RECHERCHE « CRITIQUE » EN CONTRÔLE DE GESTION : EXERCER SON DISCERNEMENT
Dominique Bessire
Association Francophone de Comptabilité | « Comptabilité Contrôle Audit » 2002/2 Tome 8 | pages 5 à 28
ISSN 1262-2788 ISBN 2711734188
DOI 10.3917/cca.082.0005
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Dominique Brsstnr
RECHERCHE. CRITQUE '' EN CONTRÔLE DE GESTION : EXERCER SON DISCERNEMENT
Recherche ( critique ))
en contrôle de gestion :
exeîfcer s 0n d,is cernernent
Dominique
BrssInE-Résuné
Les
dernières decenniesde
recherche en contrôlede
gestionont
rru l'émergencedune
multitude de perqpectives qui afichent leur oppo- sition au structuro.fonctionnalisme ou au positi- visme et,pout
c€tte raison, sont fiÉquemment regroupées sous I'intitulé u courant critique >. lJne série de carts,:homologuesfoumit
au chercheurles outils de
discernement épistémologique susceptiblesdelui
permemedoffrer
ses choix en connaissance de muse, Ta carte qui synthétise lesr6ukats
de I'andysg momre qu€ certaines pers- pectivesde
recherche ,,critiqtre
D,tout en
le d&riant, ne font qrc tenforcer le paradigme natu- nliste,combimisn
de matérialisme et de struc- turalisme. EIle révèle aussi la rareté de la référence au paradigme diamétralement opposé, le para- digme cularraliste, qui croise humanisme et idea- lismeet qui,
seul, accorde [a primauté àl'ête
humain etàsa soif de réalisation.
Abstract t Crîtical
rosaarchîn
monagemenlggo"gW:!*sût"ls_t_ss-tgisgle:
During tbe |ast dccadet research
in
thefeld of
rnanagement control has bem characterised by the ernergence ofa great uariery ofnends which
chirn
th eir rej ea of structuro-functionnalism or
of
p osi.tiaiçm and therefore are refrned to as < criti.cal >.
A
series of homological maps prouidzs the schohrwith
toobwbirh
can he/phim ts
discriminzæ among tbe diferent approarhes and to deuelop his e?istenological contcibusness,Tbe map
utbichsumrnarises the resub of tbe analysàs shows
that
some pmpectiues,
in
spheof wbat
theyckim,
tend
n
rànforce the nnturalistic paradigm which comhines materia/isrn and stnr.cturalism.It
also reaeals the paucity of the refermce to theWrn*
tric paradîgm, cuburalism, uthich
associateshumanivn witlt
idealism and is the only one toinsist orc tlte primacy of the harnan being.
Conespondonce: Dominique BEssnr
laboratoire orlânais de gestion (LOG)
IAE d'Orléans
-
Faculté de droit, d'économie et de gestion Université d OrleansRue de Blois BP 6739
-
45067Orlêns
Cedex 2E-mail : Dominique.Bessire@univ-orleans.fr
*
I-laureur souhairc exprimer toute sâ gratirude à Genevieve Nifle et à Jeanne Meunier qui, par leur relecnrre critique et sans concession, lui ont permis de progresser de manière décisive dans sa réflexion. Elle remer- cie également ses deux rapponeurs qui, par un avis favorable, accompagné de remarques chaleureuses, ont bien voulu accorder leur soutien à sa démarche.CoMI'rABrLrÉ
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Dominique BEssrnE
RECHERCHE " CRITQUE,' EN CONTRÔLE DE GESTON:
EXERCER SON DISCERNEMENT
Le corpus scientifique qui
guidela
rechercheen contrôle
de gestions'inscrit
àl'origine
dansun
mouvement qui articule innovations instrumentales (calcul des coûts, contrôle budgétaire, tableau debord, etc.) et effort de conceptualisation, illustré de
manière emblématiquepar
lespropositions d'Anthony
(1965).ks
recherches se réfèrent alorsprincipalement
aux développements de la théorie des organisations (école classique, école desrelations
humaines, approchescontingentes,
théorie contracnrelle, etc.). Au-delà de la diversité des hypothèsesqui
les fondent, unefinalité
commune les anime : donner aux entreprises les moyens d'accroître leur efficacité etleur
efficience.Cet
ensemble de recherches forme ce quel'on
a coutrune d'appeler le n courant orthodoxe >,qui
est longtemps resténon
seulement le courantdominant,
mais aussi le seul à êue considéré comme sciendfique.À partir
des années soixanteJ.ix, d'autres recherches, nourries par les apporrs de la sociologie et de la philosophie, remeûent en cause cette orientatien. Fjlss constituent progressivement un ensemble de plus en plusétoft,
mais aussi de plus en plus hétérogène, aux contours assez flous. Ces recherches, en effet, ne se rejoignent guère que dans leur colnmrure opposition au courant n orthodoxe )) et, pour cette raison, s'abritent volontiers sous desintinrl&
vagues tels que courant n critique ) ou ( construcdvisme >.Longtemps demeuré minoritaire, ce type de recherches asseoit peu à peu sa légitimité et connaît aujour-
d'hui
un engouement croissant qui nous semble cependant reposer sur des bases mal assurées.La prolifération
des perspectives de rechercheconfronte
en effet le chercheur àla
quesdondu choix d'un
cadre théoriquepeftinent,
sans quil
dispose desoutils qui lui
permettraient de prendre une décision en connaissance de cause. Dans lajungle
des théories,il
erre sans boussole et peine àtrouver son chemin. Il arrive ainsi
quela
sélectiond'une
perspectivethéorique
relèvedu
hasard (lecrures, rencontres, etc.), voire des efFets de mode. Le chercheur adopte alors uneposition
relativiste (toutes les théories se valent), mais sans en avoir nécessairement conscience. D'autres fois, le chercheuradopte délibérément une
posture ncritique ) et
semet
enquête d'un référent théorique qui lui
permette d'accorder ses recherches à ses convictions ; armé de ses seuls bons sentiments, il peut cepen-
dant
se fourvoyer et s'engager, à son insu, dans une voie à l'opposé de celleqriil
croyait emprunter.Dans les cas les plus extrêmes, la
théorie
ne semble avoird'autre fonction
qued'habiller,
vaille que vaille, les résultats de la recherche, potrr répondre aux impératifs supposés de la démarche scientifique.Dans aucun des cas, la cohérence méthodologique n'est assurée.
la
premièreambidon
de notre étude est donc defournir
au chercheur lesoutils
de discernement quilui font
aujourd'hui défaut et qui seuls lui permettraient d'exercer un choix en toute conscience.la
première panie de l'article pr&ente en conséquence
un
ensemble d'outils suscepdbles de satisfaire à cet objectif, une c:rrte épistémologique générale et ses dédinaisons, dans le champ des logiques explicatives de I'organisation d'unepart
et dans le"h*p
des conceptionsdu
contrôle de gesdon d'autrepan
(1.).l,a
secondepanie
deI'article illustre
I'usagequi peut
êtrefait
de ces cartes. Lechoix du
terraind'application,
le courant de recherche ncritique
u, est dicté par plusieurs considérations. La première est l'extrême confusionqui
règneaujourd'hui,
nous semble-t-il, au sein de cecourant
; le besoin de repères Êables s'y manifeste avecd'autant
plus d'acuité. Nous proposons donc au lecteurun
premier pârcours guidé dans ce champ foisonnant. La deuxième est notre volonté de restaurer le sens dumot
n
critique
o dans sapleine
acception. Cequdificatif,
sauf à enaffaiblir
inconsidérément le sens, ne devrait en effet s'appliquer qu à des perspectives de recherche capables d'expliciter leurs fondements,de manière
àpermettre au
chercheur d'exercerson
discernement; le rejet affiché du
paradigmen
onhodoxe
,> ne peut raisonnablement àlui
seultenir
lieu decritèrel.
[,a dernière raison réside dansla finalité ultime
de cette étude. Le repérage épistémologique ne consdnre en effet que la premièreCoMpT BIurrE
-
Coll.rRôr-E - Auorr / Tome 8 - Volume 2 -novembre 2O02 (p. 5 à, 28)© Association Francophone de Comptabilité | Téléchargé le 12/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)
Dominique Brsslnr
RECHERCHE. CRITQUE " EN CONTRÔLE DE GESTON:
EXERCER SON DISCERNEMENT
étape d'une entreprise plus vaste, à savoir
I'identification
de perspectives de recherchequi
permettent de renouveler notre conceptiondu
contrôle de gestion en le fondant sur des valeurs explicitées et en le mettant au service de I'accomplissement simultané de la vocation des êtres humains et des organi- sations dans lesquellesils
exercentleur activité. Comme
nous le verrons, c'est au seindu courant
n
critique
> que ces pistes de recherche alternatives peuvent être identifiées (2.).ffiffi= Construction d'outils de discernement
3du concept de sens aux cartes épistémologiques
Notre
recherche s'inscrit dans la perspective tracee par la théorie des cohérences(Nifle,
1986)2,qui
réserve une place centrale au concept de sens
(1.1).
Lesmultiples
orientations que celui-ci emprunte peuvent être matérialisées sur des cartes susceptibles d'être déclinées, selon un principe d'homologie, en autant de versions quil
y a de champs d'étude considérés (1.2). Hopper et Powell (1985)ont
mis en æuvre une démarchequi
s'apparente àla nôtre ; il
nous adonc
sembléutile
de comparer nos approches respectives ( 1.3).I;l';.,".'. Le concept de sens et son opérationnalisation
Le concept de sens apparaît dans les écrits en sciences de gestion depuis
fon
longtemps déjà, mais sous des appellations variées. l-a théorie des cohérences humaines permet de le cerner avec plus de préci- sion etofte
les moyens de matérialiser ses orientations possibles sur des séries de c:trtes.,,:,:,
t,1.1.
r.F.sENs, uN coNcEpT CENTRAL3
Le sens est, dans la théorie des cohérences humaines, au
principe
detoute
réalité.Il peut
êtredéfini
comme une ceftaine vision du monde qui sous-tend les actions et les représentations, individuelles ou collectives, leur donne une orientation déterminée et en forge la cohérence. Ainsidéfini,
le concept de.cerc subsume I'ensemble des acceptions usuelles
du mot
sens en français.Il
englobe aussi, selon nous, un certain nombre de notions déjà utilisées en sciences de gestion telles que les valeurs, les croyances, l'idéologie, la culture, les théories de I'action, les paradigmes, etc.Il
se rapproche enparticulier étroi-
rementdu
concept de schème d'interprétatior?, notarnment dans ladéfinition
qu'en donne Bamrnek (1984,p.
355) lorsqu elle yvoit
un schémaqui
façonne notre expérience du monde, nous permet à la fois d'enidentifier
er d'en inteqpréter les éléments pertinents et agit comme un ensemble d'hypotheses fondamentales (quoique souvent implicites) sur lepourquoi
et le comment des choses et des compor- tements humains.i fli, , LES cARrEs DE sENs
Le sens esr susceptible de se déployer dans de multiples directions qu
il
est possible de matérialiser par une carte, dite carte des sens ouqtrte
des coltérences, générée par deux axes, un peu à la façondont on
ur:lise une rose des ventspour figurer
ladirection du
zéphyrou
del'aquilon,
ou une boussolepour
s'orienter par rapporr aux quatre points cardinaux. Cette carte se décline en autant de versions quil y
a de champs d'étude.
la
théorie des cohérences humaines distingue deux sones de canes : des cartes7
CoupreurrrÉ
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Dominique Bxstnr
RECHERCHE.. CRITQUE
'
EN CONTRÔLE DE GESTON :EXERCER SON DISCERNEMENT
spécifiques et des cartes générales. Les premières
permettent
d'analyserun objet particulier :
une entreprise,un concept
(laqualité, la culture, etc.), un
processus (l'aménagemenrdu territoire,
laconstruction
européenne, etc.). Les secondes serangent
entrois
catégories : carres phénoménolo- giquesqui permettent
descruter
despratiques,
cartes téléologiquesqui aident
à comprendre les logiques à l'æuvre dans les processus de changement etenfin
cartes épistémologiquesqui
sont spéci-fiquement
conçuespour
analyser des théories et des logiques explicatives. C'est cette dernière carégo- rie de cartes que nous utiliseronsici.
, l"l.e. IA coNsrRucrroN DEs cARrEs ÉprsrÉnaoloclelrEs
Toutes les canes épistémologiques spécifiques à
un
champ scientifique donné s'obtiennent par décli- naison de la carte épistémologique générale dans ce champ. Les axesqui
engendrenr cene cane épis- témologique générale opposent verticalement rnatérialisme et idlalisme et horizontalemenr stTactara- lisme et humanismea (figure 1).Figure
1Carte épistémologique générale
CONSTRUCTIVISME
culturalisme
numantsme structuralisme
naturalisme
POSITIVISME ET RÉALI5ME matérialisme
PARADTGME
#
PARADTGME__+
INTERPRFTATIF
STRUCTURO-FONCTIONNALISTE Librement âdapté de Nifle (1 986 p. 206)Lopposition
entre mathialisme et idéalisme concrétise un débat qui parcourt la philosophie depuis ses origines. Dans une perspective matérialiste, les choses sont ce qu elles sont et lafatalité
règne en maître ; la subjectivité5 est occultée et l'accent est mis sur les n fairs,.
Lidéalisme, tres présent dans laphilosophie
allemande de lafin du
XVIII. siècle(Kant, Fichte,
etc.) jusqu à nosjours
(Habermas), renvoie en revanche à I'autonomie absolue du sujet et à son libre arbitre comme principes fondateurs.En
d'autres mots,tandis
quele
matérialismevoit
enl'homme un
être aliénépar
des forcesqui
le dépassent (ses instincts, les n lois,
de la naû.lre, etc.), I'idéalisme souligne sa vocarion à s'émanciper.l,a
premièreorientation
s'accorde à I'hypotheseontologique
tandis que la seconde renvoie àI'hypo-
these téléologique (L,e
Moigne,
1995,p.66-88).
idéalisme
CoMpTABIrxrÉ
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Dominique BFsstRE
RECHERCHE. CRITQUE '' EN CONTROLE - DE GESÏON :
EXERCER SON DISCERNEMENT
Lopposition
entre structuralisme et ltumnnisme est apparue plus récemment sur la scène épistémo- logique ; elle constitueaujourd'hui
au sein des sciences humaines une ligne de clivage essendelle (que ['on peut résumer, selon nous, àI'opposition
entre paradigme structuro-fonctionnaliste et paradigmeinterprétatif
ou herméneutique). læ structurdisme réduit toute réalité à un assemblage implacable de strucnrres qui gouverne nos choix individuels et collectifs ; la rationalité est érigée en valeur suprême.Lhumanisme
voit la
réalité commeun
monde d'expérience humaine,dont
la compréhension passe par la subjectivité humaine (Schiller, cité par l^alande, 1997). En d'autres mots, le structuralisme s'ex-prime
dans la recherche deslois qui
regissent le monde tandis que I'humanisme considèrela
réalité comme une construction humaine. La première orientation renvoie à l'hypothèse déterministe tandis quela
secondepeut
être miseen relation
avec I'hypothèse phénoménologique (LeMoigne,
1995,p.66-88).
Ceme première analyse nous
conduit
à positionner approximativement les épistémologiespositi-
vistes et réalistes en dessous d'une diagonale sud-ouest
/
nord-est et les épistémologies dites construc- tivistes au-dessus de cette diagonale.Les deux axes génèrenr quarre paradigmes types : rationalisme idéaliste, naturalisme' animalisme et culturalisme.
Le
rationalisme idy'aliste esr,pour
I'essentiel,un
héritage de la pensée des Lumières.S'il fait
de la raisonle principe explicarif du monde
etla
source detoute
connaissance,il la met
au service de l'émancipation deI'humanité.
C'esr donc en se conformant de plus en plus étroitement à ses lois que serâlisera I'idâl
de progres assigné à la société humaine.Le
naturalisme(ou
rationalisme matérialiste) considèretoute
réalité commeun
système (méca- nique, biologique, économique, etc.) d'éléments abstraits(l'homme
étantun
de ces élémentsparmi
d'autres), régi par des lois universelles, qui imposent à la n réalité,
leurs diktats et quil
s'agit de décou-vrir pour
s'y adapter au mieux.Dans le champ
del'anirnalisme,le
maîtremot
est possession. La valeur des hommes et des choses se mesure à I'emprise qu'ilsont ou
qu ils permettent d'avoir sur d'autres hommes ou d'autres choses.Il faut
avoirpour pouvoir
etpouvoir pour
avoir. La vie est unelutte
incessante, conditionnée par lesinsdncs
et les affecs.Le culturalisme inscnt I'homme dans
un
processus historique par lequelil
apprend à se connaître et à maîtriserla
réalité. Laculture
estici
I'achèvement dela
nature humaine etnon
son reniement.C'est dans cette dernière perspective que s'inscrit notre réflexion.
Rationalisme idéaliste,
naturalisme,
animalisme, chacun de cestrois
paradigmes typesmet
en valeur une ou plusieurs facenes de larâlité
et en occulte d'autres : lerationdisme
idéaliste privilégie le plan des represenrations ; le naturalisme occulte la subjectivité et met l'accent sur le plan des opéra- tions ; l'animalisme se concenrre sur les affects. Seul le culturalisme, de notrepoint
de vue, est à même de prendre l'ensemble des dimensions et plans de la réalité.. .,lll i']..,i Deux déclinaisons de la carte épistémologique dans le champ des sciences de gestion
Chacune des quatre logiques explicatives identifiées cidessus
définit tout
un univers et s'investit dans des questions de nature variée. Les deux cartes suivantes constituent des déclinaisons possibles de la9
CoMprÂBIulÉ
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Dominique Brsstne
RECHERCHE.. CRITQUE " EN CONTRÔLE DE GESTON :
EXERCER SON DISCERNEMENT
carte épistémologique générale dans le champ des sciences de gestion. Elles matérialisent la cohérence
qui unit,
âu seind'un
même paradigme, conception de I'organisation et manières d'appréhender le contrôle de gestion.: ,i.?,i:; . LEs coNcEprloNs DE roRGANIsArroN ET DU Rôr.E DE THOMME EI\ SON SEIN
La présentation de la carte (figure
2) qui
matérialise les logiques explicarives de l'organisation mérite-rait
sans doute unlong
exposé. Pour ne pasalourdir
le texte, maisoffiir
cependant à nos lecteurs des repères suffisants, nous avons choisi de réduire le commentaire autant que faire se peut etd'enrichir
la carte par des métaphores.Figure
2Conceptions de l'organisation
un projet
rationalisme; idéaliste :
une architecture une structure fonctionnelle
conflictualisme : une arène
mecantcsme:
une machine une exploitation
Librement adapté de Nifle (1987, p. 28)
Dans une perspective matérialiste,l'entreprise est considérée comme une simple exploitatizn, une entité qui se résume à sa
foncdon
deproducdon
(Desreumaux, 1998,p.75). Lindividu
est lui-mêmeréduit
au rôle de facteur deproduction
;il
n'estqu'un
simple exécuranr, mû par la seule recherche de son intérêt propre.Dans une vision idy'aliste,l'organisation e$ conçue comme un projet qur se réêre à une Ênalité supé- rieure. Les individus s'engagent au service
d'un
intérêt supérieur qui transcende les intérêa particuliers.Lhomme
est pris en compte dans sa volonté d'achèvement personnel et sa capacité à s'émanciper.Dans une perspective stntcturaliste,l'organisation est vue comme une entité abstraite, vne structure fonctionnelle
dont
l'archétype est la forme bureaucratique décrite par'W'eber.Lindividu
(du dirigeantau simple salarié)
doit
se plier aux normes impersonnellesqui lui
sont imposées.Dans
unevision
humaniste,I'entreprise
est considéréecomme
une colnmanautéhumaine qui
rassemble les salaries, les clients, les fournisseurs, les représentants de la collectivité au niveau local
ou
national, en bref une organisation sociale (Desreumaux, 1998,p.75),
dans laquelle chacun est acreur et a àtenir
un rôlequi lui
est propre.CoTVIPTABIûTÉ
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Covrnôrs - Âuorr / Tome 8 - Volume 2 - nwembre 2002 (p. 5\
28)© Association Francophone de Comptabilité | Téléchargé le 12/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)
Dominique Brsslnr
RECHERCHE " CRITQUE " EN CONTRÔLE DE GESTON:
EXERCER SON DISCERNEMENT
Ces axes dessinent quatre quadran$, correspondant à autant de logiques explicatives de
l'organi-
sation.Dans le quadrant nord-est (rationalisme id.éaliste),la
firme
est vue comme une architecnrre hiérar- chisée de fonctions et de compétences, conçue en vued'un
but supérieur qui constitue sa raison d'êûe, maislui
reste extérieur.Lhomme
n est considéré que parrappon
à lafonction
quil
occupe au service de I'entreprisequi,
elle-même, est évaluée sur la qualité de son organisation . Le leitmotiu estrationali-
sation. Ceme vision s'exprime notamment dans un certain nombre d'écrim fondateurs des sciences de gestion, de Fayol à l'école du dzsign; en France, elle a fortement influencé le management des grandes entreprises publiques.Dans le quadrant sud-est (mécanicisme), l'entreprise est considérée comme une machine alimentée par des
flux
detoute
nature, matériels, financiers, humains, etc.,qui doit
s'adapter à son environne-ment pour
survivre.Lindividu
n est quun
rouage impersonnel,un
opérateur anonyme (devant samachine, sur les marchés financiers, etc.), recevant et
transmeftant
desimpulsions
par le biais de systèmesd'information de plus en plus sophistiqués. Les maîtres mots sont
adaptation,optimisation.
Cette vision,initiée
outout
au moins promue par le taylorisme, s'est par la suite expri- mée dans les versions les plus caricaturales des approches contingentes et est au fondement aujour-d'hui
de courants scientiÊques tels quela théorie contraduelle
des organisationsou
l'écologie des populations.Alors que, dans le quadrant sud-est, l'organisation est le jeu de forces impersonnelles (la technolo- gie, les lois
du
marché, etc.), dans le quadrant sud-ouest (conflictualisme), elle est considérée commeune
arène oùrs'affrontent des individus ou des groupes d'individus aux objectifs
divergents (Desreumaux, 1998,p.75). [a
Êrme etI'individu
en son sein ne valent que par I'emprise qu'ils exer- cent sur les choses et les êtres. Lepouvoir
détenu, recherché, par lesindividus
joueun
rôle central.Cette vision trouve une de ses expressions possibles dans les travaux de Cyert et
March
(1963). C'est aussi cettelogique, nous semble-t-il, qui inspire
les discours,mais
aussi lescomportements,
de certaines firmes à tendance monopolistique6.Dans le quadranr
nord-ouest
(concourance) apparaît I'entreprisepar
excellence, c'est-à-dire une communautéhumaine
engagée dansun
proJetqui
transcende les intérêts particuliers, mais permet aussi à chacund'accomplir
sa vocation propre. Le maîtremot
est service.Mis
àpan
les travaux deR Nifle,
encore peu diffirsés, cette conception a rarement été théorisée dans un ensemble cohérent7.Les
propositions
de\foot (1968),
contenues dansson
ouvragePour
une d.octrine de I'enneprise, représentent une des tentatives les plus achevées en ce sens ; elles sont malheureusementaujourd'hui
méconnues.Il
convient de souligner que ces quatre quadrants nefont
que décrire des idéaux types : les visions del'organisarion
sedéploient
dans uneinfinité
dedirections et
certaines approches nesont
pas exemptes de contradictions. Néanmoins,il
e$ presque toujours possible de repérer un rezrdominant.
, ,l,t\I, , LES CONCETTTIONS DU CONTRÔLE DE GESTION
La carte suivante
(figure 3) permet
derelier position
épistémologique,vision
deI'organisation
et conception du contrôle de gestion.1l
CoMI'[ABrr-rrÉ
-
CorgrRôLE - Auorr / Tome 8 - Volume 2 -nwembre 2002 (p. 5\
28\© Association Francophone de Comptabilité | Téléchargé le 12/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)
12
Dominique Bxstnr
RECHERCHE. CRITIQUE, EN CONTRÔLE DE GESTION :
EXERCER SON DISCERNEMENT
Figure
3Conceptions du contrôle de gestion
contrôle de
contrôle d'opportunité
o"
JiJli,"iinn
À
l'entreprise conceptualisée comme unestrucnre
fonctionnelle correspond un contrôle dz confor- mité-
conformité àun
modèle, à une norme, à une procedure, à un plan, etc.-
(ou de hgalite). Cetype de contrôle constitue
l'application,
dans le champ du contrôle de gestion, du modèle bureaucra-tique
décrit par'Weber; il
en presente lestrois principatrx atributs
: rationalité,autorité
centrale etimpersonnalité (Maître,
1984,p.245).
C'estle point
devue qui
prévaut encoreaujourd'hui
dans nombre d'administrations publiques.À
la firme considéree cornme une corrununauté humaine est associé un contrôle dbpportunité; l'enjeu n est plus la conformité des acdons à des normes erftemes, mais leur cohérence par rapport aux buts que sefixent les individus. Lopposition entre conuôle de conformité et contrôle d oppomrnité nous semble recou-
wir
en parrie la distinction opéree par Lorino(199,
entre paradigme du contrôle et paradigme du pilotage.Dans la ûrme perçue conune une simple enploitation, I'accent est mis sur le contrôle de productiaité;
la préoccupation majeure est le contrôle des débits ; le rôle du contrôleur s'y apparente à celui d'un
comp
table spécialisé qui doit enregistrer les
quantit6 t
input et d'oatput et surveiller les ratios entre ces éléments.À
la firme vue comme unprojet
correspond le contrôle de légitimité (ou contrôlepolitique
au sens le plus noble du terme),qui
seréêre
à un idéal et à un qystème de valeurs.Ces deux axes
délimitent
quatre champs.L,a logique de
rationalité
idéaliste s'incarne dans le modèledu
contrôlerationnel:
le déploiementspatial et temporel
desobjectifs de l'organisation constitue la préoccupation majeure. Le
cadre conceptuel élaboré parAnthony
(1965) constitue I'expression exemplaire de ce type de contrôle. Le découpage en centres de responsabilité est supposé garantir la cohérence spatiale tandis que la segmen-tarion
entrois
niveaux(planification
stratfuique, contrôle de gestion et contrôle opérationnel)doit
garantir la cohérence entre lelong
terme et lecouft
terme.Le
contrôle optimisateur(ou
mécanique) met I'accentsur la
recherche deI'efficience
maximale(Porter,
1996). Son développementpeut
être associé avec I'essor dela comptabilité
de gestion, et notamment avec la mise en æuvre des coûts standards. Ce rype de conmôle a profondément imprégnéCoMprABlLrrÉ - CoNrRôLE - Auprr I Tome 8 - Volume 2 - nwemb re 2OO2 (p. 5 à 28)
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Dominique Besstnt
RECHERCHE. CRITQUE N EN CONTRÔLE DE GESTION:
EXERCER SON DISCERNEMENT
ranr la pratique que la théorie. Période après période,
il
renaît sous une su{prenante variété de formes :la reconfiguration des processus, le benchmarking,l'actiuity based costing, dans leurs versions les plus caricaturales, les plus mécaniques
(Bouquin,
1997,p.65),
en sont des expressions modernes.La logique de conflirs se matérialise dans des formes de contrôle manipuhteur, au service des
inté-
rêts de la coalition dominante. Les rares recherches conduites dans cette perspective, regroupées sous le vocablepluralism (Hopper et Powell,
1985,pp. 443-445) s'inspirent
des travaux deLindblom
(1959), Cyert etMarch
(1963) etAllison
(1969).Dans la logique de concour*nce,le contrôle de gesdon est au service des autres fonctions de I'entreprise ;
il
constitue un pole d'er<pertise en évaluation, une &aluationqui
ne se limiterait pas à la seule dimension objective, mais inclurait fualement les autres dimensions de larâlité,
sa dimension rationnelle @nune sadimension subjætive. Ses actions se réêrent expressément à la mission de l'enueprise et à ses valeurs. Elles contribuent à l'achèvement des buts de I'organisation aussi bien qu à la râlisation personnelle des individus.
.=- . --
Comparaison arrec la démarche proposée par Hopper et Powell
Plusieurs auteurs
ont,
dans leurs travaux, proposé une analyse comparative etcritique
des différentes perspectives de recherche ncritique ,
(Chua, 1986et
1988 ; Cooper, 1983 ; Hopper et Powell, 1985,pour
citer les principales). Létude menée par Hopper et Powell (1985) mériteici
une attentionparri-
culière, car elle est plus spécifiquement centrée corrune la nôtre sur la qualiûcadon épistémologique(n fundnmental theoraical and philosophical assumptions >) des
diftrentes
tendances de recherche. Les deux auteurs ûansposent à cet effet dans ledomaine du contrôle
de gestionla
carte élaborée parBurrell
etMorgan
(1979)pour
analyser les paradigmes sociologiques (figure 4).Figure 4
Accounting schools and sociological paradigms
Radical change
RADICALHUMANISM RADICAL STRUCTURALISM
Subjectivism Objectivism
INTERPRETIVE FUNCTIONALISM
Pluralism
Social systems theory Objectivism Regulation
Source : Hopper eT Powell (1985, p. 432), adapté de Burrell et Morgan (1979, pp. 29-30)
r3
Radical
1
CouprarnrrÉ
-
CoNrRôLE - Auorr / Tome 8 - Volume 2 -nwembre 2OOZ (p.5 à,28)© Association Francophone de Comptabilité | Téléchargé le 12/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)
t4
Dominique Brsstnr
RECHERCHE " CRITQI,JE, EN CONTRÔLE DE GESTON:
EXERCER SON DISCERNEMENT
Il convient
d'abord de noter que lorsque nous avons conçu notrem&hodologie,
nous ignorions I'existence dela
carte conçuepar Burrell
etMorgan (1979) pour
analyser les paradigmes sociolo- giques, etafortioril'usage
queHopper
et Powell en avaientfait
dans le champ du contrôle de gestion.Cette convergence non préméditée nous semble être de nature à conforter la validité de la méthode de
travail
adoptée: un même objectif - identifier
lesfondements
épistémologiques desdiffërents
courants de recherche en contrôle de gestion-
nous a conduits à adopter une démarche comparable.Cependant,
notre
analyse sedistingue
de lacontribution d'Hopper et
Powell sur plusieurspoints, notamment
sur la nature des dimensions retenues, le rype de carte utilisée et lafinalité
ultimes.Sur l'axe
horizontal, Burrell
et Morgan opposent subjectivisme et objectivisme ; sur I'axe vertical,ils confrontent
statu quo (regulztion)et
changement radical. Cechoix
nous paraît contestable.Tout
d'abord les dimensions subjective et objective de larédité
ne sont pas dans une relationd'opposition,
mais de complémentarité ; leur conjonction donne naissance à la dimension rationnelle (Bessire, 1999 ou 2001,voir
aussi le schéma en annexe).Il
est exact cependant que cenaines études(principdement
les études
d'inspiration
inteqprétative) meûent davantage l'accent sur la dimension subjecrive et que d'autres se concentrent sur Ia dimension objective.En second lieu les deux axes n appartiennent pas, nous semble-t-il, au même univers. Pour prendre une comparaison,
iest
un peu comme si on fournissait les coordonnées d'un lieu enindiquant
salati-
tude et sonaltitude
(aulieu
de salongitude)
;il
est possible qu'en certaines zonesil y ait
des concor- dances, mais elles ne sont pas suffisamment systématiquespour pouvoir
s'orienter à coup sûr grâce à unetelle indication. Notre
analyse est corroborée par I'examen dela
carte deHopper
et Powell :l'objectivisme et l'interprétativisme apparaissent chacun deux fois à detrx endroits
diftrents.
Notre
démarche se distingue encore sgrun
autrepoint
: nous ne nous sommes pascontent&
de proposer une cztrte épistémologique unique, nous I'avons déclinée dans plusieurs champs des sciences de gestion et enparticulier
dansle
domainedu contrôle
de gestion ; I'existence de cejeu
de cartes accroît à notre avis le caractère opérationnel de la démarche,lui
évite de rester àun
niveaud'absrac- tion trop
élevé et facilite sa réutilisation eventuelle par d'autres chercheurs, dans le champ du contrôle de gestion comme dans d'autres champs (marketing, ressources humaines, etc.).Enfin,
Hopper et Powellont pour
préoccupation principale la recherche d'une plus grande cohé- rence méthodologique et adoptentimplicitement
uneposition
relativiste-
critiquée de façon argu- mentée par Chua (1986)-
qui n'est pas la nôtre. La ûnalité de notre travail dépasse la seule construc-tion d'une
typologie ; elle vise, comme nous l'avons déjà écrit enintroduction,
à permettrel'identifi-
cation de pistes de recherches alternatives, plaçant l'êtrehumain
au centre des préoccupations.ffi Application à I'exploratio'du courant de recherche < critique > : entre relativismes et radicalismes
l,a seconde panie de notre ardcle illustre I'usage
qui
peut être fait de cesdiftrentes
c:rrres en lesappli- quant
àI'exploration du
courant de recherche ncritique ,. Leur
construçdon repose sur le postulat d'une correspondance entre positionépistémologq.r.,
logique explicative de I'organisation et concep-tion du
contrôle de gestion.Afin
demetre
en évidence cette cohérence, nous adoptons donc succes- sivement,pour
explorer chacune des perspectives de recherche sélectionnées,chacun
de cestrois
anglesd'aftaque,
après une brève présentation des concepts clés de I'approchethéorique
étudiée.CouprerlurÉ
-
CoNrRôI-E - Auurr / Tome 8 - Volme 2 - novembre 2002 (p. 5\
28)© Association Francophone de Comptabilité | Téléchargé le 12/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 134.122.89.123)
Dominique Brsslnr
RECHERCHE. CRITIQUE, EN CONTRÔLE DE GESTON:
EXERCER SON DISCERNEMENT
Plusieurs tendances peuvent coexister au sein
d'un
même courant de recherche ; nous nous sommes aûachés à repérer la tendance dominante, au risqued'un
cenain schématisme.Nous n avons pas, par ailleurs, pour
ambition
defournir
une revue exhaustive des recherches dans le champdu
contrôle de gestion, frrt-elle restreinte au courant ucritique
n9.Nore
démarche se veut en effet surtout pédagogique : elle montre oir et comment rassembler les indices nécessaires à I'analysed'une
perspecrive théorique quelconqueet
à ladéterminadon
de sonpositionnement
épistémolo- gique. C'estpourquoi
elle réutilise de manière qFstématique lesinformations
apportées par d'autres aureurs. Précisonsici
quil
ne s'agit pas d'analyser les théories philosophiques ou sociologiquespour
elles-mêmes, maispour
l'usage qu enfont
les chercheurs en contrôle de gestion.Enfin,
comme nous I'avons indiqué plus haut, notre propreoption
épistémologiquerompt
avectoute
forme de relativisme. Dans cette seconde partie, nous proposons donc au lecteurun
parcours orienté : après avoir passé en revue des perspectives de recherche qui, peu ou prou, adoptent une posi-tion
relativiste(2.1),
nous examinons cellesqui
affichent des positions radicales(2.2).
C-ette seconde parde ne livre donc pas seulement des points de repère à notre éventuel lecteur, elleI'invite
à exercer son discernement et à prendre position. Pour le guider dans ce travail, nous présentons cidessous la cane (figure 5)qui
résume nos analyses.Figure
5Typologie
descourants de recherche
acritique
ucontrôle de légitimité humanisme
ndical
L5
CULTURALISME
approches
interprétatives
ANIMALISME
RATIONALISME IDÉALISTE
contrôle de productivité
!'l;-,'. Deux figures du relativisme
Deux couranrs sonr
ici
analysés : le courantinterprétatif qui
sedéfinit
principalement par opposition au strucnrralisme ; le courant structurationnistequi
tente de relier humanisme et strucnrralisme.Ni I'un ni
I'aurre ne prennent nettementposition
parrapport
à I'axe vefticâI, ôest-à-dire Par raPPoft àI'opposition
entre matérialisme et idéalisme.CoMPTÂBfLrrÉ
-
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r6
Dominique Bxstnr
RECHERCHE " CRITIQUE " EN CONTRÔLE DE GESTON :
EXERCER SON DISCERNEMENT
..
2;I.I;..'.. (IN REIAITYISME TEMPERE :
LES PERSPECTIVESINTERPRÉf,{ITVES'O
Conc4tts clésLapproche interprétative
adonné
naissance à une grande variété de perspectives telles que la phénoménologie existentielle,I'interactionnisme, l'ethnométhodologie,
la sociologie cognitive, etc.(Chua,
1988,p. 60) ; ici
l'accent est mis sur les seulspoints
communs. C'est chez W'eberquil faut
chercherI'origine
de ces divers courants.Il fut
le premier àaffirmer
que n la sociologie, entant
que science sociale authentique,doit
mettre en æuvre une méthodologie[...]
significativement différente de celle utilisée par les sciences de la nature D, et à se faire ainsi n I'apôtre d'une compréhensioninter-
prétative des signiûcations, actions,intentions,
etc. desindividus qui contribuent
àl'ordre
social o (Roslender, 1995,p.
66-67).Les approches
interprétatives mettent par
conséquent I'accentsur ( la nature
essendellement subjectivedu
mondesocid
et s'efforcent de le comprendre en partanrdu
cadre de réftrence de ceuxqui
sont I'objet del'étude. [...] Ella
se focalisent sur les significations individuelles et les perceptions des gens,[...]
elles suggèrent [quils]
créent de manière continue leurrâlité
sociale en interaction avec les autres. Lebut d'une
approche inteqprétative est d'analyser ces réalités sociales etla
manièredont
elles sont socialement construites et négociées
, (Hopper
et Powell, 1985,p.
446).Po
sitî
on
êp ist&no Ia gQ ueCes approches
prennent donc
en compteexplicitement
I'hypothèse phénoménologique (sur la gauche de l'axe horizontal desdiftrentes
caftes), mais ne prennent pas position quant à la dimensiontéléologique
(axevenical).
C'estpourquoi,
surla
carte épistémologique, nous les situons sur l'axehorizontd,
avec une netteorientation
ltumaniste (au sens que nous avons donné à ce terme dans la première partie). Cepoint
de vue est conforté par les analyses de Chua (1986) et de Roslender (1995).Logique
organisationne lle
En
mettant
I'accent exclusivement sur la dimension humaine de I'entreprise, les approchesinter-
prétativespeinent
à proposer une vueexplicite
deI'organisation,
autrement que sousforme d'un
ensemble de relationsinterindividuelles.
Conception
du connôle
degestion
Les propos de
Morgan
(1988,p.
484) résument lesimplications
d'une perspective interprétative pour I'analyse du contrôle de gestion. o Le comptable donne de situations complexes telles que lavita- lité
économiqued'une
entreprise,I'impact d'un projet
d'investissement ou I'efficienced'un
qntème deproducdon,
des représentations réductrices etvolontiers paniales. Mais ces représentations alimen- tent à leur tour la construcdon du système qui permet de rendre "compre" des situations, de lesmain- tenir ou
de les changer. Iæs comptablesinterprètent
la réalité, mais leurs inteqprétations consdtuent autant de ressourcespour
la construction et la reconstruction permanentes de la réalité, dans la mesure oir leurs rappofts sont utiliséspour
façonner ou radonaliser les décisions futures.,
Au
contraire du couranttraditionnel qui
se focalise sur lepourquoi
des choses et se concentre sur la découverte de relations de causalité, les approches interprétatives s'interrogent sur le comment.n
Comment
lesindividus,
placés dans des contextes organisationnelsdiftrents,
perçoivent-ils et orga- nisent-ils un système de contrôle de gestion ? Quelles significations ce système génère-t-il ? Les règles et processus de comptabilisationfont-ils
partiedu
dispositif de production de sens utilisé par lesindi-
CoMPTABIUTÉ
-
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Dominique Brsstrc
RECHERCHE " CRITQIJE,, EN CONTRÔLE DE GESTTON :
EXERCER SON DISCERNEMENT
vidus au sein des organisations de travail et, si
oui,
comment lesindividus
les utilisent-ilspour
voir, décrire et expliquer I'ordre des choses ?, (Chua,
1988,p.73)
En
mettant
l'accenr sur les perceptions desindividus
et leurs inteqprétations et en s'interrogeant sur le commenr des choses, le contrôle de gestiontend
à se présenterici
essentiellement comme un contrô/z dbpportunité, uneoption
cohérente avec I'humanismequi
sous-tend la sociologie d'inspira-tion
interprétative.,-:41â,:,,.,,. t N RELATTVISME ÉTENDU
: LESAppRocHEs sE RIIFERANT À ra. rgÉORIE DE I-A STRUCTURAilONI1
ConcE*
clésl,a théorie de la
strucnuation
est issue de l'æuvre du sociologue britannique Giddens (1987). Elle s'intéresse, selonMacintosh
(1996,p.
179), o aux interactions entre la strucrure etI'individu
dans laproduction,
lareproduction, la
régulation et le changement de I'ordre social. l,a strucnrre s'impose auxindividus
lorsquils
agissent et interagissent dans des arrangements spatiaux et temporels spéci- fiques, mais résulte elle-même de ces actions et interacrions,.
Ce processus, connu sous le terme struc-rurarion,
témoigne de la dualité de la strucnrre et se déploie selon trois dimensions inextricablement imbriquées : signification,domination
etlégitimation.
Les strucrures de signification comprennent les règles sémantiques imposéespour
produiredu
sens ; les structures dedomination
correspondent aux ressources utiliséespour produire du pouvoir
; les strucrures delégitimation
sont constituées par les normes et les valeurs impliquées dans laproduction
d'une moralité.IJopposition
entreroutine
etsituation
de crise est égalementun
élément clé dela
théorie de la strucruradon. Dans des situations deroutine,
les activités entreprises se répètentjour
après jour, sans que lesindividus
aient besoin d'en prendre conscience. Des situations de crise se produisent lorsque les routines établies de la vie sociale quotidienne sont secouées ou sapées de façon drastique. Dans de telles situations,I'individu
passe au premier plan et fréquemment remodèle I'ordre social existant.Po sôtion,êpistêm o Io
gi
queLa théorie de la strucn-rration se présente comme une tentative
pour
relierdetx
positions épisté- mologiques antagonistes, celle des sttwcturalistesqui
considèrent la vie sociale comme leproduit
de srrucrures sociales impersonnelles et objectives et celle des humanistes herméneutiques et interacdon- nistesqui
lavoient
commele
résultatd'une activité
subjective et intersubjective.Nonobstant
cette prise de position, la théorie, commel'indique
le choix des concepts centraux(strucure,
dualité de la structure), concentre ses effons surI'explication du
strucnrrel. Par ailleurs, elle ne prendposition ni
par rapport au matérialisme,ni
par rappoft àI'idâlisme.
Giddens lui-même a souligné l'extrême plas-ticité
de la théorie quil
aforçe.
C'estpourquoi
nous la positionnons au centre de la carte épistémob- gique, àmi-chemin
entre structuralisme et humanisme et enffe matérialisme et idéalisme.Lo gQ ue
m
ganàs ationne IIeLes organisations sont étudiées par certains auteurs comme des systèmes
d'interaction,
dotés de propriétésstrucnuelles, qui impliquent I'activité
située d'agentshumains,
reproduites à travers le temps et l'espace, par d'autres comme des communautés discursives selon detrx modalités : la conver-sation qui constitue
nI'organisation-en-train-de-se-faire
>) et le textequi institutionnalise I'action
collective etcontraint,
mais aussi rend possiblela
conversation.Ici
aussi, nous retrouvons le même17
CoMpraBII^nÉ
-
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18
Dominique Brssrnr RECHERCHE
" CRITQUE " EN CONTRÔLE DE GESTION : EXERCER SON DISCERNEMENT
balancement, nous
semble-t-il,
entre I'entreprise structurefonctionnelle
et l'enffeprise communauté hurnaine, sans quil
soit fait explicitement réftrence à safonction
deproducdon
ou au possibleprojet qui
l'afait
naître.Conceptôon
du con*ôle
de gestionRoberts et Scapens (1985)
ont
été apparemment les premiers auteurs à faire un usage systématique de la théorie de lastrucnuarion pour
une recherche en contrôle de gestion.Macintosh
(1996)conti-
nue cettetradition
et analyse les systèmes decontrôle
de gestion comme des modalités étroitement imbriquées de la strucnrration dans les organisations.En premier
lieu,
ces systèmes peuvent êtreconsidér6
comme une modalité majeure de lasignifi- câtion
: les managers lesutilisent pour interpréter
les résultats passés, prendre des décisions et élabo- rer des plans. Lastructure
designification
dans ce cas correspond aux règles, concepts et théoriespartaçs qui
sont requispour produire du
sens dans les activités organisarionnelles etqui
compren-nent
diversesnotions empruntées aux
scienceséconomiques et de gestion,
aussibien que
des concepts comptables centrar.D( tels que les revenus, les actifs, les coûts et les resultats. Cependant, les systèmes de contrôle de gestion ne constituent pas seulementun
moyen neutre etobjectif
de trans-meûre
aux décideurs dessignifications
économiques.Ils donnent
aussilégitimité
aux acrions et interactions des managers au sein d'une organisation enmettant
en avant certaines valeurs et certains idéatrx quant à cequi
devrait être compté, cequi
devrait arriver, cequi
est considéré comme juste et équitable et cequi
sembleimportant.
Ilsjustifient
lesdroits
de certains à demander des comptes à d'autres ;ils
rendent légitime le recours à des sanctions et à des récompenses. EnÊn, les systèmes de contrôle de gestion constituent une ressourced'autorité
cruciale dans les mains des responsables, en leurdonnant
à tous les niveaux le moyen de coordonner et de contrôler d'autresindividus
; ilsiouent
par conséquentun
rôlevital
dans la structure dedomination.
Cependant, les propriétés structurellesdu contrôle
degestion
nesont jamais ni entièrement
explicitées,ni complètement
figées;
elles Peuvent évoluer dans la mesure précisément oir ce sont les acteurs organisationnelsqui
les imposent et les reproduisent.Sur ce socle
commun,
le recours àla théorie
de lastructuration
dansle
champdu contrôle
de gestion a donné naissance à des interprétations divergentes qu illusrre de manière enemplaire le débat entre Macintosh et Scapens (1990 ; Scapens etMacintosh,7996)
d'une part et Boland (1993 er 1996) d'autrepaft,
les premiers semblant mettre au premier plan la dimension strxtcture,les seconds parais- santprivilégier
ladimension
agency(Northcott,
1998). C'estpourquoi
nous situons les recherches issues de ce courant Au centre de Ia carte dans la mesure oùr elles peuvent finalement s'accommoder dedifftrentes
conceptionsdu
contrôle de gestion. Là réside sans doute une des raisons de lapopularité
de la théorie forgée par Giddens.lrlj=.;,, Thois figures du radicalisme
D'aumes perspectives de recherche adoptent des positions tranchées et sont, à juste
titre,
qualifiées de radicales.Ici
s'affrontentun
anti-humanisme radicalqui
nous semble inspirer aussi bien les perspec- tives de recherche alimentées par le structuralisme radical que celles qui se réclamenrdu
post-moder- nisme, etun
humanismetout
aussi radical théorisé norammenr par Habermas.CoMpTABTLnÉ
-
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Dominique Bxstnr
RECHERCHE. CRITQUE, EN CONTRÔLE DE GESTION :
EXERCER SON DISCERNEMENT
'2,L1,
IÆ,STRUCTLIRALISME RADICAL: LrN SUJETAIIÉNÉI2 ConcE*
clésLe strucnrralisme radical se réêre aux écrits les plus tardifs de
Marx,
généralement rassemblés sous le vocable(
matérialistes o. Lesdiftrentes
approches issues de ce courantmeûent .tt
6'''ridç1çe n lesconflits
fondamentauxqui
simultanément sont générés par, et se reflètent dans, les stmcrures indus- trielles et les relations économiques, commeI'appropriation du
surplus, les relations de classes et la strucrure de contrôle, (Chua,
1986, p.619).
Elles soulignent à quelpoint
les potentialités des êtres humains sont bridées par le système dedomination
prévalant qui les aliène et les empêche de se reali- ser(ibid.).
Po
sition
êp istên o Iagi4uc
Le structuralisme radical,
aumoins
dans ses approches lesplus traditionnellesl3,
considère le monde comme étant composé d'objets et de relations externes indépendantes del'individu
; I'homme est aliéné par des forces impersonnellesqui
échappent à son atteinte. Sur la carte épistémologique, ce courant nous semble correspondre à unevision
natuïaliste du monde.L" g q*
or ganis atia nneIIe
Les conditions sociologiques jouent le premier rôle dans la
détnition
des n règles du jeu,
(prix de marché du capital et du navail, type et degré de concurrence, etc.)(Tinker
etNeimark,
1988,pp.57-
58). Les organisations ne sont que les instruments des forces sociales intéressées au maintien de ladivi-
sion du travail et de ladistribution
dupouvoir
et des richesses dans la société (Cooper, 1983,p.277).
Cette manière de
voir
l'organisation renvoie à une logique mécaniciste (quadrant sud-est de la carte), une perspective cohérente avec la position épistémologique naturaliste.Conceptîan
du connôle
dc gestionLe contrôle de gestion dans cette perspective n n est plus considéré comme une activité de service
techniquement rationnelle qui
serait dissociée de relations sociétales plus larges.Au contraire,
la démarche comptable, entant
que discours véhiculantun
mode spécifique de rationalité calculatoire, est considérée commeconstitutive
de-
et constituée par-
lesmacro-conflits
entre les différentes classes o (Chua, 1986,p.
623). Les techniques de comptabilité de gestion sont donc vues comme des dispositifs conçnspour
garantir la reproduction des intérêtsdu
capital et de ses agents managériaux, et commeun
moyen dediscipliner
et de contrôler la force deravail.
Par conséquent ces techniquesjouent
(ou sont susceptibles de jouer)un
rôle crucial dans la redistribudon des richesses.Dans la mesure où le contrôle de gestion est présenté dans cette approche comme le simple
produit
de forces capitalistes,il
semble logique de le considérer comme ressoftantdu
modèle mécanique. Cepoint
de vue est paftagé par Preston etdl.
(1992,p.562)
lorsqu'ils mettent en évidence,audelà
d'ap- parentes divergences, lespoints communs
entre les analyses(
conventionnelles,,
proposées par exemplepar Chandler et Daems (1979), Kaplan (1984) ou Johnson et Kaplan (1987), et
des approches pluscritiques
telles que celles offertespar Neimark
etTinker (1986) ouHopper
et al.(1936) : < Ces études, en dépit d'approches théoriques différentes, considèrent la démarche comptable comme la réponse à des impératifs économiques, recherche
du profit
dansun
cas,appropriation du
surplus dans I'autre. ut9
CoupranurrÉ
-
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