score verbal) ou les Matrices pro
gressives de Raven ;9
• des tâches de mémoire, de langage et d’attention telles que l’apprentissage, la mémoire verbale, les scores à l’échel
le de mémoire logique de Wechsler, l’attention verbale et le subtest de code de la WAIS (Wechsler adult intelligence scale) sont tous liés à la reprise professionnelle.10,11
Ces études des années 80 avaient permis de déboucher
sur une amélioration des rééducations neuropsychologi ques, qui se sont développées dans une approche très indivi
dualisée sur les modèles de neuropsychologie cognitive.
Chez les patients victimes d’AVC, les déficits qui sem
blent le plus compromettre la reprise professionnelle sont les déficits instrumentaux (langage, perception spatiale).
Ce sont aussi ces patients qui sont le plus sujets à ce genre de pathologie. Sur un groupe de 60 patients, 20% retrou
vaient un travail trois ans postAVC, alors que la proportion s’élevait à 40% si les patients n’avaient pas d’aphasie ou d’héminégligence en phase aiguë. De manière générale, l’atteinte des fonctions corticales est associée à une moins bonne reprise professionnelle. Le déficit moteur, la dysfonc
tion corticale (négligence, dyscalculie, aphasie, troubles de planification) sont associés à une moins bonne reprise pro
fessionnelle, mais ces facteurs semblent surtout refléter la sévérité globale de l’atteinte.12
rôle desaspectscomportementaux
non cognitifssurla reprisedutravail Paradoxalement, les aspects non cognitifs et affectifs ont été abordés plus récemment, mais sont des facteurs déter
minants dans le pronostic fonctionnel après lésion céré
brale.13 Il y a déjà plus de vingt ans, plusieurs auteurs avaient souligné l’importance de la capacité à utiliser les feed-back extérieurs et à pouvoir les considérer comme une variable importante de la reprise professionnelle.14 L’acceptation et la bonne conscience des déficits cognitifs sont des fac
teurs de bon pronostic.
Selon une revue récente,15 les prédicteurs pour un meil
leur retour au travail sont une situation familiale stable, un statut prétraumatique professionnel stable, un niveau sala
rial plus haut au moment de l’accident, un meilleur niveau d’éducation, une moins grande sévérité du traumatisme, une plus courte durée d’hospitalisation, le fait d’être cau
casien et surtout de meilleurs résultats aux échelles de qualité de vie (qui intègrent des scores de dépression, de nécessité d’être aidé, de plainte somatique, d’anxiété et une échelle de pronostic fonctionnel non professionnelle).
La sensation de fatigue a également un impact sur la re
prise professionnelle. A égalité de performances cogniti
ves, les patients qui ne pouvaient retrouver leur activité présentaient des scores augmentés de fatigue et de dé
pression.16 Pour rappel, la fatigue d’origine neurologique est un phénomène relativement complexe, avec des com
posantes émotionnelles, cognitives et perceptivomotrices, qui peut être difficile à appréhender de manière globale.
En pratique clinique, la fatigue neurologique est définie comme une difficulté à initier ou à maintenir une activité volontaire.17 Elle se différencie de la fatigue «du juste», qui, elle, est associée à un certain sentiment de bienêtre. Plu
sieurs études suggèrent que la fatigue neurologique inter
vient après un accident vasculaire, un TCC, une SEP, des poussées de SEP, indépendamment de difficultés cogni
tives ou affectives. Nous n’aborderons pas ici les facteurs assécurologiques, mais rappelons que la SEP est associée à une incapacité de travail de 21% en termes de santé pu
blique mais surtout à une diminution de productivité pro
fessionnelle de 36%.18
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4 mai 2011Déficits cognitifs Travaille trois ans
trois mois après après
TCC modéré à sévère 75% 30-40%
AVC non régressif 60% 20-40%
SEP 30-40% 70-80%
Les intervalles reflètent une certaine variabilité dans les études. Sont comprises ici les activités professionnelles adaptées.
TCC : traumatisme cranio-cérébral ; AVC : accident vasculaire cérébral ; SEP : sclérose en plaques.
Tableau 1. Fréquence des déficits cognitifs dans les pathologies cérébrales, trois mois après diagnostic, et de la poursuite d’une activité professionnelle trois ans après
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impactdela priseen chargeSans aide, le taux de reprise d’un travail des traumati
sés crâniens est d’environ 30% alors que ce taux peut pas
ser jusqu’à 80% grâce aux différents programmes de ré
insertion et d’adaptation professionnelles.19 Cet aspect a été particulièrement développé en Suisse, sous l’impul
sion, entre autres, des programmes mis en place à la Suva sur le modèle du traumatisme crânien. Les problèmes co
gnitifs n’échappent pas à cette observation et les prises en charge ont également montré leur efficacité. Il y a plus de vingt ans, une étude rétrospective d’une population de TCC sévères 20 mentionnait déjà un taux d’environ deux tiers de retour au travail adapté, malgré la présence fréquente de troubles cognitifs persistant à au moins un an de la sortie d’un service de réhabilitation. Un point fondamental est de réfléchir en termes d’activité adaptée et non nécessairement de récupération d’un rendement complet. Il se heurte ce
pendant parfois à l’exigence et à la compétitivité des pla
ces de travail. Une prise en charge doit être holistique, avoir une composante neuropsychologique, mais également édu
cative et de réorientation professionnelle,21 cela a effecti
vement permis à 82% de leur cohorte de reprendre une ac
tivité professionnelle. Cette reprise professionnelle était associée à de meilleures performances dans les tâches de réentraînement cognitif impliquant la rapidité de traite
ment, la mémoire et les performances visuospatiales. Les autres facteurs étaient la manière dont le patient abordait les tâches (compensant les déficits, pouvant proposer une organisation et une abstraction dans leur résolution, intro
duisant des procédures, etc.) et sa capacité de faire al
liance avec l’idée d’une telle reprise. On comprend donc que des processus à la fois cognitifs, métacognitifs et émo
tionnels jouent un rôle et peuvent être considérés lors des choix professionnels (tableau 2). De plus, un modèle d’in
tervention précoce avec case management intégré semble plus efficace que les modèles de réintégration avec sup
port professionnel transitoire (reprise thérapeutique) ou que des modèles de réorientation individuelle.22
Enfin, le succès d’une reprise n’est pas simplement que la personne retourne au travail, mais qu’elle puisse y res
ter ! En effet, il faut prévoir l’impact à long terme des défi
cits et éviter que les déficits cognitifs et affectifs entraînent un épuisement si l’activité n’a pas été bien adaptée. Ceci a été particulièrement démontré dans le suivi sur 22 ans d’une cohorte de patients souffrant de SEP.23 Des caracté
ristiques à la fois liées à la maladie (pousséerémission plu
tôt que chronique progressive), à la personne (meil leure éducation, moins de symptômes dépressifs) et au travail (travail physiquement moins important) jouent un rôle dans le maintien de l’activité.
conclusions
La reprise professionnelle après lésion cérébrale, en par
ticulier TCC ou AVC, semble liée à plusieurs facteurs. Le ni
veau prémorbide, les troubles cognitifs (effectivement le reflet de la sévérité de la lésion cérébrale), les aspects émotionnels (qu’ils soient d’origine organique ou réaction
nelle), la fatigue et la capacité à s’adapter doivent être in
tégrés dans les choix professionnels. Dans ce sens, une postrééducation intégrant la prise en charge cognitive, émo
tionnelle et professionnelle est importante et nécessaire pour une reprise durable.
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11 Brooks N, McKinlay W, Symington C, Beattie A,
Bibliographie
Points les plus concernés
• Séjours plus courts en rééducation
• Patients plus jeunes
• Discrètes différences à l’examen neuropsychologique
• Différences importantes aux questionnaires évaluant l’affect Tableau 2. Différences entre les patients qui retournent au travail après traumatisme cranio- cérébral et ceux qui n’y retournent pas
Implications pratiques
Les prédicteurs neuropsychologiques de la reprise profes- sionnelle sont le niveau intellectuel antérieur/travail antérieur à l’accident, la préservation des capacités cognitives, mais surtout une perception correcte du déficit cognitif et l’ab- sence de troubles affectifs (organiques ou réactionnels) Bien que les mesures précoces aient fait leurs preuves, il est aussi important d’orienter la réadaptation vers une activité adaptée (qui tienne sur la longueur) que de tout centrer sur la rapidité de la reprise professionnelle
Une neurorééducation puis une prise en charge globale dou- blent les chances de réinsertion professionnelle. Le système de case management, tressant un réseau entre maladie, sou- tien assécurologique et employeur, semble actuellement plus efficace
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Campsie L. Return to work within the first seven years of severe head injury. Brain Inj 1987;1:5-19.
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How long can you keep working with benign multiple sclerosis ? J Neurol Neurosurg Psychiatry 2011;82:78- 82.
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