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Histoire, cinéma et télévision dans la Roumanie des années 90

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Histoire, cinéma et télévision dans la Roumanie des années 90

ROISSARD DE BELLET, Marc

Abstract

Dès la chute du régime communiste, les images des télévision se multiplièrent sur la Roumanie. Toutefois, les années 90 permirent l'émergence d'une cinématographie roumaine, notamment avec l'apport de Lucian Pintilie. Marqués par leur rapport à l'histoire, ces films ne trouvèrent alors que peu de réseaux de distribution.

ROISSARD DE BELLET, Marc. Histoire, cinéma et télévision dans la Roumanie des années 90.

Cahiers de la faculté des Lettres , 1999, vol. 1999-2000, p. 82-86

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:22688

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Histoire, cinéma

et télévision dans la Roumanie des années 90

Marc de Bellet

L'effondrement du régime de Nicolae Ceausescu conféra à la Roumanie postcommuniste un statut privilégié auprès des télévisions oc- cidentales. En effet, les événements de décembre 1989, notammeUlle

«faux charnier» de Timisoara, eurent un retentissement médiatique qua- si universel, encore amplifié lors des révélations concernant les manipu- lations d'images'. S'enchaînèrent ensuite, le plus souvent en direct, des

KMichel Bruneau, ~<Entre J'Europe et l'Asie: les Grecs dans l'espace intermé- diaire», Hérodote, W 90 (3' trimestre de 1998), pp. 62-78.

9 Paris, Maisonneuve et Lafase, 1996; cité par Jacques Rupnik dans le propos d'introduction à «Belgrade, une ville occidentale» d'Ivan Djuriç, dans Esprit, W 252 (mai 1999). p. 44.

1 Sur les rapports entre l'histoire, le cÎnéma et la télévision, se référer à .Marc Ferro qui revient sur le cas de la Roumanie en 1989 dans «L'Empire de l'image», Cinéma et Histoire, Paris, Gallimard, 1993, pp. 11-17 (Folio histoire).

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images relayées par les médias internationaux: les manifestations popu- laires et les combats de rues dans Bucarest, la chute du couple de dicta- teurs, leur fuite et enfin leur procès. La «Révolution télévisée» roumaine consacrait en quelque sorte l'histoire retransmise en direct sur le petit écran. Sur place, l'immeuble même de la Télévision nationale devint, symboliquement, l'un des principaux lieux de lutte armée, donnant nais- sance à des images retransmises dans le monde entier.

Depuis lors, tout au long de la décennie passée, le pays revint à inter- valles réguliers comme objet d'images la plupart du temps dramatiques, voire pathétiques. Dans l'ensemble, celles-ci ne faisaient que conforter un regard occidental fréquemment condescendant, tant sur la Roumanie que sur l'ensemble des pays de la région2. Les reportages étaient consa- crés à des sujets aussi sensibles que le délabrement des orphelinats, le combat des enfants contre le sida ou la toxicomanie, mais également aux

«minériades», descentes violentes des mineurs en direction de la capitale afin d'obtenir des concessions économiques du gouvernement. ou même de renverser ce dernier. Ces images à sensation contribuèrent à fixer une image stéréotypée de la Roumanie contemporaine auprès du téléspecta- teur occidentaP. De fait, ce dernier devait se contenter de cette vision partielle, véhiculée de surcroît par des yeux extérieurs.

Pourtant, avec l'émergence de la cinématographie roumaine, un re- gard endogène existe et tente aujourd'hui de se faire connaltre et recon- naître. Les films roumains, souvent portés à l'introspection, représentent des reflets bien plus authentiques et variés des réalités nationales que les brefs reportages teintés de sensationnalisme. Portés par une dimension artistique, ils permettent de dépasser les a priori occidentaux et de pré- senter les interrogations, les doutes et les problèmes actuels.

Durant plus de vingt ans, le régime Ceausescu avait transformé le cinéma roumain - par ailleurs alors quasi inexistant sur la scène euro- péenne - en un instrument de propagande, insistant tout particulière- ment sur la production d'épopées historiques supposées légitimer le pou- voir communiste au prix d'un nationalisme exacerbé. Pour leur part, les cinéastes contemporains se sont bien évidemment détournés de ce genre pour s'interroger sur le demi-siècle passé sous la tutelle communiste.

Cette démarche les a conduits à s'atteler, entre autres, aux crimes de la police politique, notamment durant la période stalinienne, et aux trau- matismes durables en découlant (Trahir de Radu Mihaileanu en 1992, ou Moi, Adam de Dan Pita en 1996), à la fameuse «Révolution» roumaine (Etat de fait de Stere Gulea en 1996), aux manifestations et à l'évacuation

2 Pour la résurgence des stéréotypes à l'encontre des Balkans à la fin de la guerre froide, voir l'ouvrage de Maria Todorova, Imagining the Balkans, Londres, Oxford University Press, 1997. Pour le cas roumain, se reporter notamment aux propos du cinéaste Lucian Pintilie qui, parlant de fin 1989, déclarait: «Après,les Français me regardaient avec un mélange de pitié et de mépris - on ne peut pas imaginer pire», dans Positif, W 452 (octobre 1998), p. 27.

3 Dans une récente interview, le ministre roumain des Affaires étrangères, Andrei Plesu, estime que ces problèmes «sont devenus une sorte d'identité média- tique de la Roumanie», dans Le Temps du 11 août 1999.

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des étudiants du centre de Bucarest par les mineurs en juin 1990 (le do- cumentaire Place de l'Université en 1991), mais aussi aux profonds boule- versements contemporains4 (entre autres Peppe et Fifi en 1994 de Dan Pita, ou Regards de colère vers l'avenir de Nicolae Margineanu en 1993).

Toutefois, ces films se heurtent aujourd'hui à un obstacle de taille, à savoir leur non-distribution en dehors des frontières nationales. Le plus souvent, ils ne quittent le pays que pour être diffusés dans des festivals pour cinéphiles. Leur impact est donc des plus limités, d'autant que leur programmation par des télévisions occidentales est très rare.

Dans ce contexte, le cinéaste Lucian Pintilie se démarque nettement.

Son parcours et sa carrière sont déjà très éclairants. Né en 1933, il com- mença à tourner au début des années soixante et réalisa, en 1969, son deuxième long métrage, La Reconstitution. Projeté au Festival de Cannes, il reçut un accueil critique très favorable, mais mécontenta les dirigeants roumains d'alors. Pintilie entra alors dans une période de «disgrâce» de vingt anss, durant laquelle il ne réalisa qu'un long métrage, par ailleurs non distribué. Pourtant, il fut relativement privilégié puisqu'il put bénéficier d'un passeport lui permettant de faire de longs séjours en Occident et de se tourner vers le théâtre où il mena avec succès une carrière internationale.

Néanmoins, depuis le début des années quatre-vingt-dix, Pintilic a pu donner libre cours à son énergie créatrice en revenant vers le monde du cinéma. Alors que la plupart des cinéastes est-européens de sa généra- tion tournent beaucoup moins, il a quant à lui réalisé quatre films: Le Chêne, Un été inoubliable, Trop tard et Terminus Paradis. En outre, il a réussi à obtenir le soutien d'un producteur et distributeur français, Marin Kannitz, accédant ainsi au marché du film en Europe occidentale et même dans le monde anglo-saxon.

Quant à ses films, leur rapport à l'histoire cst patent6, ct ce quelqu'en soient les modalités.

L'action du Chêne, réalisé en 1992, est ainsi située en 1988, dernière année de la dictature finissante. Le film débute avec des images vidéo des années soixante, flash-back sur la période faste d'une famille de nomen- klaturistes de la Securitate, puis constate leur déchéance. Dans un climat crépusculaire, les deux principaux protagonistes se révoltent, en marge du système déliquescent, contre la résignation de leurs concitoyens.

Lors de la sortie du film,le metteur en scène déclarait en évoquant la situation de son pays: «Et qu'est-ce que la Roumanie aujourd'hui, sinon le même monde à l'envers, parodie de la normalité?»? Ces propos

"Sur l'étendue de ceux-ci, se reporter aux riches travaux de l'anthropologue Katherine Verdery, notamment à son ouvrage What was Socialism and what cornes next, Princeton, Princeton University Press, 1996.

5 Se décrivant volontiers comme un «iconoclaste», Pintilie a retracé dans un long entretien ses rapports tumultueux avec Ceauscscu ct la censure roumaine, dans Positif, N" 379 (septembre 1992), pp. 15-24.

fiPintilie a notamment déclaré: (,Les occasions n'ont pas manqué pour nous autres, Roumains, d'être rayés de l'histoire, si l'attrait suicidaire (la vitalinéga·

tive) n'avait pas été contrecarré par une formidable vitalité positive», ibid., p. 23.

7 Ibid., p. 18.

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acerbes illustrcnt bien sa démarche qui, grâce à la dérision et à son sens du grotesque, débusque sans relâche la soumission et la passivité.

Deux ans plus tard, il localise la trame de son film, Un été inoubliable, dans la Roumanie des années vingt, ce qui constitue l'une des rares re- constitutions historiques du cinéma roumain de cette décennie. Le scé- nario est centré sur le parcours d'un officier, accompagné dc son épouse aristocrate très Mitteleuropa et de leurs enfants. Muté à la frontière du pays avec la Bulgarie, il va y découvrir la virulence des conflits entre les nationalités, sa hiérarchie lui ordonnant de fusiller des paysans bulgares en représailles dc l'assassinat de soldats roumains. Situé dans les Balkans de l'entre-deux-guerres, cc film confirme l'antimilitarisme de son auteur et ne peut que renvoyer aux conflits, ouverts ou latents, intervenus dans la meme région durant le début dc cette décennie. Ainsi, le cinéastc considère que <des conflits ethniques, on les déclenche quand on veut.

Dans le contexte du film, il était alors de l'intér6t du pouvoir roumain de créer des troubles dans la Dobroudja»S.

Dans le film suivant, Pintilie revient au temps présent en examinant pour la première fois la «transition» et ses lourdes conséquences en Roumanie. D'une tonalité très sombre et intitulé de manière explicite 1)'op tard, le film se déroule autour d'un lieu lourdement connoté dans le pays: les mines de charbon. Y menant une enquête sur une série de crimes inexpliqués, un procureur ct une infirmière constituent un couple peu conventionnel - thème récurrent chez Pintilie - luttant face à une pseudonormalité. Ils vont se heurter à des intérêts convergents: ceux de l'ancienne nomenklatura communiste reconvertie avec succès dans l'af·

fairisme, des groupes mafieux couvrantlcs premiers, et cntin des mi-"

neurs, symbole des troubles contemporains et legs de l'ancien régime.

Tandis que le voyeurisme des télévisions occidentales est souligné, les pays occidentaux sont aussi interpellés en raison de leur passivité et de leur attitude généralement peu responsable face aux bouleversements touchant «l'Autre Europe».

Enfin, dans son dernier long métrage, Terminus Paradis, réalisé en 1998, Pintilie continue de dresser le tableau de la Roumanie d'aujour- d'hui, inéluctablement liée à celle d'hier. Ainsi, le personnage principal a dû renoncer, durant les années quatre-vingts, à un voyage aux Etats-Unis pour ne pas compromettre la carrière gouvernementale de son père. Lui et son amie végètent dans des conditions matérielles très précaires - il travaille dans une porcherie et elle est serveuse dans une vague baraque routière - et leur appartement est des plus démunis. Durant son service militaire, il est pris dllllS un engrenage de violence ct de meurtres qui en fait la cible désignée des groupes spéciaux de la police, dénoncés au pas- sage avec virulence par le cinéaste.

Cependant ce film quitte sensiblement le registre de Trop tard. En cf- fet, la fuite éperdue du couple cst entrecoupée de moments de poésie et de libcrté. Enfin, l'épilogue d'une grande beauté se déroule dans un pay- sage presque parfait, inscrit en filigrane tout au long du film. Le retour de

"Ibid., N" 401-402 Uuillet-août 1994). p. 16.

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la protagoniste principale et de son nouveau-né dans cet endroit protégé ouvre, peut-être, une phase plus sereine dans le cinéma révolté de Pintilie9.

Ainsi, à l'instar de ce film où s'entremêlent des instants de grâce et de désespérance, la représentation des dures réalités roumaines devrait dé- passer un misérabilisme préconçu et réducteur. Dans ce sens, un film produit en France en 1998, mais tourné en Roumanie, ouvre de nouvelles perspectives. Traitant de la problématique des minorités, Gadjo Dilo de Tony Gatlif aborde avec finesse le monde des Tsiganes roumains, évo- quant leur poésie et leur roublardise, mais aussi le racisme auquel ils se heurtent. Symboliquement, l'histoire se déroule sous les yeux d'un jeune Français venu, plein de détermination, chercher quelque chose qu'il ne trouvera pas, tandis qu'il découvrira tout un monde complexe jusqu'alors insoupçonné.

De manière générale, l'appréhension occidentale de la Roumanie ga- gnerait en clarté et en authenticité si elle parvenait à s'éloigner des pré- jugés et à accorder une plus large place aux témoignages roumains

(films, documentaires ou livres). Par ailleurs, la prise en compte globale des images télévisuelles et filmiques de la seconde moitié du XX, siècle constituera certainement des sources d'une grande richesse pour les his- toriens travaillant sur ce pays.

9 Pour une analyse critique de son œuvre, voir «Lucian Pintilie: Un cinéma en état d'urgence» de Sylvie Rollet, ibid., W 431 (janvier 1997), pp. 27-32.

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