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L’ apprentissage de l’interprétation médicale au coeur de la démarche clinique : un plaidoyer pour plus d’humanisme dans la formation médicale

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Academic year: 2022

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REVUE INTERNATIONALE FRANCOPHONE D’ÉDUCATION MÉDICALE

L’interprétation est au cœur de la démarc h e médicale. Cette dern i è re est initiée suite à la plainte du patient et évolue jusqu’à la pro p o s i- tion thérapeutique et son suivi. L’ i n t e r p r é t a t i o n fait partie de la démarche clinique, elle la constitue. Fo rmer nos étudiants à cette d é m a rche exige leur participation active au che- vet du patient : l’interprétation suppose non seu- lement un « savoir faire » mais aussi un « savo i r ê t re ».

Le malade re n c o n t re son médecin. Des mots, des paroles sont dites ; les maux, les malaises sont manifestés. Le corps souffrant parle et se fait aus- c u l t e r. Deux personnes sont en présence, un dia- logue démarre, une humanisation est possible.

La veine est ponctionnée, les urines analysées, les cavités sont sondées, les organes sont « imagés », l’ADN est prélevé. Le malade est soumis à des

« machines folles et affolantes » (Fra n c i n e Sa i l l a n t )1 et « au gouffre d’un corps (mis) hors n a t u re » (Hans Jo n a s)2. Le patient entame un p a rcours de solitude et d’ a n g o i s s e .

L’ h i s t o i re du patient, les symptômes, l’ e x a m e n clinique, les résultats de labora t o i re, les images obtenues par des examens divers (électro c a rd i o- g ramme, ra d i o g raphie, scintigraphie, endosco- pie…) doivent être interprétés.

Pa rmi les nombreux sens du mot « interpréter », le Larousse nous en livre deux, part i c u l i è re m e n t p e rtinents pour éclairer le dialogue entre le malade et le médecin. Interpréter signifie tenter

« de re n d re compréhensible, d’expliquer » ;

interpréter signifie également « chercher à don- ner un sens ». Expliquer la maladie est une d é m a rche logique et nécessaire pour le médecin orienté vers la thérapeutique ; elle est nécessaire aussi pour le patient qui re f u s e ra le tra i t e m e n t p roposé ou y consentira. Donner du sens aux symptômes et aux signes de la maladie corre s- pond à un besoin profond et à une attente du p a t i e n t .

Interpréter se tro u ve au nœud de deux visions possibles de la pratique médicale : ex p l i q u e r pour guérir et donner du sens en prenant soin. Le clinicien doit réaliser deux démarc h e s c o m p l é m e n t a i res d’explication et de constru c- tion de sens. Cela nécessite une attention part i- c u l i è re. Le futur médecin doit y être préparé par une approche humaniste développée ava n t , pendant et après les études unive r s i t a i res. La négligence de la perspective pro p re et part i c u l i è- re au patient entra î n e ra l’absence d’un vrai dia- logue et le risque de parcours solitaires et angois- sants, tant pour le patient que pour le médecin.

La souffrance du patient en est augmentée. « Si les médecins souffrent, les malades sont à p l a i n d re » ajoute Georges Duhamel dans

« Pa roles de médecin »3.

Deux logiques conditionnées et inconscientes p e u vent s’ a f f ro n t e r, le dialogue peut s’ a l t é rer de malentendus. Donner une explication ou don- ner du sens, re c e voir une explication ou re c e vo i r du sens.

Un petit détour par l’étymologie nous appre n d que la racine indo-européenne m e d- signifie

L’ a p p rentissage de l’interprétation médicale au cœur de la démarche clinique :

un plaidoyer pour plus d’humanisme dans la formation médicale

Article disponible sur le site http://www.pedagogie-medicale.org ou http://dx.doi.org/10.1051/pmed:2005006

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PÉDAGOGIE MÉDICALE - Février 2005 - Volume 6 - Numéro 1

p e n s e r, réfléchir, mais aussi peser, mesure r. Elle a donné naissance au mot médecin et permet de le c o m p re n d re dans une double signification ou acception du terme : d’une part le médecin qui

« pense » à son malade, qui m é d-ite sa situa- tion, qui « s’en soucie et le soigne » – au sens de

« to care » en anglais – ; d’ a u t re part le méde- cin qui « pèse » le malade, « mesure » son corps et les dégâts de la maladie, pour pouvoir tra i t e r, p roposer un traitement, littéralement une tra c- tation avec la maladie. Dans les deux cas de f i g u re, cela fait du médecin un inter-m é d- i a i re pour l’interprétation et la m é d- i a t i o n .

Le futur médecin, de par sa formation, doit p o u voir objectiver le mal, la maladie. Il doit être capable d’accumuler les mesures et les images de façon à pouvoir décrire, compre n d re, expliquer, d é m y s t i f i e r. Sa pensée part des plaintes et doit aboutir à un diagnostic objectif et à une pro p o- sition thérapeutique conséquente et reconnue ; elle est linéaire. Sa démarche doit être logique et t ra n s p a rente, et tendre à l’efficacité, au service à re n d re pratiquement. Ce faisant, l’étudiant est l’interprète (un troisième sens de ce mot) de la pensée philosophique médicale dominante enseignée par ses maîtres dans notre appro c h e occidentale d’ a u j o u rd’hui.

Le patient, lui, est à l’intérieur du processus, sa pensée est circ u l a i re. Il attend que les explica- tions que le médecin lui apporte, à partir de ce q u’il a lui-même donné (son histoire, l’ e x a m e n de son corps, les prélèvements sanguins et autre s ) , lui ramènent du sens en re t o u r. Le malade doit pouvoir vivre sa maladie, l’ i n t é g rer dans son histoire, s’y incarn e r. Il a besoin qu’en plus des explications qu’on lui donne, on s’occupe, on se préoccupe, on se soucie de lui, c’est à dire qu’ o n le soigne. Il faut pour cela qu’on lui parl e . L’homme est un être de langage et la langue, qui est un instrument de communication pour des i n f o rmations (des résultats, une explication, une p roposition de traitement, un pronostic), l’ e s t aussi pour communiquer des sentiments, des émotions. Il faut pouvoir mettre des mots sur les maux. Pi e r re Corneille disait déjà : « A racon-

ter ses maux, souvent on les soulage »4; Boris Cy rulnik, plus près de nous, écrit : « Tous les chagrins sont supportables si on en fait un récit »5.

Le besoin d’ h a rmonie du patient soumis aux tonalités multiples et variables du corps et de l’âme malades va être confronté à l’ i n t e r p r é t a- tion médicale monocorde. Le médecin fait une l e c t u re du corps du patient en lecteur -vo i re en spectateur- attentif et souvent attentionné ; le patient habite son corps malade qui est le décor, le théâtre de l’interprétation de sa vie. On com- p rend l’ i m p o rtance des mots et du genre littéra i- re dans cette lecture médicale et dans cette écri- t u re du patient. D’une part l’objectivité d’ u n e enquête scientifique, d’ a u t re part la subjectivité d’un récit vécu.

Tous les médecins ne peuvent être poètes comme l’était Michel Torga (Adolfo Rocha) qui écrivit:

« C’est bien d’ ê t re à la fois médecin et poète, on peut donner deux fois. Les jeunes vien- nent me voir parce que j’écris des vers, les vieux parce que je peux les soigner, et nous sommes tous gagnants. Eux parce qu’ils ne se sentent pas seuls au monde, et moi aussi fina- lement »6. Si tous les médecins cliniciens ne p e u vent être poètes, ils ont tous besoin cepen- dant d’un bagage humaniste qui puisse leur f a i re perc e voir les dimensions de la « Ma l a d i e humaine »7. Aux Et a t s - Unis, certains départ e- ments de Medical Hu m a n i t i e s invitent les médecins à lire des romans et la faculté de méde- cine de l’ Un i versité John Hopkins édite depuis 20 ans une revue L i t e r a t u re and Me d i c i n e.

La poésie est faite de sons, de musiques, d’ i m a g e s ; elle donne à sentir, à palper, à goûter même ; elle permet l’ é vocation spirituelle et l’ e x- p ression sensuelle. Le thérapeute, nourri de lec- t u res romanesques ou poétiques, peut re v i v re en décalé les émotions que lui font vivre sa pra- tique. A l’occasion de la lecture il peut y réfléchir et s’y réfléchir. Il est alors plus armé dans sa re n- c o n t re avec le malade pour perm e t t re l’ e x p re s- sion des émotions, des sentiments : la peur,

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REVUE INTERNATIONALE FRANCOPHONE D’ÉDUCATION MÉDICALE

Pédagogie Médicale

REVUE INTERNATIONALE FRANCOPHONE D’ÉDUCATION MÉDICALE

l’angoisse, le découragement, la colère, l’ a g re s s i- vité, la honte, l’envie…mais aussi l’empathie, la sympathie, la tristesse, l’espoir… Utiliser la poé- sie c’est mettre de l’espace, du flottement dans les mots de la conversation à coté des mots précis de l’ i n f o rmation médicale. C’est « re n d re aux mots

“g e l é s” par la monophonie du discours médical, un certain jeu, un bougé entre le mot et la chose, une certaine motivation poétique du signe »8. C’est dans cet espace, ce flottement, que le patient doit pouvoir exprimer et peut-être aussi que le médecin doit pouvoir ressentir certaines d’ é m o- tions. Toutes les choses ne doivent pas nécessaire- ment être dites littéralement. La poésie pour la p ratique médicale, c’est la conversation entre le patient et son médecin, c’est le bava rdage dans le sens positif du terme ; elle se compare au mieux à la conversation amoureuse, au bava rdage des amants. François Mi t t e r rand au cours de la maladie qui devait l’ e m p o rter a écrit dans ses m é m o i res : « A travers une présence qui per- met au désespoir et à la douleur de se dire, les malades saisissent leur vie, se l’ a p p ro p r i e n t ,

en délivrent la vérité. Ils découvrent la libert é d’ a d h é rer à soi… Le mystère d’exister et de mourir n’est point élucidé mais il est vécu pleinement. »9.

Ainsi pourront se jouer les deux interprétations de cette partition unique que constituent les plaintes du patient : l’explication scientifique, rationnelle et pratique et l’ é l a b o ration de son h i s t o i re humaine, personnelle, unique.

Didier Mo u l i n Se rvice de pédiatrie générale, Cliniques Un i ve r s i t a i res St- Lu c , Faculté de médecine de Louvain,

1200 Bru xelles m a i l t o : m o u l i n @ p e d i . u c l . a c . b e

Texte élaboré à partir d’un exposé présenté à l’occasion d’ u n colloque sur « Les multiples facettes de l’interprétation ».

L o u vain-la- Ne u ve, 17 septembre 2004.

R é f é re n c e s

1. Saillant F. Corporéité, dépendance et maladie chro- nique ; expérience et pratiques de soutien à domicile.

In : Csepregi G (dir.). Sagesse du corps Aylmer : Editions du scribe, 2002 : 22-35.

2. Jonas H. Le principe de responsabilité. Edition origi- nale 1979. (Trad. J. Greish) Paris : Fl a m m a r i o n (Collection Champs), 1998.

3. Duhamel G. Pa roles de médecin. Monaco : Ed i t i o n s du Ro c h e r, 1946.

4. C o rneille P. Po l yeucte (Acte I, Scène 3), 1643.

5. Cy rulnik B. Un merveilleux malheur. Paris : Editions Odile Ja c o b, 1999.

6. Torga M. En franchise intérieure. Paris : Au b i e r - Montaigne, 1982

7. Camon F. La maladie humaine. Edition originale 1987 (Trad. Y. Hersant). Rééd. Paris : Ga l l i m a rd ( Folio), 1991.

8. Danou G (Dir.). Li t t é ra t u re et médecine ou les pou- voirs du récit. Actes du colloque organisé par la Bibliothèque publique d’ i n f o rmation (BPI) au Ce n t re Pompidou les 24 et 25 mars 2000. Paris : B PI / Ce n t re Pompidou, 2001.

9. Mi t t e r rand F. Mémoires interrompus. Paris : Editions Odile Ja c o b, 1996.

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