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L'initiative citoyenne : un instrument de démocratie directe à l'échelle de l'Union européenne

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L'initiative citoyenne : un instrument de démocratie directe à l'échelle de l'Union européenne

KADDOUS, Christine

KADDOUS, Christine. L'initiative citoyenne : un instrument de démocratie directe à l'échelle de l'Union européenne. In: Kaddous, Christine & Auer, Andreas. Les principes fondamentaux de la Constitution européenne . Bâle : Helbing & Lichtenhahn, 2006. p. 317-328

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:44247

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à l'échelle de l'Union européenne

Christine KADDOUS

*

Sommaire Pages

I.

II.

III.

IV.

*

Introduction. . . . 318 Le cadre général de la «vie démocratique de l'Union» ... 318 L'initiative citoyenne telle que définie à l'article 47 de la Constitution. 320 A. Les conditions requises . . . 322 B. L'objet et la forme de l'initiative ... 325 C. Le rôle de la Commission européenne et des autres institutions

dans la mise en œuvre et l'application del' article 47 de la

Constitution . . . 326 Conclusion. . . . 328

Professeure à l'Université de Genève. Chaire Jean Monnet. Directrice du Centre d'études ju- ridiques européennes (http://www.ceje.ch).

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1. Introduction

La Constitution européenne contient plusieurs dispositions visant à rendre l'Union européenne plus transparente et plus démocratique. Au fur et à mesure que l'Union s'élargit géographiquement et qu'elle poursuit son intégration, l'instaura- tion d'une plus grande légitimité démocratique s'impose~ A l'heure actuelle, cette légitimité se .base sur la légitimité démocratique de chaque Etat qui la compose. Le rôle plus important accordé au Parlement européen dans la Constitution, et, sur- tout, l'introduction d'un droit d'initiative témoignent de la place consacrée aux Etats mais aussi aux citoyens dans l'Union européenne. L'article I-1 pose claire- ment le principe de la double légitimité démocratique de l'Union: celle des Etats membres et celle du peuple de l'Union, composé de l'ensemble des citoyens, sans distinction de nationalité.

Le texte de la Constitution réaffirme les droits liés à la citoyenneté européenne et définit pour la première fois les fondements démocratiques de l'Union, lesquels reposent sur trois principes: l'égalité démocratique, la démocratie représentative et la démocratie participative.

II. Le cadre général de la «vie démocratique de l'Union»

Le titre VI de la partie I de la Constitution est consacré à «La vie démocratique de l'Union». Ce titre se présente comme un ensemble assez hétérogène de disposi- tions dont certaines ont valeur d'obligation juridique et d'autres sont de nature essentiellement programmatoire1Il débute par l'affirmation du principe d'égalité démocratique à l'article I-45. Cette disposition pose le principe de l'égalité en droit de tous les citoyens devant les institutions, organes et organismes de l'Union, principe qui fait aujourd'hui partie des principes généraux du droit communautaire garantis par la Cour de justice des Communautés européennes2Mais, la Constitu- tion met surtout l'accent sur deux conceptions de la démocratie: la démocratie représentative (art. I-46) et la démocratie participative (art. 1-47). La première per- met d'assurer la représentation directe des citoyens au niveau de l'Union, à travers le Parlement européen3Il est vrai que le droit d'élire et d'être élu représente sans

Relèvent de cette dernière catégorie les trois premiers paragraphes de!' art. I-47, relatifs au dialogue à instaurer entre les institutions européennes et les associations représentatives ain- si qu'avec la société civile en général.

Voir notamment CJCE, arrêt Racke du 13 novembre 1984, aff. 283/83, Rec. 1984, p. 3791;

CJCE, arrêt EARL de Kerlast c. Unicopa et Coopérative du Trieux du 17 avril 1997, aff.

C-15/95, Rec. 1997, p. I-1961; CJCE, arrêt Karlsson du 13 avril 2000, aff. C-292/97, Rec.

2000, p. I-2737; CJCE, ordonnance Springer du 23 septembre 2004, aff. C-435/02, Rec.

2004, p. I-8663. Ce principe figure également à !'art. II-80 Cst.

Voir notamment CONSTANTINESCO Vlad, La citoyenneté de l'Union: une «vraie» citoyenne- té?, in «Vers une nouvelle architecture de l'Union européenne», Rossi Lucia Serena (éd.), Bruxelles (Bruylant), 2004, p. 203-217, p. 214-215.

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aucun doute l'institution démocratique la plus fondamentale. Les citoyens sont aussi indirectement représentés à travers le Conseil européen et le Conseil par leurs gouvernements, lesquels sont responsables soit devant leurs parlements nationaux, soit devant leurs citoyens. L'article I-46 reprend et explicite le principe ancré à l'article I-1, selon lequel la démocratie européenne repose sur une double source de légitimité.

La participation du citoyen à la vie démocratique de l'Union doit être rapprochée du catalogue des droits dont il jouit, notamment le droit de vote et d'éligibilité aux élections du Parlement européen, le droit d'adresser des pétitions au Parlement européen, le droit de recourir au médiateur européen ainsi que le droit de s' adres- ser aux institutions et aux organes consultatifs de l'Union dans l'une des langues de la Constitution européenne et de recevoir une réponse dans la même langue4.

Chacun de ces droits est également garanti par la Charte des droits fondamentaux, qui fait l'objet de la partie II de la Constitution (art. II-99 à II-106). A ce catalogue, la Charte ajoute également le droit d'accès aux documents ainsi que le droit à une bonne administration. Il est toutefois regrettable de constater que le droit d'initia- tive citoyenne de l'article 1-47 ne figure pas dans la liste générale des droits du citoyen, alors qu'il constitue la première forme de participation directe du citoyen aux décisions politiques de l'Union.

L'article I-46 prévoit également que les décisions sont prises aussi ouvertement et aussi près que possible des citoyens (principe de proximité). Il souligne également dans son paragraphe 4, le rôle des partis politiques au niveau européen et leur con- tribution à l'expression de la volonté des citoyens de l'Union5.

Alors que le principe de la démocratie représentative est intégré depuis longtemps dans la vie de l'Union européenne, celui de la démocratie participative (art. 1-47) y fait son apparition avec la Constitution européenne. Associant les citoyens aux débats et décisions de la vie politique de l'Union, cette participation recouvre des aspects de nature juridique différente6. Les institutions donneront aux citoyens, aux associations et à la société civile la possibilité de faire connaître et d'échanger publiquement leurs opinions dans tous les domaines d'action de l'Union. La Com- mission européenne procédera à de larges consultations des parties concernées par le biais notamment de documents tels que les livres verts ou blancs représentant des étapes différentes de !'élaboration et de la conception des politiques commu-

Voir art. I-10 Cst. Pour une étude détaillée des droits liés à la citoyenneté européenne, voir notamment les contributions de MEHDI Rostane, VERPEAUX Michel, SIMON Denys, ZILLER Jacques, BLUMANN Claude, PORTELL! Hugues, JACQUÉ Jean-Paul et POIRAT Florence sur le titre V «Citoyenneté» de la Charte des droits fondamentaux, in «Traité établissant une Constitution pour l'Europe. Commentaire article par article. Partie II, La Charte des droits fondamentaux», BURGOGUE-LARSEN Laurence/LEV ADE Anne/PI COD Fabrice ( dir. ), Bruxel- les (Bruylant) 2005, p. 505-585.

Art. I-46 § 4 en relation avec l'art. III-331 Cst.

Voir nos commentaires supra li. Le cadre général de la «vie démocratique de l'Union».

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nautaires7 Enfin, l'article I-47, § 4, prévoit l'instauration d'une initiative citoyenne à l'échelon de l'Union européenne. Il s'agit en quelque sorte d'une forme d'initiative populaire qui confère à une fraction de citoyens de l'Union le droit de déclencher une procédure devant conduire à une proposition d'acte par la Commission. Elle constitue sans aucun doute la principale innovation apportée par la Constitution dans le domaine de la démocratie participative et crée une nouvelle compétence constitutionnelle du citoyen européen.

Fait également partie de ce titre une disposition sur le rôle des partenaires sociaux qu'il faut promouvoir au niveau de l'Union, en prenant en compte la diversité des systèmes nationaux (art. I-48). Un article est consacré au médiateur européen (art.

I-49), élu par le Parlement européen, et habilité à recevoir les plaintes relatives à des cas de mauvaise administration dans l'action des institutions, organes ou orga- nismes de l'Union. Le médiateur européen trouve sa place, dans le système actuel des Traités, dans le chapitre consacré à la citoyenneté et à l'article 195 CE. Son statut est renforcé dans la Constitution qui lui consacre une disposition spécifique dans sa partie 18La transparence des travaux des institutions occupe une place importante dans cet édifice. Selon l'article I-50, les institutions oeuvrent dans le plus grand respect possible du principe d'ouverture. Il est en outre expressément prévu que le Parlement européen, mais également le Conseil siègent en public lorsqu'ils délibèrent et votent sur un projet d'acte législatif. Le droit d'accès aux documents des institutions, organes et organismes de l'Union est garanti, alors qu'actuellement seuls les actes du Parlement, de la Commission et du Conseil sont concernés.L'article 1-51 porte sur la protection des données à caractère personnel.

Une loi ou loi-cadre fixera les modalités de ce droit. Enfin, la dernière disposition de ce titre est consacrée au statut des églises et des organisations non confession- nelles, avec lesquelles l'Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régu- lier (art. I-52). Cette dernière disposition a été parmi les plus discutées au sein de la Convention sur l'avenir de l'Europe. La référence aux valeurs chrétiennes dans le préambule a été rejetée par la Convention comme par la CIG, qui a maintenu la mention du seul héritage religieux.

III. L'initiative citoyenne telle que définie

à

l'article 47 de la Constitution

Au moins un million de citoyens, provenant d'un nombre minimum d'Etats mem- bres, peuvent prendre l'initiative d'inviter la Commission à soumettre une propo- sition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu'un

Dans ce sens, voir notamment PRIOLLAUD François-Xavier/SIRITZKY David, La Constitu- tion européenne. Texte et commentaires, Paris (La documentation française), 2005, p. 135- 136.

Sur le rôle du médiateur européen, voir DIAMANDOUROS Nikiforos, Le Médiateur européen dans la Constitution européenne, dans le présent ouvrage, p. 329 ss.

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acte juridique de l'Union est nécessaire aux fins de l'application de la Constitu- tion. Cette disposition a été introduite dans les derniers jours de la Convention sur l'avenir de l'Europe sous l'impulsion de Jürgen Meyer et d'Alain Lamassoure.

Elle est formulée en des termes très généraux et ne dit rien sur les modalités con- crètes de sa mise en œuvre. C'est une loi européenne qui arrêtera les dispositions relatives aux procédures et conditions requises pour l'instauration du mécanisme de l'initiative citoyenne, y compris le nombre minimum d'Etats membres dont les citoyens qui la présentent doivent provenir.

Cette disposition instaure un instrument de démocratie directe à l'échelon euro- péen. En droit interne, le concept de démocratie directe décrit un système qui con- naît et pratique les institutions du référendum et de l'initiative populaire, permet- tant aux citoyens de participer aux décisions politiques. Par le référendum, le peuple se prononce sur un acte adopté par une autorité publique, le plus souvent le parlement. L'initiative populaire confère, quant à elle, à une fraction du corps élec- toral le droit de déclencher une procédure qui conduit le plus souvent à l'adoption d'un acte étatique. Elle peut être conçue en termes généraux ou consister en un projet rédigé. Différentes conceptions de la démocratie directe ont été développées dans la doctrine contemporaine9 qu'il n'y a pas lieu de discuter ici. Pour nos besoins, il suffit de constater que dans l'Union européenne, les citoyens jouissent d'autres compétences que celles d'élire le Parlement européen, et que, dans cette perspective, l'initiative citoyenne est à considérer comme un instrument de démo- cratie directe. Elle permettra aux citoyens de s'adresser directement aux institu- tions et de leur soumettre une proposition législative. Elle correspond au droit du Parlement européen, selon l'article III-332, de demander à la Commission de soumettre toutes propositions appropriées sur les questions qui lui paraissent nécessiter l'élaboration d'un acte de l'Union pour la mise en œuvre de la Consti- tution. On remarquera la similarité des termes utilisés dans les articles 1-47, § 4 et

Pour les uns, la démocratie directe s'oppose à la démocratie représentative. Dans cette der- nière, le peuple se contente d'élire à des intervalles réguliers ceux qui le représentent au par- lement ou à la tête de l'Etat. Entre les élections, le peuple n'intervient pas. Pour d'autres, la démocratie directe résiderait uniquement dans l'exercice de tous les pouvoirs directement par les citoyens en statuant sur tout type de questions. Cette démocratie théoriquement par- faite, est de plus en plus rare, sauf dans les «Landsgemeinde» des cantons suisses qui con- naissent encore cette institution. Une troisième tendance considère que, dès que le peuple se voit attribuer d'autres compétences que les compétences de l'élection, on se trouve en pré- sence d'une démocratie directe. Toutefois, «la distinction entre la démocratie représentative et la démocratie directe n'est pas absolue, car la première comporte toujours des éléments de la seconde (élection populaire), tout comme la seconde contient des éléments de la première (représentation parlementaire)». Voir AUER Andreas/MALINVERN! Giorgio/HOTTELIER Mi- chel, Droit constitutionnel suisse, volume I, L'Etat, Berne (Stampfli), 2006, 2e éd., p. 204.

Pour une approche française des conceptions de la démocratie directe, voir notamment VE- DEL Georges, Manuel élémentaire de droit constitutionnel, réédition présentée par CARCAS- SONNE Guy/DUHAMEL Olivier, Paris (Dalloz), 2002, p. 132-144.

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III-33210, à la différence que dans la seconde disposition, si la Commission ne sou- met pas de proposition, elle doit en communiquer les raisons au Parlement euro- péen 11Il est vrai que cette obligation de motivation ne figure pas dans l'article I- 47, mais le silence du texte ne saurait exclure, à notre avis, l'introduction de ce principe dans la loi européenne de mise en œuvre de l'initiative citoyenne12

A. Les conditions requises

Quatre conditions principales ressortent a priori du texte del' article I-4713

La première condition a trait à la qualité de citoyen. Seuls les ressortissants des Etats membres de l'Union européenne (art. I-10) semblent avoir la capacité de signer une initiative. Ainsi, tout citoyen de l'Union devra être en mesure de signer une initiative quel que soit son lieu de résidence sur le territoire de l'Union euro- péenne. Cette condition suppose donc que les ressortissants d'Etats tiers, résidant sur le territoire de l'Union, ne sont pas autorisés à signer un tel texte. La Constitu- tion européenne l'aurait sinon expressément mentionné, à l'instar des dispositions sur le droit d'accès aux documents (art. II-102)14, ou le droit de saisine du média- teur européen (art. II-103 et III-335) ou encore le droit de pétition devant le Parle- ment européen (art. II-104 et III-334)15La tendance d'extension des droits rele- vant de la citoyenneté à des ressortissants d'Etats tiers résidant légalement sur le territoire de l'Union ne trouve pas application dans ce qu'on peut qualifier de

«noyau dur» des droits du citoyen, lié essentiellement à l'exercice de droits politi- ques ainsi qu'à la protection diplomatique et consulaire.

L'article 1-47 exclut également la signature d'initiatives par les personnes morales.

En revanche, à titre de comparaison, celles-ci, lorsqu'elles ont leur siège statutaire dans un Etat membre ont le droit d'accéder aux documents (art. II-103 et III-399),

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Il

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15

Voir également l'art. III-345 qui permet au Conseil de demander à la Commission de procé- der à toutes les études qu'il juge opportunes pour la réalisation des objectifs communs et de lui soumettre toutes propositions appropriées. Ici également, la Commission a l'obligation de motiver son refus de soumettre une proposition.

Cette obligation de motivation est une nouveauté qui n'est pas prévue aujourd'hui dans le Traité CE.

Voir également nos commentaires infra C. Le rôle de la Commission européenne et des autres institutions dans la mise en œuvre et l'application de l'article 47 de la Constitution.

Sur les conditions d'application del' art. 1-47 Cst, voir notamment AUER Andreas, European Citizen's Initiative, EuConst 2005, p. 79-86, p. 80.

ZILLER Jacques, Article 11-102, in «Traité établissant une Constitution pour l'Europe. Com- mentaire article par article. Partie II, La Charte des droits fondamentaux», BURGOGUE-LAR- SEN Laurence/LEVADE Anne/PJCOD Fabrice (dir.), Bruxelles (Bruylant) 2005, p. 538-550.

Le Règlement intérieur du Parlement européen permet même à la Commission des pétitions du Parlement d'examiner, si elle le juge opportun, des pétitions déposées par des personnes non citoyennes et non résidentes de l'Union. Voir notamment PORTELLI Hughes, Article 11- 104, in «Traité établissant une Constitution pour l'Europe. Commentaire article par article.

Partie Il, La Charte des droits fondamentaux», BURGOGUE-LARSEN Laurence/LEVADE Anne/PICOD Fabrice (dir.), Bruxelles (Bruylant) 2005, p. 567-572, p. 569.

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de présenter une pétition au Parlement européen (art. 11-104 et III-334), ou encore de saisir le médiateur européen (art. 11-103 et III-335)16

La deuxième condition porte sur l'aspect quantitatif. L'initiative doit être signée par au moins un million de citoyens. Dans une Union européenne à 25 Etats mem- bres, et à plus de 450 millions d'habitants, cela correspond à 0.2 - 0.3 % des citoyens européens, ce qui ne constitue pas un obstacle majeur à l'utilisation de instrument de démocratie directe17Le seuil est relativement bas en comparaison avec les chiffres dans les Etats membres de l'Union européenne qui connaissent le système d'initiatives citoyennes. En Lettonie par exemple le ratio est de 10%, en Slovaquie de 6.6% et en Lituanie de 1.47%. En Suisse, Etat non membre de l'Union, le droit d'initiative appartient à 100'000 citoyens, représentant approxi- mativement 2 % de l'électorat.

La troisième condition concerne la couverture géographique. Les signatures doi- vent provenir d'un nombre significatif d'Etats, l'objectif étant de promouvoir un instrument de dimension transnationale ne reflétant pas des intérêts isolés. Il appa- raît donc qu'en réalité le million de citoyens ne représente pas uniquement le peu- ple mais également les Etats membres de l'Union européenne. Différentes métho- des sont envisageables pour la définition de cette exigence territoriale. Il est possible de fixer un nombre maximum de signatures par Etat membre, par exem- ple 250'000. Cela supposera donc que quatre Etats membres au moins devraient être impliqués dans le processus de récolte des signatures. Une autre possibilité serait de prévoir que le nombre de signatures par Etat représente, par exemple, au moins 0.2 % des citoyens de cet Etat, ce qui correspond au taux global susmen- tionné. Il serait même envisageable de fixer le nombre minimum d'Etats requis pour la récolte de signatures, par exemple 8, ou de prévoir la combinaison d'un nombre minimum d'Etats et d'un nombre minimum de signatures par Etat, par exemple 50'000.

On le voit, s'agissant de la troisième condition, les méthodes possibles sont nom- breuses et les dispositions de la Constitution européenne peuvent servir de sour- ces d'inspiration à cet égard. Ainsi, par exemple, en matière de coopération ren- forcée, l'article 1-44 § 2 prévoit la participation d'au moins un tiers des Etats

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La notion du siège statutaire paraît moins restrictive que celle du siège social, ce qui signifie que des succursales ou filiales, dès lors qu'elles disposent de la personnalité juridique et qu'elles ont leur siège principal dans un Etat membre, peuvent faire valoir les droits en cau- se. Dans le même sens, voir BLUMANN Claude, Article 11-103, in «Traité établissant une Constitution pour l'Europe. Commentaire article par article. Partie II, La Charte des droits fondamentaux», BURGOGUE-LARSEN Laurence/LEVADE Anne/PJCOD Fabrice (dir.), Bruxel- les (Bruylant) 2005, p. 551-566, p. 558.

Dans ce sens, voir également MEYER Jürgen, Questions and Answers about the new citizens' right, in «The European Constitution. Bringing in the People», PILLIEZ Fabrice/KAUFMANN Bruno (éd.), Publication of the Swiss Federal Department for Foreign Affairs, and the Initia- tive and Referendum Institute Europe, Amsterdam/Bern, 2004, p. 26-28, p. 27.

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membres18. De même, au sein des Etats membres de l'Union européenne, l' Autri- che applique une répartition géographique pour l'initiative de sorte que le texte est réputé adopté lorsque 100'000 personnes ou un sixième des votants dans au moins 3 «Lander» se sont prononcés en faveur du texte. L'Autriche comptant au total 9

«Lander», on retrouve la proportion d'un tiers. La Suisse connaît également le principe de la distribution géographique non pas pour l'initiative populaire mais pour le système du référendum facultatif à l'égard des lois fédérales, appelé aussi référendum législatif19Ce droit peut être exercé lorsque 50'000 signatures ont été récoltées ou lorsque huit cantons en font la demande. La Suisse étant composée de 26 cantons et demi-cantons, elle applique de manière approximative la proportion d'un tiers.

A la lumière des exemples susmentionnés, il est permis de considérer qu'un tiers des Etats membres de l'Union européenne pourrait constituer un bassin géographi- que adéquat, suffisamment représentatif d'intérêts généraux pour satisfaire la condition exprimée par les termes «nombre significatif d'Etats». D'autres propo- sitions sont évidemment envisageables allant en dessous ou au-delà de cette pro- portion. Il importe toutefois à nos yeux que le nombre d'Etats impliqués ne soit pas trop élevé et qu'il soit en tous les cas inférieur à 13, chiffre représentant la majorité des Etats membres dans une Europe à vingt-cinq. La raison est très sim- ple. Elle réside dans le fait de ne pas accroître déraisonnablement les difficultés liées à la récolte de signatures et à la tâche de coordination du comité d'initiative de manière à restreindre significativement le potentiel de cet instrument qu'est l'initiative.

La quatrième condition, non expressément mentionnée dans le paragraphe 4 de l'article 1-47, porte sur le facteur temps. De manière logique, la fixation du délai pour la récolte des signatures dépendra de la règle adoptée en vue d'assurer une représentation géographique suffisante. Il sera donc nécessaire de prévoir un délai plus long pour la récolte de signatures dans un grand nombre d'Etats membres que pour une récolte d'une plus grande proportion de signatures dans un nombre plus petit d'Etats membres. A priori, un délai pour la récolte de signatures variant entre 18 et 22 mois semble raisonnable, mais ici encore la loi européenne à laquelle ren- voie la Constitution européenne sera décisive. L'examen d'autres dispositions de la Constitution européenne n'est pas particulièrement utile à cet égard car elles ne peuvent servir de sources d'inspiration, étant donné qu'il n'y a pas, par exemple de fixation de délai pour la présentation de pétitions au Parlement européen (art. III- 334). En revanche, les réglementations nationales fixent en général une limite de temps dans ce type de situation. En Suisse par exemple, la récolte de signatures pour le dépôt d'une initiative populaire doit se faire dans un délai de 18 mois20.

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19 20

Voir art. I-44 § 2 Cst. Voir aussi l'art. 7 § 3 du Protocole sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Art. 141 al. 1 lit. a) Cst féd.

Art. 138 et 139 Cst féd.

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B. L'objet et la forme de l'initiative

L'objectif del' initiative citoyenne est de soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles les citoyens considèrent qu'un acte juridique de l'Union est nécessaire aux fins de l'application de la Constitution.

La référence dans l'article 1-47 à l'application de la Constitution semble exclure une initiative constitutionnelle. Il est vrai que les procédures de modification de la Constitution, prévues aux articles IV-443 (procédure ordinaire de révision), IV- 444 (procédure de révision simplifiée) et IV-445 (procédure de révision simplifiée concernant les politiques et actions internes de l'Union)21 , ne mentionnent pas la possibilité d'une révision par la voie de l'initiative citoyenne. Toutefois, si une telle proposition devait être faite, il serait difficile de la considérer comme illé- gale22. En même temps, la Commission n'est pas tenue juridiquement de faire une proposition de même contenu que celle proposée par l'initiative citoyenne23 . Tou- tefois, même si l'initiative ne peut pas formellement viser une modification de la Constitution, l'importance politique d'une telle proposition obligera, en pratique, la Commission européenne à engager et développer des réflexions et travaux sérieux sur l'objet de l'initiative24

Par référence aux actes juridiques de l'Union, définis à l'article I-33 (lois euro- péennes, lois-cadres, règlements européens, décisions européennes, recommanda- tions et avis)25, l'initiative sera donc plutôt de nature législative. Elle pourra théo- riquement viser l'adoption de n'importe lequel de ces actes. Une question délicate qui devra être tranchée dans la loi européenne sera de déterminer «l'entité» qui, en définitive, choisira le type d'acte approprié pour mettre en œuvre l'initiative. Cette compétence appartient-elle à la Commission européenne ou aux promoteurs de l'initiative (Comité d'initiative)? Qu'en sera-t-il si l'initiative invite la Commis- sion à adopter une loi européenne et que celle-ci propose l'adoption d'un règle- ment? Cette compétence devrait logiquement appartenir à la Commission qui

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Voir DE WITTE Bruno, La procédure de révision: continuité dans le mode de changement, dans le présent ouvrage, p. 147 ss.

Voir en ce sens, LOUIS Jean-Victor/RONSE Thierry, L'ordrejuridique de l'Union européen- ne, Dossier de droit européen 13, Genève/Bâle/Munich/Bruxelles/Paris (Helbing & Lichten- hahn/Bruylant/LGDJ), 2005, p. 157.

Voir notamment ROUSSEAU Dominique, Citizenship in Abeyance, EuConst 2005, p. 44-46, p. 44.

A titre de comparaison en Suisse, l'initiative populaire au niveau fédéral permet à 100'000 citoyens de proposer la révision totale de la Constitution (art. 138 Cst féd.), ou la révision partielle de celle-ci sous la forme d'un projet rédigé (art. 139 Cst féd.). La possibilité existe également de demander, par la voie d'une proposition conçue en termes généraux, l'adop- tion, la modification ou l'abrogation de dispositions constitutionnelles ou législatives (art.

139a Cst féd.). Voir AUER Andreas/MALINVERN! Giorgio/HOTTELIER Michel (n. 9), p. 243.

Sur la typologie des actes de l'Union, voir BLANCHET Thérèse, Les instruments juridiques de l'Union et la rédaction des bases juridiques: situation actuelle et rationalisation dans la Constitution, RTDE 2005, p. 319-343.

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détient le pouvoir d'initier les actes juridiques dans le processus décisionnel clas- sique de l'Union européenne. Si toutefois, elle ne devait pas suivre le choix du type d'acte proposé dans l'initiative, une motivation de sa décision serait nécessaire.

La loi européenne de mise en œuvre de l'article I-47 devrait permettre, à notre avis, aussi bien le lancement d'initiatives présentées «en termes généraux» que d'initiatives sous forme de «projets rédigés» 26, l'essentiel étant que l'objet et la portée de l'initiative soient facilement identifiables.

L'initiative citoyenne devra en outre porter sur un domaine dans lequel la Com- mission européenne jouit du pouvoir d'initiative. Ainsi, mis à part le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune qui sera exclu, les initiatives pourront couvrir tous les domaines relevant de la compétence de l'Union. En ce qui con- cerne le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale, la Commission continue de partager le pouvoir d'initiative avec les Etats membres.

Par ailleurs, l'initiative visera à suggérer à la Commission de présenter une propo- sition «Sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu'un acte juri- dique est nécessaire aux fins de l'application de la Constitution». Le critère de la nécessité devrait pouvoir faire l'objet d'un contrôle. De même, l'initiative ne devra pas consister en des violations de la Constitution européenne. La conformité de l'initiative à la Constitution peut s'entendre comme un respect général des valeurs de l'Union (art. I-2), et notamment de ses objectifs (art. 1-3), des libertés fonda- mentales et du principe de non-discrimination (art. I-4) ou encore des droits fon- damentaux de l'Union (partie II). Ainsi, des initiatives racistes devraient être reje- tées par la Commission dans la mesure où elles sont incompatibles avec les valeurs et les droits fondamentaux de l'Union. En même temps, il est difficile d'imaginer comment une simple invitation à adopter un acte juridique pourrait constituer une violation, et donc un motif de nullité. En tous les cas, la responsabilité de mettre en œuvre l'initiative de manière conforme à la Constitution appartiendra en dernier lieu à la Commission européenne, au Parlement et au Conseil.

C. Le rôle de la Commission européenne et des autres institutions dans la mise en œuvre et l'application de l'article 47 de la Constitution Le rôle de la Commission européenne est essentiel. Elle est destinataire de l'initia- tive citoyenne et reste maîtresse de la décision de soumettre ou non la proposition aux autres institutions. Elle est en effet libre de donner suite ou non à l'invitation de présenter une proposition d'acte. Si elle ne devait pas soumettre de proposition, elle devrait, selon nous, en communiquer les raisons aux promoteurs de l'initia-

26 Cette possibilité existe en droit suisse pour les initiatives populaires tendant à la révision par- tielle de la Constitution, qui peuvent donc revêtir la forme d'une proposition conçue en ter- mes généraux ou celle d'un projet rédigé.

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tive27. Ceux-ci devraient en conséquence disposer de voies de droit utiles28. Le système mis en place dans le cadre du règlement 1049/2001 sur l'accès aux documents des institutions communautaires pourrait constituer une source d'inspi- ration prometteuse. Ce texte prévoit en effet l'application d'une procédure admi- nistrative en deux phases (demandes initiales et demandes confirmatives), assortie d'une possibilité de recours juridictionnel contre l'institution (recours en annula- tion) ou de plainte auprès du médiateur, selon les conditions prévues respective- ment aux articles III-365 (actuel art. 230 CE) et III-335 (actuel art. 195 CE)29.

Dans le cadre de ce règlement, le contrôle juridictionnel par le biais du recours en annulation est ouvert à l'encontre de la décision de refus de communiquer un document, acte dont le destinataire est le demandeur. Parallèlement, la communi- cation par laquelle la Commission indiquera les raisons pour lesquelles elle ne donne pas suite à la proposition formulée dans l'initiative devrait être susceptible d'un contrôle juridictionnel en vertu de !'article III-365, car cette communication pourra être considérée comme une décision prise à l'égard du comité d'initiative.

Toutefois, en l'état actuel des textes, celui-ci ne serait pas admis en tant que requé- rant au sens de l'article 230 CE. Il conviendrait donc que la loi européenne de mise en œuvre de l'initiative reconnaisse expressément la qualité pour agir au comité d'initiative.

De manière identique, la thèse développée ci-dessus relative au contrôle juridic- tionnel devrait trouver application dans le cadre du droit d'initiative du Parlement européen. En effet, puisque la Commission européenne devra, conformément à l'article III-332, communiquer au Parlement les raisons pour lesquelles elle ne soumettra pas de proposition, celui-ci pourra, le cas échéant, demander l'annula- tion de la décision en cause. Alors que la qualité pour agir du comité d'initiative n'est pas évidente, celle du Parlement européen ne peut, en aucun cas, être contes- tée.

La Commission européenne sera en outre appelée à intervenir à divers stades de la procédure. Toute une série de questions en relation avec les rôles respectifs de la Commission, du Comité d'initiative, et dans une moindre mesure, du Parlement européen, sont aujourd'hui encore sans réponses et devront être examinées et déci- dées lors de !'élaboration de la loi européenne. On pense notamment aux modali- tés de préparation de l'initiative, au contrôle préventif éventuel avant le lancement de l'initiative, au moment du déclenchement de la récolte des signatures, au contrôle des signatures, au contrôle de «constitutionnalité» de l'initiative (de pré-

27 28

29

Voir supra B. L'objet et la forme de l'initiative.

Dans les Etats membres de 1 'Uni on européenne qui connaissent le système des initiatives ci- toyennes, des recours sont en principe prévus. C'est notamment le cas de la Pologne.

Voir art. 7 et 8 du règlement 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l'accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, JO L 145 du 31.5.2001, p. 43.

(13)

férence après la récolte des signatures), à l'éventuel retrait de l'initiative, à l' éven- tuel soutien financier accordé par l'Union européenne aux promoteurs d'une ini- tiative, etc.

IV. Conclusion

L'introduction du droit d'initiative contribue au renforcement de la citoyenneté européenne et constitue une avancée majeure vers la création d'un espace public européen. Elle fait de la participation démocratique un des fondements du fonc- tionnement de l'Union européenne. Toutefois, les contours précis de cette initia- tive sont encore indéfinis, sa portée et son utilisation par les citoyens de l'Union européenne dépendront fortement de la procédure et des conditions qui seront fixées dans la loi européenne de mise en œuvre de l'article I-4 7, et par conséquent ses chances de succès également.

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