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Mondialisation et identités La question des cadres internationaux en entreprise

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Academic year: 2022

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Si les grandes dynasties familiales ont joué un rôle fondamental dans la croissance des échanges internationaux, sur le Vieux continent notamment, ce qui est neuf c’est le fait qu’elles doivent aujourd’hui le vivre au sein de vastes organisations telles que les entreprises « mondialisées », les écoles internationales et autres organisations politiques supranationales.

Valorisant la figure de « l’euromanager », individu censé être partout à son aise, mobile et flexible, la plupart des dirigeants d’entreprise envisagent la socialisation professionnelle comme un processus linéaire permettant d'assumer, au travers d’un mouvement intersites et interfonctions, une liaison harmonieuse entre les différents espaces culturels et groupes sociaux traversés.

Le double mouvement par lequel les cadres internationaux continuent à s'approprier l'esprit de la communauté à laquelle ils appartiennent (socialisation primaire qui renvoie à une dimension subjective de l'ethnicité) et, en même temps, s'identifient à des rôles professionnels en apprenant à les jouer de manière personnelle et efficace, hors de leur contexte culturel d'origine, est un objet d'étude fécond. Cette question a été le plus souvent évoquée en termes d'assimilation mécanique aux valeurs de l’entreprise ou de dualité identitaire insurmontable pour le salarié. Loin de l’image simplificatrice de « l’euromanager », les modalités de socialisation de cadres internationaux d’Alpha illustrent un type d’intégration difficile et qui se manifeste en une multiplicité de stratégies de l’identité liées à la manipulation de son ethnicité dans un contexte de forte mobilité géographique et fonctionnelle.

Nos travaux concluent également que la socialisation des cadres internationaux ne se définit pas à travers une même culture mondiale qui ferait disparaître les enracinements ethniques et les différences nationales.

Il existe bien moins une « culture transnationale des élites » se définissant

« contre l’uniformisation mondiale de la culture de masse (Wagner, 1999) », que l’entretien (volontaire) d’un rapport distancié et complexe aux identifications ethniques et nationales.

Philippe Pierre

Laboratoire de sociologie du changement des institutions (LSCI) Iresco, CNRS 75849 Paris Cedex 17

(ppierre@luxe.loreal.com)

Mondialisation et identités

La question des cadres internationaux

en entreprise

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Les travaux de R. Reich, au début des années quatre-vingt-dix, ont permis de mieux mettre en évidence l'existence d'une nouvelle catégorie de

« travailleurs mondiaux » à travers la figure de ceux qu’il a appelés les

« manipulateurs de symboles ». Plutôt aux salles de commande des flux monétaires que des réalités industrielles, ces chercheurs, ingénieurs, avocats, consultants, financiers, conseillers de toutes sortes, journalistes « simplifient la réalité en la réduisant à des images abstraites qui peuvent être réarrangées, avec lesquelles ils peuvent jongler, qu'ils peuvent tester avec d'autres spécialistes et finalement transformer à nouveau en réalité (Reich, 1993) ». Ce qui fait la force de ces manipulateurs de symboles, c’est précisément le fait de pouvoir décoder la réalité et la présenter (la « recoder ») sous une nouvelle forme. Conjuguant positions de pouvoir et signes de cohésion sur le plan culturel, ces « gagnants de la mondialisation » sont capables de combiner des activités de résolution de problèmes et de « courtage stratégique » pour des services qui peuvent être échangés partout sur le globe.

Faisant plutôt circuler l’argent que produire la valeur (on distingue alors une nouvelle bourgeoisie de « placement » face à une ancienne bourgeoisie

« productive »), les manipulateurs de symboles ont plus souvent des partenaires, des associés, des contacts que des supérieurs hiérarchiques, des patrons. Diplômés d’études supérieures, ils travaillent en petite équipe, mais plus que la connaissance pure, ce qui compte c'est qu'ils sont capables d'utiliser de manière créative la connaissance, les mots et les systèmes symboliques. Reich voit naître la constitution d’une nouvelle culture qui fait l’unité d’un groupe, du point de vue de ses représentations et de ses pratiques, au-delà des différences de nationalité (1).

Cette population de managers « planétaires » supposée être d’un type nouveau (Hostfed, 1998 ; Weinshall, 1997) a été prise comme objet de recherche par un large courant anglo-saxon de recherches en gestion des ressources humaines. En nombre, ces recherches portent sur le recrutement et la formation (Black, Mendenhall et Oddou, 1991 ; Tung, 1988 ; Harris et Brewster, 1995), sur l’adaptation des salariés aux nouvelles cultures, aux nouveaux langages issus des nouvelles technologies de l’information (Goodman, 1994), sur les plans de succession (Selmer et de Leon, 1995), sur la situation des femmes expatriées (Adler et Izraeli, 1987), sur le problème émergent des double-carrières (Harvey, 1998) ou encore sur l’impact des membres de la famille sur le succès d’une mobilité (Fukuda et Chu, 1994).

Moins nombreuses sont les études qui, mobilisant des connaissances en gestion mais également dans les domaines de la psychologie comme de la sociologie, tentent de percer la complexité des rapports entre identité sociale, identité professionnelle et identité ethnique chez des cadres d’une institution internationale (2). Dans le champ des sciences humaines, c’est souvent, en effet, en référence aux étrangers des milieux défavorisés, d’une immigration de travail destinée à faire face à une pénurie de main-d’œuvre nationale (Noiriel, 1998), que se sont construites les réflexions sur ceux

(1) D. Duclos (2000, p. 52) évoque « une nouvelle classe dirigeante d’envergure universelle qui se veut “au-dessus” du monde ».

« Nous appellerons

“hyperbourgeoisie”, la classe dirigeante en émergence, cependant distincte des immenses fortunes ou des aristocraties d’argent, depuis longtemps internationales, dont elle forme le prolongement fonctionnel, l’armée des collaborateurs

immédiats » (ibid., p. 22).

J. Attali (1998) parle lui

« d’hyperclasse » tandis que M. Lind (1995) a cherché à définir ce qu’il faut entendre, d’un point de vue politique, par

« overclass »

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qui éclairent d’un jour nouveau la question des relations interethniques, en même temps que celle de la mondialisation de l’économie et des politiques d’entreprise (3). Ces travaux s’efforcent de repérer empiriquement et de théoriser les manipulations de codes culturels antagonistes par lesquels groupes et individus cherchent à gérer leur équilibre identitaire. L’accent est mis sur les pratiques d’exploitation et d’exclusion dans le milieu scolaire, le logement, le lieu de culte, qui privent ces individus des droits les plus élémentaires, instaurant des frontières entre « eux » (les membres de la société majoritaire) et « nous » afin de faire vivre un rapport de type particulier, et mis en lumière par M. Weber, à des ancêtres réels ou putatifs (4).

Cet article cherche à s’inscrire dans le prolongement de recherches, menées dans d’autres contextes sociaux que l’entreprise multinationale, et qui évoquent l’expérience personnelle de l’acculturation vue au travers du

« stress d’acculturation » (Berry, 1990), au travers des différentes

« stratégies » qu’une personne peut adopter afin de réguler la diversité socio- culturelle perçue et vécue (Camilleri et Malewska-Peyre, 1996), au travers des types de « réponses psychologiques » au contact culturel (Furnham et Boschner, 1986) ou des types « d’acculturation » (Minoura, 1992).

Dans quelle mesure les bases de la « théorie des stratégies identitaires » (Lipiansky, Taboada-Leonetti et Vasquez, 1997) peuvent-elles aujourd’hui s’appliquer aux « classes supérieures », cadres internationaux évoluant en entreprise, qui aujourd’hui contribuent fortement à la croissance des effectifs étrangers en France ?

L’objet de cet article est d’éclairer cette question de la socialisation des cadres internationaux en présentant les principaux résultats d’une longue enquête menée au sein d’une grande entreprise française du domaine de l’industrie pétrolière (que nous avons rebaptisé Alpha) (Pierre, 2000).

Différentes à la fois des situations d’immigration, de celles des expatriations prolongées (en famille) des années soixante ainsi que des types de mobilité professionnelle analysées par les sociologues du travail au cours des années quatre-vingts (Sainsaulieu, 1977 ; Dubar, 1991), des formes nouvelles de mobilité internationale se font jour en entreprise (section 1).

L’histoire des changements dans les pratiques de mobilité internationale d’Alpha met en valeur l’opposition entre un modèle centré sur la

« singularité » du Français expatrié, univers largement autarcique, et l’instauration progressive d’un modèle fondé sur l’internationalisation des cadres locaux, où les modes de socialisation reposent davantage sur la recherche par l’entreprise d’une nouvelle mobilisation interculturelle.

Notre démonstration nous conduira à présenter une analyse de cinq stratégies de l’identité pour des cadres en situation de mobilité internationale : les « Conservateurs », les « Défensifs », les « Opportunistes », les « Transnationaux » et les « Convertis » (5) (section 2) et à porter l’accent sur les principales ressources qui permettent de s’adapter dans un nouveau contexte de travail à l’étranger (le pouvoir en organisation, le rapport à la

(2) On citera particulièrement les études de A.C. Wagner (1998, 1999) qui reposent sur l’étude des modes de scolarisation des enfants d’expatriés. Son ouvrage de 1998 se fonde sur plus d’une centaine

d’entretiens de cadres internationaux et de leurs familles, ainsi que sur l’exploitation de plus de 650 questionnaires recueillis auprès de parents d’élèves de quatre écoles internationales de la région parisienne.

(3) En France, on citera récemment les travaux de Engberse (1999) ou de Portes (1999).

(4) Les groupes ethniques sont, pour M. Weber (1971, p. 416), des

« groupes humains qui nourrissent une croyance subjective à une communauté d’origine fondée sur des similitudes de l’habitus extérieur ou des mœurs, ou des deux, ou sur des souvenirs de la colonisation ou de la migration, de sorte que cette croyance devienne importante pour la progression de la communalisation – peu importe qu’une communauté de sang existe ou non objectivement ». Les coutumes qui fondent la croyance subjective résultent des différentes conditions d’existence, économiques et politiques, auxquelles un groupe doit s’adapter (ibid., p. 418). Il s’ensuit que le contenu d’un groupe ethnique reste indéterminé puisque ses attributs varient d’une situation à l’autre.

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communauté de semblables et la gestion du rapport à la famille) (section 3). La variété constatée des processus d’adaptation de cadres internationaux dans des contextes d’acculturation différents amène, pour nous, à constater la diversité de leurs formes de rationalités et des ajustements interculturels qui s’opèrent entre eux. Le caractère hétérogène de leurs identifications va à l’encontre de l’idée d’une élite transnationale homogène (section 4).

Dans un contexte qui n’est ni celui de l’expatriation classique, ni celui de l’immigration, cet article tente donc de répondre à la question de la constitution ou non de nouvelles « élites dirigeantes » mondiales quand le rapport à l’Autre devient moins codifié et plus incertain et que le juste management des équipes multiculturelles s’avère tous les jours plus impérieux (Chevrier, 2000).

1. De l’entreprise pyramidale à l’entreprise en réseau : les nouveaux enjeux de la mobilité des cadres

L’expansion des firmes pétrolières est marquée par l’obligation de chercher la richesse en des sous-sols éloignés du pays de leur création. Durant des années au sein d’Alpha, le recours massif à l’expatriation d’un contingent de collaborateurs français vers les filiales a permis de pallier un manque d’expertise technologique dans les pays en développement.

Aujourd’hui se font jour cependant les limites d'un modèle fondateur et autoritaire de relations entre filiales et entreprise-mère, cherchant à imposer des méthodes de gestion ou de production, à « cadenasser » l’ensemble des postes de direction, sans parvenir à mobiliser le personnel local autour d'objectifs partagés (Schneider et Baroux, 1997). Le coût souvent élevé des affectations longue durée en famille fait naître de nouvelles formes de mobilité internationale comme l’impatriation (des filiales vers le siège), sous la pression des politiques de quotas instaurés par les gouvernements des pays d'implantation soucieux de défendre l’emploi.

Les diverses situations d’« internationalisation sur place » et les plus grandes possibilités de travail à distance (par vidéo-conférences ou messageries) (Forster, 2000) tendent aussi à contester le modèle de l'entreprise pyramidale, strictement hiérarchisée et cloisonnée (6). Les filiales, dans leur effort d'exploration et de production, ont de plus en plus besoin d'outils éprouvés sur d'autres terrains sédimentaires, et cette diffusion des nouvelles technologies dans des entités différenciées mais réticulaires tend à affecter également le rôle et le statut privilégié des expatriés français dans l’entreprise.

L’important est moins la règle mais la manière dont celle-ci est exprimée, perçue, comprise. L’énonciation d’une jurisprudence, d’une intelligence de situation qui est la conséquence de la perception et de l’énonciation, prime sur la reproduction des codes et la permanence des principes.

(5) Les résultats que nous présentons dans cet article reposent sur 120 entretiens semi- directifs menés, en 1993 et 1994, auprès d’une population de cadres et dirigeants d’Alpha.

86 de ces entretiens ont été conduits avec des cadres « internationaux ».

Par ce terme, nous entendons les cadres

« non-français » qui vivent ou ont vécus, dans l’entreprise Alpha, l’expérience de la mobilité internationale depuis leur filiale d’origine, que celle-ci se soit déroulée en France (pour 70 d’entre-eux) ou dans une autre filiale de l’organisation étudiée (pour 16 d’entre-eux).

Sur ces 86 entretiens, il convient de noter que l’on dénombre seulement deux femmes interrogées.

En provenance de 18 filiales de l’entreprise Alpha, 6 de ces cadres sont issus de pays du Moyen-Orient, 24 de pays d’Europe, 5 d’Asie, 31 d’Afrique, 11 d’Amérique du Nord et 9 d’Amérique du Sud. 17 de ces cadres

internationaux travaillent dans le domaine

« administration » (RH, juridique, économie), 15 dans le domaine

« finance » (comptabilité, contrôle de gestion, audit), 4 dans le domaine

« communication » (informatique, télécommunications, organisation), 17 dans le domaine « exploration » (géologie et géophysique) et 33 dans le domaine

« techniques pétrolières » (exploitation, gisement, forage).

L’ancienneté moyenne

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De simple pourvoyeur de compétences défaillantes dans des pays à faible niveau de développement technologique, représentant fidèle des intérêts de la société-mère, l'expatrié devient un contracteur, un formateur chargé de contrôler le travail des locaux, de développer et d'étendre des réseaux de professionnels, de proposer une formule de partage des compétences qui ne soit pas la simple imitation ou répétition du modèle des détenteurs de technologie mais permette à terme, sur le terrain, dans le foisonnement des métiers, un retour d'expérience (7). D'une attitude systématique d'exportation du savoir-faire, d'un modèle de contractualisation base-sommet, Alphacherche à substituer des rapports de travail plus participatifs où l'expatrié endosse le rôle d'animateur d'équipe, prend en charge les différents contextes sociaux pour mobiliser d’un point de vue « culturel » (Crozier, 1989).

Avec les effets de la nationalisation des postes, des rachats de compagnies pétrolières, les filiales du groupe Alpha deviennent bien établies et développent elles-mêmes un savoir-faire technique concurrençant celui du siège. Le contrôle stratégique depuis le siège devient plus difficile, passant d’une logique de contrôle administratif autoritaire à une logique de contrôle

« normatif », davantage centré sur la formation des locaux par les expatriés, sur le développement des remplaçants dans les filiales et sur la « bonne manière de faire les choses », c’est-à-dire sur la formalisation de procédures à suivre.

En ce sens, le développement organisationnel d’Alpha illustre un modèle- fondateur qui est celui des pionniers du pétrole et qui en appelle à l'indépendance énergétique nationale, au rationalisme des ingénieurs français, à la protection d’un ensemble de règles et dispositions conventionnelles publiques (autour du « Statut du mineur »), et qui doit s'adapter à un environnement international fortement concurrentiel, dans lequel s’opère une nouvelle reconnaissance du pouvoir des filiales (Pierre, 1998, p. 229). « Le monde du pétrole a beaucoup changé ces deux dernières décennies. Sur les plate-formes, lors des différentes actions de sondages et d’exploration, l’efficacité est de plus en plus liée à la part d'invention que prennent les salariés de l'entreprise à gérer les incomplétudes des règles prescrites et des machines. D’autre part, les travaux d'interprétation et de suivi des forages, les recherches en géophysique se font de plus en plus sous la forme de « groupes projets ». L’activité pétrolière moderne exige que chaque terrain sédimentaire, chaque problème de production, soient traités comme un cas d'espèce, sujet d'extrapolations et de scénarii » souligne, lors de nos entretiens, un géologue français d’Alpha (8). A un savoir-faire formalisé et

« ritualiste » s'oppose un savoir-faire plus informel, plus complexe et moins routinier qui doit déboucher sur une sorte de « mutualisation » nouvelle de la connaissance. Dans ce contexte en évolution, les qualités « relationnelles » de médiation des individus prennent une importance croissante. La mobilisation de compétences, de codes de sociabilité et de normes de comportement est au moins aussi importante que les seuls savoirs techniques. De plus en plus de situations de travail invitent à cultiver une

(en CDI) de ces cadres internationaux étudiés est de 11,3 années ; le nombre moyen de séjours à l’étranger de plus de trois mois, vécu par ces cadres est de 2,3, et la durée moyenne du séjour à l’étranger est de 2,6 années.

Sur 86 cadres

internationaux interrogés, 5 % ont moins de 5 années d’ancienneté, 30 % entre 5 et 15 années, 35 % entre 15 et 20 années et 30 % ont plus de 20 années d’ancienneté (occupant le plus souvent des postes de directeur de filiale ou de division

fonctionnelle).

Les cadres français qui, eux aussi, vivent l’expérience de la mobilité internationale (intra-organisationnelle), seront appelés les

« expatriés » dans cet article.

(6) Au début des années quatre-vingt, ce sont les risques politiques de nombreux pays d'implantation d’Alpha qui vont conduire, comme à Luanda en Angola, à écarter les familles de la mobilité internationale et à mettre en place de nouveaux systèmes de rotation visant à bien mieux garantir l'intégrité physique du personnel (l'année 1993 a ainsi vu l'évacuation des bases à terre et le repli du personnel en mer sur Palanca). Au Kazakhstan, ce sont les conditions climatiques extrêmes comme l'absence d'infrastructures scolaires qui viennent notamment faire obstacle à une

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capacité à être plastique, à faire preuve d’initiative, et mettent à contribution l’art du « contact », la « présence psychologique » ainsi que des propriétés corporelles comme le visage, le sourire, la voix, devenus instruments de travail pour faire le bon usage de soi (Boltanski et Chirpello, 1999).

L’émergence de nouveaux collectifs de travail plus interdépendants et plus transversaux tend à affecter le modèle-fondateur de l’expatriation tel qu’il a pu être porté par un important contingent de Français dans l’entreprise Alpha.

Au sein du groupe Alpha, la constitution de procédures budgétaires écrites, homogènes et uniformisées, de systèmes de reporting, d’audits ou d’objectifs de planification pour guider l’action d’unités interdépendantes au niveau mondial ne représentent plus qu’un des aspects des mécanismes de contrôle, qui doivent pouvoir contribuer à impulser une vision stratégique mondiale (9). Les formes de contrôle dans la firme pétrolière sont désormais moins rigides et moins formelles. Ils concernent davantage ce que J.F. Hennart (1993) nomme « les processus de socialisation qui consistent à fortifier, développer une culture organisationnelle grâce aux mobilités géographiques, au management des itinéraires de carrière, aux systèmes de rémunération et de récompenses ». Dans cette logique de coordination informelle, le personnel international peut être comparé, par son importance et la vivacité des contacts souterrains, hors des structures formelles qu’il ne cesse d’entretenir, à une bonne partie du « système nerveux » de l’organisation (Galbraith et Edstrom, 1976, p. 101-112). Tandis que la mobilité géographique internationale est devenue un mode de coordination stratégique à part entière, l’idéal de référence de l’entreprise devient le manager (de toute nationalité) et de moins en moins le cadre français expatrié.

Figure de proue d’un monde de l’entreprise en « connexions », le manager international est une personne qui mobilise des réseaux, qui parvient à engager des collègues autour d’un projet pour une durée limitée. Le manager

« exclu » est, au contraire, celui qui est poussé à la marge du réseau, qui ne peut plus soutenir sa mobilité internationale par la force de liens sociaux connectés (Boltanski et Chiapello, op. cit.).

Alphaest ainsi le théâtre de la fin d’un système classique d'expatriation et de l’émergence d’un corps plurinational de spécialistes voués professionnellement à une intense mobilité géographique à l'enjeu de l'appropriation et de la diffusion des technologies complexes, au sein d'entités différenciées mais réticulaires. L’enjeu interculturel pour l’entreprise pétrolière est non plus le simple accueil de ces cadres étrangers à l’intérieur d’un système qui annule les différences, mais leur collaboration durable.

Comme l’admet, lors de nos entretiens, un responsable des ressources humaines d’origine écossaise, « l’entreprise connaît une évolution notable.

Les managers, qui sont cadres présents au siège, viennent en réalité de filiales de plus en plus nombreuses, d’environnements culturels certainement plus variés qu’auparavant. Cette réalité nouvelle complexifie nos pratiques de

mobilité de longue durée en famille. Ailleurs, la volonté de baisser les coûts financiers, qui sont liés par exemple à la prise en charge par l'entreprise d'une partie des dépenses d'habitation ou de scolarité de la famille de l'agent, accroît les situations dites de “quasi- mobilité” : les « nouveaux expatriés » partent seuls sur les chantiers durant quatre à six semaines.

(7) « En Afrique noire, au Maghreb puis au Moyen- Orient, une vieille garde d'expatriés français a connu l'aventure : 8 à 9 mois d'expédition sans électricité, en chaise à porteur parfois, en brousse et dans les marais... Ouvriers et techniciens français se mélangeaient. Les palabres avec les locaux n'en finissaient pas mais obligeaient toujours chacun des “expats” à sortir du cadre de ses attributions, à inventer et négocier en

permanence. » « Là, sur ces terres vierges, témoigne un géologue d’Alpha, ces hommes apportaient tout, construisaient des ponts, des routes, un aérodrome même quand il le fallait.

Ils avaient une grande autonomie et, au fond, vivaient le mythe des colons qui apportent la fée électricité. C'était le cas dans toutes les phases de démarrage d'une filiale.

Aujourd'hui on n'arrive pas alors qu'il n'y a rien et qu'il faut tout défricher, tout construire.

Au Kazakhstan, on le voit bien, le tissu social, économique et politique

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rémunération, de gestion de carrière et de formation. Les pratiques de management des expatriés français, que l’on croyait relever d’une rationalité universelle et dictées par des contraintes technologiques universelles, cachent en fait les dimensions culturelles de leurs origines nationales. Il est devenu rationnel de cesser de soumettre les autres à sa rationalité ».

De nouveaux acteurs, tels ce foreur nigérian qui dirige une équipe de géophysiciens libyens sous la direction d'un manager néerlandais ou ce chef de chantier belge en Arabie saoudite pour le compte d’une entreprise d’origine française, qui se définit désormais comme « mondiale » au niveau de ses dirigeants, émergent et font vivre de nouvelles formes d’exercice d’une responsabilité à l’international.

Mais alors que le partage du savoir devient une des conditions de sa compétitivité, qu’il est par ailleurs difficile de vivre cet « égalitarisme cognitif » dans une société hiérarchisée et soucieuse des statuts comme la France (D’Iribarne, 1998, p. 326), Alpha voit s’affirmer en son sein une contradiction entre des intentions d’intégration du personnel international et la réalité des classements qu’opèrent les acteurs marquant la présence de préjugés et de phénomènes de « résistance culturelle ». Dans le cas de l’impatriation au siège parisien, par exemple, un gestionnaire des ressources humaines d’Alpha reconnaît que « beaucoup de cadres internationaux s’étaient préparés à s’éloigner, voire perdre leurs amis dans leur pays d’origine et à devoir tout recommencer. Mais ils sentent souvent que certains Français sont réticents à l’idée de développer des relations durables avec des étrangers de passage. La lenteur de la prise de décision en France, son caractère non partagé et le manque d’attributions précises des responsabilités posent pour eux souci. Dans le système anglo-saxon, les cadres avaient comme habitude de désamorcer les conflits en organisant des réunions pour poser les problèmes « à plat ». Ils regrettent qu’en France les heurts soient cachés et que la tension s’accumule. Une part importante des problèmes réside, je crois, dans le sens accordé à ce que pour les Français, décider c’est admettre une sorte d’armistice dans un combat de mots et d’argumentation. Les Français n’hésitent pas à remettre en cause les décisions au nom de ce qu’ils croient au-dessus des hommes, la rationalité technique. Pour beaucoup de cadres issus des filiales, être un manager efficace c’est être celui qui va participer à l’élaboration collective et se soumettre quoi qu’il arrive à la décision, fruit d’un long processus de délibération ».

La mise en œuvre de mouvements croisés de personnel est difficile, et de nombreux cadres internationaux vivent l’expérience d’un décalage de représentations entre un « modèle idéal professionnel » construit avant le départ et un « modèle pratique » qui recouvre le quotidien difficile de l’adaptation lié à la prise de fonction et vient relativiser largement les supposés effets favorables de la rencontre interculturelle. Au sein d’Alphase pose alors avec acuité la question de la socialisation de cadres étrangers amenés à vivre

est complexe : c'est plein de barrières. On apporte aux locaux une façon de gérer plus efficace mais on ne leur fait pas découvrir les techniques pétrolières. Peu à peu, il y a eu des filiales

“d'établissement” où l'activité, lancée, suivait son cours. Au lieu d'avoir trois ou quatre personnes avec qui on faisait tout, sont arrivés

l'administration et une plus grande spécialisation des tâches. On marche alors sur les pas des autres. Tout est plus codifié pour protéger les gestionnaires en cas de contestation des locaux.

Il existe une règle écrite et nul ne peut y déroger.

Au Gabon, au Congo par exemple, il existe un vaste tableau à double entrée pour connaître les avantages des agents, les jours de congés en cas de décès d'un membre de la famille ».

(8) Le traitement informatique des données, après avoir constitué un simple

« gain de productivité », tend donc à devenir une des bases de l'évolution des métiers pétroliers en suscitant de nouvelles méthodes. Mais plus encore que l’introduction continue de nouvelles technologies, la compétitivité des entreprises pétrolières reposerait davantage sur la juste compréhension de la dynamique des comportements et des valeurs, sur l’organisation de relations complexes et d’interactions entre entités géographiquement dispersées et

culturellement

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une importante mobilité géographique et fonctionnelle et qui s'inscrivent de fait entre plusieurs communautés, plusieurs pôles de valeurs attractifs mais parfois inconciliables (culture nourricière, culture du pays d'accueil, culture(s) d'entreprise...).

2. Construc tion des identités dans un environnement multiculturel

Dans ces nouvelles entreprises « en connexion », l’existence d’une élite de cadres mobiles devient une question centrale. Au début de nos travaux de recherche, nous avons d’abord eu accès à une littérature managériale peuplée de cadres internationaux « sans histoire », au sens propre du terme, partageant les mêmes hôtels intercontinentaux, la même logique de maximisation du profit capitaliste et dont les intérêts professionnels, au final, seraient la base de toute leur existence sociale. Fondant toujours leur choix en raison, les membres de ces classes supérieures revendiqueraient pour la plupart une appartenance à une élite non pas « internationale » mais

« transnationale », constituant une sorte d’avant-garde du phénomène de mondialisation.

On retrouve pareil réductionnisme chez de nombreux dirigeants d'entreprise dont le discours évoque la figure de « l’euromanager », envisageant leur socialisation professionnelle comme un marquage indélébile d’êtres passifs et contrôlables à volonté, à travers la mobilité géographique et l’accès graduel aux responsabilités : « Je suis certain » affirme un dirigeant d’Alpha, que

« l'affectation répétée des managers à l'étranger, l'apprentissage d'une ou plusieurs langues étrangères devraient parvenir à terme à éteindre tous les conflits interculturels dans l'entreprise et à faire se rapprocher les hommes en apparence les plus éloignés. Le poids de la culture professionnelle, celle des gens du pétrole, va dans le même sens. Elle permet l’élaboration d’une grammaire mondiale, d’un nouveau langage commun planétaire. »

La réalité en entreprise est pourtant faite d'individus aux prises avec de multiples appartenances culturelles et ethniques, différents par leurs modes d'existence et leurs représentations (10).

Notre étonnement fut grand de recevoir la confidence d’un cadre supérieur nigérian d’Alphaqui avait refusé de prendre un avion de liaison pour Port Harcourt afin d’assister à une réunion de travail en France, au motif qu’un membre (salarié de l’entreprise) d’une autre ethnie lui avait jeté un « sort ».

Dans un univers pétrolier que nous supposions « rationnel », dans une entreprise française qui s’était dotée d’importants moyens pour accueillir de nombreux cadres d’origine étrangère sur son sol, la force et la persistance de croyances animistes pouvaient donc avoir raison d’une décision, d’un calendrier et même de la réussite d’un projet. Une autre rencontre importante lors de nos enquêtes, celle d’un manager noir américain né en Inde, travaillant à Paris depuis deux ans et marié à une jeune française, renforça pour nous le caractère énigmatique de la construction des identités au travail dans un

hétérogènes. « Au travers d’équipes à la taille limitée, à une animation de proximité de l’encadrement, cette nouvelle organisation du travail doit permettre d’obtenir une sécurisation dynamique des

équipements et une amélioration de la faculté d’adaptabilité des employés, afin d’absorber les chocs du marché et de diminuer les risques en matière de ressources humaines » résume un dirigeant d’Alphaen 1997. Afin de désigner ce changement

organisationnel, A. Hatchuel (p. 14) parle d’« adhocratie technicienne », c’est-à- dire « des organisations reposant sur la communication et la coordination d’« experts » multiples sans hiérarchies fortes entre eux et n’acceptant en guise de leadership qu’une véritable autorité de compétence ».

(9) Doz et Prahalad (1984, p. 55-71), pour nommer ces outils de type bureaucratique, parlent de « mécanismes de gestion de données » regroupant les systèmes d’information, de mesure et de planification.

(10) Dubar (1992, p. 508) écrit que le modèle de

“l'entrepreneur rationnel”

et de la “logique industrielle” devient un modèle parmi d'autres, générant une forme identitaire qui peut être analysée comme dominante mais non exclusive d'autres configurations de valeurs, normes et croyances

(9)

contexte multiculturel. Le « Nous-sujet » de son discours oscillait constamment entre plusieurs instances d'identification, évoquant avec nous assez indifféremment un « Nous les cadres étrangers en France », un « Nous les géologues américains », un « Nous, les anglo-saxons de la Tour Alpha » ou encore un « Nous, les noirs en entreprise ».

Ce qui rendait ce cadre international semblable à ses collègues c’était précisément, pour nous, son « haut degré de différenciation » (Devereux, 1972), le fait de revendiquer une multi-appartenance et de faire vivre en lui différentes « provinces du moi ».

Connaître la nationalité ou encore le statut social ne nous permettaient pas de prédire le comportement de ce manager. Comment rendre compte alors de ces ponts établis entre plusieurs cultures par ce cadre américain, né en Inde et qui n’hésitait pas à nous affirmer que « si pour les Américains, l’Inde c’est l’enfance de l’humanité, pour les Hindous, les Etats-Unis c’est l’humanité encore dans l’enfance » ? Prenait-il parti pour les Hindous ou pour les Américains ? Ou bien, faisant l’expérience d’une duplicité identitaire, était-il des « deux côtés » en même temps ?

Nous avons ainsi acquis progressivement la conviction que ce ne sont pas forcément des acteurs en crise qui mobilisent des appartenances irrationnelles et que ce peut être aussi, ou au contraire, parce qu’ils ont atteint des positions sûres dans l’entreprise que des acteurs peuvent s’offrir le « luxe de l’identification ethnique » (Hansen, 1938) et s’affirmer dans leurs particularismes.

Plusieurs sessions de formation au management impliquant des cadres pétroliers du groupe Alpha,en Afrique noire, ont renforcé cette conviction.

Membres fidèles des confréries religieuses le soir, exprimant dans le dialecte local et en costume traditionnel leurs convictions animistes, ces derniers participent activement au sein de la firme multinationale qui les emploie à la vie économique et politique du pays, parlent anglais et français avec leurs collègues, forment leurs collaborateurs à des standards de gestion d’origine anglo-saxonne et endossent ainsi, non sans tensions, un autre rôle social.

Selon les situations et les interlocuteurs, chez ces cadres s’illustre un principe de coupure (Bastide, 1955) entre des moments d’expression publique qui en appellent volontiers à une « affectivité indigène » (tel ce manager congolais d’Alpharamenant, lors d’une formation aux techniques de forage, les actions de chacun des participants à un proverbe ou à un littérateur de son pays d’origine) et, en même temps, une capacité à pouvoir juger de manière rationnelle de projets industriels, à organiser son travail selon une temporalité définie comme « occidentale » et à entrer en contact avec des collègues selon des codes relationnels tout à fait adaptés à une rationalité « moderne ». En ces hommes et ces femmes « ubiquistes » (11) s'affirme, plus que chez toute autre personne, une duplicité qui spontanément s'exprime en ces termes : rester fidèle à sa communauté d'origine tout en cherchant à s'épanouir dans l'organisation qui les rémunère.

enracinées dans d'autres

“mondes vécus” et renvoyant à d'autres espaces de reconnaissance et d'investissement que la grande entreprise compétitive et intégrative. (...) Ce n'est plus la socialisation

“primaire” des individus qui est au cœur des analyses des identités d'acteurs mais la socialisation “secondaire”, notamment dans le champ du travail, et spécialement « le processus de reconnaissance par les autres, inscrit dans un enjeu de forces sociales ».

(11) Nous reprenons le terme de G. Lipovetsky (1983, p. 59).

(10)

Parce qu’elle oblige souvent à des choix répétés et difficiles sur l’éducation des enfants, le logement, le travail du conjoint, dans de nouveaux environnements juridiques et sociaux, une carrière internationale se présente particulièrement comme une recherche d’équilibre entre des intérêts dispersés et un travail d’arrangement entre sphères personnelle et professionnelle.

Pour beaucoup de cadres internationaux d’Alpha, même bien « préparés », la mobilité géographique suppose un travail de « détachement du moi » par rapport à la communauté d’origine. Il s'agit, pour les cadres internationaux que nous avons étudiés, d'intérioriser rapidement des savoirs spécialisés d'un genre nouveau – savoirs professionnels et rôles enracinés dans la division du travail propre à Alpha– qui comprennent un vocabulaire et des procédures, véhiculent une conception du travail pouvant être très éloignée de leur culture d’origine.

Ce « travail » s’inscrit dans des séquences ordonnées de changements de statuts et de rôles et s’opère notamment à l’occasion du départ de l’entité professionnelle d’appartenance, au travers de ce que R. Merton (1965) a nommé « socialisation anticipatrice ». Le processus de développement des carrières internationales en entreprise confirme ainsi un processus d’actualisation de l’image de soi aligné sur des identités narratives partiellement portées par l’institution et certains cadres expérimentés qui font figure de « groupe de référence » (Berger et Luckmann, 1996, p. 192).

Lorsque les conduites héritées du passé et de la socialisation primaire ne suffisent plus pour influer en leur faveur sur les transactions sociales et professionnelles, certains cadres internationaux d’Alphavont développer des tentatives de manipulation des différents codes culturels, d’authentiques stratégies de mobilisation de leur ethnicité (Lipiansky, Taboada-Leonetti et Vasquez, 1997). A ce « jeu », les cadres sont diversement préparés et peuvent être appréhendés à travers plusieurs types identitaires, présentant des modalités variées de résistance ou d’ouverture au milieu culturel ambiant : depuis le repli radical et hermétique sur leur culture d’origine jusqu'à la perméabilité quasi totale à la culture du milieu d’accueil et les signes d’une conversion identitaire.

Cette hétérogénéité des stratégies de l’identité liées à la mobilité internationale apporte un démenti au mythe de la grande entreprise comme lieu de socialisation continue et automatique tendant à l’assimilation culturelle sans retour de ses membres. L’exercice d’une profession socialement valorisée contribuerait à la diversification des usages faits de la catégorisation ethnique, comme autant de compétences interactionnelles de comportement, que nous identifions à travers cinq stratégies de l’identité.

Ainsi, pour ceux des cadres internationaux que nous nommons les

« Conservateurs », la filiale d’origine et le passé sont appréhendés comme un état idéal, et ces cadres vont s’ingénier à se protéger du milieu d’accueil.

Lors de leur mobilité, en divisant le monde social en deux hémisphères, les « Conservateurs » définissent un « dedans » (le foyer familial le plus

(11)

souvent) où ils cherchent à garder intacts les modes de penser, de sentir et d’agir hérités de leur culture d’origine et un « dehors » (principalement le monde de l'entreprise) où ils adoptent les modèles de comportement minimaux et les pratiques exigés par la vie des affaires.

Les « Conservateurs » sont ainsi animés de la volonté de réduire à sa plus simple expression l'engagement social et affectif qui résulte des rapports spontanés de travail avec des collègues d'autres origines nationales. La mobilité internationale n’est envisagée par les « Conservateurs » qu’à la lumière d’un retour programmé dans la filiale d’origine dans lequel elle prendra pleinement sens dans de nouvelles responsabilités. (« Cette venue en France me permettra d’être reconnu et m’offrira, si tout va bien, une accession beaucoup plus rapide au comité de direction en Syrie. ») Le poids des obligations envers les parents et les proches restés au pays souligne une densité de relations constamment entretenues et fait que les

« Conservateurs » font vivre une double conscience d’appartenance :

« culturelle » qui renverrait aux origines et ethnique parce que construite sur la vivacité de relations sociales entretenant la nostalgie d’objets liés aux traditions. Autour d’écoles, de commerces, d’églises, de rencontres associatives, les contacts entre compatriotes lors de la mobilité internationale contribuent, symboliquement et matériellement, à mettre en place une sorte d’« espace ethnique » (12) articulé au sein de la société d’accueil. Nombreux sont les cadres internationaux qui s'attachent, scrupuleux, à recenser à des milliers de kilomètres de distance les événements propres au pays quitté et qui déploient des trésors d'énergie pour se procurer journaux et documents filmés s’y afférant. Dans un processus complexe d'idéalisation, ces cadres internationaux attribuent à leur nation d'origine les qualités d'un personnage magnifié.

Dans les cas les plus extrêmes, quand la mobilité internationale est vécue en famille, mission est parfois donnée à l'épouse du cadre de réaliser les adaptations pratiques à cet environnement culturel nouveau et perçu comme menaçant. Face aux contraintes de l'administration locale ou à celles de l'éducation des enfants, l'épouse doit être capable « de se débrouiller toute seule », « d’être dégourdie », « moderne » (un financier gabonais d’Alpha), tout en conservant les qualités distinctives réclamées par la société d'origine (13).

Hommes d’obligations sociales qu’ils font peser fortement sur leur entourage, les « Conservateurs » respectent les termes d'un marché qu'ils ont contracté d'abord avec eux-mêmes : taire toute critique sur les conditions du séjour, l'intérêt du poste occupé ou la qualité de l'accueil réservé à l'occasion de la mobilité internationale, en échange, plus tard, d'une vie promise et d'un statut social nettement amélioré dans la filiale d'origine.

De manière plus générale, le comportement des « Conservateurs » illustre ce choix de certains cadres internationaux du retranchement protecteur face aux difficultés d’adaptation au travail, vers ce qu'il y a peut-être de plus

(12) Pour Doytcheva (1989, p. 276), la notion d’« espace ethnique » présente un double intérêt. Dans le contexte bulgare que l’auteur étudie, celui-ci souligne qu’elle « permet de souligner l’ancrage physique de l’ethnicité qui se vit et se définit par rapport à des repères socio-spatiaux tangibles, les lieux de la bulgarité : restaurants, commerces, églises, rencontres associatives, etc. Elle dénote en même temps une réalité conceptuelle plus que matérielle, renvoyant à une vision sociétaire en termes de champs, de construits sociaux à logique propre, plus ou moins autonomes et spécifiquement articulés » (« Action associative, leadership et entreprise ethniques. Les associations bulgares à Paris ».

(12)

archaïque : l'identité ethnique. L'importance des mécanismes de défense portés par les « Conservateurs » met ainsi en lumière une conclusion importante : un individu ne s'insère pas dans une société humaine d'accueil tant qu'il n'y trouve pas une garantie de sécurité équivalente à celle que fournit sa « culture ethnique », une garantie qui vienne au moins contrebalancer l'espoir de retrouver dans sa communauté originelle la chaleur des relations personnelles et le secret d'une histoire signifiante.

A la différence des « Conservateurs », les « Défensifs » n’entretiennent pas de sentiment d’infériorité par rapport à la communauté professionnelle qui les accueille. Intégrés à l’activité de l’entreprise, ils se construisent pleinement en « étrangers » et organisent une mise en scène de leur « univers originel » dans des formes qui restent assimilables pour la société du pays d’accueil. La définition et la promotion occasionnelle d’une ethnicité

« primordiale », au risque parfois d’une certaine « folklorisation », cherchent à constituer en objet social tangible leurs « origines » pour mieux permettre leur appropriation par les autres collaborateurs de l’entreprise.

La mobilité internationale en entreprise a comme « éveillé », pour les

« Défensifs », la conscience d'une appartenance locale, et le brassage social a aiguisé le sens d'une revendication culturelle (14). « Dans l’entreprise, il est frappant de voir comment les cadres britanniques cherchent à exagérer les différences entre groupes pour ce qui a trait aux caractéristiques pour lesquelles ils s’estiment d’essence supérieure : sens de l’humour, élégance vestimentaire, tact, sens du divertissement… » (un financier français au siège d’Alpha). De l'éloge des bienfaits de la nourriture locale comparée à l'ennuyeuse uniformité des mets servis dans les chaînes d'hôtels intercontinentaux ou aux « bizarreries » de la cuisine française (« les huîtres »,

« les escargots »...), des discours sur la beauté du pays quitté et l'hospitalité légendaire de ses compatriotes, toute une gamme de comportements va venir systématiser, selon des degrés divers, une stratégie de « sur-affirmation du soi déprécié » (Camilleri, 1989a, p. 383). Dans un rapport proche à ce que H. Gans (1979) avait appelé l’« ethnicité symbolique », l’usage fait de la catégorisation ethnique par les « Défensifs » s’exprime au travers de la consommation ritualisée de symboles, d’objets et de pratiques propres au contexte social originel mais extraits de ce contexte.

« Je suis un immigré d’un nouveau genre. L'homme du XXesiècle est né aventurier. Moi, malgré mon “nomadisme”, les voyages liés à mon métier de géophysicien, j'essaie de rester primitif, c'est tout », nous livre, lors de nos entretiens, un cadre congolais qui reconnaît avoir « un système de pensée à la fois instrumentale et animiste en entreprise ». Les « Défensifs » symbolisent ainsi une évolution des mœurs dans l'entreprise Alpha que souligne ce cadre norvégien : « Si au début de l'internationalisation du personnel, les cadres des filiales qui venaient en France se croyaient obligés d'imiter les Français en tout, aujourd'hui ils préfèrent agir avec sélectivité.

Il n'est plus question de renoncer à toutes ses habitudes pour réussir. » « Les

(13) Dans le contexte de l’immigration, Camilleri (1994, p. 20) a isolé pareil comportement où le sujet peut “s'enfermer”

dans une “sacralisation des valeurs identitaires choisies” parce qu'il satisfait “par délégation”

aux contraintes les plus quotidiennes ou les plus pesantes de

l'environnement.

L'auteur montre notamment, pour des immigrés d'Afrique du Nord installés en France, que si l'épouse est autorisée “par délégation”

à participer à la vie de la cité, le mari surveillera, limitera ses contacts, et il refusera, par ailleurs, une quelconque égalité des sexes (propre à ses yeux aux femmes occidentales seulement). C. Camilleri choisit d'appeler

“conduites

dysfonctionnelles” des pratiques qui, pour le sujet, préservent l'unité du moi et l'intense lien avec la communauté d'origine, mais engendrent dans son propre entourage conflits, souffrances et oppositions larvées. Nombreux sont ainsi, pour l'auteur, les

“contrats de coexistence”

qui se négocient de façon le plus souvent tacite (il importe de ne pas dire les infractions au système traditionnel) et amènent la paix dans les familles, Camilleri (1989b, p. 71).

(14) Pour des cadres algériens de niveau souvent supérieur, Toualbi (1982) parle d’immersion

compensatrice dans des activités sur-saturées en représentations traditionnelles qui

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choses sont en train de changer radicalement. Pour la France, c'est un peu la fin du jacobinisme et, pour les filiales du Groupe, c'est le début de l'internationalisation. L'entreprise, dans son ensemble, ne peut plus penser son développement en termes de rattrapage technologique des filiales vers le centre. Les expatriés doivent faire face à un modèle de relations différent, reconnaître progressivement nos spécificités culturelles, au risque de la contestation et de l'affrontement. Certains employés des filiales africaines réclament l’usage du dialecte pour certaines situations de travail, tout autant pour des raisons de défense identitaire que de bon usage et de meilleure compréhension réciproque. Ce qui compte ici est moins l’authenticité ou le caractère ancestral des pratiques que leur portée symbolique et le respect auquel elles obligent », renchérit ce financier congolais qui a évolué trois ans en France pour le compte d’une filiale américaine d’Alpha.

En fin de carrière, parfois au bout d'une quinzaine d'années de mobilité intense, nombre de « Défensifs », cadres nigérians, écossais ou bien encore congolais, ayant séjourné longtemps aux Etats-Unis ou en Europe pour le compte du groupe Alpha, souhaitent retourner « au pays ». Pour ces cadres internationaux, la carrière au sein d'une organisation paraît soudainement niée comme enjeu de long terme, et, comme l'énonce l'un d'entre eux, « les racines deviennent plus importantes qu'une réussite professionnelle éloquente à l'étranger ». La vision du monde d'un homme d’une organisation (transnationale) cède la place à celle d'un « entrepreneur » (local, régional ou national) où il s'agit de mettre à profit les compétences que la mobilité internationale a fait naître et permis de cultiver (la création d'une entreprise, l'entrée en politique sont alors autant de possibilités de « conjurer symboliquement la fluidité de ce temps qui a passé et que l’on a passé ailleurs ») (Simon, 1995, p. 210).

Certains cadres internationaux offrent l’exemple d’individus dont les références identitaires ne se limitent pas à la société majoritaire et se manifestent selon la situation (nationale, locale, parentale, générationnelle, familiale) dans une multiplicité ethnique réalisée de manière tout à fait

« normale » et sans contradiction. L’ensemble identitaire, que nous appelons les « Opportunistes », rassemble de façon prioritaire de jeunes cadres pétroliers qui n'assument que rarement la charge de grandes responsabilités managériales mais plutôt une position d'expertise technique et vivent cette expérience de la mobilité comme la principale source possible pourvoyeuse d'un avenir professionnel valorisant. L'univers professionnel dans son caractère mouvant et complexe sera pour ces individus un espace où ils chercheront à maximiser les chances d'événements favorables par une série d'actions individuelles adaptées et d'identités appropriées (Laufer et Paradeise, 1982, p. 476).

Les « Opportunistes » ont ainsi partiellement la faculté consciente de rendre leurs comportements synchrones avec ce qu'ils saisissent d'une conduite-type approuvée par leur interlocuteur. Ils essayent de recourir à

permettent à ces sujets d'absorber la culpabilité accumulée dans leur vie professionnelle conduite selon les normes d'un univers antithétique. Par là-même, ajoute l’auteur, ces cadres se trouveraient à même de continuer à exercer leur métier.

(14)

une identité pour peu qu'ils y voient un intérêt et poussent loin la manipulation des identités en fonction de la situation, ce que certains anthropologues appellent « l'utilisation situationnelle de l'ethnicité ». Avec les « Opportunistes », la participation ethnique n’acquiert son plein sens que mise en rapport avec une position sociale concrète dans l’entreprise dans un effort de rationalisation qui la constitue, et l’observation de ces mêmes personnes dans le cadre de leur vie privée fait resurgir certains aspects de la culture minoritaire dans les pratiques alimentaires, matrimoniales ou linguistiques par exemple. Ces cadres internationaux bénéficient fréquemment d'un environnement familial qui accepte la manipulation opportuniste des modèles culturels et permet, ce faisant, d'évacuer la possible culpabilité de tels arrangements avec soi et son passé. Le sujet n'a pas à cacher sa « stratégie » à ses proches. Le « masque » est en quelque sorte

« posé » à la porte de son foyer à la différence de certains autres cadres qui doivent composer avec un pôle traditionnel de parents âgés, de jeunes cousins ou d'amis restés au pays ainsi qu'avec l'univers moderniste du contexte professionnel, des rapports avec l'administration du pays d'accueil ou de l'école des enfants. Le mode de vie des « Opportunistes » est donc, le plus souvent, basé sur un principe fort de coupure entre vie familiale et vie professionnelle, et sur la difficulté de les concilier pratiquement.

La plupart des « Opportunistes » déclarent retrouver le goût des choses dans un cadre étranger. Entretenant un rapport « ludique » à l’international, les « Opportunistes » paraissent boulimiques de sensations nouvelles, d'images insolites et de situations de travail sans cesse renouvelées. Ils rejoignent en cela certains expatriés français pour qui l'important est de vivre le changement, la mobilité incessante à travers les filiales du Groupe et qui ressentent le retour en France, au siège, comme une perte de liberté.

La mobilité géographique correspond à un besoin présenté comme

« physique », et le langage du déterminisme biologique est régulièrement employé pour l’expliquer (« j’ai toujours eu le sang d’un expatrié », « des démangeaisons me prennent avant de partir », « le voyage s’est incorporé dans mes veines »).

Soucieux d’apparaître comme des managers qui fondent leur choix en raison, les « Transnationaux » refusent d’ethniciser leur identité et avouent s’attacher aux affinités interindividuelles par-delà les ancrages culturels et les sociétés traversées. Les « Transnationaux » disent entretenir avec les langues qu’ils pratiquent un rapport de type « instrumental » qui n’entrerait pas dans le « champ de leur conscience ». La volonté humaine doit pouvoir mettre en échec à leurs yeux les discriminations raciales, et le discours de nombre de ces cadres en appelle au plurilinguisme, à un esprit

« cosmopolite » qui « concilie les contraires » (Aubert et de Gaulegac, 1991, p. 13) et au développement des formations « cross-cultures ».

Beaucoup de « Transnationaux » ont poursuivi très tôt leurs études loin de leur foyer familial, hors de leur pays d'origine, au sein d'établissements

(15)

universitaires réputés, accueillant des étudiants de toutes origines nationales. Ils peuvent ainsi appliquer en entreprise des comportements adaptés et appris, tout un jeu tactique mis au point dans des structures scolaires relativement contraignantes, similaires à l'univers de l'entreprise et où existaient aussi l'obligation rationnelle de résultat, des systèmes réguliers d'évaluation individuelle ou encore des travaux de résolution de problème menés en anglais et en équipe restreinte. Et de même que c’est un milieu où la diversité linguistique va de soi qui rend véritablement bilingue, la culture internationale est d’autant mieux transmise qu’elle fait partie intégrante de l’histoire familiale et de ses repères identitaires, que l’épreuve de la mobilité internationale et le voyage sont perçus comme un accomplissement de dispositions anciennes et non comme des déracinements temporaires vécus lors de la socialisation secondaire en entreprise.

« Le sens commun veut qu'un Français, un Allemand ou Anglais ce ne soit pas la même chose. Pas la même façon de penser, de prendre son petit- déjeuner ou de travailler. Mais si l'on regarde les choses de près, alors on s'aperçoit que les cadres du Groupe qui voyagent s'internationalisent, forment un ensemble à part et ont plus de points communs entre eux qu'avec leurs compatriotes respectifs », livre un géologue norvégien marié à une Française depuis six ans.

A l'instar des différences de prestige entre écoles de commerce ou d'ingénieurs, les filières nobles de l'internationalisation (dans les pays les plus industrialisés) se distinguent de celles qui le sont moins, et les

« Transnationaux » les plus efficaces, héritiers de la mobilité internationale en qui les pratiques de gestion de carrières rencontrent des dispositions préexistantes à l’usage aisé de normes de sociabilité internationales, se différencient des cadres locaux qui vivent leur mobilité en terre étrangère comme la récompense, « en fin de course », d'une carrière méritante (15).

Seuls les premiers, tout en critiquant ouvertement une définition purement nationale de l'excellence sociale, en célébrant « les grandes vertus du libéralisme et l’effacement salutaire de l’interventionnisme étatique », réussissent à tisser ou à conserver des liens avec les réseaux politiques et économiques nationaux (nous pensons surtout aux cadres africains de notre enquête). En ce sens, on peut souligner chez eux une sorte de

« patrimonialisation nationale » des gains internationaux.

Certains cadres internationaux cherchent à adopter de façon définitive et radicale le cadre de référence de la culture dominante dans laquelle ils s'insèrent. Le choix de la naturalisation en est la manifestation la plus aboutie, et la recherche d'une carrière entièrement faite dans un seul pays d'adoption, une des conséquences pratiques en entreprise. Les « Convertis » s'efforcent ainsi d'entretenir la plus grande similitude possible avec ceux qu'ils considèrent comme les détenteurs du pouvoir de décision dans l'organisation, les cadres français. Si les « Convertis » ont de la France l’image d’un pays à la fois porteur de culture universelle, de « confort » et de savoir-faire

(15) « Les nouveaux dirigeants ne jugent pas leurs subordonnés à l’adhésion au dogme libéral ou à un mauvais anglais international, ni même à la docilité dans les stages multinationaux où l’on apprend la

« gouvernance » et l’implacabilité dans le licenciement des plus faibles, mais à la culture profonde, ancrée dès le plus jeune âge » écrit Duclos (2000, p. 25).

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techniques, avec eux s’illustre le fait que l’assimilation est un achèvement jamais atteint et que l’ethnicité renvoie non pas à un état mais à un processus de construction sociale. Conscients des signes de leur ambivalence culturelle, les « Convertis » utilisent également la culture française comme signe ostentatoire et distinctif de promotion sociale.

Cherchant avant tout à « être appréciés pour eux-mêmes », les

« Convertis » souffrent d’être placés entre une population (refusée) d’appartenance qui sert aux autres à les désigner comme membres d’une catégorie plus générale (la nation, la couleur de la peau…) et qui n'est déjà plus la leur, et un milieu d'appartenance où, introduisant des caractéristiques qui leur sont propres, il ont peine à se faire accepter.

L'étranger (le cadre international) est ici en lutte permanente avec lui- même, constatant de façon cruelle que l’appartenance qui nous est reconnue par les autres ne découle pas simplement d’une capacité réflexive aiguë, d’un art de la distanciation consommé et d’un travail inlassable sur soi. Derrière la figure stéréotypée qu'il tente d'épouser en tous lieux, l'étranger risque constamment d'être « trahi » par la présence de cet autre rejeté en lui qu’il ne parvient pas à maîtriser pleinement.

Hommes d'identification à des « modèles », des pans entiers de la personnalité des « Convertis » sont troqués au profit de nouvelles acquisitions culturelles. Mais il convient de souligner que ces importants efforts de transformation opéré sur soi ne « disparaissent » pas à chaque « fin de représentation » au sortir de l'entreprise, comme ce peut être le cas pour d'autres cadres en situation de mobilité internationale. Ainsi, alors que les

« Opportunistes » ne se veulent pas prisonniers de leurs différents personnages, cherchent à les vivre « en pointillé » tout au long de leur carrière, les « Convertis » réclament de leurs vœux « l’heureuse servitude » d'une transformation intérieure, s’alignant sur ceux qu’ils considèrent comme des exemples de réussite professionnelle.

L'orientation dominante de la conduite des « Convertis » met en lumière un concept introduit par E. Erikson, l'identité négative, et qui recouvre l'ensemble des traits que l'individu apprend à isoler et à éviter. Dans un processus toujours imparfait de déculturation, les « Convertis » fournissent l'exemple d'individus cherchant à rejeter une partie de leur histoire, dans un effort de réécriture personnelle, qui sous-tend une phase trouble d'opposition et de recherche de nouvelles identifications.

Cette typologie autour de cinq ensembles identitaires illustre que, loin de se réduire à une socialisation mécanique dans l’organisation, l’expérience prolongée de la mobilité internationale n’est pas contradictoire avec la mobilisation d’éléments culturels et ethniques dans la compétition sociale. La vivacité de sentiments de commune appartenance, à défaut de déboucher sur une institutionnalisation de revendications collectives, fonde des réseaux informels d’entraide dans l’entreprise et au dehors, que les cadres internationaux mobilisent de manière individuelle.

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