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LE SYMBOLISME D'ALFRED DE VIGNY UNE THESE SOUMISE A LA FACULTE DES LETTRES ET DES SCIENCES DE L'UNIVERSITE D'ATLANTA EN CONFORMITE AVEC

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(1)

UNE THESE

SOUMISE A LA FACULTE DES LETTRES ET DES SCIENCES DE L'UNIVERSITE D'ATLANTA EN CONFORMITE AVEC

LES REGLEMENTS POUR LA MAITRISE

PAR

JAMES SAMUEL GATES

DEPARTEMENT DE FRANÇAIS

ATLANTA GEORGIA AOUT 1953

^ ? Üv T - 7f\

(2)

Je voudrais remercier Mrs. W. G. Thomas, professeur de français à Spelman College, qui m'a encouragé et m'a beaucoup conseillé dans la préparation de ce travail*

ii

(3)

CHAPITRE PAGE INTRODUCTION 1 I. PESSIMISME 3

A. Deception.': à l'egard de la nature, de l'amour et de la religion

B. La Solitude morale

C. La Souffrance de l'innocent D. La Destinée humaine

II. STOÏCISME 17 III. OPTIMISME 23

A. L'Efficacité’ des idées 3. L'Épuration de l'Esprit

CONCLUSION 27 BIBLIOGRAPHIE 2 9

iii

(4)

INTRODUCTION

De symbolisme existait dans la poesie française depuis le moyen âge, mais il ne se constitua en mouvement littéraire qu'au milieu du dix- neuvième siècle. Deux grands poètes de génie lui servirent de précurseurs immédiats: Alfred de Vigny et Charles Baudelaire. A cause du symbolisme • unioue qui se trouve dans sa poésie et dans ss autres oeuvres, Vigny occupe une place à part dans la poésie romantique. Il s'en rendait compte et le dit dans la Preface à l'édition de ses poèmes de 1837:

Le seul mérite qu'on n'ait jamais discuté à ces compositions, c'est d'avoir devancé en France toutes celles de ce genre, dans lesquelles une pensée philosophique est mise en scene sous une forme Epique ou Dramatique ... car, dans cette route d'innovations, l'auteur se mit en marche bien jeune, mais le premier.^

Vigny est le penseur de l'école romantique. Ce poète-philosophe exprime ses idées et son lyrisme sous la forme de symboles, et son symbolisme est le fruit de son intellect. Le but de ce travail sera donc l'analyse de ce symbolisme.

Vigny choisit le symbole qui exprime le mieux son sentiment du moment et dans l'évolution de sa pensée le symbole se modifie. On reconnaît son propre

17

/ri s me en étudiant les modifications qu'il apporte a ses symboles.

Pour exprimer cet intellectualisme Vigny choisit ses syaboles tantôt dans l'histoire de l'humanité, Samson, Moïse, le Christ; tantôt dans le monde animal, le loup, le tigre; tantôt parmi les choses inanimées, une bouteille jetée à la mer, la maison roulante du berger et, la grande roue de la

destinée.

1

Alfred de Vigny, 0^urres Complètes, ed. Fcrmand Baldensperger (Paris:

Louis Conard, Librairie - Editeur, 191é) I, p.

1

.

1

(5)

Chez Vigny, le symbole est toujours une comparaison: il faut mourir comme le loup, la vie est comme une prison, et Paris est comme une grande roue. Cette conception du symbole comme comparaison se développera jusqu’à une identification chez Baudelaire.

Ces comparaisons symboliques de Vigny expriment une philosophie comme l'atteste le sous-titre des Destinées, "poèmes philosophiques". La base de la philosophie de Vigny se compose de trois elements: le pessimisme, le stoïcisme, et la foi dans la science et dans le progrès. De ces trois éléments, le pessimisme est celui qui domine.

La poésie de Vigny consiste donc d'un symbolisme qui est le fruit d'un grand intellectualisme. Sous des symboles, Vigny cache son vrai lyrisme.

Cette philosophie exprimée par des symboles est dans ses grandes lignes

pessimiste, mais on y trouve aussi un stoïcisme et une foi dans l'efficacité

du travail intellectuel oui mène à l'optimisme. Dans les chapitres suivants,

nous allons considérer à tour de role ces trois éléments dans la philosophie

de Vigny et comment il a employé des symboles pour les exprimer.

(6)

CHAPITRE I

PESSIMISME

Le thème du pessimisme occupe la plus grande place dans la poésie philosophique de Vigny. Corne les autres grands romantloues, Vigny se préoccupait du role de l'amour, de la nature et de la religion dans la vie de l'homme. L'attitude de Vigny en face de ces trois grands éléments de la vie humaine est pessimiste.

La plus forte exnr^ssion de Vigny sur l'amour se trouve dans "La Colère de Samson". Ici, comme il le fait souvent, Vigny prend son symbole dans la Bible et sous ce symbole il cache son propre lyrisme. Plais, dans ce poème, Vigny est plus lyrique que d'ordinaire, car lui, comme Samson, avait “été trahi par une femme. Ayant souffert atrocement pendant sa liaison avec Marie Dorval, Vigny parle durement de l'amour et de la femmes

Une lutte éternelle en tout temps, en tout lieu Se livre sur la terre, en presence de Dieu, Entre la bonté d'Homme et la ruse de Femme.

Car la Femme est un être impur do corps et d'âme.^

L'homme a besoin de caresses et d'amour, mais la femme â qui il donne sa tendresse ne sait que mentir et tromper;

2

Et plus ou moins la femme est toujours Dalila.

L'histoire de Samson trahi par Dalila symbolise l'éternelle trahison de l'homme par la femme.

Pourtant, guéri de sa souffrance et plus calme, Vigny se ravise et

— - ' — — ‘

Alfred de

Vigny, Les Destinées, "La

Colère de

Samson", lignes

35-38.

2

Les Destinées, "La Colore de Samson", ligne 60.

3

(7)

parle moins amèrement de la femme. Dans "La Maison du Berger", comme dans /

"Sloa", que nous allons étudier plus tard, la femme, plus sensible que l'homme, symbolise la tendresse et la pitié. Sva, dans "La Maison du Berger" représente l'amour qui console et qui soutient le poète contre la société,et la nature qui ne lui offrent que déceptions. Vigny s'adresse à Lva avec tendresse et avec admiration:

Ta parole joyeuse a des mots despotiques;

Tes yeux sont si puissants, ton aspect est si fort, Que les rois d'Orient ont dit dans leurs cantiques Ton regard redoutable à l'égal de la mort;

Chacun cherche à fléchir tes jugements rapides . . . - Mais ton coeur, qui dément tes formes intrépides, Cede sans coup férir aux rudesses du sort.

Ta pensée a des bonds comme ceux des gazelles, Ton coeur vibre et résonne au cri cte l'aoprimé, Tes paroles de feu meuvent ces multitudes

C'est à toi qu'il convient d'ouir les grandes plaintes Que l'humanité triste exhale sourdement.

Eva, j'aimerai tout dans les choses creees, Je les contemplerai dans ton regard rêveur Qui partout répaadra ses flammes colorées, Son repos gracieux, sa magique saveur:

Sur mon coeur déchiré viens poser ta main pure, Ne me laisse jamais seul avec la Nature;

Car je la connais trop pour n'en pas avoir peur.

1

La nature n'est pas pour Vigny la consolatrice telle que la trouve Lamartine, ni la mère universelle dont chante Hugo. Pour lui elle est indifférente, impassible et cruelle envers l'homme et il la voit comme un grand théâtre, un decor silencieux où joue l'homme en acteur. A vrai dire, la nature n'est pas seulement un décor indifférent pour la comédie humaine, elle est même hostile à l'homme puisqu'elle se nourrit des morts.

1

Les Destinées, "La Maison du Berger", lignes 239-2Ù5; 2h.6; 2£ii; 260,

261; 27I1-2ÔÔ.

(8)

Elle me dit: "Je suis l'impassible theatre Que ne peut remuer le pied de ses acteurs;

Mes marches d'émeraude et mes parvis d'albâtre,

Mes colonnes de marbre ont les dieux pour sculpteurs.

Je n'entends ni vous cris ni vos' soupirs; à peine Je sens passer sur moi la comédie humaine

Qui cherche en vain au ciel ses muets spectateurs,

"Je roule avec dédain, sans voir et sans entendre, A coté des fourmis les populations;

Je ne distingue pas leur terrier de leur cendre, J’ignore en les portant les noms des nations.

On me dit une mère et je suis une tombe.

Mon hiver prend vos morts comme son hécatombe, Mon printemps ne sent pas vos adorations.

Vigny ne trouve aucune inspiration dans la nature qui est seulement

"une décoration dont la durée est insolente, et sur laquelle est jetée 2

cette passagère et sublime marionette appelée l'homme". Il ne sent pas la présence de Dieu dans cette nature comme la plupart des romantiques.

I.a nature est indifférante et Dieu qui l'a créée est sourd aux cris de souffrance de l'homme, pense Vigny, et il arrive finalement è une negation de la religion chrétienne. Kossé est d'opinion que Vigny croyait que la religion chrétienne est une religion de désespoir, car

Il remarque que les dogmes chrétiens eux-mêmes engendrent le pessimisme, que la religion du Christ est une religion de désespoir, puisqu'il désespère de la vie, et n'espère qu'en l'éternité.b

Vigny croit qu'ici-bas, tout est mystère, hormis notre souffrance. Il est inutile de prier ou d'appeler le secours de Dieu, dit Vigny dans "Le Mont des Oliviers", parce que Dieu resta sourd même à l'appel de Jésus.

Donc, si Dieu ne nous répond pas, cessons de l'interroger

1

Les Destinées, "La Maison du Berger", lignes 281-29U.

2

Oeuvras (Journal d'im Poète) VII, p. 3^6.

3

r - -

u. MOS se,

U6-#

"Le Pessimisme de Vigny", La Nouvelle Revue, XLIX (1907),

(9)

Et ne répondons plus que par un froid silence Au silence étemel de la divinité.

Vigny est donc pessimiste à l’egard de l’amour, de la nature et de la religion, ce qui le mène à la conviction que l’homme vit et meurt seul.

Ce sentiment de la solitude morale domine et résume ’. oute la poésie de Vigny.

Vigny éprouva beaucoup de déceptions dans sa vie d’être social. 11 se maria avec une Anglaise, Lydia Bunbury, qui ne savait .jamais lui donner l’amour et la consolation qu’il cherchait; il eut une liaison avec Marie Dorval, mais cette liaison finit dans la tromperie; et plusieurs fois il ne réussit pas dans sa candidature à l’Académie française avant d'y être élu en 18U£. En 1837» il eut la grande douleur de perdre sa mère qui

avait occupé une grande place dans sa vie.

Ces déceptions et la douleur de perdre sa mère menèrent Vigny a décider de se retirer dans ce qu'il nommaitla sainte solitude^ et dans ce que Sainte-Beuve appelait ^sa tour

d'ivoire))

. Vigny écrit fière¬

ment

Quand j'ai dit: «La solitude est sainte>> je n'ai pas entendu par solitude une séparation et un oubli entier des hommes et de la société, mais une retraite où l'âme se puisse recueillir en elle—même, puisse jouir de ses propres facultés et rassembler ses forces pour produire quelque c’-’ooe de grand. - Cette production ne neut jamais être qu'un reflet des impressions reçues de la Société, mais il sera d'autant plus brillant que le miroir sera plus clanifié par la retraite et plus épure par la flamme d'un amour extatique de la pensée et l'ardeur d'un travail opiniâtre.

Ce désir de Vigny pour la sainte solitude est le fruit de sa

1

Les Destinées, "Le Mont des Oliviers", lignes lJt8-lii9.

2

Oeuvres (Journal d'un Poète), p. 206.

(10)

7

douloureuse experience personnelle. Plusieurs années avant 1037, l'année de cette retraite, on trouve dans sa poésie le thème de l'isolement de I 'honsaede génie. Il croit eue l'homme supérieur est toujours seul et incompris dans le monde. Il lui faut vivre de ses propres pensées et il vit toujours d-ns la solitude parce qu'on ne le comprend pas et on a même peur de lui.

Dans "La Fille de Jephté", on trouve la première allusion dans l'oeuvre de Vigny à l'homme de génie qui marche seul dans la gloire.

Jephté, grand juge d'Israël, chef de l'armée, vainqueur de ses ennemis, rentre d'une bataille, mais il n'est pas heureux, il est seul et silencieux.

II a promis a Dieu de sacrifier le premier'être qu'il voie en retournant de la bataille. Cet être, ironiquement, se révèle sa propre fille. Sachant cela, il ce sent accablé de douleur au milieu de sa gloire

Le peuple tout entier tressaille de la fête.

- Mais le sombre vainqu°r marche en baissent la tête;

Sourd à ce bruit de gloire, et seul, silencieux ...•*•

Deux ans après la date de ce poème, Vigny donna sa meilleure expres¬

sion de la solitude de l'homme de génie: <"<. Moïse». Il prend le symbole de Moise dans la Bible comme il l'avait fait pour "La Colère de Samson"

et "La Fille de Jephté", mais il ne s'en sert que comme d'une masque.

Ce grand nom ne sert que de masque à un homme de tous les siècles et plus moderne qu'antique: l'homme de génie, las de son étemel veuvage et désespère de voir sa solitude plus vaste et plus aride à mesure qu'il agrandit. Fatigué de sa grandeur, il demande le néant. Ce désespoir n'est ni juif ni chrétien, c'est peut-être un criminel mouvement; mais tel au'il est, il me semble ne nanauer ni de vérité ni d'élé- vation.

1

Poèmes, "La Fille de Jephté", lignes 15>-17.

2 v /

Correspondances, Lettre a Mlle• Maunoir, du 27 décembre, 1838.

(11)

Moïse symbolise la solitude de l'âme dans le travail et dans le génie. Moïse souffre de 1? misère de la solitude morale - ce sentiment d'être seul parmi ses semblables parce qu'il est l'élu de Dieu. Il est triste, seul et incoraoris dans sa gloire. •

u

'amitié, l'amour, tout lui

1 est ferme. "J'ai marché devant tous, triste et seul dans ma gloire."

Moïse, cet homme de Dieu qui emmena les Hébreux dans l’exode d'Egypte et qui fit se ranger les grandes eaux de la Mer Rouge, ne connaîtra jamais le bonheur. Il alla chercher et demander pitié à Dieu.

Et, debout devant Dieu, Wise, ayant pris place, Dans le nuage obscur lui parlait face a face.

Il disait au Seigneur: <& Ne finirai-je pas?

Ou voulez-vous encor que je porte mes pas?

Je vivrai donc toujours puissant et solitaire?

Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre?è?2

Dieu resta sourd. Encore une fois, nous voyons Dieu comme l'ètre in¬

différent à l'angoisse et aux plaintes des hommes même quand ce sont s'-s élus.

Un autre homme de génie, le poète, est aussi victime de l'indifférence et de l'hostilité de la société et il doit vivre donc dans la solitude.

De tous les hommes supérieurs, les poètes sont les plus misérables. Dans Stello Vigny montre que sous n'importe quelle forme de govornement, les poètes souffrent. Il choisit Gilbert pour montrer la crainte des poetes que ressent la monarchie absolue; André Chénier est victime du gover- neraent républicain qui dédaigne les poètes comme inutiles; Chatterton s- rt à montrer que la démocratie les hait et les méprise. Le poète prend son parti de la solitude parce qu'il ne faut pas se mêler à la

1

Poèmes, 2

Poèmes,

"Moïse", ligne 98.

"Moïse

u }

lignes ii5>-5>0.

(12)

9

politique et il "est toujours malheureux parce que rien ne remplace pour

1

lui ce qu'il voit en rêvant". liais, seul et libre, il accomplit sa mission. "Les animaux lâches vont en troupes. Le lion marche seul dans

2

le desert. Qu'ainsi marche toujours le poète." Ce sont seulement les poètes et les artistes oui ont le bonheur de pouvoir accomplir leur mission dans la solitude, parce que la solitude est la source des in¬

spirations. Les poètes dans la société sont comme les hirondelles que doit protéger la société. Les poètes comme ces oiseaux portent le bonheur à 1*hommej mais, ils ne restent qu'un moment sur la terre et tout ce qu'ils voient de la vie, ils le voient du haut du firmament.

Ainsi, les hommes de génie que symbolisent Moïse et Chatterton, sont isolés de la société et mal compris par leur semblables parc qu'ils vivent au-dessus des peuples. Ils vivent dans la solitude qui leur est sainte et qui leur fournit des inspirations. Cette solitude morale occupe une place d'importance dans la philosophie pessimiste de Vigny.

Cependant, cette philosophie s'élargit et on y prouve des idées défini¬

tives sur la souffrance de l'innocent et sur le rôle de la destinée dans la vie humaine. La souffrance de l’innocent est une des choses mysté-- rieuses de la vie que Vigny ne pouvait comprendre et qui contribue à son

pessimisme à l'egard, de la religion.

^ /

En 1823, Vigny écrivit "Sloa" qui nous donne quelques-unes de ses idées sur le sacrifice de l'innocent. Ici, c'est 1° sacrifice d'un

/

ange pour Satan. Ce sacrifice cependant est inutile. Eloa, née d'une

1

Oeuvres, (Journal d'un Poète), p. U3*

2

Ibid. (18U2), ci é par René Canat, Alfred de Vigny, (Paris: H.

Didier, 1930), p. 371.

(13)

larme du Christ, s'apitoyant sur Satan, descend du ciel pour le sauver.

Elle croit, apres avoir écoute sa plainte, qu'elle peut le rendre heureux, liais, Satan la tromoe. Ecoutons l'entretien d'Eloa et de Satan:

Où me conduisez-vous, bel ange? - Viens toujours.

- Que votre voix est triste, et quel sombre discours!

IJ'est-ce pas Éloa qui soulève ta chaîne?

J'ai cru t'avoir sauvé. - IJon, c'est moi qui t'entraîne.

- Si nous sommas unis, peu m'importe en quel lieu!

Nomme—moi donc encore ou ta Soeur ou ton Dieu!

- J'enlève non esclave et je tiens ma victime.

- Tu paraissais si bon! Oh, qu'ai-je fait?

- Un crime.

- Seras-tu plus heureux du moins, s-tu content?

- Plus triste que jamais. - Qui donc es-tu?

- Satan. x

Croyant qu’elle fait du bien à un homme pitoyable, Eloa est trompée et son sacrifice ne sert à rien*

U"Sloa", Vigny va au "Déluge" où on trouve ses la souffrance du juste, victime du méchant.

idées S l'égard de

Dans le "Déluge", l'Ange demande à Emmanuel, qui n'est pas de la famille de Noé, d'aller sur la montagne et de prirr Dieu de le sauver quand viendra le déluge. Il mène Sara, dont il s'est épris, avec lui.

Est-ce un crime? h'importe oui ou non! Dieu les laissa mourir avec les méchants.

Aussi, quel crime commit—elle, la fille de Jephte? Aucun. En retournant d'une bataille, son pore ferma les yeux quand il vit sa fille parce ou'il avait promis à Dieu de sacrifier le premier vivant qu'il vrt.

Il fallait une hostie, mais fallait-il sa fille unique qui est innocente?

Oui. Nul autre sacrifice n'eût suffi. Jephté dit*

1

Poèmes, «•P loa" > lignes 257-267.

(14)

11

<*C'est vous, liélasi C'est vous, ma fille bien-aimée?^

Dit le père en rouvrant sa paupière enflammée;

<<Faut-il que ce soit vous! 0 douleur des douleurs 1 Seigneur, vous êtes bien le Dieu de la vengeance:

En échange du crime il vous faut 1'innocence.1

Vigny n'aime pas ce Jéhova cruel et jaloux de l'Ancien Testament qui demande l'innocence en échange du crime. Ce Jéhova ne s'intéresse pas aux

souffrances des innocents; il ne réoond pas aux -plaintes des hommes.

Emmanuel, dans le "Déluge", ayant reyu la promesse de l'Ange qu'il le sauverait, attend en vain sa délivrance. Emmanuel parle avec Sara:

Dieu nous a-t-il fait grace?

- La colombe est passé et ne vient pas a nous.

- Emmanuel! la mer a touché mes genoux.

- Dieu nous attend ailleurs à 1'arbri des tempêtes.

- Ton père ne vient pas; nous serons donc punis?

- Sans doute après la mort nous s-.rons réunis.

- Venez, Ange du Ciel, et prêtez-lui vos ailes! ^ - Ilecevez-la, mon père, aux vouées éternelles!'

Dieu les laissa périr donc, mais pourquoi? Vigny posé la même question dans "Sloa".

/

Eloa, se rendant compte qu'elle va se perdre, cherche les anges qui peuvent la sauver. Elle ne l°s voit pas; Dieu 1'abandonne et lui enlève même la vue des cieux qui pourrait la soutenir.

Deux fois encor levait sa paupière infidèle Promenant des regards encore irrésolus,

Elle chercha s-:;s Cieux qu'elle ne voyait plus.-5

L'idée maîtresse ici et dans "La Fille de Jephte" aussi bien que dans

1

Poèmes, "La Fille de Jephte", lignes Ji7-é9; 5l, £2.

2

Poèmes, "Le Déluge", lignes 308-311; 313-316.

3

Djid., "Eloa" , Lignes 2é3-25>0.

(15)

"Le Déluge", est que Dieu trompe l'homme. Pourquoi fallait-il que Jephte sacrifiât sa fille unique? Pourquoi Dieu ne répondit-il pas à l'appel de secours d'Emmanuel? Pourquoi Dieu permit-il à Eloa de s'entraîner?

Vigny considère très soigneusement ces questions et conclut que "La mort

1

de l'Innocence est pour l'homme un mystère". de pourquoi pèse sur son esprit. Puisque Dieu trompe l'homme et lui demande des sacrifices inutiles et ne répond pas du tout â son appel, Vigny n'accepte pas ce Dieu. Cette souffrance inexplicable sert donc a augmenter sa philosophie pessimiste.

Cette croyance aboutit au "Mont des Oliviers", ou Vigny dépeint Dieu comme celui qui ne répond meme pas à l'appel de son propre fils qui vint innocent en mission de bonté dans le monde et qui sacrifie sa vie pour l'homme. Vigny conclut que: si Dieu ne répond pas a son propre fils, l'homme ne doit répondre que par un froid silence au silence étemel d la Divinité.

La

Philosophie

de Vigny donc est basée sur les faits que Dieu est cruel et

sourd

aux plaintes de l'homme, et que l'homme, seul dans le monde,

pendant son séjour ici-bas ne trouve ni consolation ni bonheur dans l'amour, la nature, ou la. religion. En somme voici cette philosophie de la vie:

L'homme est seul, ayant été jeté sur la terre sans

savoir

d'oîi il vient ni ou

il

va. Dieu créa la terre et l'homme et las laissa aller, n'ayant plus aucun intérêt à leur sort. Dans le Journal d'un Poète sous la date de l82li, Vigny s arable noter pour la première fois sa croyance au princioe de la

pre de stinaiion.

ï

Poèmes, "Le Déluge", ligne lU6.

(16)

13

Dieu a jeté - c'est ma croyance - la terre au milieu de l'air et de même l'homme au milieu de la destinée. La destinée l'enveloppe et l'emporte’/ers le but toujours voilé. '

L'homme "à sa naissance est voué au malheur, qui le presse de toute part; c'est en vain qu'il se débat sous son étreinte cruelle.

Depuis le premier jour de la création,

Les pieds lourds et puissants de chaque Destinée Pesaient sur chaque tête et sur toute action.

Ayant subi le poids des destinées dès sa naissance, ces destinées emportent l'homme vers un but inconnu; il est inutile de résister parce nue les

destinées sont Plus fortes eue lui.

3 L'homme sera toujours un nageur incertain.

Il y en a oui aient combattu toute leur vie: lorsqu'ils se sont laissé emporter par le courant, ces nageurs ont été noyés .h L'homme espérait nue le christianisme remplacerait ces terribles et inflexibles divinités. Mais le christianisme ne déplaça la destinée nue pour substitutuer la Grâce à la Fatalité. Ainsi l'homme doit se résigner encore au malheur et à l'incertitude.

Dans “Le Malheur", Vigny crée un personnage sinistre qui rode à travers les pâles cités; il vient têt ou tard au seuil de la porte de chacun et le reste de son existence lui appartient. Personne ne peut y échapper.

Vigny, pour exprimer cette philosophie, crée d'autres symboles comme la prison et la roue de la destinée.

La prison symbolise la vie qui est malheureuse pour 1'homme. L'homme

1

Oeuvres (Journal d'un Poète), p. 20.

2

Les Destinées, "Les Destinées", lignes 1-3*

3

Ibid., ligne 33*

h

Oeuvre s (Journal d'un Poète), p. 20.

(17)

pendant son séjour dans le monde est comme un prisonnier. H sait seule¬

ment qu'il est prisonnier. Il ne connaît pas du tout la ra.ison de sa condamnation. Il faut se résigner, subir sa condamnation et mourir sans crier. Nous remarouons ici une tendance dans le pessimisme de Vigny qui mène plus tard au sto'icisme.

Vigny écrivit dans son Journal d'un Poète à ce sujet:

Dans cette orison nommée la vie, d'où nous partons les uns après les autres pour aller à la mort, il ne faut compter sur aucune promenade, ni aucune fleur

Plus tôt, il avait déjà dit

O

L'espérance est la plus grande de nos folies.

Plus loin, il écrit, en parlant de la vie:

C'est une prison perpétuelle. Les captifs n'ont que deux états: Léthargie ou Convulsions, Ennui ou Inquiétude,

et vont toujours de l'un ù l'autre. De temps à autre on en tire un de la prison pour n'y jamais rentrer. On ne sait ou il va Les captifs ne savent pas pourquoi ils sont en

prison, quelle a été la faute, le procès et le juge, mais ils savent qu'ils sont cruellement traités... Voilà l'état vrai de l'homme dans la vie.3

L'homme ne subit pas seulement la orison mais une grande roue qui l'emporte vers un but inconnu, regarde la ville du haut d'une tour a Montmartre, une grande roue qui tourne sans cesse. Cette roue

il se trouve poussé par Dans "Paris", Vigny Paris donc représente est contrôlée par la main de Dieu.

Oui, c'est bien une Houe, et c'est la main de Dieu Qui tient et fait mouvoir son invisible essieu.

Vers le but inconnu sans cesse elle s'avance.'4

1

Oeuvres (Journal d'un Poete), p. 171.

2

Ibid.

3

Ibid., p. 2ô9.

il

Poèmes, "Paris", lignes itl-1'3»

(18)

15

Et l'homme passe sa vie comme cela et ne courra jamais savoir la réponse à cet énigme qu'est la vie:

Chacun d'eux courbe un front pale, il prie, il écrit Il désespère, il pleure, il espère, il sourit;

Il arrache son sein et ses cheveux, s'enfonce Dans l'énigme sans fin dont Dieu sait la réponse, Et dont l'humanité, demandant son décret, ^ Tous les mille ans rejette et cherche le secret.

uin

L'homme n'est pas seulornent.prisonnier qui vit dans l'incertitude, mais il se rend comote aussi qu'il manque de moyens pour exprimer scs rêves et ses idées. Dans "La Flûte", Vigny dépeint l'homme comme un être qui joue et rejoue à sa flute mais qui ne pourra jamais faire chanter sa flûte comme il le voudrait. Dans ce monde, l'homme rencontre donc des bornes qui empêchent l'union de l'esprit et du corns. Dans son âme l'homme

sait ce qu'il veut dire mais les moyens dont il dispose ne lui permettent pas de l'exprimer. Il dit:

Du corps et non de l'âme accusons l'indigence.

Des organes mauvais servent l'intelligence

Et touchent, en tordant et tourmentant leur noeud, Ce qu'ils peuvent atteindre et non ce qu'elle veut.

q

Tout homme a vu le mur qui borne son esprit.

Le pessimisme de Vigny se compose de plusieurs éléments comme nous venons de le voir. Selon Vigny la nature n'offre aucune consolation a l'homme, elle ne sert que de décor; la femme est celle qui lui révèle la pitié et la tendresse, cependant la femme peut le tromper; il rejette Dieu qui, après la création, ne manifeste aucun interet à l'homme; il croit one le sacrifice do l'innocent est inutile; l'homme se trouve seul

1

Poemes, "Paris", lignes 89-95.

2

Les Destinées, "La Flûte", lignes 109-112; 108.

(19)

dans le monde, ne sachant ou il va; et, l'homme rencontre les bornes

de son esprit, liais, ce pessimisme n'est pas négatif. C'est le pessimisme

d'un homme fort qui lutte d'abord contre la destinée et le malheur mais

qui en se rendant compte au'il lutte en vain, se résigne a accepter le

sort. Le pessimisme de Vigny aboutit donc à un stoïcisme.

(20)

CHAPITRE II

STOÏCISME

Quoique Vigny ait une philosophie pessimiste de la vie, ce pessimisme est sans passivité et arrive définitivement \ un stoicïsiue qui se formait chez lui pendant de longues années. Toute sa vie le poète se trouvait forcé è lutter contre la destinée. Il cherchait le bonheur dans l'amour, il espérait devenir célèbre dans la carrière militaire; mais il ne trouva que deceptions. En face de ces deceptions, Vigny se mit a accepter les choses comme elles sont. Cet acte d'accepter le sort sans lutter témoigne d'un stoïcisme qui devint finalement chez Vigny une résignation complète.

On lit dans le Journal d'un Poète dès 1832:

Je suis résigné à tous les maux et je vous bénis à la fin de chaque jour lorsqu'il s'est passé sans malheur. - Je n'espère rien de ce monde et je vous rends grace de m'avoir donné la puissance du travail oui fait que je puis oublier entièrement en lui mon ignorance éternelle.

Ici Vigny constate que le travail est le remède pour ce pessimisme. Mais, malgré ce travail, la douleur saisit l'homme et ne le relâche jamais.

Vigny choisit un vaisseau comme symbole d'exprimer son désir de se laisser aller au vent dans les orages de la souffrance. En 1833, il écrivit

Un vaisseau cargue toutes ses voiles dans l'orage et se laisse aller au vent. Je fais de même dans les chagrins et les grands événements; pour ménager les forces de ma tête, je ne lis ni n'écris, et je ne laisse prendre a la vie sur moi que le moins possible.

1

Oeuvres (Journal d'un Poète), VII, p. 2l£.

17

(21)

Maigre tout ce travail de la volonté', la douleur nous saisit malgré nous et reste la.-*-

ïrois ans plus tard, on trouve dans le Journal d’un Po?te une notation qui montre que Vigny avait l'intention d'écrire un roman dont un chanitre traiterait le stoïcisme:

Roman Moderne. - Un Homme D'Honneur. - L'honneur est la seule hase de sa conduite et remplace la religion en lui ...

L'honneur le défend de tous les crimes et de toutes les bassesses: c'est sa religion. Le christianisme est mort dans son coeur. A sa mort, il regarde la croix avec respect, acconrolit tous ses devoirs de chrétien comme une formule et meurt en silence.

Vigny passa les années suivantes en travaillant au Maine-Giraud et a Paris; et, pendant ces années il pensait de dus en plus au stoïcisme.

Il conclut enfin qu'il faut se résigner au mal de l'existence. Cette résignation cependant est

faite avant tout de raison et de fierté: de raison, puisqu'il est absurde de résister, la résistance étant vaine,

absurde aussi de s'indigner, notre indignation ne couvant s'en prendre k personne; et de fierté, puisqu'il serait lâche de

gémir, lâche aussi de supplier. Accomplissons donc virilement notre tâche d'homme; nuis, quand viendra la mort, soyons stoïques en face d'elle.3

Cette citation résume 1? ohilosophie de Vigny telle qu'il l'a exnrimée dans "La Mort du Loup", poème qui donne la meilleure exnosition de son stoïcisme. Il connaissait depuis longtemps le passage de Byron (Childe Harold, IV, xxi) qui lui a servi de point de départ: <H^ On peut supporter l'existence, et la profonde racine de la vie et de la souffrance peut avoir une forte emprise dans des coeurs nus et désolés; muet, le chameau

1

Oeuvres. (OD. Cit), p. 2£l.

2

Oeuvres (Journal d'un Po'te), VII, p. 308.

3 ,

x

Braunschivig, Marcel. Notre Littérature étudiée dans les textes, XIX siècle, Vol. I, (Paris, 1920), p. l\jk.

(22)

19

peine sous les plus lourds fardeaux, et le loup meurt en silence^ . Dans la poésie de Vigny, le loup est peut-être le symbole le plus célèbre. Vigny choisit le loup pour illustrer que les animaux libres et sauvages ont appris à mourir, mais non pas l'homme qui est cependant au sommet du monde animal.

Quoique le loup nous donne un des meilleurs exemples du symbolisme

y

de Vigny, on a parfois critique cette choix du loup pour exprimer que tous les animaux meurent en silence. N'y a-t-il donc pas des animaux qui crient en mourant? Mais,quoique le caractère du loup soit exagère, le poème reste le meilleur pour étudier le stoïcisme de Vigny.

Le poème commence avec une boite description d'une chasse qui eut lieu la nuit, probablement dans la foret du Naine-Giraud, propriété ou Vigny passa bien des années consacrées au travail et à la sainte-solitude.

Il avait repu sa connaissance de la chasse non seulement en y prenant part mais aussi en écoutant des histoires de chasse que lui racontait son père.

Au Tronchet, j'aopris de mon père à tirer un coup de fusil et à voir ot à aimer les chasseurs et la chasse; mais les récits des chasses passées me plaisaient plus que le spectacle des chassas mesquines que je voyais

Son père tirait ces histoires de chasse d'un grand stock de souvenirs, nous explique Vigny:

Mon grand-père était fort riche ... il faisait en Beauce.

avec mon père et ses sept frères, de grandes chasses au loup.

Aussi les premiers vers du poème nous donnent-ils une belle description

1

Oeuvres (Journal d'un Poète, I8)i7).

2

Ibid., VII,

p.

199.

(23)

de la nuit:

Les nuages couraient sur la lune enfammée Comme sur l'incendie on voit fuir la fumée, Et les bois étaient noirs jusques à l'horizon.

Vigny dépeint l'homme comme l'ennemi du loup contre lequel il lutte .jusqu'à ce qu'il sache que sa lutte est en vain. Puis, il meurt sans jeter un cri. En regardant comment meurt le loup, Vigny l'admire et se met a penser à l'exemnle eue l'homme pourrait trouver dans cette mort courageuse. L'homme ne sait encore coüiment il doit quitter la vie. A ce point, le poète nous donne l'explication du symbole dans des vers magnifiques qui commencent:

Hélas ! ai-je pensé, maigre ce grand nom d'hommes, Que j'ai honte de nous, débiles que nous sommesI Comment on doit quitter la vie et tous ses maux, C'est vous qui le savez, sublimes animaux!

A voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisse, ^ Seul le silence est grand; tout le reste est faiblesse.

L'homme dans ce monde a peu de valeur quand on le compare a l'im¬

mutabilité de la nature. îîi l'homme ni son oeuvre ne valent grarid'chose.

Le silence estnlus grand qu'eux. Le ooète avait toujours constaté" qu'il aimait le silence quand il écrivit: Le silence est la Poésie ra^me pour

3

moi. Maintenant, il soutient cette croyance a la grandeur du silence en disant: Seul le silence est grand. Vigny rejette Lieu qui reste sourd;

il se détourne de la nature insolente qui n'est qu'une décoration. Il croit que l'homme dans ce monde et dans l'au-delà ne doit compter que sur lui-même. Après avoir été abandonné par Dieu et decju par la société,

_ _

Les Destinées, "La Mort du Loup", lignes 1-3»

2

0t>. Cit., "La Mort du Loup", lianes 73-78.

3 N

Oeuvres (Journal d'un Poete), VII, p. 162.

(24)

21

l'homme n'a qu'une seule defense, c'est la solitude, la sainte solitude, acceptée, aimée et voulue.

Mais l'homme se trouve dans ce monde où il souffre toujours. Faut- il se résigner en silence a tous ces maux? Oui. Celui qui lutte est brave mais il n'est pas assez fort. L'homme doit donc accepter son sort et il est lâche de gémir, de pleurer ou de prier. Dans la vie du poète, il y avait, cependant, des gémissements: il avait gémi sans doute en se trouvant condamé à une vie de malheur, aussi en trouvant fermée la porte qui aurait mené â la grandeur dans la carrière militaire. H'avait-il pas pleuré quand il fut trompé per Marie Dorval? N'avait-il pas prié quand mourut sa mère? Oui. Mais celui qui fait ces choses est lâche. Il faut être fier et sto'icue en face dos souffrances

J

Ce stoïcisme de Vigny est le résultat de la souffrance qui infaillible¬

ment accablé chacun de nous dons la condition humaine. Dans sa résignation au mal et à la souffrance, l'homme ne devrait pas être passif. Le seul remède pour cette souffrance c'est le travail. Comme Candide, il faut cultiver notre jardin; mais, Vigny va plus loin oue cela. Ce travail doit être de l'esprit et du corns. Ces idées sont bien exprimées dans le conseil que donne le loue et qui foiatij& la conclusion au poème:

Si tu oeux, fais nue ton .âme arrive, A force de rester studieuse et nensive,

Jusqu'à ce haut degré do stoïque fierté

Où, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord monte.

Gémir, nleurer, nri^r, est également lâche.

Fais énergiquement ta longue et lourde tâche Dans la voie où 1° Sort a voulu t’appeler,

Puis, après, comme moi, souffre et meurs sans parler.”

Cette grande foi dans le travail, studieux et pensifmène Vigny

Op. cit., "La Mort du Loup", lignes 81-83. j

(25)

a une espece d'ontimisme que nous allons maintenant examiner.

(26)

CHAPITRE III

OPTIMISME

La philosophie de Vigny ne se termine ni dans le pessimisme ni dans le stoïcisme. Au-dessus de ses croyances pessimistes et sto'iques brille une lueur: l'optimisme. Cet optimisme se compose d'un espoir dans le progrès, d'une grande croyance dans le triomphe final des idées et dans le règne de l'esprit pur.

Ses convictions sur le progrès et sur le triomphe des idées trouvent leur meilleure expression dans un de ses derniers poèmes, "La Bouteille à la Mer" qui fut publié dans la Revue des Deux-Mondes, le premier février, l85>h. Mais l'idée essentielle de ce poème se trouve douze ans auparavant dans le Journal d'un Poète:

Un livre est une bouteille jetée en pleine mer, sur laquelle il faut coller cette étiquette: attrape qui peut! -*■

C'est cette idée qu'il pousse plus loin dans ce poème qui raconte une histoire touc’ ante et dramatique*

Un jeune capitaine qui vient de faire des découvertes très importantes, se rend compte de son p^ril Pendant un orage près des bords de l'Amérique du Sud. Sachant qu'un naufrage était inévitable, il cherchait un moyen de protéger ses découvertes. Enfin, il choisit une bouteille, qui dans un jour plus heureux avait fourni du champagne pour une fête, et il y enferma

le journal savant, le calcul solitaire, Plus rare que la perle et que le diamant.^

Oeuvres (Journal d'un Poète, 18U2).

Les Destinées, "La Bouteille à la Mer", lignes 31-32.

23

(27)

Au moment ou le navire coule au fond de la mer, le jeune caoitaine jette le flacon a la mer en disant: Qu'il aborde, si c'est la volonté de Dieu!^

La bouteille erre dans l'entendue et grâce aux courants du Golfe du Méxicue, elle arrive apres une année, au bord de la France. Un pêcheur la prend dans ses filets et la porte à un savant qui déchiffre le journal et re¬

connaît sa valuer.

La bouteille devient donc le symbole de l'efficacité et de la valuer du travail intellectuel. Quand le pêcheur demande au savant ce eue contient cette bouteille, il répond

Pêcheur, c'est la science, C'est l'élixir divin rue boivent les esprits, Trésor de la pensée et de l'expérience,

Ct si tes lourds filets, o pêcheur, avaient pris L'or oui toujours serpente aux veines du Méxinue, Les diamants de l'Inde et les perles d'Afrique.

Ton labeur de ce jour aurait eu moins de prix.

Le travail intellectuel que représente ce que renferme la bouteille ne sera jamais perdu. La nature peut écraser l'homme, mais elle ne peut pas détruire le travail de son "Sprit. Dieu, avec son propre doigt, dirige au port cette protectrice des idées. Le poète se tourne donc vers un Dieu, un Dieu des idées, qui s'intéresse uniquement à. l'idée elle-même, un Dieu qui peut toujours rester indifférent aux plaintes de l'homme mais qui ne laissera pas périr une seule pensée de l'esprit humain:

Que Dieu peut bien permettre à des eaux insensées De perdre des vaisseaux, mais non pas des pensées;

Et qu'avec un flacon il a vaincu la mort.1-

3 Pour Vigny, "Le vrai Dieu, le Dieu fort est le Dieu des idées".

1

Les Destinées, "La Bouteille à la Mer", lignes lL3-l3!i.

2

Ibid., lignes 103-103.

3

Ibid*, ligne 176.

(28)

Dans la conclusion du poème, Vigny explique le symbole. De poète dans la vie est co;ane ce capitaine. Il passe de longues heures dans la

sainte solitude, consacrées au travail intellectuel. Le poète travaille, recueille son travail et puis il le jette à la mer des multitudes. Il espère toujours que quelqu'un le trouvera, et reconnaîtra sa valeur. Mais, en le jetant, il doit se cire: <"<Qu'il aborde, si c'est la volonté des Dieux. Le poème termine avec cette expression magnifique d'un acte de foi.

Sur nos fronts où le germe est. jet.* par le sort, Répandons le savoir en fécondes ondées;

Puis, recueillant 1° fruit tel que de l'âme il sort, Tout empreint du parfum des saintes solitudes,

Jet ns 1'oeuvre è i- mer, la mer des multitudes: ^

— Dieu la prendra du doigt pour la conduire au port.

Après le publication de "La Bouteille â la Lier", Vigny resta de plus en plus retiré de la société sauf pour assister aux séances de l'Académie française. Au Maine-Giraud il passait bien de nuits à ouvrir des parche¬

mins et a fouiller dans des documents pour s'instruire dans la généalogie des ses ai'eux. Vigny avait marché sur les traces de ces gentilshommes campagnards, dans issu, il se trouve le dernier de cette famille; il est fier cependant d'être le premier qui ait rendu illustre un nom qu'on lui avait transmis sans gloire. Il s'en rend compte et s'en vante dans "l'Dsprit pur".

/

Ce poème qui s1addresse a la femme idéale, Eva, est mystiouej cependant, on y trouve au fond les convictions du poète sur l'aristocratie des penseurs.

Il croit dans l'éour-ti-u de la pensée individuelle et dans "l'Esprit pur";

il.salue sa souveraineté. La production littéraire de Vigny est beaucoup

Les Destinées, "La Bouteille à la iùrr", lignes 177-132.

(29)

plus restreinte que celle de ses grands contemporains. Il voulait pro¬

duire une oeuvre qui portât les marques d’un pur esprit, d'une intelligence supérieure. Les idées dans l’oeuvre devraient être aussi mires que l'or.

Cette conviction sur la pureté de la pensée le menait à passer des ;jours, des mois et même des années à travailler dans sa tour d'ivoire sans en laisser sortir une seule oeuvre. Vigny, fier de son rang de penseur dans l'école romantique, se croit roi parce que les vrais rois sont ceux de la pensée. L'ère de ces souverains est le règne de l'esprit pur,

1

Ton rogne est arrivé, PUE ESPRIT, roi du monde

i

et sa durée est étemelle.

L'oeuvre de Vigny s'achève donc sur un chant d'espoir et sur une affirmation héroïque de l'optimisme. Six mois après la publication de

"L'Esprit Pur", la prison qu'est la vie s'ouvrit et ce cygne qui chantait en expirant, nagea dans la grande mer de l'éternité.

1

Les Destinées, "L'Esprit Pur", ligne

$0

(30)

CONCLUSION

Le symbolisme de Vigny nrésente vraiment une innovation, car il exprime non seulement une idée mais toute une philosophie des grands problèmes de la vie humaine. Caché sous ses symboles est son propre lyrisme; mais, en traitant ces symboles, il les développe au point où ils deviennent uni¬

versels. On trouve dans sa poésie symbolique et philosophique une sérénité et une profondeur qu’on ne rencontre dans l’oeuvre d’aucun autre poète romantique. Ce sont ces éléments dans son oeuvre qui expliquent le succès peroétuel de Vigny.

Vigny' avait conscience du fait qu'il écrivait pour l'avenir. En 1837, on lit dans le Journal d'un Poète:

Je crois qu'après moi on dira que les deuj qualités dominantes en moi furent la conception et la composition.

Et, aussi, quatre ans plus tard, en parlant de l'âme du poète, il dit L'âme d'un ooète est une mère aussi et doit aimer son oeuvre pour sa beauté, oour la volupté de la conception et le souvenir de cette volupté, et, pensant à son avenir, s'écrier: Je l'ai fait pour toi, Postérité! >) ^

Pendant les longues années de sa retraite dans la sainte solitude, il songeait toujours a préparer "l'oeuvre de l'avenir" pour la postérité.

Pendant sa vieillesse, Vigny se lia d'amitié avec beaucoup de jeunes poètes et de jeunes écrivains; il était en correspondance avec eux. Le sous-titre de "La Bouteille à la Mer", <éConseil a un jeune homme inconnu)) , est la rénonse a une lettre d'un de ses jeunes admirateurs. Vigny exprime sa foi

_

Oeurves (Journal d'un Poste), p. iilî>.

2

Ibid., p. 609.

27

(31)

dans la postérité en la louant dans la conclusion de "L'Esprit pur":

Jeune postérité d'un vivant qui vous aime!

Mes traits dans vos regards ne sont pas effacés

5

Je peux en ce miroir me connaître moi-même, Juge toujours nouveau de mes travaux passés!

Flots d'amis renaissants! Puissent mes destinées Fous amener ù moi, de dix en dix années,

Attentifs à mon oeuvre, et pour moi c'est assez!

La popularité de Vigny dura plusieurs années apres sa mort. Les

parnassiens et les symbolistes doivent beaucoup a Vigny. Ses symboles sont toujours une comparaison mais Baudelaire développe ces comparaisons au point où les symboles deviennent une identification. Certainement les symboles de Vigny sont chargés d'émotion et surtout créent-ils de fortes impressions.

Cette suggestion d'impressions sera pendant vingt années une des qualities fondamentales du mouvement symboliste.

Vigny a trouvé” des lecteurs dans chaque génération de cette postérité pour laquelle il a écrit. Humphrey Hare vient de donner en anglais une

2

belle traduction de Servitude et Grandeur Militaires, qui démontre encore une fois l'universalité des idées de Vigny. Oui, c'est bien la postérité

qui soutient l'importance et la valuer de l'oeuvre de Vigny. Comme Stendhal, il écrivit pour les générations de l'avenir. Ces générations jusqu'ici

l'ont trouvé assez intelligent, assez philosophique et assez émouvant pour le lire et le relire.

1

Les Destinées, "L'Esprit pur", limes 6b-70»

2

The Military necessity, ïlevr York: Grove Press, 19h3.

(32)

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