PUBLICATION MAH
AUTOUR DES MÉTIERS DU LUXE À BYZANCE
Du bronze pour peser de l’or : analyse des poids byzantins de contrôle et d’apparat en alliage cuivreux
Martine Degli Agosti, Musée d'art et d'histoire de Genève
Le catalogue de poids byzantins en alliage cuivreux de la collection du Musée d’art et d’histoire de Genève était en cours lorsque Matteo Campagnolo nous demanda les examens en fluorescence de rayons X (FRX) d’une vingtaine d’objets pour en déterminer l’alliage .1
Précautions
Les conditions d’analyses sont constantes , et chaque nouveau cycle d’examens commence par un contrôle 2 quantitatif avec des standards de Cu-Zn-Sn-Pb. Les examens devaient être exécutés sur les poids tels qu’ils m’étaient donnés sans aucun dégagement de l’oxydation ni de la corrosion.
Chacun sait combien la surface de ces objets sortis de fouilles ne peut être le reflet de leur composition interne.
Et combien ils sont manipulés ensuite pour être vendus. Cela d’autant plus qu’il existe dans les métaux coulés des ségrégations de plomb ou des constituants de l’alliage. C’est donc avec précaution qu’il faut interpréter les résultats listés dans la planche 1. Cependant ces analyses peuvent en partie indiquer la nature de la composition et faciliter la description des objets. En partie seulement, car si le plomb n’est pas réparti de manière homogène, il sera impossible d’en préciser le taux exact. Or, l’analyse quantitative d’un métal permet de le classer. En effet, selon divers auteurs , et de manière arbitraire, un bronze (cuivre-étain) ou un laiton (cuivre-zinc) ne sont 3 considérés comme tels que lorsque le taux respectif d’étain (Sn) et de zinc (Zn) dépasse 5%. De la même manière, un bronze au plomb doit contenir plus de 5% de plomb (Pb). Ces 5% marquent la frontière entre une composition intentionnelle et une impureté due au minerai ou à la métallurgie.
Sur le plan technique, il est connu que les propriétés des métaux changent avec leur composition . Un bronze 4 avec 11% d’étain se déformera au martelage bien mieux qu’un bronze riche en plomb. Le plomb facilite la coulée par l’abaissement du point de fusion, il permet un travail au burin ou au ciselet plus facile, mais rend le métal plus cassant. Par ailleurs, l’adjonction de plomb diminue le coût du métal. À la période byzantine, le laiton coûtait moins cher que le bronze.
Examens en fluorescence de rayons X (table 1)
Fig. 1a. CdN 32581 bis/278, revers (©
MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève, photo : B. Jacot-Descombes)
Fig. 1b. CdN 32581 bis/281, avers (©
MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève, photo : B. Jacot-Descombes)
Fig. 1c. CdN 32581 bis/281, détail (©
MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève, photo : M. Degli Agosti)
Fig. 2a. CdN 32581 bis/284, avers (©
MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève, photo : B. Jacot-Descombes)
Fig. 2b. CdN 32581 bis/284, revers (©
MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève, photo : B. Jacot-Descombes)
Fig. 3. CdN 2012-3-avers (© MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève, photo : B. Jacot-Descombes)
Fig. 4a. CdN 32581 bis/214, avers (©
MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève, photo : B. Jacot-Descombes)
Fig. 4b. CdN 32581 bis/214, revers (©
MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève, photo : B. Jacot-Descombes)
Fig. 10. CdN 32581 bis/268, avers (©
MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève, photo : B. Jacot-Descombes)
Fig. 5a. CdN 32581 bis/315, avers (©
MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève, photo : B. Jacot-Descombes)
Fig. 5b. CdN 32581 bis/315, revers (©
MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève, photo : B. Jacot-Descombes)
Fig. 6a. CdN 2011-246, avers (©
MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève, photo : B. Jacot-Descombes)
Fig. 6b. CdN 2011-246, revers (©
MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève, photo : B. Jacot-Descombes)
Fig. 7a. CdN 32581 bis/317, avers (©
MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève, photo : B. Jacot-Descombes)
Fig. 7b. CdN 32581 bis/317, revers (©
MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève, photo : B. Jacot-Descombes)
Fig. 8a. CdN 32581 bis/44, avers (©
MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève, photo : B. Jacot-Descombes)
Fig. 8b. CdN 32581 bis/44, revers (©
MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève, photo : B. Jacot-Descombes)
Fig. 9. CdN 2011-2013, avers (©
MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève, photo : B. Jacot-Descombes)
Observations de la surface et des incrustations
(table 1)
Les incrustations métalliques grises (fig. 4a et c, 5a et c, 6a, 7a) sont généralement d’un alliage d’argent- cuivre-plomb-or, probablement d’objets recyclés. Un cas douteux d’incrustation en argent a été relevé
(32581bis/268, fig. 10), car l’analyse détecte aussi une soudure d’étain-plomb. Avec ce même alliage fondant à basse température (200° C à 300° C), une pièce ronde percée a subi une réparation, à une époque
indéterminée (32581bis/281, fig. 1b et c). Une incrustation au cuivre pratiquement pur (rouge) très bien conservée apporte une autre note de couleur sur le bronze ou le laiton tirant sur le jaune (fig. 5a et c). On peut relever dans le Groupe MIXTE le collage d’une feuille de laiton estampée sur une base de cuivre avec une matière grise non identifiée (fig. 2c). Le cas d’un poids étalon monétaire (2011-246, fig. 6c), constitué de trois plaques de métal de même composition, est intéressant, puisqu’il montre une technique d’atelier économique et créative dans l’utilisation des matériaux à disposition.
De nombreuses griffures et coups de râpe sont visibles sur les bords ou les revers non décorés, probablement pour ajuster le poids aux exigences (fig. 2d). Est-ce pour cette raison que de profondes rigoles ont été creusées au revers décoré d’un poids étalon (32581bis/317, fig. 7b) ?
La présence de nielle est discutable dans le sens où les poids observés sont relativement endommagés et qu’elle est difficile à percevoir (fig. 4c). L’analyse sans prélèvement ne peut apporter de meilleurs
renseignements car il y a contamination de la base en métal. Le nielle ne contenait pas de plomb jusqu’à l’an mil, il était fabriqué avec du sulfure d’argent et parfois on ajoutait du sulfure de cuivre . On le trouve sur différents 6 métaux, mais il adhère mieux sur le laiton et c’est pour cela qu’il a été très prisé, mariant le noir et le jaune avec élégance.
Fig. 4c. Incrustation en L (© MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève, photo : M. Degli Agosti)
Fig. 5c. Incrustations métaux (© MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève, photo : M. Degli Agosti)
Fig. 8c. Gravure (© MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève, photo : M.
Degli Agosti)
Fig. 2c. Laiton, plomb, tranche (©
MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève, photo : M. Degli Agosti)
Fig. 6c. Tranche 3 épaisseurs (©
MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève, photo : M. Degli Agosti)
Fig. 2d. Griffures revers (© MAH Musée d'art et d'histoire, Ville de Genève, photo : M. Degli Agosti)
Bronze et laiton
À l’âge du bronze, les forgerons avaient un alliage relativement facile à fabriquer, à couler, à déformer. Il contenait souvent des impuretés dues au minerai utilisé, parfois du zinc, de l’arsenic, du plomb, etc.
Le zinc est venu bien plus tard car il nécessitait une technologie plus avancée. En effet, le zinc ne peut être traité comme un métal courant. Alors que le cuivre a un point de fusion vers 1084° C, le zinc se volatilise à 917° C, s’évapore et se réoxyde immédiatement. À force d’essais, un procédé voit le jour vers le IIe siècle av. J.-C. La cémentation devient courante dans l’empire romain dans le milieu du Ier siècle av. J.-C. Il s’agit d’isoler dans un creuset fermé du cuivre en lamelles séparé du minerai de zinc par une couche de charbon (de préférence ZnO ou ZnCO3, plutôt que du ZnS). Avec la chaleur, le zinc diffuse dans le cuivre, et ils forment dès lors un alliage de 22 à 28% de zinc, voire plus. Puis, dans un deuxième temps, il peut être mêlé à du bronze au plomb, par exemple, pour obtenir un alliage avec moins de zinc, de l’étain et du plomb.
Conclusion
Il reste difficile de comparer des objets de même décor dont la plupart sont d’origine et de datation inconnues.
L’imprécision dans l’analyse des alliages, due à la surface corrodée ou oxydée, donne une idée du contenu qualitatif, mais obligera à effectuer des analyses quantitatives au cœur du métal si on veut les comparer de manière optimale à d’autres examens publiés .7
La mixité des résultats permet de supposer que les ateliers travaillaient avec le métal qu’ils avaient à disposition et que cela dépendait aussi des moyens financiers de l’acheteur. Sur le plan technique, un poids n’est pas censé s’user comme une monnaie et n’a aucune exigence particulière comme c’est le cas d’une statue qui nécessite de la précision dans la coulée du motif et la solidité des parties assemblées. Seul son poids est important et
Table 1: analyse des poids byzantins de contrôle et d'apparat
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Bibliographie
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1.↑ Matteo Campagnolo, Klaus Weber, Poids romano-byzantins et byzantins en alliage cuivreux. Collections du Musée d’art et d’histoire - Genève, Genève – Milan : 5 Continents Éditions, 2015.
4.↑ François Schweizer, « Étude technique de laitons byzantins », in Anne Rinuy, François Schweizer (éd.), L’œuvre d’art sous le regard des sciences, Genève : Musée d’art et d’histoire, 1994, p. 175 ; François Schweizer,
« Aspect métallurgique de quelques objets byzantins et omeyyades découverts récemment en Jordanie », ibid., p. 192 ; Lyndsie Selwyn, Métaux et corrosions. Un manuel pour le professionnel de la conservation, Ottawa : Institut canadien de conservation, 2004 ; Cécile Morrisson et al., L’or monnayé I. Purification et altérations de Rome à Byzance, [Cahiers Ernest-Babelon, 2], Paris : Édition du Centre national, 1985 ; Catherine Arminjon, Michèle Bilimoff (éd.), L’art du métal : vocabulaire technique, Paris : Éditions du patrimoine, 1998, p. 138 ; W.
Andrew Oddy, Michael R. Cowell (éd.), Metallurgy in Numismatics, Vol. 4, Londres : Royal Numismatic Society, 1998 ; David A. Scott, Metallography and Microstructure of Ancient and Historic Metals, Marina del Rey, Calif. : Getty Conservation Institute, 1991.
5.↑ Campagnolo / Weber 2015, op. cit., pp. 26-27 et pp. 153-185.
6.↑ François Schweizer, « Nielle byzantin : étude de son évolution », Genava, 41, 1993, pp. 67-82 et L’œuvre d’art sous le regard des sciences, op. cit., pp. 67-81.
7.↑ Maria Xanthopoulou, op. cit., pp. 73-84 ; Marlia Mundell Mango, Silver from early Byzantium. The Kaper Koraon and Related Treasures, Baltimore : Walters Art Gallery, 1986 ; Klaus Weber, « Byzantinische
Münzgewichtwe Materialsskorpus für 1-Nomisma-Gewichte », Mass und Gewicht, 10 octobre 2009, pp. 39-67;
Dagmar Stutzinger, « Zwei spätantike Schnellwaagen », in Ernst Dassmann, Klaus Thraede, Tesserae.
Festschrift für Josef Engemann, [Jahrbuch für antike und christentum. Ergänzungsband 18], Münster 1991, pp. 304‑328 ; Maria Filomena Guerra, « The study of the characterisation and provenance of coins and other metalwork using XRF, PIXE and Activation analysis », in Dudley C. Creagh, David A. Bradley (ed.), Radiation in Art and Archeometry, Amsterdam: Elsevier, 2000, pp. 378‑416.