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L’analyse interactionnelle comme levier de compréhension du caractère complexe et invisible du travail : le cas de l’éducation de la petite enfance

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Master

Reference

L'analyse interactionnelle comme levier de compréhension du caractère complexe et invisible du travail : le cas de l'éducation de la

petite enfance

WOLTER, Luna

Abstract

La présente recherche porte sur la problématique du manque de reconnaissance et de la pénibilité des métiers de service. Le principal objectif est de rendre visible la complexité du travail des professionnel.le.s, en étudiant le cas de l'éducation de la petite enfance. Nous recourons à la méthode de l'analyse interactionnelle pour examiner en détail quatre séquences filmées de situations d'interactions entre des parents, des enfants et des professionnel.le.s à l'occasion de départs en crèches afin de repérer les ressources et les stratégies mises en place.

WOLTER, Luna. L'analyse interactionnelle comme levier de compréhension du

caractère complexe et invisible du travail : le cas de l'éducation de la petite enfance. Master : Univ. Genève, 2020

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:150134

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L’ANALYSE INTERACTIONNELLE COMME LEVIER DE

COMPRÉHENSION DU CARACTÈRE COMPLEXE ET INVISIBLE DU TRAVAIL : LE CAS DE L’ÉDUCATION DE LA PETITE ENFANCE

MÉMOIRE RÉALISÉ EN VUE DE L’OBTENTION DE LA

MAÎTRISE UNIVERSITAIRE EN SCIENCES DE L’ÉDUCATION – FORMATION DES ADULTES (FA)

PAR Luna WOLTER

DIRECTEUR DU MÉMOIRE Laurent FILLIETTAZ

JURY

Stéphanie GARCIA France MERHAN Stefanie RIENZO Myriam PERRET

Genève, mars, 2020

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RÉSUMÉ

La présente recherche porte sur la problématique du manque de reconnaissance et de la pénibilité des métiers de service. Le principal objectif est de rendre visible la complexité du travail des professionnel.le.s, en étudiant le cas de l’éducation de la petite enfance. Nous recourons à la méthode de l'analyse interactionnelle pour examiner en détail quatre séquences filmées de situations d'interactions entre des parents, des enfants et des professionnel.le.s à l’occasion de départs en crèches afin de repérer les ressources et les stratégies mises en place.

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Déclaration sur l’honneur

Je déclare que les conditions de réalisation de ce travail de mémoire respectent la charte d’éthique et de déontologie de l’Université de Genève. Je suis bien l’auteure de ce texte et atteste que toute affirmation qu’il contient et qui n’est pas le fruit de ma réflexion personnelle est attribuée à sa source ; tout passage recopié d’une autre source est en outre placé entre guillemets.

Genève, le ………..………..

Prénom, Nom ………...………….………..

Signature ………..…………

(5)

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont contribué à la réalisation de mon mémoire de master.

J’aimerais dans un premier temps adresser mes meilleurs remerciements à mon directeur de mémoire, Monsieur Laurent Filliettaz pour son merveilleux encadrement, pour son soutien durant tout le processus de mon travail et pour ses précieux conseils qui ont alimenté et structuré ma réflexion.

Un remerciement également aux membres de l’équipe Interaction et formation et plus particulièrement à Madame Stéphanie Garcia et Madame Marianne Zogmal qui m’ont donné l’opportunité d’utiliser les données de leur projet et qui ont enrichi mes questionnements.

Ensuite, j’aimerais sincèrement remercier tous les professionnels de la petite enfance qui ont participé au projet FNS « Mobilisation et développement des compétences interactionnelles dans les relations professionnelles avec les parents : le contexte de l’éducation de l’enfance » dont découle mon mémoire, qui ont accepté de nous ouvrir les portes de leur quotidien.

Enfin, je remercie chaleureusement les membres de ma famille et mon entourage pour leur soutien et leurs encouragements pour la réalisation de mon mémoire. Merci à tous ceux qui ont su me motiver et me guider dans ce long processus qui annonce la fin de mes études.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... 1

REMERCIEMENTS ... 3

1. INTRODUCTION ... 6

1.1. TRAVAILLER AVEC DES USAGERS : LE CAS DE L’ÉDUCATION DE LA PETITE ENFANCE ... 6

1.2. DÉMARCHE DE RECHERCHE ... 10

2. CADRE THÉORIQUE ... 12

2.1. COURANT THÉORIQUE ... 12

2.1.1. La perspective interactionnelle ... 12

2.1.2. Les ressources audio-visuelles ... 14

2.2. LA COMPLEXITÉ DES INTERACTIONS ... 15

2.2.1. Les ressources sémiotiques ... 15

2.2.2. La dimension relationnelle des interactions ... 21

2.2.3. La multiactivité ... 25

3. PROBLÉMATIQUE ET QUESTIONS DE RECHERCHE ... 29

3.1. LA PROBLÉMATIQUE DE LA COMPLEXITÉ DU TRAVAIL DES ÉDUCATEURS DE LA PETITE ENFANCE ... 29

3.2. LES QUESTIONS DE RECHERCHE ... 30

3.2.1. Les ressources mobilisées lors de l’activité de retour ... 30

3.2.2. La gestion de l’activité de retour et de l’activité éducative ... 30

3.2.3. La gestion de plusieurs parents en même temps ... 31

4. DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE ... 32

4.1. CONTEXTE ... 32

4.1.1. Projet FNS ... 32

4.1.2. Données à disposition ... 33

4.1.3. Données choisies ... 34

4.2. IDENTIFICATION DES EXTRAITS DE RETOUR ... 35

4.3. TRANSCRITPION DÉTAILLÉE DES EXTRAITS ... 36

4.4. MÉTHODE D’ANALYSE DES EXTRAITS ... 38

5. ANALYSE ET PRÉSENTATION DES RÉSULTATS ... 39

5.1. ANALYSE DES SÉQUENCES DE RETOUR ... 39

5.1.1. Groupe des bébés (PaB-D08-S01) ... 39

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5.1.3. Groupe de moyens (PaM-D04-S03) ... 67

5.1.4. Groupe des grands (PaG-D12-S09) ... 79

5.2. SYNTHÈSE DES ANALYSES ET RÉPONSES AUX QUESTIONS DE RECHERCHE ... 92

5.2.1. Questions 1 ... 92

5.2.2. Question 2 ... 93

5.2.3. Question 3 ... 95

6. CONCLUSION DISCUSSION ... 96

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ... 101

ANNEXES ... 105

Annexe 1 : Transcription du groupe des bébés (PaB-D08-S01) ... 105

Annexe 2 : Transcription du groupe des petits (PaP-D02-S02) ... 112

Annexe 3 : Transcription du groupe des moyens (PaM-D04-S03) ... 118

Annexe 4 : Transcription du groupe des grands (PaG-D12-S09) ... 123

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1. INTRODUCTION

1.1. TRAVAILLER AVEC DES USAGERS : LE CAS DE L’ÉDUCATION DE LA PETITE ENFANCE

Depuis plusieurs années, la question de la santé au travail a pris de plus en plus d’importance.

Reconnaissant que le bien-être a une influence positive sur la productivité et sur la qualité des tâches effectuées (Lachmann, Larose & Pénicaud, 2010), de nombreuses recherches se sont intéressées à cette problématique et plus particulièrement à celle de la pénibilité liée à certains métiers (Dubois & Cornet, 2012 ; Baurin & Hindriks, 2019 ; Yilmaz, 2006 ; Fortino & Linhart, 2011). Les facteurs de cette pénibilité varient selon les environnements, les conditions et la nature des tâches incombées aux professionnel.le.s. Au départ, seuls les métiers liés à l’industrie, à la production et à la construction étaient reconnus comme pouvant être épuisants physiquement. Aujourd’hui, le sens commun reconnait que les métiers de services en lien avec la personne, également nommés les métiers du care, sont également des professions éprouvantes et épuisantes autant physiquement que psychologiquement. La notion de care peut être définie comme étant l’ensemble des activités « qui consistent à apporter une réponse concrète aux besoins des autres – travail domestique, de soins, d’éducation, de soutien ou d’assistance » (Molinier et al. 2009, p.11). Selon un rapport syndical genevois, quatre types de professions du care ont été identifiées comme présentant un haut niveau de pénibilité. Ce rapport relève le cas des aide-soignantes, des infirmières, des travailleurs sociaux et des éducateurs et éducatrice de la petite enfance. En plus de cette problématique, les métiers du care sont également confrontés à un manque évident de reconnaissance, ce qui engendre un sentiment de frustration, de démotivation et même de mal-être au travail pour les professionnel.le.s (Benelli & Modak, 2010). En effet, de nombreuses idées reçues telles que :

« cette infirmière est froide ou encore cette éducatrice est indifférente et peu aimante » circulent malheureusement aujourd’hui autour de ces métiers, ce qui accentue cette problématique.

La pénibilité et le manque de reconnaissance des métiers de service à la personne engendrent malheureusement de lourdes conséquences. Absentéisme, congés maladie prolongés, démissions, reconversions professionnelles, taux élevé de turnover et surtout, pénurie de professionnels qualifiés dans ces domaines, notamment dans celui des soins infirmiers. Ces questions sont donc aujourd’hui une réelle problématique sociale à laquelle de nombreuses recherches ont tenté de donner des réponses et des explications. Les métiers de services sont,

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par nature, particulièrement complexes. Il convient donc de dire quelques mots sur leurs spécificités afin de mieux comprendre les enjeux auxquels ces derniers sont confrontés de nos jours. Quels sont les ingrédients constitutifs de la pénibilité des métiers du care ? Qu’est-ce qui les rend si particuliers et quelles sont leurs caractéristiques ? Contrairement aux activités dites de production, les activités de services présentent souvent une complexité accrue qui se manifeste à travers différents aspects (Pastré, Mayen & Vernaud, 2006). Pour commencer, ces professions sont dites « discrétionnaires » (Pastré, 2007). Il faut comprendre par cela que l’accès aux résultats de leurs actions est souvent indirect et parfois même inaccessible, par opposition aux métiers de production où le résultat est directement observable et évaluable. Les activités de services en lien avec la personne produisent donc une obligation de résultat, mais les moyens pour les atteindre sont incertains (Pastré, 2011). En effet, il peut être compliqué pour les professionnel.le.s d’évaluer leur travail par la simple interprétation des comportements et des réactions des personnes dont ils s’occupent. Les retours peuvent être satisfaisants du point de vue de la procédure et de la hiérarchie, mais pas du point de vue des bénéficiaires, ou l’inverse.

Il est donc difficile pour les professionnel.le.s du care d’être sûr des effets de leur travail, ce qui peut être une source de stress et d’incertitude.

Deuxièmement, les activités en lien avec les métiers de services ont souvent tendance à ressembler à certains actes ordinaires appartenant à tout le monde. Changer des couches, jouer avec des enfants et les occuper, donner à manger et prendre soin d’une personne, mettre en place des activités. La liste est longue. C’est probablement la nature de ces tâches et l’ignorance de leur complexité qui amènent les individus externes à penser que ces professions ne nécessitent pas un haut niveau de formation. En revanche, ces métiers nécessitent un niveau élevé de compétences de nature différente. Ces dernières doivent à la fois recouvrir des aspects techniques et théoriques (gestes médicaux, procédures, etc..), mais également et surtout des aspects relationnels, indispensables à la réussite et à l’efficacité de leur métier. Les compétences, propres à ces métiers, sont plus difficiles à appréhender, car elles sont fréquemment considérées comme « naturelles » et liées à des caractéristiques personnelles (Filliettaz & Zogmal, à paraître).

Ces compétences pluridisciplinaires participent également au caractère complexe et particulier de ces métiers. De plus, une abondante littérature démontre aujourd’hui que la part langagière du travail, et des métiers du care en l’occurrence, est une composante indispensable à la production de connaissance et à la bonne conduite des tâches (Boutet, 2008 ; Cerf & Falzon,

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2006 ; Piot, 2005 ; Vinatier 2013 ; Vinatier, Filliettaz & Laforest, 2018). Historiquement, la parole au travail n’a pas toujours été considérée comme une ressource. À ce propos, Boutet (2001) nous rappelle qu’au sein des organisations tayloriennes « parler et travailler sont considérées comme des activités antagonistes. Parler fait perdre du temps, distrait, empêche de se concentrer sur les gestes à accomplir. La parole est donc explicitement interdite dans les ateliers et sanctionnée » (p.58). Cette perspective n’est évidemment plus d’actualité, surtout dans les métiers du care, où il est aujourd’hui reconnu que la parole et l’interaction font partie du travail de relation d’aide et de soin à autrui. En effet, lors de leurs activités, les professionnel.le.s du care sont amené.e.s à interagir avec différents interlocuteurs, comme les personnes dont ils s’occupent, les proches, leurs collègues ou encore leur hiérarchie. À ce sujet, Pastré (2001) affirme que « dans les activités de service au sens large, l’essentiel de l’action est d’ordre langagier. Plus exactement, on a affaire à une co-activité de nature diagonale, dans laquelle un professionnel interagit avec un ou plusieurs interlocuteurs » (p.202). De nombreuses recherches se sont intéressées à la part langagière du travail afin de comprendre son fonctionnement et ses apports. Les différents éléments caractéristiques des métiers du care cités ci-dessus nous mènent à appréhender ces professions comme étant beaucoup plus complexes que ce que nous laisse penser le sens commun.

Comme son nom l’indique, la présente recherche s’intéresse à la complexité du travail des éducateurs et éducatrices de la petite enfance. En effet, comme pour de nombreux autres métiers de service, cette profession se heurte ces dernières années à de multiples contraintes humaines et matérielles. Les enfants sont de plus en plus nombreux alors que les ressources, elles, n’augmentent pas. Les professionnel.le.s doivent donc faire face à ces contraintes grandissantes, génératrices de stress et de mal-être. De plus, les crèches sont des environnements de vie particulièrement stimulants autant pour les enfants que pour les adultes.

Le bruit ambiant et les sollicitations constantes participent également à la complexité de leur travail. Selon les observations des psychologues, les sources de souffrance des éducateurs et éducatrices de la petite enfance sont diverses. Elles résultent à la fois de la pénibilité de leur métier, des contraintes humaines et matérielles, du manque de valorisation et de reconnaissance ainsi que de la complexité des relations avec les parents. C’est sur ce dernier point que la recherche va s’orienter.

En effet, comme pour la plupart des métiers du care, le métier des éducateurs et des éducatrices

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pratique professionnelle présente un caractère invisible et difficilement appréhendable par les individus externes. Les savoir-faire sont « discrets » dans la mesure où les méthodes utilisées pour parvenir aux résultats ne doivent pas être rendues visibles auprès des bénéficiaires (Molinier, 2006). La deuxième caractéristique participant à la complexité de leur métier est le fait que ces derniers sont amenés à interagir avec une pluralité d’acteurs (Filliettaz et Zogmal, à paraître). Tout d’abord les enfants, mais également les parents et les collectifs de travail. Leur métier présente donc une dimension collective au cours de laquelle « il s’agit d’accueillir un enfant, tout en discutant avec ses parents et en se coordonnant dans l’équipe » (Filliettaz &

Zogmal, à paraître, p.16). De plus, les situations auxquelles les professionnel.le.s sont confronté.e.s présentent un caractère fluctuant et imprévisible. Une situation ne se reproduira jamais de la même manière, ce qui les amène à devoir constamment adapter leurs actions et leurs méthodes en fonction des situations. Ceci contribue donc également au fait que les compétences professionnelles des éducateurs et des éducatrices de la petite enfance sont difficilement repérables.

Un autre ingrédient de la complexité de la part langagière du travail des éducateurs et éducatrices de la petite enfance réside dans le travail auprès des parents. En effet, comme mentionné précédemment, dans leurs activités, les professionnel.le.s sont amené.e.s à interagir avec une pluralité d’acteurs, dont les parents. Depuis plusieurs années, l’accompagnement et le partenariat avec les parents sont considérés comme une part indispensable et intégrante du métier (Bonabesse & Blanc, 2013). Cette compétence est d’ailleurs aujourd’hui un prérequis et est intégrée au programme de formation. En effet, le plan d’étude cadre (PEC) qui régit le diplôme d’études supérieures des éducatrices et éducateurs de la petite enfance (PEC, 2015) stipule que ces derniers doivent « collaborer avec les familles et accompagner la parentalité »,

« répondre aux besoins et demandes des familles » et « retransmettre des informations aux parents » (p. 14). Ce partenariat, devenu une exigence, est désormais reconnu comme étant une composante essentielle de la qualité de la prise en charge éducative (Bonnabesse & Blanc, 2013 ; Rayna, Bouve & Moisset, 2009). Le travail des éducateurs et éducatrices s’est donc largement complexifié ces dernières années, passant d’un modèle centré principalement sur les enfants à un modèle qui « inclut l’enfant dans son contexte plus généralement parental, familial et culturel » (Filliettaz, 2018).

Ce travail de partenariat n’est en revanche pas évident et présente de nombreuses difficultés et obstacles dont voici quelques exemples. Le caractère imprévisible et incertain des rencontres

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entre les professionnel.le.s et les parents (Chatelain-Gobron, 2014), la diversité des formes relationnelles (Bouve, 2014), les tensions relationnelles liées aux rapports de pouvoirs qui peuvent prendre place entre les parents et les professionnel.le.s (Bouve 1999) et la place de l’enfant dans les rencontres avec les parents (Ulmann, Betton & Jobert, 2011). Nous l’aurons compris, bien qu’indispensable à l’activité du métier de l’éducation de la petite enfance, le travail auprès des parents rajoute de la difficulté et de la complexité aux tâches et aux activités des professionnel.le.s.

Appréhender et comprendre cette part du métier n’est pas une tâche facile. Cependant, au regard des difficultés que rencontrent les éducateurs et éducatrices de la petite enfance de nos jours (manque de reconnaissance), rendre visibles leurs activités auprès des parents pourrait être un bon moyen d’y remédier. En effet, comme expliqué précédemment, l’une des sources des problématiques que rencontrent ces professionnel.le.s est due au fait que la complexité de leurs activités et leurs tâches sont méconnues et qu’elles peuvent présenter un caractère invisible aux yeux des individus externes.

1.2. DÉMARCHE DE RECHERCHE

« Si la complexité du travail semble une évidence pour les professionnelles confrontées à un groupe d’enfants dans un contexte institutionnel, cette complexité reste cependant peu explicitée. Elle manque de visibilité et, de manière générale, de reconnaissance politique et sociale. » (Zogmal, Trébert, Filliettaz, 2013, p.79).

La présente recherche s’inscrit donc dans ce contexte, et cherche à comprendre et à décrire ce métier en faisant ressortir sa complexité. Pour des raisons d’accessibilité aux données, dont il sera fait mention plus tard et dans la continuité d’un mémoire effectué en 2016 sur la thématique de la relation entre parents et éducateurs et éducatrice de l’enfance (Garcia, 2016), ce travail va s’intéresser aux interactions entre ces deux protagonistes. En effet, ces échanges faisant aujourd’hui partie intégrante de la profession, il a semblé intéressant d’étudier ces interactions dans le but d’en faire ressortir leur complexité et leur caractère invisible. Nous avons comme ambition de rendre visibles les multiples contraintes auxquelles les professionnel.le.s de la petite enfance sont soumis.es, de montrer la complexité des situations et la pluralité des ressources qu’ils mobilisent quotidiennement. Mais comment rendre compte de la complexité de leur métier ? Comment rendre ces actions, immergées d’idées reçues, visibles ? Nous avons

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utilisé une méthode d’observation particulière, celle de la démarche interactionnelle, qui nous a permis de comprendre et d’analyser des moments d’interaction entre les parents et les professionnel.le.s de la petite enfance.

Pour tenter de mettre en lumière cette complexité, nous avons choisi une démarche de terrain, basée sur l’observation. La démarche interactionnelle consiste, en quelques mots, à étudier de manière précise le fonctionnement d’une interaction entre un ou plusieurs interlocuteurs. Cette approche sera longuement définie ultérieurement, mais il convient tout de même de dire quelques mots sur le choix de cette méthode pour répondre aux objectifs de cette recherche. En effet, comme expliqué précédemment, l’une des spécificités des métiers du care et plus particulièrement du métier d’éducateur.trice, est celle de la part langagière. Selon cette composante faisant partie intégrante de cette profession, il a semblé opportun et pertinent de l’exploiter afin de comprendre la complexité d’une partie du travail des professionnel.le.s.

Analyser en profondeur les interactions entre les éducateurs et éducatrices et les parents, permettra de rendre visible ce qui est invisible pour les individus non concernés et ainsi, de reconnaitre et de comprendre la complexité d’une des parts de leur métier. De plus, la perspective interactionnelle soutient que les interactions reposent sur le principe de la coordination entre les participants. En effet, comme cela sera expliqué par la suite, les individus co-construisent les situations grâce aux interactions, ce qui leur permet de se comprendre et de s’adapter. L’analyse interactionnelle nous permet donc de comprendre ces phénomènes en nous donnant des outils descriptifs utiles à la description de la complexité de ce métier.

Ce travail de Mémoire suivra le déroulement suivant. Pour commencer, nous allons nous intéresser à la définition de la perspective interactionnelle et de ses différentes composantes, ce qui constituera l’intégralité du cadre théorique. En effet, l’un des buts de ce travail est de montrer la pertinence de cette méthode de recherche dans les situations d’analyse et de compréhension des activités professionnelles, c’est pourquoi elle sera longuement discutée.

Nous formulerons par la suite la problématique centrale de cette recherche et les questions de recherche qui en découlent. La méthodologie d’analyse et les données choisies seront ensuite décrites ce qui nous permettra de passer à la partie empirique du travail. Nous analyserons finement quatre extraits vidéo qui ont été retranscrits de manière précise et nous les analyserons selon les composantes de l’analyse interactionnelle. Pour terminer, nous répondrons aux questions de recherches, discuterons les résultats observés dans une partie conclusive et proposerons des pistes de prolongement en lien avec nos réflexions.

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2. CADRE THÉORIQUE

2.1. COURANT THÉORIQUE

2.1.1. La perspective interactionnelle

Observer la part du travail des éducateurs et éducatrices de la petite enfance dans leur relation avec les parents constitue une tâche complexe. Plusieurs perspectives d’analyse appartenant au champ des sciences de l’éducation semblent alors possibles. En revanche, c’est celle de l’analyse interactionnelle qui a été retenue. En effet, il semble que celle-ci soit la plus adéquate pour comprendre en profondeur la complexité et les conditions d’accomplissement de cette relation. La relation est, selon le sens commun, définie comme étant l’ensemble des rapports et des liens qui existent entre deux ou plusieurs personnes. Elle implique également souvent une forme de communication pouvant se manifester au travers de modes verbaux ou non verbaux.

Ce mode d’échange est ce que Goffman (1973, 1974) appelle l’interaction. Selon cet auteur, l’interaction correspond à un processus « d’influence réciproque que les partenaires exercent sur leurs actions respectives » (p.23). Cette définition fortement influencée par le courant sociologique laisse malheureusement de côté la part langagière des interactions. En effet, selon Goffman, l’interaction correspond aux rencontres sociales de manière générale, ce qui nous amène à redéfinir la notion d’interaction verbale de manière plus précise.

Toujours en lien avec les théories de Goffman (1973) au sujet des processus d’influence réciproque, l’interaction verbale prend également place dans un processus actionnel. Autrement dit, lorsque des participants interagissent entre eux, cela signifie qu’ils sont engagés dans une action. L’interaction verbale « implique nécessairement une orientation vers des enjeux partagés et distingués parmi les participants » (Filliettaz, 2018, p. 15). Cette notion d’engagement réciproque suppose également une certaine forme d’ajustement, d’intercompréhension ou de « coordination » (Clark, 1996). Il a été démontré par plusieurs chercheurs que la coordination de l’attention conjointe était un élément essentiel pour qu’une communication entre deux ou plusieurs individus puisse être un succès (Brown-Schmidt, Campana & Tanenhaus, 2004 ; Clark, 1996 ; Clark & Krych, 2004). Il y a donc une forme d’interprétation de la part des participants qui prend place dans l’interaction et qui les incite à

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les contenus qu’ils essaient de transmettre porteurs de sens et de signification. Cela renvoie également à une forme d’intentionnalité de l’action. En résumé, les processus de coordination prennent place lorsque qu’un individu rend manifestes ses intentions et que ces dernières sont reconnues ou non par l’autre participant.

Un autre élément constitutif des interactions verbales repose sur les thèses avancées par l’ethnométhodologie selon lesquelles les individus engagés dans une action collective sont confrontés à des problèmes pratiques (Garfinkel, 2007). Les participants sont donc amenés à résoudre ces problèmes en mobilisant des ressources leur permettant de se coordonner les uns aux autres et en produisant des actions qu’ils tentent de rendre visibles. Ces actions engendrent des réponses une fois qu’elles ont été comprises et interprétées. C’est ce que Filliettaz (2018) appelle l’ordre temporel et séquentiel des interactions. En effet, lors d’une conversation ordinaire, il n’est pas rare d’observer une forme d’alternance entre les tours de parole (Traverso, 2016). Les échanges se co-construisent donc selon une forme ordonnée et mutuellement partagée. Il n’est d’ailleurs pas rare d’observer que les interactions répétées s’organisent sous la forme d’un script.

En résumé, trois ingrédients principaux entrent en jeu lors d’une interaction verbale.

Premièrement, les participants sont engagés dans l’action avec une certaine intentionnalité : deuxièmement, les participants se coordonnent entre eux afin de se comprendre : et enfin troisièmement, l’interaction verbale se déroule selon un ordre séquentiellement ordonné.

L’analyse interactionnelle appartient donc aux types de recherches s’inscrivant dans une démarche ethnographique qui « est une méthode de la science de l’anthropologie dont l’objet est l’étude descriptive et analytique, sur le terrain, des mœurs et des coutumes de population déterminées. » (Diap Sall, 2018, p. 141). Elle permet également de rendre compte de la complexité d’un système, car il s’agit d’une approche de terrain, c’est-à-dire une approche à travers laquelle le chercheur est amené à se déplacer sur les lieux. Cela permet donc d’avoir une vision et une compréhension très proche de la réalité où l’interprétation n’a que peu de place.

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2.1.2. Les ressources audio-visuelles

Il existe différents outils de récoltes de données pour les recherches appartenant au courant ethnographique. Selon les premiers auteurs qui se sont intéressés à cette approche, l’analyse ethnographique a pour but de rendre compte de la réalité en décrivant les faits le plus précisément possible (Durkheim, 1912 ; Mauss, 1947 ; Griaule, 1957). Plusieurs méthodes de recueil de données permettent alors de poursuivre cet objectif en collectant et en construisant des traces de l’activité rencontrée sur les terrains. Les recherches dans le domaine des sciences de l’éducation peuvent souvent avoir recourt à l’observation participante (Lapassade, 2011), à l’observation non participante, à la tenue d’un journal de bord, à l’introspection ou encore à la prise de photographies ou des données audiovisuelles. C’est cette dernière méthode qui a été retenue pour ce travail dont l’objectif est : « de filmer pour observer et non d’observer pour filmer » (Lebtahi, Zetlaoui & Gantier, 2013).

En effet, ce type de recueil de données, aussi appelé la vidéo-ethnographie, est propre au champ de l’analyse interactionnelle et est très avantageux pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il permet au chercheur de ne pas être présent au moment de la récolte. De ce fait, sa présence ne perturbera en rien le déroulement des situations observées. Puis, cette méthode permet également de pouvoir revenir sur les éléments après coup et de découvrir des détails qui auraient pu échapper aux observations du chercheur s’il avait utilisé une autre technique de recueil. La vidéo capte tout ce qui se passe (dans son champ de capture), et renseigne non seulement sur les propos verbaux échangés, mais également sur les aspects non verbaux, sur lesquels nous reviendrons plus tard. De plus, les enregistrements audiovisuels permettent d’effectuer par la suite une analyse fine des comportements et du « caractère dynamique et temporel des interactions observées » (Filliettaz, 2018, p. 37) et ainsi de comprendre les processus de coordination qui prend place entre les différents participants. Un dernier avantage réside dans le fait que la vidéo permet d’obtenir plusieurs angles de vue d’une seule situation en plaçant deux ou trois caméras dans un espace défini. Le chercheur pourra alors avoir une vision globale et complète des évènements, ce qui n’est pas possible en utilisant d’autres méthodes d’observation plus traditionnelles.

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En revanche, comme toute méthode de recueil de données, cette dernière présente tout de même des limites et des biais dont il faut être conscient. Premièrement, la connaissance de la présence des caméras peut avoir un impact sur les comportements des participants. En effet, ces derniers peuvent agir par complaisance, ce qui correspond selon la définition du Larousse, au fait d’agir en cherchant à faire plaisir et en s’adaptant aux goûts et aux désirs de quelqu’un, ou du chercheur en l’occurrence. Une deuxième limite réside dans le fait que les enregistrements, même s’ils sont récoltés à l’aide de plusieurs caméras, n’offrent qu’un certain point de vue de la situation. En effet, le chercheur les positionnera selon un angle qui lui semble opportun, ce qui fait que tous les éléments hors cadre ne pourront donc pas être pris en compte. Une autre problématique est celle relative au temps, dans la mesure où les séquences filmées ne permettent pas de rendre compte de ce qu’il s’est passé avant et après. Pour finir, le dernier désavantage de la vidéo-ethnographie est qu’elle ne donne pas accès aux motifs d’action, aux pensées et aux réflexions relatives à la situation (Filliettaz, 2018, p. 39). Mais malgré ces quelques limites, cette méthode propre à l’analyse interactionnelle permettra de donner de nombreux éléments de réponse aux questions de recherche et ainsi de décrire la complexité des interactions entre les professionnel.le.s de la petite enfance et les parents.

2.2. LA COMPLEXITÉ DES INTERACTIONS

L’analyse interactionnelle telle qu’elle a été décrite ci-dessus permet donc, au travers de données audio-vidéo, de comprendre en profondeur la complexité du travail des éducateurs et des éducatrices dans leur relation avec les parents. Comme expliqué précédemment, l’analyse des interactions verbales permet de comprendre les processus de coordination que les participants mettent en place par le biais de différentes ressources. Les éléments suivants seront pris en compte lors de la partie empirique ; les ressources multimodales, les cadres participatifs, les modes d’adressage et les différents régimes de la multiactivité.

2.2.1. Les ressources sémiotiques

L’interaction entre plusieurs participants ne se fait pas de manière directe et immédiate. Elle se fait par le biais de différentes ressources que Filliettaz (2018) appelle les modes sémiotiques.

Ces derniers participent à la création d’un mode de communication mutuellement partagé,

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interprété, coordonné et séquentiellement ordonné. La sémiotique est définie comme étant un système de signes qui permet aux individus de communiquer entre eux. En effet, la communication est un comportement humain complexe, ne se limitant pas à des actes verbaux.

« Le matériel comportemental ultime est fait des regards, des gestes, des postures et des énoncés verbaux que chacun ne cesse d’injecter, intentionnellement ou non, dans la situation où il se trouve » (Goffman, 1974, p. 7).

En lien avec cette citation, plusieurs modes sémiotiques, faisant partie intégrante de l’interaction, ont alors pu être définis. Parmi eux se trouvent les modes verbaux, les modes para- verbaux et les modes non verbaux.

2.2.1.1. Les modes verbaux

Une première ressource utilisée lors d’une interaction dans le but de rendre les contenus échangés porteurs de signification, est le système linguistique lui-même, autrement dit, la parole. Trois systèmes sont généralement présents et interconnectés dans le langage (Filliettaz, 2018). Le premier est le système phonologique dont l’analyse représente, selon la littérature, un des enjeux de la linguistique moderne (Durand, Laks & Lyche, 2002). La phonologie est une branche de la linguistique qui s’intéresse à l’organisation des sons d’une langue. Le deuxième système s’intéresse au lexique mobilisé par les participants. En effet, il n’est pas rare de constater que les individus ont tendance à adapter leur vocabulaire en fonction des situations dans lesquels ils se trouvent. On parle d’ailleurs de vocabulaire spécifique dans les contextes professionnels. Le contexte de la petite enfance possède lui aussi une collection de mots spécifiques que nous retrouvons lors des interactions entre les professionnel.le.s et les parents.

Le dernier système appartenant au mode verbal, est le système syntaxique qui s’intéresse à la production des phrases reconnues comme grammaticales et à l’enchaînement des mots. L’étude de ces trois systèmes permet de comprendre le sujet dont il est question, mais à elle seule, elle ne permet pas de comprendre la fabrication de signification dans les interactions. Pour cela, il faut s’intéresser à d’autres modes, qui découlent du mode verbal et qui lui sont étroitement liés.

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2.2.1.2. Les modes para-verbaux ou vocaux

Les modes para-verbaux, ou autrement nommés, les modes vocaux, correspondent à des aspects de la parole qui ne peuvent communément pas être écrits. Le siège de ces modes est la prosodie qui correspond à l’ensemble des propriétés vocales et orales du langage.

« La prosodie (…) est couramment définie comme le champ d’étude d’un ensemble de phénomènes, tels que l’accent, le rythme, les tons, l’intonation, la quantité, les pauses et le tempo, qui constituent ce qu’il est convenu d’appeler les éléments prosodiques (…) du langage » (Di Cristo, 2013, p. 2).

Parmi ces propriétés, nous en retiendrons quatre qui sont ; l’intonation, l’accentuation, le rythme et les pauses. Ces éléments constitutifs du langage sont très intéressants à étudier et à analyser, car ils permettent au chercheur de comprendre en partie les méthodes mises en place par les participants d’une interaction.

L’usage et la manipulation des différentes intonations permettent aux participants de créer des variations de la hauteur de leur voix, dans le but de mieux appréhender et interpréter le sens de ce qui est échangé (Di Cristo, 2013) et d’organiser et de hiérarchiser les informations (Rossi, 2001). Dans le cadre de l’analyse interactionnelle, ces phénomènes vocaux peuvent être représentés dans les transcriptions selon le symbole « / » lorsque l’intonation est montante, et selon le symbole « \ » lorsque l’intonation est descendante (nous y reviendrons plus tard). Cette représentation permet au lecteur de voir à quels moments les participants varient la hauteur de leur voix durant les interactions. En règle générale, une intonation montante est observée à la fin des phrases ayant pris la tournure d’une question. Elle permet également aux participants d’ouvrir l’interaction et de laisser place au jeu des tours de parole. L’intonation descendante en revanche contribue généralement à des micro-conclusions, symbolisant la fin d’un des tours de parole.

Selon le linguiste Albert Di Cristo (2013), les phénomènes d’accentuation peuvent être étudiés selon plusieurs prismes. En revanche, dans ce travail, nous nous intéresserons aux phénomènes de l’accentuation en lien avec une ou plusieurs unités de la chaîne linguistique. Deux degrés d’accentuation peuvent alors être identifiés. L’accentuation primaire, qui frappe la dernière syllabe, et l’accentuation secondaire, qui est généralement attribuée à la première et/ou à la

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deuxième syllabe. L’existence d’une ou de plusieurs accentuations sur un mot permet aux participants de marquer une insistance particulière. Les transcriptions respectant les conventions propres à l’analyse interactionnelle permettent de rendre compte de ces phénomènes. Lorsqu’un participant prononce un mot ou une partie de mot avec une intonation plus forte, le mot ou la partie du mot sera alors écrit en lettre majuscule.

Le rythme est également une composante vocale du langage. Les participants peuvent, au cours d’une interaction, varier la temporalité de leur parole entre des temps faibles, correspondant à des syllabes inaccentuées et des temps forts, correspondant au contraire, à des syllabes accentuées (Di Cristo, 2013). En d’autres termes, le rythme peut être défini selon cet auteur comme étant une forme d’alternance entre les différentes accentuations des mots. La notion de pause peut également être associée à celle du rythme. Les pauses permettent aux participants de marquer des arrêts de durées variables ce qui ajoute une dynamique temporelle et rythmique à l’interaction. Ces phénomènes de pause peuvent être symbolisés dans les transcriptions selon le symbole « . », dont chaque point correspond à une seconde.

2.2.1.3. Les modes non verbaux

Comme expliqué précédemment, l’analyse interactionnelle s’intéresse à tous les éléments participant à la construction de signification d’une interaction. Après avoir défini les modes verbaux et para-verbaux, il convient désormais de parler des modes non verbaux. Parmi eux, nous allons nous intéresser à trois modes qui sont ; le mode corporel, le mode gestuel et le mode matériel.

Le mode corporel est omniprésent dans les interactions. Les participants utilisent, volontairement ou non, des ressources corporelles parallèlement à leurs ressources verbales et para-verbales, dans le but de générer de la signification. Ces comportements sont divers et variés, mais nous n’en retiendrons que quatre. Il s’agit de la proxémie, de l’orientation, des regards et des expressions faciales. La proxémique correspond aux distances uniformes que les individus entretiennent avec leurs semblables et à la manière dont ces derniers se placent dans l’espace (Hall, 1963,1971). Les participants d’une interaction ont en effet tendance à modifier et à adapter leur rapport proxémique avec les individus, en fonction des situations dans lesquelles ils se trouvent. Hall (1978) décrit également plusieurs niveaux de proxémie qui sont ;

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la distance personnelle, que l’on retrouve généralement dans la sphère privée, la distance sociale et enfin la distance publique. L’étude de la proxémie et donc du positionnement des individus dans l’espace, renseigne également sur les modifications dynamiques apportées à ces emplacements au cours des interactions (Filliettaz, 2018). L’orientation des corps dans l’espace est en lien avec la définition de la proxémie, dans la mesure où les participants peuvent être amenés à changer la direction de leur corps, dans le but de faire évoluer l’interaction.

L’orientation des regards est également une ressource utilisée par les participants qui leur permet d’organiser leur rapport visuel avec l’environnement dans lequel ils évoluent. Les changements de regard constituent un élément très intéressant dans la mesure où ils participent à la production de signification et aux processus de coordination (Filliettaz, 2018). Pour terminer, les expressions faciales peuvent également être une ressource mobilisée par les individus pour donner plus d’importance et plus de clarté à ce qui est échangé. Il n’est d’ailleurs pas rare d’observer des phénomènes de théâtralisation ou d’exagération des expressions, qui caricaturent les dires et qui leur donnent ainsi plus de sens.

Le mode gestuel est une autre ressource permettant de comprendre de quelle manière les individus utilisent leur corps dans les interactions. Les gestes participent également à une forme de mise en visibilité des savoirs (Filliettaz, 2018). Nous retiendrons trois composantes de ce mode qui sont les gestes symboliques, les gestes indexicaux et les gestes iconiques. Les gestes symboliques interviennent lors des interactions, dans le but donner une signification indépendante au discours (De Fornel, 1993). Ces derniers sont généralement interprétables selon une certaine convention sociale, comme par exemple le fait de lever le pouce qui, dans nos sociétés occidentales, correspond à un signe d’acquiescement ou de validation. D’autres gestes symboliques véhiculent une signification relative à une catégorie à laquelle les participants font référence, et prennent davantage la forme de mimes. À l’intérieur de cette seconde catégorie de gestes, nous pouvons également classer celle des gestes iconiques. En effet ces derniers peuvent s’apparenter à des mimes représentant des objets ou des actions. Ils sont souvent utilisés auprès de jeunes enfants ou de personnes ne comprenant pas la langue parlée. Pour terminer, les gestes indexicaux correspondent à des mouvements de pointage, orientés en direction d’objets, de personnes ou de lieux. Ces derniers sont généralement synchronisés avec la parole et peuvent se manifester avec d’autres parties du corps que les doigts, comme la tête par exemple (Filliettaz, 2018). Ces gestes peuvent également avoir une fonction de coordination des tours de parole dans une interaction (Mondada, 2004). Dans les transcriptions utilisées pour l’analyse interactionnelle, il est possible de faire figurer ces

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mouvements à l’aide de captures d’écrans incorporées au texte, ou à l’aide de transcriptions multimodales (nous y reviendrons plus tard).

La dernière catégorie de ressources sémiotique pouvant prendre place dans les interactions est le mode matériel. L’usage d’objets au cours d’une interaction est très fréquent dans les situations de formation. En effet, il n’est pas rare de voir un formateur ou un tuteur accompagner ses explications de notes, de schéma ou d’écrits d’autres types. L’environnement matériel peut également être une ressource dans d’autres situations comme celle des interactions entre les éducateurs et éducatrices et les parents. Ces objets peuvent être de différente nature. Dans les contextes d’apprentissage, on aura plutôt tendance à observer des situations où les objets sont manipulés, observés, touchés ou encore écoutés (Koschmann, et al., 2007 ; Mondémé, 2014 ; Streeck & Kallmeyer, 2001). Ils servent ainsi de source d’expérience et de construction de savoirs. En revanche, dans des situations similaires à celles observées dans le présent travail, nous nous intéresserons davantage à la manipulation d’objets symboliques (Filliettaz, 2018).

Les objets symboliques sont utilisés à des fins de représentation d’éléments de la réalité. Ils peuvent également servir de support pour trouver des informations et pour soutenir les contenus transmis ou échangés.

Le tableau ci-dessous recense toutes les ressources des différents modes sémiotiques définis plus haut. Au cours d’une interaction, les participants peuvent donc être amenés à mobiliser plusieurs de ces ressources simultanément ou alternativement, dans le but de donner de la signification et de coordonner les échanges. C’est ce que Filliettaz appelle les ressources multimodales. L’étude de ces indicateurs permet au chercheur de mieux comprendre la complexité des interactions et le caractère caché du travail des participants.

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Les ressources sémiotiques

2.2.2. La dimension relationnelle des interactions

Nous avons vu jusqu’à présent qu’une des composantes de la complexité des interactions était la multimodalité des ressources utilisées. Mais interagir implique également le fait d’entrer en relation avec des partenaires, ce qui nécessite une prise de position de leur part. Selon les sociologues et anthropologues, les relations sociales sont médiatisées par les positions ou les rôles que les participants endossent, en fonction des situations. La littérature distingue trois différents types d’endossements des rôles. Le premier est celui des rôles sociaux qui, selon Vion (2000), est défini comme étant un statut à caractère stable, pouvant prendre place dans des situations sociales. L’attribution des statuts peut dépendre des attributs biologiques, comme le genre ou l’âge (Flahoult, 1978), mais il peut également dépendre d’autres critères, comme la qualification, le métier, etc… (Vion, 2000). Les rôles sociaux ne dépendent donc pas de la situation, car ils sont préalablement définis. En revanche, les rôles praxéologiques se créent en fonction des actions liées à la situation, et renvoient au fait que les participants ont des droits et des obligations (Filliettaz, 2018). Ces rôles sont donc dynamiques et peuvent évoluer en fonction de la situation dans laquelle se trouvent les participants. Le dernier type de rôle est

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celui des rôles communicationnels. Ces derniers renvoient aux « conditions dans lesquelles les participants accèdent à des espaces de communication » (Filliettaz, 2018, p.115). Dans cette perspective, les travaux de Goffman (1979) nous permettent de mieux comprendre les différentes positions que peuvent occuper les participants. C’est ce qu’il a appelé les cadres participatifs. Goffman (1979) complexifie et détaille davantage les deux positions ordinairement décrites par les théories de la communication qui sont ; les locuteurs et les auditeurs. Il affirme également qu’il existe une diversité de manières dont la parole peut être reçue en fonction de la position qu’occupent les participants.

2.2.2.1. Les cadres participatifs

Les locuteurs sont les participants qui initient, et qui rythment l’interaction. Ce sont généralement eux qui posent les questions et qui décident à quel moment elle commence et se termine. Selon l’étymologie, les locuteurs sont ceux qui parlent alors que les auditeurs sont ceux qui écoutent. En revanche, selon Goffman, les auditeurs, également appelés les destinataires, peuvent occuper d’autres postures que celle d’un simple auditeur passif. Il distingue d’ailleurs deux types de positions. Il y a les destinataires ratifiés et les tiers. La première catégorie correspond aux personnes auxquels le locuteur s’adresse alors que la deuxième correspond aux individus qui assistent à l’interaction, mais qui n’y participent pas.

Parmi les destinataires ratifiés, Goffman propose deux différents cas de figure. Dans un premier cas, les destinataires sont explicitement désignés comme étant les personnes auxquelles on s’adresse. Il s’agit des destinataires désignés. Dans le deuxième cas, les destinataires ne sont pas spécifiquement désignés, mais prennent tout de même la décision de répondre au locuteur.

C’est ce que Goffman appelle les destinataires non désignés. On retrouve par exemple ce cas de figure lorsqu’une personne pose une question à un groupe de personnes, sans s’adresser à qui que ce soit en particulier, et que l’une d’elles prend alors le rôle de destinataire désigné en répondant spontanément. Parmi les tiers, Goffman distingue également deux postures. Certains tiers sont perçus par les autres participants comme des témoins perçus, ou eavesdroppers en anglais, et gardent cette position en n’intervenant pas à l’interaction alors que d’autres écoutent les échanges à l’insu des participants, et se tiennent prêts à passer de tiers, à destinataire non désigné, en intervenant. Goffman les nomme les épieurs ou overhearers en anglais. Le schéma ci-dessous récapitule les différentes positions que les individus peuvent endosser au cours d’une interaction.

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Les postures des cadres participatifs

Goffman invite à considérer ces postures comme étant dynamiques et comme pouvant changer au cours des interactions. En effet, un individu ayant pris la position de locuteur au début de l’interaction sera peut-être plus tard, un auditeur. Un tiers peut également devenir un destinataire non désigné, s’il décide de prendre la parole. Étudier les dynamiques de participation renseigne également sur la complexité des interactions et des situations de travail.

Les cadres participatifs amènent de ce fait à se questionner sur les enjeux d’adressages.

2.2.2.2. Les modes d’adressage

À travers l’étude des cadres participatifs, et donc de l’identification des statuts des participants, il semble aisé de reconnaitre à qui s’adressent ces derniers. En revanche, il peut arriver que le locuteur use de certaines stratégies pour s’adresser indirectement à une autre personne que le destinataire désigné. Nous avons donc pu identifier trois différents types d’adressage qui sont : l’adressage direct, l’adressage indirect et le double adressage.

L’adressage direct est la forme la plus observée et la plus courante des situations d’interaction.

Il s’agit d’un échange entre un locuteur et un auditeur ne passant par aucun détour. En d’autres termes, l’auditeur, le destinataire désigné est la cible directe du locuteur. L’interaction circule donc uniquement entre ces deux protagonistes et ne concerne aucun autre individu.

En revanche, comme Levinson (1988) a pu l’observer dans ses travaux, il peut arriver que la véritable cible de l’interaction ne soit pas le destinataire ratifié. C’est ce que l’on appelle

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l’adressage indirect1. Il s’agit d’une stratégie mise en place par le locuteur dans le but de faire passer indirectement des informations à une autre personne présente, ou à un tiers. Kerbrat- Orecchioni (1990) nomme ces phénomènes des tropes communicationnels.

« Il y a trope communicationnel chaque fois que s’opère, sous la pression du contexte, un renversement de la hiérarchie normale des destinataires ; c’est-à-dire chaque fois que le destinataire qui, en vertu des indices d’allocation fait en principe figure de destinataire direct, ne constitue en fait qu’un destinataire secondaire (…) » (Kerbrat-Orecchioni, 1990, p. 92).

Ces stratégies permettent donc au locuteur de faire passer un message à un tiers, sans que le cours de l’interaction en soit modifié. Généralement, et selon la littérature, ces stratagèmes sont un moyen de faire passer des messages menaçants comme des critiques, des reproches ou encore des aveux (Brown, 1978 ; Levinson, 1988). Mais il est également possible d’observer ces phénomènes dans d’autres situations plus communes où le but du locuteur est de rendre visible son attention à un tiers. Cela peut par exemple arriver lorsqu’un tiers est mis dans une situation d’attente et que le locuteur lui fait comprendre, par le biais d’un trope communicationnel, qu’il ne l’a pas oublié et que son tour viendra.

Enfin, un dernier type d’adressage peut être présent au cours d’une interaction. C’est ce que nous avons nommé le double adressage. Comme son nom l’indique, il s’agit d’une forme d’interaction faisant intervenir plus de deux individus. En général, et selon les situations observées dans le cadre de ce travail, trois individus sont concernés. Un locuteur et deux destinataires désignés. Il s’agit donc encore une fois d’une stratégie pouvant être mise en place par le locuteur dans le but de faire participer plus de deux personnes à l’interaction. Nous pouvons également observer cela dans des situations d’enseignement où l’enseignant s’adresse à plusieurs élèves afin de multiplier la participation. Dans d’autres contextes, le double adressage peut également servir de stratégie pour gérer plus d’une activité à la fois. Ceci amène à se questionner sur la problématique de la multiactivité qui sera définie par la suite. Le schéma ci-dessous représente les différents modes d’adressages, ainsi que les protagonistes concernés par chacun de ces modes.

1 Cette notion provient également des dires des éducatrices des institutions A lors des séances de co-analyse et

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Les modes d’adressage

Le schéma ci-dessus montre qui sont les cibles des locuteurs au cours des différents modes d’adressage. Nous pouvons donc voir que pour l’adressage indirect, la cible du locuteur n’est pas le destinataire désigné, donc la personne à qui il est en train de parler, mais un tiers présent dans l’environnement et susceptible d’entendre ses propos. Ces stratégies d’adressage concourent également au caractère complexe et invisible des interactions. En effet, ce n’est que grâce à l’analyse interactionnelle que nous pouvons être en mesure de voir et de comprendre ces stratégies mises en place par les locuteurs.

2.2.3. La multiactivité

Selon les définitions du sens commun, la multiactivité correspond au fait de s’engager dans plusieurs activités en même temps. De nombreux travaux adoptant différentes perspectives ont été effectués dans le but de comprendre ce fonctionnement. Deux principales approches ayant traité cette question se distinguent alors. Il y a la perspective des sciences cognitives qui définit ce phénomène comme un processus mental qui consiste à traiter cognitivement et individuellement plusieurs tâches différentes simultanément. Cette approche étudie ce phénomène sous le terme de multitasking (Loukopulos et al., 2009 ; Salvucci et Taatgen, 2011).

En revanche, dans ce travail nous nous intéresserons à une autre perspective, celle de l’analyse interactionnelle, qui propose une autre définition de la multiactivité. Il s’agit ici d’une pratique sociale, collective et intersubjective dans laquelle les participants sont engagés, et impliquant

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des processus complexes de coordination des activités (Haddington, Keisanen, Mondada &

Nevile, 2014). Cette approche se différencie également par son traitement de données qui sont essentiellement issues des ressources audio-visuelles. L’analyse de vidéos permet de comprendre en profondeur les ressources et les stratégies mises en place par les participants pour répondre aux problèmes pratiques d’organisation et de coordination engendrés par la multiactivité. En d’autres termes, la multiactivité est un mode d’organisation complexe des situations pouvant survenir dans différentes sphères (familiales, professionnelles, etc…).

Selon Mondada (2017), la question de la temporalité est au cœur de la définition de la multiactivité. Il s’agit ici de prendre en compte le fait que l’interaction peut être composée de temporalités multiples se traduisant par une juxtaposition de plusieurs ressources multimodales.

L’analyse de ce phénomène permet donc de comprendre comment est gérée, coordonnée et organisée la multiactivité, quelles sont les ressources multimodales qui l’organisent, et selon quels types d’organisation temporelle et séquentielle elle se traduit. En effet, les participants peuvent moduler leur engagement dans la multiactivité de différentes manières. Nous pouvons observer des moyens fluides ou abrupts entre les différentes activités. Mondada (2017) propose à ce sujet trois différents régimes d’organisation temporelle de la multiactivité qui sont le régime parallèle, le régime imbriqué et le régime exclusif.

Le régime parallèle correspond à une organisation linéaire, sans discontinuité de deux activités ou plus, simultanément. Le participant mobilise des ressources multimodales complémentaires de manière à juxtaposer et à gérer ses différentes activités. Ce mode de multiactivité a souvent été apparenté à l’exemple de la conduite en parlant (Mondada, 2017). En effet, il n’est pas rare d’observer un conducteur parler durant sa conduite. Ce dernier effectue ces deux activités de manière continue et simultané. Le régime parallèle permet aux participants de ne pas avoir à faire de choix de priorité entre les activités. Ces dernières sont donc insérées les unes aux autres (Raymond & Lerner, 2014). En revanche, il n’est pas toujours possible de joindre deux activités de cette manière. Il arrive que les circonstances ou les ressources à disposition ne permettent pas aux participants de maintenir cette continuité. Ils doivent parfois alterner entre plusieurs activités ce qui crée une modification de l’organisation temporelle.

Deux différents régimes temporels ne suivant pas un déroulement linéaire et continu se distinguent alors. Mondada (2017) parle du mode imbriqué qui correspond à des micro-

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régime alterne donc entre suspensions et reprises des activités de manière successive et rapide.

Il y a donc ici un choix effectué au niveau de la priorité des actions à effectuer. Les participants ne pouvant pas joindre les deux activités sont alors amenés à effectuer des choix de manière à savoir laquelle de leurs activités va être provisoirement suspendue pour en gérer une autre.

Nous pourrions comparer cela au fait de regarder dans différentes directions. Il y aura donc une alternance rapide et coordonnée entre la direction des regards.

Il peut également arriver que les participants ne puissent pas revenir tout de suite à l’activité qu’ils avaient provisoirement suspendue. Mondada (2017) parle alors du régime exclusif qui correspond à une alternance d’activité moins coordonnée que le mode imbriqué. Il arrive en effet que les participants ne puissent pas revenir tout de suite à leur première activité, car la seconde prend trop de temps, ou nécessite une attention trop forte. Les ressources mobilisées sont alors ici concurrentielles et ne permettent pas aux participants de maintenir une organisation temporelle continue. Dans certains cas extrêmes, il peut même arriver que les participants soient amenés à interrompre de manière continue une de leurs activités. On parle alors de l’abandon (Deppermann, Mondada, Raymond & Lerner, Ticca, 2014). Ce phénomène se produit généralement lorsqu’une activité à caractère urgent et demandant un engagement complet et prioritaire survient, et que le participant se retrouve contraint de laisser de côté son activité initiale.

Mondada (2017) propose une série de conventions de transcription permettant de rendre compte des actions non verbales des participants (cela sera défini plus tard dans le document). Sur la base de ses traces, il est alors possible d’observer et d’analyser les différents régimes de multiactivité pouvant se produire. En s’inspirant de l’article de Zogmal (à paraître) « Apprendre en contexte multi-participants », et de son schéma sur le déploiement des ressources multimodales (figure 4), nous avons été en mesure de mettre en place une schématisation de la superposition et de la succession des différentes activités de participants, passant par diverses ressources multimodales. Le tableau suivant représente une représentation simplifiée des différents régimes de la multiactivité.

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Les régimes de la multiactivité

C’est sous ce format que nous analyserons par la suite les activités des participants. Il peut également arriver que plusieurs régimes soient présents en même temps. Par exemple, deux activités peuvent être conduites sous le régime parallèle alors que deux autres se produisent en même temps, mais en suivant un régime imbriqué. L’analyse de la multiactivité fait donc également partie de l’analyse interactionnelle et permet de comprendre la complexité des interactions et des activités des individus.

Après avoir passé en revue les différentes composantes de l’analyse interactionnelle ainsi que ses méthodes d’analyse, il convient maintenant de parler de la problématique et des questions de recherche qui animent le présent document. Nous verrons que chacune des questions posées peut être traitée en mobilisant différentes composantes de l’analyse interactionnelle.

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3. PROBLÉMATIQUE ET QUESTIONS DE RECHERCHE

3.1. LA PROBLÉMATIQUE DE LA COMPLEXITÉ DU TRAVAIL DES ÉDUCATEURS DE LA PETITE ENFANCE

Comme cela a déjà été expliqué durant l’introduction, l’un des enjeux de certains métiers, en l’occurrence celui de l’éducation de la petite enfance, est de légitimer leur travail dans un monde qui ne lui accorde que peu de reconnaissance. Le but de cette recherche est de donner de l’importance à ce métier en tentant de rendre visible ce qui est invisible, et en faisant ressortir son caractère complexe, au travers de l’analyse interactionnelle. Dans cette perspective, il convient de choisir un certain type de situation durant laquelle nous pouvons observer l’activité des éducateurs et des éducatrices de la petite enfance. Nous verrons par la suite qu’en fonction des données à disposition, ce sont les moments de rencontres et d’échanges avec les parents au moment où ces derniers viennent rechercher leur(s) enfant(s) qui ont été choisis. C’est ce que nous appellerons « les retours ». Ces données vont permettre de mettre en lumière une multitude d’actions, liées aux ressources multimodales définies plus haut, qui contribuent à la complexité de leur métier. Nous avons donc distingué trois axes complémentaires permettant de donner des éléments de réponse à la problématique. Ces derniers ont été formulés sous la forme de questions.

1. De quelles ressources multimodales les éducateurs et éducatrices de la petite enfance font-ils usage pour effectuer des retours complets aux parents ?

2. Comment s’y prennent-ils pour gérer à la fois l’activité de retour et l’activité éducative ?

3. Comment s’y prennent-ils pour gérer l’arrivée de plus d’un parent à la fois ?

Ces questions ont émergé en fonction des données à disposition. En effet, en visionnant les extraits, il est apparu que trois principales situations complexes se présentaient aux éducateurs et éducatrices. La gestion du retour lui-même, la gestion simultanée du retour et de l’activité éducative et la gestion de l’arrivée de plus d’un parent à la fois. Pour gérer ces situations, il a été observé que les professionnel.le.s usaient d’une multitude de ressources diverses et variées.

Analyser leurs stratégies nous permettrait de comprendre la complexité de leur métier et de rendre visible une multitude d’actions qui peuvent, au premier abord, sembler invisibles.

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3.2. LES QUESTIONS DE RECHERCHE

Plusieurs composantes de l’analyse interactionnelle ont été utilisées pour répondre à chacune de ces trois questions. Dans cette partie, nous verrons lesquelles d’entre elles ont été mobilisées pour chacune des questions.

3.2.1. Les ressources mobilisées lors de l’activité de retour

La première question tente de comprendre de quelles ressources les éducateurs et éducatrices font usage pour effectuer un retour de qualité et porteur de sens à un parent. Nous nous sommes ici intéressés aux ressources sémiotiques dont font partie les modes verbaux, para-verbaux et non verbaux. Nous verrons que les professionnel.le.s de la petite enfance font parfois usage de plusieurs ressources, de manière simultanée ou non, ce qui renvoie aux théories de la multiactivité de Mondada (2014, 2017). L’étude des cadres participatifs permettra également de comprendre les enjeux identitaires des participants et comment ces derniers font évoluer leurs statuts dans le but de créer de nouvelles significations.

3.2.2. La gestion de l’activité de retour et de l’activité éducative

Au travers de la deuxième question de recherche, nous tentons de comprendre comment les éducateurs et éducatrices s’y prennent pour gérer à la fois l’activité de retour et l’activité éducative. En effet, l’un des enjeux de leur métier est de garantir la sécurité des enfants en toutes circonstances. Ils ne peuvent en aucun cas abandonner cette activité pour se consacrer uniquement à une autre, comme celle des retours par exemple. Ces derniers se retrouvent donc souvent dans des situations où ils doivent gérer plusieurs activités à la fois. Pour répondre à cette contrainte, nous verrons que les professionnel.le.s mobilisent une multitude de ressources sémiotiques en modulant leur ordre séquentiel. C’est donc principalement au travers de la multiactivité que nous pourrons répondre à cette question. La mise en évidence des différents régimes de la multiactivité permettra de comprendre dans quels types de circonstances ces derniers ont tendance à se produire ou non.

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3.2.3. La gestion de plusieurs parents en même temps

La troisième question correspond à la dernière situation complexe identifiée dans les situations de retours avec les parents. Il s’agit de comprendre de quelle manière les professionnel.le.s s’y prennent pour gérer l’arrivée de plus d’un parent à la fois. En effet, les situations où seul un parent est présent dans la salle sont plutôt rares. La plupart du temps et en fonction du nombre d’enfants présents dans les groupes, il arrive souvent que plusieurs parents arrivent en même temps, ou qu’un parent entre lorsqu’un autre retour était déjà en train de se produire. Nous verrons qu’en fonction des circonstances, les professionnel.le.s usent de diverses ressources pour gérer ces arrivées multiples. C’est donc au travers de l’étude des cadres participatifs et des différentes modalités d’adressage que nous pourrons donner des éléments de réponse à ces questions.

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