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Shakespeare et Ben Jonson face à la publication de leurs œuvres

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Shakespeare et Ben Jonson face à la publication de leurs œuvres

ERNE, Lukas Christian

ERNE, Lukas Christian. Shakespeare et Ben Jonson face à la publication de leurs œuvres. In:

Forestier, Georges; Caldicott, Edric; & Bourqui, Claude. Le Parnasse des auteurs dramatiques . Paris : Presses de l'Université de Paris-Sorbonne, 2007. p. 199-212

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:14612

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LE PARNASSE DU THÉÂTRE PUPS • 2007

SHAKESPEARE ET BEN JONSON

FACE

A

LA PUBLICATION DE LEURS ŒUVRES

Lukas Erne

Ben Jonson (1572-1637) etWilliam Shakespeare (1564-1616) sont communément considérés comme les deux auteurs dramatiques les plus importants de la Renaissance en Angleterre. Nés à huit ans d'intervalle, Shakespeare en 1564 et Jonson en 1572, les deux commencèrent à composer des textes dramatiques vers la fin du xvle siècle et continuèrent au début du xvne. La période de leurs carrières constitue un moment crucial pour le développement des publications de textes dramatiques en Angleterre. Par conséquent, avant de traiter plus particulièrement des deux auteurs en question, il nous faut les situer dans un contexte plus large.

En particulier, il est nécessaire de présenter un bref aperçu du nombre de textes dramatiques publiés durant la Renaissance en Angleterre. Au cours de la période de 1490 à 1590, un total de quatre-vingt-douze textes dramatiques fut publié'. La grande majorité de ces textes, imprimés dans le peu onéreux format in-quarto, était constituée de pièces individuelles et non de recueils.

Durant les deux décennies suivantes — de 1590 à 1610, la période qui correspond plus au moins à la carrière dramatique de Shakespeare —, le nombre de textes dramatiques explosa véritablement, une explosion qui est en partie liée à la publication des textes dramatiques de Jonson et Shakespeare. Il faut pourtant noter que cette augmentation spectaculaire ne fait pas simplement partie d'une évolution générale, car durant les vingt ans qui suivirent, entre 1610 et 1630, le nombre global des publications de textes dramatiques décrut et ne totalisa plus que cent quarante et une unités, donc cinquante de moins que pendant les vingt années précédentes. Un premier constat qui s'impose est donc que la période de l'activité théâtrale de Shakespeare et du début de celle de Jonson est marquée par une quantité importante de publications dramatiques.

1_Les chiffres procurés dans ce paragraphe proviennent de W. W. Greg, A Bibliography of the English Printed Drama to the Restoration, 4 vol., Londres, Bibliographical Society, 1939 -1 959.

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Si l'on pose la question de savoir quelles sortes de textes dramatiques étaient publiées, il importe d'établir une distinction entre la publication de textes dramatiques écrits pour le théâtre populaire, c'est-à-dire le théâtre public et commercial, et les autres textes dramatiques, écrits eux uniquement pour être lus ou pour être joués en privé. En 1576 (quinze ans à peine avant le début de la carrière de Shakespeare), un théâtre commercial, c'est-à-dire un bâtiment dont le seul but était de servir à des représentations de pièces de théâtre, fut construit au nord de Londres, en-dehors de la cité, bâtiment dont le nom indique bien la portée historique : The Theatre. Ce fut en fait le premier bâtiment du genre en Europe, construit spécifiquement en tant que théâtre, depuis l'époque romaine. D'autres bâtiments du même genre suivirent peu après, The Curtain,

The Rose, The Swan, puis, en 1598, le théâtre dans lequel une bonne partie des pièces de Shakespeare fut créée, The Globe 2. La construction de ces bâtiments marque le début de l'institutionnalisation du théâtre commercial, le début de

200 ce qu'on peut appeler an entertainment industry, une industrie du spectacle, qui fonctionnait de manière assez comparable, à bien des égards, à Hollywood à l'âge moderne3.

Shakespeare et Jonson furent, par conséquent, des protagonistes importants dans le développement de cette industrie du spectacle. En tant qu'actionnaire de la troupe à laquelle il appartenait comme acteur et dramaturge, le premier nommé amassa une fortune considérable, ce qui lui permit d'acquérir la deuxième maison la plus importante dans son village natal, Stratford-upon-Avon 4. Une bonne partie des textes dramatiques publiés du vivant de Shakespeare et Jonson étaient donc écrits pour le théâtre public et populaire — au premier rang de ceux-ci les pièces de Shakespeare et de Jonson eux-mêmes. Toutefois, d'autres sortes de textes dramatiques connurent les faveurs de l'impression durant la même période : du « théâtre dans un fauteuil » (closet drama), des traductions des tragédies de Sénèque et d'autres dramaturges antiques, ainsi que des pièces écrites à des fins éducatives — donc divers types de pièces non destinées à être jouées devant un public payant 5. Puisque cette dernière catégorie de publications ne se conformait pas à la logique du théâtre commercial, elle ne sera donc pas prise en considération dans le propos qui suit.

2 Voir Andrew Gurr, The Shakespearean Stage, 1574-1642, 3e éd., Cambridge University Press, 1992.

3 Voir G. K. Hunter, « The Making of a Popular Repertory : Hollywood and the Elizabethans », Shakespearean Continuities : Essays in Honour of E. A. J. Honigmann, éd. John Batchelor, Tom Cain et Claire Lamont, Londres, Macmillan, 1997, p. 213-29.

4 Voir Sam Schoenbaum, William Shakespeare :A Compact Documentary Life, New York, Oxford University Press, 1987.

5 Voir Alfred Harbage, Annals of English Drama, 975-1700, 3e éd., Londres, Routledge,1989.

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Un point important à développer en ce qui concerne la publication des textes dramatiques conçus pour et joués sur la scène publique est celui qui touche au concept de l'auteur dramatique. Les titres de plusieurs articles dans ce volume reflètent la centralité de l'auteur dans notre manière d'étudier le théâtre du xvie et du xvne siècle. « Shakespeare et Ben Jonson face à la publication de leurs oeuvres » ; «L'entrée au Parnasse d'un dramaturge professionnel : le cas d'Alexandre Hardy » ; « Les oeuvres complètes des comédiens auteurs.

L'exemple de Boursault et de Montfleury » ; « Lédition des oeuvres de Racine : de l'actualité au monument ». Or, à l'époque de la Renaissance anglaise, les publications de textes n'étaient souvent pas associées à leur auteur 6. En effet, l'individu qui avait composé le texte dramatique n'était souvent pas celui qui

« autorisait », pour ainsi dire, la pièce imprimée. D'une certaine manière, on peut bel et bien dire que l'auteur, qui, comme nous savons, n'est pas une personne, mais une construction culturelle, n'était pas encore entièrement né.

Afin d'illustrer ce propos, nous allons examiner un certain nombre de pages de 201

titre. Ces dernières, qu'elles annoncent des pièces de Shakespeare, Jonson ou de tout autre contemporain, constituent un paratexte d'une grande importance pour la recherche : non seulement parce que la page de titre est ce qui se voit en premier, mais aussi parce que les libraires londoniens utilisaient ces feuilles imprimées comme affiches publicitaires 7. Elles constituent donc des documents révélateurs du marché contemporain, indiquant comment les libraires de l'époque concevaient les critères qui pouvaient faire vendre des livres.

Examinons d'abord les pages de titre des trois premières pièces imprimées de Shakespeare. En 1594 parut la pièce qu'on connaît aujourd'hui sous le titre de The Second Part of Henry VI [La Deuxième partie de Henri Vi]. Voici le texte de la page de titre :

The first part of the Contention betwixt the two famous Houses of Yorke and Lancaster. With the death of the good Duke Humphrey : And the banishment and death of the Duke of Suffolke, and the Tragicall end of the proud Cardinall of Winchester, with the notable Rebellion of Iacke Cade, And the Duke of Yorkes first claime unto the Crowne. London : printed by Thomas Creed, for Thomas Millington, and are to be sold at his shop vnder Saint Peters Church in Cornwall, 1594. (La première partie du conflit opposant les deux fameuses Maisons de Yorke et de Lancaster. Avec la mort du bon duc Humphrey. Et le bannissement, et

6 Voir Douglas A. Brooks, From Playhouse to Printing House : Drama and Authorship in Early Modern England, Cambridge Studies in Renaissance Literature and Culture, 36, Cambridge University Press, 2000.

7 Voir Tiffany Stern, «"On each Wall/ And Corner Post" : Playbills, Title-pages, and Advertising in Early Modern London », English Literary Renaissance, 36 (2006), p. 57-89.

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la mort du duc de Suffolk. Et la fin tragique de l'orgueilleux cardinal de Winchester, avec la rem arquable rébellion de Jack Cade. Et la première prétention du duc de Yorke à la Couronnne. Londres, imprimé par les soins de Thomas Creed, pour Thomas Millington. En vente à l'échoppe située auprès de l'Église Saint Pierre, en Cornouailles, 15941 8

La même année fut publiée Titus Andronicus, première des tragédies de Shakespeare :

The Most Lamentable Romaine Tragedie of Titus Andronicus : As it was Plaide by the Right Honourable the Earie of Darbie, Earie of Pembrooke, and Earie of Sussex their Seruants. London, Printed by John Danter, and are to be sold by Edward White & Thomas Millington, at the little North doore of Paules at the signe of the Gunne. 1594. [La Trèsde'plorable Tragédie romaine de Titus Andronicus, telle qu'elle a été jouée par les Comédiens, serviteurs de son Honneur le comte de Darbie [Derby!, comte de Pembroke et comte de Sussex. Londres, imprimé par les soins dejohn Danter. En vente auprès de Edward White et Thomas Millington, à la petite porte située au nord de l'église St Paul, sous le signe du Canon. 15941 Et l'année suivante, c'est la pièce qu'on connaît aujourd'hui sous le titre The Third Part of Henry VI [La Troisième partie de Henri VI], qui vit le jour :

The true Tragedie of Richard Duke ofYork, and the death of good King Hennie the Sixt, with the whole contention betweene the two Houses Lancaster and Yorke, as it was sundrie times acted by the Right Honourable the Earle of Pembrookes his seruants. Printed at London by P S. for Thomas Millington, and are to be sold at his shoppe vnder Saint Peters Church in Cornwal. 1595.

[La véritable Tragédie de Richard, Duc de York, et la mort du bon roi Henri VI, avec l'intégralité du conflit opposant les deux Maisons de Lancaster et de Yorke, telle qu'elle a été jouée maintes fois par les comédiens de son Honneur le Comte de Pembroke. Imprimé à Londres par P. S. pour Thomas Millington. En vente à son échoppe située auprès de l'Église Saint Pierre, en Cornouailles. 15951

Ce qui peut sembler frappant est que ces pages de titre contiennent des informations sur le contenu, sur les troupes qui ont joué les pièces, sur l'imprimeur et sur le libraire, mais ne nous apprennent rien sur l'identité de l'auteur.

En fait, si l'on veut essayer de comprendre le statut de l'auteur dramatique à cette époque-là, il peut être intéressant de le comparer à celui du scénariste de nos jours. La plupart des gens vont au cinéma pour voir un film en raison de certains acteurs ou du réalisateur, mais tous tendent à ignorer l'identité de

8 Sauf indication contraire, la traduction des citations anglaises a été réalisée par C. Bourqui.

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la personne qui a écrit les paroles qu'on entend : le scénariste. La situation au début de la carrière de Shakespeare et de Jonson était semblable. En général, c'était le nom de la troupe qu'on utilisait pour faire de la publicité pour une pièce, mais ce pouvait être également les acteurs les plus connus. On le constate à la lecture d'une page de titre d'une pièce peu connue intitulée A Knack to Know a Knave (1594), qui nous apprend que l'oeuvre « hath sundrie tymes bene played by Ed. Allen and his Companie. With Kemps applauded Merrimentes »

[a été jouée maintes fois par Ed. Allen et sa compagnie. Avec les jeux de scène tant applaudis de Kemp]. Edward Alleyn et William Kempe étaient parmi les acteurs les plus connus à cette époque-là et les libraires comptaient donc sur leur nom pour faire vendre ce livre. Le nombre important de textes dramatiques anonymes 9 parus avant et au début de la carrière de Shakespeare suggère donc un désintérêt général envers les écrivains dramatiques. Or, le statut de l'auteur dramatique changea du vivant de Shakespeare et Jonson (de la même manière

que le statut du scénariste moderne est aussi en train de changer, comme 203 en témoignent les deux volumes publiés vers la fin du siècle passé sur des

scénaristes du cinéma américain dans la série Dictionary ofLiterary Biography) 1o.

Ajoutons quelques chiffres pour quantifier ce changement du statut de l'auteur dramatique. Durant la dernière décennie du xvre siècle, parmi les pièces écrites pour le théâtre public, les deux tiers furent publiées sans— et seulement quelque vingt pour cent avec— le nom de l'auteur sur la page de titre 11. Et guère plus de dix pour cent furent publiées avec les initiales de l'auteur.

Avant le tournant du siècle, les publications dramatiques étaient donc majoritairement anonymes. Tout changea au début du xviie siècle. Durant la première décennie de ce siècle, le pourcentage de textes dramatiques anonymes n'est plus que de quarante-deux pour cent, alors que plus de la moitié des pièces indiquent le nom complet de l'auteur. En nous concentrant sur les deux décennies entre 1S90 et 1610, donc les années décisives pour Shakespeare, on constate donc que le taux de publications dramatiques avec indications auctoriales augmente de manière tout à fait significative : à peu près un cinquième durant la première partie de cette période, et pas loin de la moitié durant les années restantes.

9 Voir Marcy L. North, The Anonymous Renaissance : Cultures of Discretion in Tudor-Stuart England, The University of Chicago Press, 2003.

10 Robert E. Morsberger, Stephen O. Lesser et Randall Clark éd., American Screenwriters, DictionaryofliteraryBiography, 26, Detroit, Gale Research Company, 1984; et Randall Clark éd., American Screenwriters, 2 e série, Dictionary of Literary Biography, 44, Detroit, Gale Research company, 1986.

11 Voir W. W. Greg, op. cit.

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Le cas précis de Shakespeare nous permet de retracer, à l'aide d'un exemple concret, les étapes de l'émergence de l'auteur dramatique. Les trois publications anonymes de 1594 et 1595 ont déjà été passées en revue. Les publications suivantes seront celles de Richard II, Richard III, et Roméo et Juliette, toutes trois parues en 1597, et toutes trois anonymes 12 . De même, au début de l'année suivante, La Première Partie de Henry IV fut inscrite dans le registre des libraires et la pièce fut publiée peu de temps plus tard. Or, au cours du reste de l'année 1598, il se passa quelque chose de très surprenant : Richard III et Richard II connurent une deuxième impression, et cette fois-ci avec le nom de Shakespeare sur la page de titre. En 1599, La Première partie de Henry IVest, elle aussi, réimprimée et elle aussi paraît cette fois-ci avec l'indication auctoriale. Et ce ne fut qu'un début : l'année suivante, en 1600, pas moins de cinq pièces de Shakespeare parurent, dont quatre portant son nom sur la page de titre, The Second Part of Henry IV [La Seconde partie de Henry IV] , Much Ado about Nothing [Beaucoup de bruit 204 pour rien], The Merchant of Venice [Le Marchand de Venise], et A Midsummer Night's Dream [Le Songe d'une nuit d'été]. Cinq pièces supplémentaires suivirent au cours de la première décennie du dix-septième siècle, toutes également comportant le nom de l'auteur sur la page de titre : The Merry Wives of Windsor [Les Joyeuses commères de Windsor] en 1602, Hamlet en 1603, King Lear en 1608, ainsi que Pericles et Troilus and Cressida en 1609. Les réimpressions de 1598 et 1599 établirent donc une fois pour toutes le statut de Shakespeare comme auteur dramatique.

Jusqu'ici, nous avons suivi la progression du nom de l'auteur dramatique comme une fonction discursive dont les libraires se servaient pour faire vendre leurs livres. Mais qu'en est-il des dramaturges eux-mêmes, en personne ? Quelle fut leur contribution aux développements que nous venons d'analyser ? Et quelle fut leur attitude face à la publication de leurs textes dramatiques ? Nous nous pencherons sur les cas de Ben Jonson et de Shakespeare, qui nous semblent d'une importance primordiale, d'une part parce que ce sont les deux auteurs dramatiques les plus connus de l'époque et, d'autre part, parce que les chercheurs les ont souvent considérés comme deux cas extrêmes situés aux pôles opposés. Jonson promouvait et participait activement à la publication de ses textes dramatiques. Shakespeare, par contre, a traditionnellement été considéré comme étant indifférent, voire opposé, à la publication des siens.

12 Nous mentionnons en passant la pièce intitulée Edward 111, qui fut publiée en 1596 sans indication auctoriale sur la page de titre, pièce qui ne figure pas dans l'in -folio de 1623, mais dont un nombre important de spécialistes croit aujourd'hui qu'une partie fut écrite par Shakespeare. La pièce vient d'être incluse dans la deuxième édition des Oxford Shakespeare Complete Works (Oxford University Press, 2005), éd. par Stanley Wells, Gary Taylor, John Jowett et William Montgomery.

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Shakespeare, a-t-on souvent affirmé, selon un discours qui remonte en fait au xviue siècle, ne s'intéressait pas à la postérité ; Shakespeare, disait-on, écrivait ses pièces uniquement en vue de leurs représentations scéniques, parce que, contrairement à Jonson, il s'intéressait au profit pécuniaire immédiat, non à sa réputation d'auteur dramatique. Cette vision traditionnelle, qui oppose diamétralement Jonson et Shakespeare, s'inscrit dans une opposition plus large que les chercheurs ont vue à l'oeuvre entre les deux dramaturges : Jonson est généralement envisagé comme un savant qui travaillait et retravaillait soigneusement ses oeuvres, alors que Shakespeare, à l'autre bout du spectre, est traditionnellement vu comme un génie naturel qui écrivait ses pièces d'un jet. Déjà en 1647, John Denham opposait les résultats du « oyle and sweat » [l'huile et la sueur] de Jonson à ceux de la « gentler muse » [la muse plus délicate] de Shakespeare 13. Ou, comme disait John Dryden vers la fin du dix- septième siècle, « I respect Jonson, but I admire Shakespeare » 14. En fait, un des

résultats de cette construction d'opposition diamétrale est que, depuis des siècles, 205 Jonson est accusé d'être différent et, en quelque sorte, à l'opposé de Shakespeare.

L'antinomie que la critique s'est plue à relever entre les attitudes respectives de Jonson et Shakespeare envers la publication de leurs textes dramatiques s'inscrit donc dans une opposition plus large. Cette vue traditionnelle s'avère en partie correcte, mais elle nécessite quelques rectifications et ajustements.

Avant d'aller plus loin dans l'étude de cette question, il nous faut ajouter quelques mots sur Jonson en tant qu'auteur dramatique. L'intérêt qu'il prenait à la publication de ses textes dramatiques est amplement documenté. Les premiers témoignages remontent à l'année 1600, durant laquelle la première de ses pièces est publiée, la comédie Every Man Out of His Humour, que la page de titre annonce comme suit :

The comicall Satyre of Euery Man Out of his Humor. As it was first composed by the Author B. I. Containing more then hath been publikely spoken or acted.

With the seuerall Character of euery person. [La satire comique de tout individu, lorsqu'il sort de son humeur. Telle qu'elle a été composée originellement par l'auteur B. J. Contenant plus de texte que la version qui a été recitée ou jouée en public. Avec la liste des divers caractères correspondant d chaque personnage.]^ 5

13 « On Mr. JOHN FLETCH ER'S Workes », épître préfacière de l'in-folio des oeuvres dramatiques de John Beaumont et John Fletcher, Londres,1647.

14 C. M. Ingleby, The Shakespeare Allusion-Book, 2 vol., Londres, Chatto & Windus, 19o9, vol. 2, p. 238.

15 Pour la page de titre du premier in-quarto d'Every Man Out of His Humour, voir David Riggs, Ben Jonson : A Life, Cambridge, Mass., Harvard University Press,1989, p. 65 et Jonas Barish, The Antitheatrical Prejudice, Berkeley, Los Angeles, University of California Press,1981, p. 136-37.

LUKAS ERNE shakespeare et Ben Jonson face à la publication de leurs oeuvres

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Cette page de titre constitue une petite révolution en matière de publication des textes dramatiques. C'est la première fois qu'un écrivain d'une pièce de théâtre écrite pour la scène publique et commerciale est appelé « auteur ».

Rappelons que, quelques années auparavant, la plupart des textes dramatiques n'avaient même pas été attribués aux personnes qui les avaient écrits. Or, en 1600, une comédie de Jonson se voit accorder tout le prestige et l'autorité qui vont de pair avec le mot « auteur », et ceci malgré le fait que le nom de Jonson est abrégé par ses initiales. De plus, et toujours selon la page de titre, le texte imprimé offre au lecteur un produit non seulement théâtral, mais également auctorial. Durant les années précédentes, la page de titre typique indiquait que le texte imprimé correspondait à la version jouée sur scène : « As it hath been [...] acted by the Right Honourable the Lord Chamberlaine his seruants » [Telle qu'elle fut représentée par les serviteurs du très Honorable Grand Chambellan], pour ne citer que l'intitulé de Richard II de 1597. La page de titre de Jonson, 206 en revanche, indique que le livre contient « more then hath been publikely spoken or acted », plus que ce qui était joué sur scène. Ce qu'on présente au lecteur n'est donc plus un script théâtral, script sur lequel l'écrivain aurait perdu contrôle, mais, bien au contraire, le texte de l'auteur. Notons en passant que même la liste des dramatis personae annoncée à la page de titre, « the seuerall Character of euery Person », sert à rendre le livre plus littéraire et plus respectable, en le pourvoyant d'un support paratextuel qui remonte au théâtre classique, mais qui avait jusqu'alors été absent des pièces de théâtre imprimées durant la Renaissance anglaise.

Au cours des années suivantes, d'autres publications de textes dramatiques de Jonson montrent, de manière similaire, son souci de l'affirmation auctorialei 6. Ainsi, l'épître au lecteur de sa tragédie Sejanus (1605) annonce que « this Booke, in all numbers [i.e. lines], is not the same with that which was acted on the publike Stage » [le texte de ce livre n'est pas identique, dans toutes ses lignes, avec celui qui a été joué sur la scène publique]. Deux ans plus tard, la comédie Volpone est publiée avec une page de titre qui est d'une simplicité classique : « Ben : lonson his Volpone or the Foxe » [Ben Jonson, sa comédie Volpone, ou le Renard]. Le nom de l'écrivain non seulement est bien présent, mais, de surcroît, il apparaît en premier, en majuscules, et en plus grand. Le titre de la pièce, autre information digne de mention, est littéralement subordonné à cette première indication. « L'auteur et son oeuvre », voilà ce que la page de titre présente. La devise, imprimée en dessous

16 Voir Joseph Loewenstein, Ben Jonson and Possessive Authorship, Cambridge Studies in Renaissance Literature and Culture, Cambridge University Press, 2002 ; et Robert S. Miola,

« Creating the Author : Jonson's Latin Epigraphs », Ben Jonson Journal, vol. 6, 1999, p. 35-48.

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du titre, tirée de l'Ars Poetica d'Horace — du fameux passage selon lequel le but du poète et de « prodesse et delectare », d'instruire et de divertir — énoncée dans la langue des savants, constitue une affirmation supplémentaire que la transaction proposée par ce livre se passe entre un auteur et un lecteur savant.

C'est aussi pour cela, sans doute, qu'aucune mention n'est faite d'acteurs, de troupes ou de théâtres.

La publication des oeuvres de Jonson dans un in-folio majestueux paru en 1616, année de la mort de Shakespeare, constitue l'apogée de l'investissement de ce dernier dans la publication de ses textes dramatiques 17.Il est vrai que le volume ne contient pas seulement des textes dramatiques, mais aussi des masques et de la poésie, mais ce sont les textes dramatiques qui viennent en premier et occupent la partie la plus importante du volume. Il est évident que la publication par Jonson de ses propres oeuvres constituait un geste qui était lourd d'implications aux yeux de ses contemporains. L'utilisation du terme works [oeuvres], pour

désigner un recueil de pièces de théâtres écrites pour la scène publique, était 207 clairement ressentie comme une provocation. Un contemporain de Jonson

écrivit : « Pray tell me Ben, where doth the mystery lurke, / What others call a play you call a worke » [Explique-moi, je t'en prie, Ben, le mystère de la manoeuvre : ce que d'autres appellent une pièce, tu l'appelles une oeuvre ?] 18.

L'usage du terme « works » par Jonson, en 1616, dans le contexte de pièces de théâtre était donc bel et bien révolutionnaire. Il semble même qu'il soit resté problématique pendant encore un certain temps : lors de la publication des pièces de théâtre de John Marston, in-octavo, en 1633, la page de titre originale contient les mots « The Workes of Mr. Iohn Marston, Being Tragedies and Comedies », mais plus tard la même année, le livre réapparaît, pourvu d'une nouvelle page de titre, cette fois-ci avec un titre plus simple : Tragedies and Comedies. Les causes exactes de ce changement restent inconnues, mais, vu les vives réactions suscitées par la publication des oeuvres de Jonson en 1616, la disparition du terme works semble significative.

17 Au sujet de la publication de l'in-folio de Jonson, voir Richard C. Newton, « Jonson and the (Re-) Invention of the Book », Classic and Cavalier: Essays on Jonson and the Sons of Ben, éd. Claude J. Summers et Ted-Larry Pebworth, University of Pittsburgh Press, 1982, p. 31-58 ; Joseph Loewenstein, «The Script in the Marketplace », Representations, vol.12,1985, p. 101-15 ; Timothy Murray, Theatrical Legitimation : Allegories of Genius in Seventeenth-Century England and France, New York et Oxford, Oxford University Press, 1987, chapitres 3 et 4 ; Jennifer Brady et W. H. Herendeen éd., Ben Jonson's 1616 Folio, Newark, University of Delaware Press, 1991 ; Arthur Marotti, Manuscript, Print, and the English Renaissance Lyric, Ithaca, Cornell University Press, 1995, p. 23 8- 47 ; Mark Bland, « William Stansby and the Production of The Workes of Beniamin Jonson, 1615-1616 », The Library, vol. 20, 1998, p. 1-34 ; Brooks, op. cit., p. 104-39.

18 Wit's Recreation (1640), sig. G3v.

Lins ERNE shakespeare et Ben Jonson face à la publication de leurs oeuvres

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Il ne sera pas nécessaire de s'attarder longuement sur l'histoire des publications en recueils de textes dramatiques, précédant la parution des Workes de Jonson en 1616, car cette histoire est brève. Publiées en 1573, les oeuvres de George Gascoigne contiennent deux pièces : Supposes, traduction d'I Suppositi d'Ariosto (1509) jouée à Gray's Inn à Londres en 1566, etJocasta (qui avait déjà été publiée séparément en 1566), traduction non pas de la tragédie d'Euripide, mais d'une adaptation italienne de Lodovico Dolce 19. Un recueil de dix traductions de pièces de, ou attribuées à, Sénèque vit le jour en 1581. Puis on relève, en 16o1-16o2, la parution des oeuvres de Samuel Daniel, en format in folio, parmi lesquelles la tragédie Cleopatra. Et finalement, les Monarchick Tragedies de William Alexander, publiées en 1604, rééditées en 1607, rassemblèrent quatre tragédies également dans un volume in-folio.

Ce que ces quatre recueils ont en commun est qu'ils ne contiennent pas un seul texte dramatique qui ait été représenté sur scène dans un théâtre public 208 devant des spectateurs payants. La nouveauté radicale de Jonson est donc le lien

qu'il établit entre le terme works et un recueil contenant des textes dramatiques marqués de ce qu'on peut appeler le « sceau infamant » du commerce. En fait, Jonson fit plus que n'importe quel autre individu pour augmenter le prestige et la respectabilité de l'auteur dramatique et de ses oeuvres.

Quant à Shakespeare, le consensus traditionnel selon lequel il faut le voir, en opposition diamétrale à Jonson, comme un créateur indifférent à la publication de ses pièces de théâtre, se laisse résumer par quelques citations de chercheurs récents : en 1999, Thomas Berger et Jesse Lander ont écrit que Shakespeare « n'a jamais montré le moindre intérêt envers le statut d'auteur dramatique » 20 . En 2000, Douglas Brooks affirmait que « Shakespeare semble avoir été réticent à faire imprimer ses pièces » 21. L'opinion de David Scott Kastan est légèrement plus modérée, mais lui aussi croit que Shakespeare « n'a démontré aucun désir évident de faire publier ses pièces de théâtre d'une manière ou d'une autre » 22

Nous avons récemment eu la témérité de publier un ouvrage qui remet en question cette vision traditionnelle. Dans Shakespeare as Literary Dramatist (Cambridge University Press, 2003), nous soutenons la thèse que Shakespeare

19 En fait, la traduction fut le résultat d'une collaboration entre Gascoigne et Francis Kinwelmershe.

20 « Never showed the least bit of interest in being a dramatic author ». Thomas Berger et Jesse Lander, « Shakespeare in Print, 1593-1640 », A Companion to Shakespeare, éd.

David Scott Kastan, Oxford : Blackwell, 1 999, p. 4 09.

21 « Shakespeare seems to have been reluctant to see his plays published », Brooks, op. cit., P. 9.

22 « Displayed... no obvious desire to see his plays in print at all », David Scott Kastan, Shakespeare and the Book, Cambridge University Press, 2001, p.14-17.

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n'écrivait pas uniquement en vue de la représentation scénique, mais qu'il était en même temps un dramaturge littéraire, soucieux de ses lecteurs, préoccupé de la postérité de ses oeuvres et engagé dans la publication de celles-ci. Ce n'est pas le lieu ici de résumer un livre de trois cents pages. Nous nous contenterons de réaffirmer que l'indifférence présumée de Shakespeare à l'égard de la publication de ses textes dramatiques semble difficile à réconcilier avec toutes les pièces qui furent publiées de son vivant, dont le nombre se monte à plus de la moitié du nombre total 23 . Les chercheurs ont généralement considéré ces publications comme des exceptions, en fabriquant des raisons qui expliqueraient pourquoi ces textes étaient imprimés malgré la volonté de Shakespeare. Mais, une fois qu'on ne part plus de l'idée que ces publications se sont faites en dépit de la volonté de Shakespeare, on réalise que, durant la dernière décennie du xvie siècle, Shakespeare et ses pairs semblent avoir adopté une stratégie de publication tout à fait cohérente, qui consistait à vendre un manuscrit à un imprimeur à peu près

deux ans après la création de la pièce au théâtre — stratégie qui servait peut-être 209 à s'assurer la publicité gratuite pour la pièce lors de sa reprise.

Il est vrai que Shakespeare ne semble pas avoir été présent à l'imprimerie lors de l'impression de ses pièces. Mais cette absence reflète simplement les coutumes et les pratiques de son époque. Il est également vrai que Shakespeare n'écrivait jamais de préface ou de dédicace pour ses textes dramatiques ; mais, là encore, il est important de savoir que les contemporains ne le faisaient pas non plus.

Jonson, le révolutionnaire, en fut l'exception. Le fait que Shakespeare n'ait

pas été aussi révolutionnaire que Jonson n'implique nullement, il me semble, CD que Shakespeare se soit désintéressé de la publication et de la postérité de son

oeuvre.

L'intérêt que Shakespeare aurait manifesté pour la publication de ses pièces 0 explique en même temps pourquoi un bon nombre de celles-ci sont d'une

longueur qui peut paraître excessive. La durée moyenne des représentations

théâtrales de l'époque semble avoir été de deux heures approximativement — « the Ç

two hours' traffic of our stage » [les deux heures d'animation de notre scène] , selon v le prologue de Roméo etJuliette— durée incompatible avec la longueur du texte de

Hamlet, ainsi que d'autres pièces. Ben Jonson, qui affirmait explicitement avoir CD

écrit plus que ce qui était représenté sur scène, est en fait le seul autre dramaturge

ayant composé un bon nombre de pièces dont la longueur équivaut à celles s3

de Shakespeare. L'hypothèse selon laquelle les pièces de Shakespeare auraient pu être considérablement abrégées avant leur représentation scénique trouve sa

23 Voir également Lukas Erne, « Shakespeare, auteur, 1593-1609 », in Du Spectateur au lecteur:

Imprimer la scène auxxvie etxvne siècles, éd. Larry F. Norman, Philippe Desan et Richard Strier, Paris, Presses de l'Université Paris- Sorbonne, 2002, p. 203-222.

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confirmation dans les quelques manuscrits qui ont survécu jusqu'à nos jours, manuscrits dont les plus longs montrent tous que le texte avait été coupé avant ou lors de la mise en scène. Une autre source d'information importante à ce sujet est l'édition in-folio de 1647 des pièces de Francis Beaumont et John Fletcher, successeurs de Shakespeare en tant qu'écrivain pour la troupe du roi. Dans la préface de ce recueil, l'éditeur Humphrey Moseley écrit :

When these Comedies and Tragedies were presented on the Stage, the Actours omitted some Scenes and Passages (with the Authour's consent) as occasion led them ; and when private friends desir'd a Copy, they then (and justly too) transcribed what they Acted. But now you have both All that was Acted, and all that was not ; even the perfect full Originalls without the least mutilation...

[Quand ces comédies et ces tragédies ont été représentées sur scène, les acteurs ont omis certains passages (avec le consentement de l'auteur), selon que l'occasion les y invitait; et lorsque des amis personnels en désiraient une copie, ils transcrivaient alors (et, à juste titre, aussi) ce qu'ils avaient joué. Mais maintenant vous avez TOUT ce qui a été joué, et tout ce qui ne l'a pas été : les originaux dans leur perfection absolue, sans la moindre coupure...]

Moseley nous apprend donc que les acteurs omettaient des scènes et des passages, avec l'approbation de l'auteur. Vu que de nombreuses pièces de Shakespeare sont bien plus longues que la plus longue même des tragédies et comédies de Beaumont et Fletcher, il semble raisonnable de supposer qu'elles étaient elles aussi abrégées au théâtre. Il faut donc partir de l'idée que Shakespeare composait les longs textes de pièces comme Hamlet, Richard III, Othello, ou King Lear, tout en sachant qu'ils seraient considérablement abrégés et que ces textes, dans leur longueur originale, n'étaient pas conçus pour la scène, mais pour être lus.

En fait, pour plusieurs pièces, dont Hamlet, Henry Vet Roméo et Juliette, il existe non seulement une version longue et littéraire, mais également une version courte et théâtrale. Par exemple, la version abrégée de Hamlet, qui parut en 1603, traditionnellement appelée bad quarto ,le mauvais in-quarto, ne totalise que quelque deux mille deux cents vers, alors que le deuxième in-quarto, publié en 1604-1605, en compte à peu près trois mille huit cents. Les versions courtes, à la différence des versions longues, sont donc d'une longueur compatible avec une durée de représentation de deux heures.

Quelles en sont les répercussions sur la publication du premier in folio, le First Folio de 1623, qui inclut trente-six pièces, c'est-à-dire presque la totalité de son oeuvre dramatique ? Vu que le recueil fut publié sept ans après la mort de l'auteur, les chercheurs ont souvent cru que Shakespeare n'y était pour rien.

Néanmoins, il semble important de rappeler les paroles de John Heminge et

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211 Lins ERNE shakespeare et Ben Jonson face à la publication de leurs oeuvres

Henry Condell, amis et collègues de la même troupe que Shakespeare, qui se chargeaient de rassembler les textes sur la base desquels l'in folio fut imprimé.

Dans une épître ouvrant ce recueil, ils écrivent :

It had been a thing, we confess, worthy to have been wished, that the Author himself had lived to have set forth, and overseen his own writings ; but since it hath been ordained otherwise, and he by death departed from that right, we pray you do not envy his friends the office of their care and pain to have collected and published them. [Il aurait été souhaitable, nous en convenons, que l'auteur lui-même ait vécu suffisamment longtemps pour entreprendre et veiller

publication de ses propres écrits. Mais, puisqu'il en a été ordonné autrement et que ce droit lui a été retiré par la mort, nous vous prions de ne pas contester jalousement à ses amis la tâche scrupuleuse et pénible de les rassembler et de les publier.]

Bien des chercheurs, partant de l'idée que Shakespeare était de toute façon indifférent, voire opposé, à la publication de ses pièces, pensaient que ces paroles n'étaient que vaine rhétorique. Là encore, il va peut-être falloir se raviser. Comme l'éminent spécialiste Stanley Wells l'a récemment dit : « Nous ne savons pas à quel moment l'idée du premier in-folio est née, mais il semble bien possible que Shakespeare l'ait encouragée durant les dernières années de sa vie » 24. Wells ajoute qu'il semble significatif que les seuls collègues mentionnés dans le testament de Shakespeare soient Richard Burbage, mort en 1619, et John Heminges et Henry Condell, qui se chargeront de rassembler les pièces publiées dans le premier in-folio. Il semble donc tout à fait possible qu'à l'origine de l'in-folio de Shakespeare, comme de celui de Jonson, il y ait eu l'ambition de son auteur de voir publiée l'intégralité de ses oeuvres.

Pour conclure, rappelons que, si l'attitude de Jonson et de Shakespeare vis- à-vis de la publication de leurs textes dramatiques a été envisagée, pendant longtemps, de manière antinomique, le moment semble désormais venu pour souligner les parallèles, et non plus seulement les différences, entre les deux auteurs. Jonson et Shakespeare furent les deux premiers dramaturges dont des pièces de théâtre, écrites pour des représentations sur la scène publique, furent publiées dans des recueils et, de surcroît, dans des recueils impressionnants et prestigieux, au format in-folio. Dans le cas de Jonson aussi 24 « We do not know where the plan [for the First Folio] originated, but Shakespeare himself

may well have encouraged it in his last years ». La citation provient du « Foreword » de Stanley Wells, in Anthony James West, The Shakespeare First Folio : The History of the Book, Volume I, An Account of the First Folio Based on Its Sales and Prices, 1623-2000, Oxford University Press, 2001, p. V.

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bien que dans celui de Shakespeare, ce recueil fut publié une fois qu'un certain nombre de pièces avaient été publiées séparément, au format in-quarto. Les textes de Jonson, comme ceux de Shakespeare, nous offrent, non un texte tel que joué sur scène, mais un texte littéraire conçu pour des lecteurs — texte dont la longueur rendait souvent impossible la représentation dans son intégralité. Il est vrai que Jonson révolutionnait le statut et la visibilité de l'auteur dramatique et que Shakespeare n'était pas révolutionnaire dans son attitude face à la publication de ses oeuvres. Néanmoins, la naissance de l'auteur dramatique en Angleterre, à l'époque de la Renaissance, est étroitement liée à la publication des pièces de Jonson et de Shakespeare, et nous avons toute raison de croire que l'un et l'autre la promouvaient activement.

Université de Genève

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