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DE LA CULTURE INFORMATIONNELLE

Une compétence de communication

MARLÈNE LOICQ

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Introduction

Le terme de culture informationnelle peut poser problème. Si l’objectif de cet article n’est pas d’en définir précisément les caractéristiques mais d’en déterminer les enjeux, nous allons tout de même rapidement définir chacun des termes qui composent l’expression afin de « savoir de quoi on parle ». La culture informationnelle renvoie d’une part au concept de culture, complexe, flou et polysémique, et mobilise, d’autre part, l’adjectif informationnel, notion non moins floue et étendue. Nous emprunterons à Bourdieu sa définition de la culture comme « capacité de faire des différences » que nous retrouvons dans de nombreuses déclinaisons de ce concept, puisque la culture, et les relations sociales qui en découlent, sont ordonnées par des catégories, des « découpages » et distinctions qui donnent du sens (partagé) à la réalité. Les diverses institutions offrent des modèles de différenciation qui façonnent la culture commune des groupes, leur permettant de « faire leur tri », de « donner une forme » (littéralement : informer). En tant que lieu de transmission culturelle, l’école notamment apprend à ordonner les éléments composants du monde (Scherr, 2007). Nous voyons dans l’emploi que fait Porcher de cette définition, qu’elle s’applique autant à l’idée de culture anthropologique, qu’à celle d’une culture « cultivée ». « Plus on est capable de produire des différences, de distinguer, plus on est cultivé dans un domaine » (Porcher, 2006, p. 85). Nous retiendrons aussi des travaux de spécialistes de la culture tels que ceux de Camilleri, que la culture est dynamique et articulée de manière cohérente par les sujets qui n’en sont pas les simples porteurs, mais dont l’identité en est la condition même d’existence.

Pour ce qui est de la notion d’information, si elle a souvent été assimilée d’une part à un processus médiatique spécifique (les actualités), et de l’autre, à des usages professionnels (information et documentation), elle semble revêtir, dans l’expression « culture informationnelle », un sens plus large et général.

L’information renvoie ici non seulement à un ensemble d’éléments nouveaux à la connaissance, organisés selon des mécanismes médiatiques de sélection et de mise en discours, mais aussi à des caractéristiques de faits partagés et rendus publics au travers de différents types de langages, dans divers « genres » médiatiques. En d’autres termes, l’information n’est pas exclusivement le fait des journaux d’actualité, et nous la rattachons à toutes les formes médiatiques existantes. Ainsi, le visionnage de sitcom, l’échange sur des forums virtuels, autant que la lecture du journal, sont des pratiques médiatiques sources d’informations. Nous savons par exemple que les fictions déclenchent l’identification et proposent des modèles de conduite et d’action fréquemment cités par les jeunes comme référence (Pasquier, 1999). Elles sont aussi sources d’information sur les modes de vie et de pensées lointains, telle que la culture

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américaine largement représentée dans des shows très populaires chez les publics européens (The Simpsons, Friends, etc.). Nous reviendrons par ailleurs sur le caractère stéréotypique de ces informations. Aussi, si l’information n’est pas exclusivement médiatique, elle y occupe une place majeure. « We cannot physically avoid the glut of information that aggressively seeks our attention in our culture » (Potter, 2005, p. 13).

La culture informationnelle serait, à ce titre, transversale à chaque médium et concernerait, pour les sujets qui la mobilisent, la capacité d’ordonnancement du monde au travers des discours médiatiques. Nous avons dès lors l’intuition des enjeux éducatifs qui en relèvent, l’école étant elle-même « concurrente » dans cette capacité à faire des distinctions.

Enjeux de la culture informationnelle

L’importance de la consommation médiatique contribue à l’accroissement de la culture informationnelle potentielle. En effet, s’il n’est pas possible d’évaluer l’importance et l’influence des « formes imaginaires et symboliques qui médiatisent la relation d’un sujet aux autres et à lui-même, au groupe et au contexte », d’après la définition de la culture donnée par Clanet (1990), nous pouvons remarquer que la grande consommation médiatique joue un rôle dans la perception du monde. À partir des travaux de Bourdieu, Porcher (2006) tente d’identifier et de définir ce que serait le capital médiatique (au même titre que le capital économique, culturel...). Il remarque alors que « la fréquentation des médias produit de la culture chez le consommateur, un accroissement du capital, une différenciation » (Porcher, 2006, p. 79). Les élèves arrivent donc en classe avec une culture qui déborde largement les manuels scolaires.

Interrogeons-nous sur ce que l’école fait de cette culture ? D’autant que les médias leur ont donné accès à des informations de plus en plus lointaines, de plus en plus diverses et étendues. Aussi questionnons-nous certains des enjeux de la culture informationnelle dans le cadre de l’apprentissage scolaire.

Enjeux éducatifs et relation au savoir

On accuse fréquemment les médias de concurrencer illégitimement l’école en transmettant des informations et des connaissances plus attrayantes et ludiques. Or il est essentiel de bien distinguer « information » et

« connaissance » qui ne renvoient pas aux mêmes dynamiques de réception.

« We are immersed in a flood of information. We cannot avoid being bombarded by information every day. But all this information does not

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necessarily make us more knowledgeable. Recall that there is a difference between information and knowledge » (Potter, 2005, p. 283). L’information est donnée massivement par les médias (bien plus abondamment que ne pourrait le faire l’éducation) alors que la connaissance, ou le savoir, pour exister en tant que tels, doivent être acquis par les récepteurs dans un travail d’appropriation et d’intériorisation. Potter (2005, p. 17) distingue ainsi l’information du savoir :

« Information is piecemeal and transitory, whereas knowledge is structured, organized, and of more enduring significance. Information resides in the messages, whereas knowledge resides in a person’s mind ». Porcher (2006, p. 33) souligne même que « les médias travaillent à la massification et non pas à l’individualité. C’est pourquoi ils ne peuvent délivrer qu’une information et non pas construire un savoir ».

Étant submergés par les informations au travers de la consommation ou même de la simple présence médiatique, nous voyons d’emblée l’enjeu essentiel de transformation de ces informations en savoirs, de l’appropriation de celles- ci, pour y mettre son ordre, ses distinctions. La culture informationnelle relève alors d’un enjeu éducatif majeur qu’est la prise de pouvoir sur ce qui constitue à la fois le monde du sujet et les façons de le catégoriser. C’est finalement dans son rapport au réel que la culture informationnelle prend racine, emportant avec elle la construction sociale de cette réalité (Berger, Luckman, 2006). Potter nous invite à considérer d’un côté le monde réel, constitué de nos expériences propres et limitées, et de l’autre le monde médiatique offrant des possibilités accrues d’informations et d’événements qui peuvent être vécus comme une forme d’expérience, rendant complexe la frontière entre ces deux mondes. « We are continually entering the media world to get experiences and information (...). We enter the media world to expand our real-world experience and to help to understand the real world better. (...) As we constantly cross the border between the real world and the media world, the border sometimes gets blurred » (Potter, 2005, p. 61).

Dès lors, l’enjeu éducatif relatif à la culture informationnelle est l’appropriation des informations et leur transformation en connaissance par les sujets afin d’enrichir la maîtrise de leur environnement et d’être conscients dans leur rapport au monde.

Enjeux sociaux

L’accroissement des médias de masse ainsi que les progrès techniques de l’information ont aboli les frontières spatio-temporelles. En effet, les technologies de la communication permettent d’avoir des informations en

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temps réel, ou quasi simultanées, en provenance de diverses régions du monde.

Cette redéfinition de la communication par l’espace-temps qui la constitue a entraîné de nombreux changements, notamment dans les relations sociales.

Dans The media and modernity, J.B. Thompson identifie les conséquences, sur les sociétés modernes, du développement de nouveaux moyens de communication.

« If we wish to understand the cultural transformations associated with the raise of modern societies, then we must give a central role to the development of communication media and their impact » (Thompson, 1995). Au cœur de ces théories sociales basées sur l’analyse du contexte historique, culturel et des actions menées, se trouve l’idée que l’on ne peut comprendre l’impact social du développement des médias qu’en admettant que ceux-ci ont changé les relations sociales. « The use of communication media transform the spatial and temporal organization of social life, creating new forms of actions and interaction, and new modes of exercising power, which are no longer linked to the sharing of a common locale » (Thompson, 1995, p. 4). En prenant l’exemple de l’évolution des communications politiques, Thompson souligne l’importance de l’apparition du phénomène de séduction, dû à la capacité accrue de visibilité de tous. Ce phénomène, largement développé par les mécanismes discursifs médiatiques, concerne tous les domaines de la communication (politique, publicitaire, et même informationnelle).

Charaudeau (1997), dans sa définition des logiques médiatiques, montre également comment les logiques commerciales influent sur les autres formes de la communication et dictent les lois d’un monde médiatique en incessants changements. « Information et communication sont des notions qui renvoient à des phénomènes sociaux ; les médias constituent un support organisationnel qui s’empare de ces notions pour les intégrer dans leurs diverses logiques économiques, technologiques et symboliques » (Charaudeau, 1997, p. 5). Cette

« intégration » déforme et témoigne d’une parcelle simplifiée, stéréotypée du monde. Aussi, « tout organe d’information agit comme une entreprise avec pour finalité la fabrication d’un produit qui se définit par la place qu’il occupe sur le marché d’échange des biens de consommation » (Charaudeau, 1997, p. 9).

Les mécanismes discursifs médiatiques, inhérents aux genres qui les déterminent, construisent et organisent un espace social réduit (ou réducteur), séducteur et majoritaire (bien que géré par une minorité : « l’information consiste dans le choix d’une minorité de faits assortis de leurs commentaires par une minorité d’individus pour une majorité de consommateurs » (Gervereau, 2004, p. 8). Ainsi, la nécessité d’une mise à distance de la construction des messages médiatiques n’apparaît-elle pas essentielle pour envisager un rapport au monde plus réaliste ?

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Ceci nous invite à considérer un autre enjeu majeur de la culture informationnelle qui est la mise à distance critique de ces images et informations limitées, stéréotypées, pour une compréhension générale du caractère problématique des représentations, des instances médiatiques de production et de réception, et des dynamiques (économiques notamment) qui en dictent les règles.

Enjeux citoyens

Les médias, et l’information en particulier, occupent donc une place importante dans le rapport au monde. Aussi aident-ils à comprendre l’environnement, les enjeux qui le constituent, les défis qui le gagnent et les moyens d’appréhender ceux-ci. Divers auteurs (Thelen, 1996 ; Silverstone, 2007 ; Dahlgren, 2007 ; Buckingham, 2008) ont souligné l’enjeu de la participation active des jeunes aux sociétés modernes via les médias, qui ont accru leur potentiel d’implication dans les problématiques sociales. Très tôt alors sont corrélées les questions citoyennes avec la place des médias dans la vie sociale et politique. Certains chercheurs tendent même à identifier les mécanismes encourageant ou empêchant la participation citoyenne (Dalhgren, 2009). La culture informationnelle rejoint à ce titre les préoccupations de compréhension du système social et de participation citoyenne.

L’étude des médias, visant la maîtrise de leurs langages (codes, discours, etc.) mais aussi de leurs techniques et mécanismes (politique, idéologique, etc.) a révélé leur place dans les processus démocratiques. Dès 1985, Masterman fait valoir la force des médias dans la vie démocratique lorsqu’il s’interroge sur les raisons du développement de l’éducation aux médias : « media education is also a matter of some urgency since the media have now penetrated to the heart of our democratic processes » (Masterman, 1985, p. 11). À leur tour, Zacchetti et Vardakas (2008) soulignent l’importance des médias dans la vie sociale d’une Europe faite de divers langages, cultures et traditions, partageant des valeurs communes de démocratie, liberté et justice sociale, et s’opposant aux discriminations ethniques, de sexe et de croyances philosophiques : « The media have become an increasingly powerful economic and social force and are accessible instruments for European citizens to better understand the societies in which they live and participate in the democratic life of their community ».

Nous pouvons ainsi dire que la culture informationnelle revêt des enjeux citoyens importants, tant elle occupe une place majeure dans le rapport au monde (connaissance et appréciation), dans la dynamique démocratique d’information et de participation, et dans la construction, ensemble, d’un idéal de société.

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Les réponses éducatives possibles aux enjeux de la culture informationnelle

Face à ces enjeux de la culture informationnelle, l’école a été, à de nombreuses reprises, mobilisée pour répondre aux attentes éducatives, sociales et citoyennes qu’elle soulève. Nous pouvons voir dans la formulation des programmes scolaires, et bien avant cela, dans la littérature scientifique, l’apparition de l’idée de dynamiques de co-construction du savoir à partir de l’apprenant, de missions d’éducation à l’esprit critique et la naissance de la branche formelle d’éducation à la citoyenneté, qui toutes répondent directement aux enjeux précédemment identifiés.

En ce qui concerne les dynamiques éducatives visant une appropriation des savoirs, Freire et sa pédagogie nouvelle, ainsi que Freinet dans le contexte français, ont participé à l’élaboration de méthodes pédagogiques dynamiques centrées sur l’élève et développé l’idée d’une co-construction active des savoirs.

« On entend par pédagogies nouvelles les théories et les pratiques pédagogiques qui, au lieu de s’imposer de l’extérieur de l’enfant, vont se développer à partir de ses besoins, de ses désirs et de ses possibilités d’expression. (...) Le caractère essentiel des pédagogies nouvelles est de produire un discours adapté à l’individu et à la société dans laquelle celui-ci évolue » (Resweber, 1999, p. 3).

Dès lors, la culture informationnelle, particulière à chacun, est mobilisée dans le processus d’apprentissage vers une transformation de ces informations en véritables savoirs.

Pour ce qui est des habiletés de la pensée critique et des méthodes d’enseignement de celle-ci, Piette (1996) dresse un portrait étayé des porteurs théoriques et méthodologistes du domaine dont Costa (1985), Costa et Lowery (1989), Brandt (1984) et Nikerson et al. (1986) pour ne citer qu’eux. On en retiendra la définition suivante : « critical thinking is reasonable and reflective thinking that is focused on deciding what to believe or do » (Ennis, 1987 cité par Piette, 1996, p. 93). L’éducation à la pensée critique, dans le cadre d’un travail sur l’information et la communication, est assimilée à la capacité, pour l’élève, de prendre conscience du caractère polysémique des messages ainsi que de la dimension « construite » de l’information (et de la réalité).

Enfin, dans le domaine de l’éducation citoyenne, de nombreux travaux québécois (Ouellet et Pagé notamment) instituent les fondements théoriques et les méthodes d’apprentissage et de formation de ce domaine officiellement en charge de l’éducation « civique » des apprenants. Rappelons que « l’éducation à la citoyenneté a pour finalité principale la construction de compétences citoyennes qui s’expriment dans la vie sociale et politique. (...) L’éducation à la citoyenneté est le lieu principal d’une introduction à la connaissance de ce

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monde » (Audigier, 2006, p. 191-194). Elle est présentée par Pagé en ces termes : « Puisque la participation politique et civile est la cible ultime de l’éducation à la citoyenneté, nous proposons (...) que l’éducation à la citoyenneté des élèves du primaire et du secondaire s’oriente surtout vers le développement de dispositions que doivent posséder les citoyens pour participer à la vie démocratique dans un monde de grande diversité ».

Ces réponses éducatives de l’esprit critique, des pédagogies nouvelles et de l’éducation à la citoyenneté, articulées autour de médias d’informations, trouvent place au cœur d’un projet d’éducation à l’information qui se modélise différemment en fonction des contextes nationaux.

Éducation à l’information

Ainsi l’école a-t-elle su proposer des réponses éducatives adaptées à chacun des enjeux de la culture informationnelle, ici présentés. L’éducation à l’information, ou l’éducation à l’actualité, ont été des réponses apportées par de nombreuses institutions éducatives, associations ou collectifs privés, visant une amélioration de la maîtrise de la culture informationnelle. Nous entendons

« amélioration » dans le sens d’une prise de pouvoir et conscientisation de cette culture et des conséquences de celle-ci dans le rapport du sujet à l’information, notamment médiatique.

En France, l’éducation à l’information occupe une place importante dans les projets de rapprochement des médias et de l’école, preuve en est avec l’implication du CLEMI (Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information) dans le paysage institutionnel éducatif. « L’actualité est un point de départ d’une mise en commun, d’une suspension (espace de disponibilité), point de départ ensuite pour comprendre le fonctionnement des médias et, à travers eux, les fonctionnements d’une société. Comparer, prendre de la distance, chercher la multiplicité des valeurs (notamment de la responsabilité), perspective d’une vie citoyenne, d’un apprentissage de pratiques démocratiques » (Gonnet, 1995, p. 156).

Dans le monde anglo-saxon, on parle plus facilement d’information literacy, définie comme « the skill to use information and communication technologies and their applications to access and create information » (Waheed Khan, 2008, p. 17). Cela concerne alors autant l’utilisation des moyens (ordinateurs par exemple) que la réflexion critique sur la nature de l’information elle-même, ses structurations techniques et sociales, les contextes culturels et leurs conséquences. Bien plus que la référence faite à l’acquisition d’aptitudes liées à l’écrit, le terme de literacy induit des notions plus larges (alphabétisation,

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décryptage...) et est fréquemment associé à des mots tels que visuels, média et télévision (Kress, 1990 ; Buckingham et al., 1990). Malgré la réticence de certains à associer l’information literacy à la culture informationnelle, les repères terminologiques et sémantiques de cette expression montrent à quel point elle évolue vers une approche plus générale (Serres, 2008).

Comme nous l’avons précédemment énoncé, l’information n’est pas uniquement l’apanage d’un genre médiatique particulier. Ainsi, si l’information est transmise au travers de tous les formats médiatiques, il est important de développer une approche plus globale et transversale. Il nous semble alors pertinent de relever que les enjeux de l’éducation à l’information sont constitutifs de l’éducation aux médias dans sa formulation générale. D’après Waheed Khan (2008, p. 17) : « Media education comes within reach of information literacy as we are facing a “convergence culture” ». Il nous apparaît donc intéressant de souligner que les médias occupent ou peuvent occuper une place centrale dans chacun des domaines éducatifs précédemment énoncés (esprit critique, dynamique de co-construction des savoirs, éducation à la citoyenneté) et se retrouvent tous au cœur du projet d’éducation aux médias.

Éducation aux médias

L’éducation aux médias est une discipline complexe officialisée dans les années 1950, sous l’impulsion de l’UNESCO et du Conseil de l’Europe, pour signifier un rapprochement entre l’éducation et les médias de masse, déjà amorcé par de nombreux praticiens dans diverses régions du monde. Ce domaine d’étude particulier a suivi une évolution en lien avec les principales recherches sur la communication de masse et s’enrichit aujourd’hui de l’ensemble des travaux sur les médias et la communication.

Dans la lignée des travaux de James Anderson (1980), Jacques Piette (1988) a élaboré une étude sur la filiation théorique entre les programmes d’éducation aux médias et les courants de la recherche sur la communication de masse, de laquelle il déduit plusieurs étapes correspondant à l’imaginaire des publics sur les médias, de leur rôle et de leurs effets. Il distingue ainsi deux phases : la phase d’expérimentation, éclatée, dans laquelle diverses perspectives sont envisagées selon les approches culturelle, sémiologique, critique, éthique, etc., et la phase de consolidation, plus intégrée, qui définit les principales caractéristiques de l’éducation aux médias modernes, dans une approche plus globale, qui ne vise plus seulement à donner des outils défensifs face à l’idéologie des médias, mais prend en compte l’ensemble du phénomène médiatique dans sa complexe relation au récepteur. Forte de l’évolution d’une éducation contre les médias, en

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passant par une éducation par les médias, la subtilité grandissante des théories sur les médias a ainsi entraîné des approches plus diversifiées dans les pratiques d’éducation aux médias. En prenant en compte les diverses approches scientifiques, non seulement de l’influence, mais aussi et surtout de la médiatisation elle-même, on arrive à une formulation plus complète de l’éducation aux médias.

De l’étude des publics à celle des producteurs (incluant les questions de propriété et de financement), des approches esthétiques et rhétoriques (genre, codes, contrats, etc.) aux dimensions techniques, de l’analyse de discours et des représentations en considérant les questions idéologiques, l’éducation aux médias est finalement une approche pluridisciplinaire relevant directement de l’ensemble des travaux traitant de la communication médiatique.

Si l’évolution du domaine a grandement été influencée par ces théories de la communication et le rapport imaginé des jeunes et des médias, un certain consensus international a pu être atteint. Nous pouvons le résumer autour de trois grandes notions (Bazalgette, 2008) : Critical Tools, qui passe par l’acquisition de techniques d’analyse des médias, Creative Skills fournies par l’apprentissage des techniques d’utilisation des médias et Cultural experiences qui en découlent et sont une chance de découverte et d’échange à partir de divers médias.

L’éducation aux médias peut donc être aujourd’hui définie comme « critical reading, related to semiotics and critique, and with cultural studies ; creative production, related to active pedagogy, alternative communication theories and the establishment of communication policies ; and cooperative production, which is related to policies promoting information society and communication theories in cooperative and community work » (Jacquinot et al., 2008).

Éducation à la communication

Si l’éducation aux médias est une approche globale et transversale de l’univers médiatique, certains soulignent même l’importance d’une acquisition plus générale de compétence de communication. « Une connaissance des médias n’est possible que si l’on établit solidement la communication qui les fonde et sans laquelle ils ne sauraient fonctionner » (Porcher, 2006, p.9).

L’éducation aux médias, quand elle ne se veut pas purement techniciste, apparaît être « une éducation à la communication » qui, au-delà de l’acquisition de compétence médiatique (Bianchi, Bourgeois, 1992), vise une réelle compétence communicationnelle ou « métacommunicationnelle » (Green, 1991).

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Aussi voyons-nous que les enjeux associés à la culture informationnelle appellent à une approche humaniste d’un meilleur vivre en soi et vivre ensemble (Loicq, 2008). Si l’éducation aux médias est fondamentalement une éducation à la communication, elle répond non seulement aux enjeux d’éducation critique, dynamique et citoyenne, mais elle peut également y intégrer une notion transversale à toutes celles-ci, qui est la communication interculturelle.

En effet, l’éducation à l’esprit critique n’est autre qu’une mise à distance du caractère naturel de la communication qui renvoie aux principes représentationnels de la culture dans la communication. L’éducation aux médias a pour principal objectif d’ « amener les jeunes à prendre conscience du caractère problématique des « re-présentations » que diffusent les médias et qui leur apparaissent comme non problématiques, « allant de soi » ou « naturelles », comme des reflets neutres et objectifs de la réalité » (Piette, 1996, p. 55). Or ce concept de « non-transparence » (Masterman), central dans tout projet d’éducation aux médias, peut être assimilé au concept de représentation tel qu’énoncé par Hall (1997, p. 3) : « We give things meaning by how we represent them. The words we use about them, the images of them we produce, the emotions we associate with them, the ways we classify and conceptualize them, the values we place on them ». La dimension signifiante de la représentation est essentielle puisqu’elle procure au concept la possibilité de rassembler la connaissance, les identités, la culture et le sens sous son existence matérielle : les signes (symboles, langage, etc.).

Aussi, au sujet des principes d’une éducation à la citoyenneté grâce aux médias et à l’information, notons que toute problématique sur la citoyenneté ne peut, aujourd’hui, se passer d’une réflexion sur la pluralité. En effet, les problématiques citoyennes sont dès lors indissociables des questions interculturelles tant nos sociétés sont sujettes au pluralisme. Les phénomènes comme la mondialisation (des échanges de biens, de la circulation des personnes, etc.) obligent à penser une « éducation à la citoyenneté qui prépare les jeunes à vivre dans une société à multiples composantes et dans laquelle les façons de concevoir le bon fonctionnement de la société aussi sont plurielles » (Pagé, 2004, p. 49). L’éducation aux médias semble avoir également pris en charge cet enjeu éducatif majeur. « Media literacy is viewed as one of the major tools in the development of citizens’ responsibilities » (Zacchetti et Vardakas, 2008, p. 119). Dès lors, l’éducation aux médias ne répond-elle pas aux enjeux de ces projets éducatifs citoyens et interculturels, tels qu’énoncés par Chen et Starosta (1998, p. 7) : « The field of intercultural communication will play a vital part in teaching new ways of interacting, in helping to negotiate multicultural understandings, in dealing with the frictions that accompany the adjustment to new cultural realities, and in educating citizens to a greater global awareness » ?

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Conclusion

L’interaction incessante des sujets avec l’information par le biais des médias qui en sont les supports technologiques « dont le rôle social est de diffuser les informations relatives aux événements qui se produisent dans le monde – espace public » (Charaudeau, 1997, p. 9), crée une forme de culture informationnelle. Celle-ci, mobilisée par les sujets, articule les modalités d’interaction avec le monde extérieur. En cela, la culture informationnelle est holistique, dynamique et omniprésente. Ainsi intervient-elle, en tant que culture, dans « les unités de sens qui constituent la médiation obligatoire pour notre accès au réel » (Camilleri, 1989). Dès lors, les enjeux qui lui sont afférents représentent des défis majeurs pour l’éducation. Il est important de les identifier préalablement aux finalités. Nous avons vu que le foisonnement d’informations auquel les sujets participent, par le biais des médias, ne crée pas de la connaissance et que la transformation d’informations en savoir nécessite un travail d’appropriation. La relation aux médias, et les conséquences de celle-ci sur la relation au monde, ne va pas de soi. Nous avons également remarqué que, dans le but d’une compréhension et participation à la vie sociale, la capacité de mise à distance critique du caractère polysémique des messages médiatiques est essentielle. Finalement, la place que les médias jouent dans les processus démocratiques et citoyens nous présagent une indispensable maîtrise de leurs mécanismes discursifs et techniques dans le but d’une pleine responsabilisation des sujets. Or, non seulement des réponses éducatives existent, mais elles se retrouvent articulées avec cohérence autour du projet général d’éducation aux médias. De l’élaboration d’un esprit critique à une éducation à la citoyenneté en passant par une dynamique d’apprentissage centrée sur l’apprenant permettant une intégration de la culture informationnelle à son capital de savoirs, l’éducation aux médias apparaît comme une réponse possible et pertinente. Celle-ci permet par ailleurs d’aller plus loin dans la démarche et d’anticiper sur l’un des enjeux majeurs des sociétés de l’information et de la communication de demain : la nécessité croissante de la maîtrise de la communication interculturelle. La diversité culturelle, réalité anthropologique, est aujourd’hui une donnée sociologique de laquelle chacun devrait être en mesure de tirer profit. La communication interculturelle est un processus complexe qui renvoie aux difficultés internes de la communication, agrémentées de problématiques culturelles de gestion du sens. En rencontrant les objectifs majeurs de l’éducation à la citoyenneté, à l’esprit critique, et plus généralement, comme éducation à la communication (médiatique et interculturelle), l’éducation aux médias peut s’envisager dans une approche interculturelle dont la culture informationnelle ne saurait se passer.

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Références

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