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LE PLAN DU SOLEIL PREMIÈRE PARTIE

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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L E PLAN DU SOLEIL

P R E M I È R E P A R T I E I

Par trois fois la vague des visiteurs de Pâques, garçons et filles déjà travestis et mi-nus malgré l'humidité de caverne marine du vent soufflant de l'est, par trois fois le commando des reporters lancés sur la trace de la vedette et qui, après un bombardement au télé-objectif, avait tenté de débarquer en force sur les rochers de la villa qui la cachait, par trois fois la foule ameutée au cri de

« L a voilà ! » avait déjà balayé sur toute sa longueur, de la terrasse de Sénéquier à la Tour du Portalet, le quai de Saint-Tropez.

Seules les voitures aux numéros de Paris, de L y o n , de Zurich, de Francfort, de Londres ou d'Anvers parquées le long du port se désintéressaient de cette chasse et, lui tournant le dos, regar- daient les pavillons de poupe aux couleurs des grandes nations de la mer, Panama, Costa-Rica, Samt-Domingue, Yémen, Arabie Séoudite ou Bahrein et les mâtures de plaisance où pleurait le vent des algues et des épaves.

Une dernière fois, la vague de ' blues-jeans, des collants à carreaux, des chandails canari, cerise ou bleu de lin reflua vers la tour génoise.

— Elle entre chez Loulou ! signalait une voix.

Rabattue de la place de la Mairie par un autre commando, la vedette prise en chasse tentait en effet de gagner pour y trouver refuge la boutique la plus prochaine. Ce fut le rush, la galopade de pieds nus et de semelles de'nylon. L e peintre en plein vent sauva de justesse son aquarelle et ses couleurs.

Depuis son apparition aux chandelles chez le nabab de Tra- vancore, un lézard turquoise vivant agrafé sur ses seins, Florence M a i , la vamp mondiale, avait été signalée à Eden Roc, à Juan- les-Pins, au Garlton par les flashes tombés d'heure en heure.

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Reporters, photographes, cameramen professionnels ou amateurs l'avaient traquée. Lui-même l'hélicoptère de la Marine chargé de repérer noyés, pédalos, canoës en détresse, l'avait cherchée sous les pinèdes, en mer, sur les laisses d'algues et de bois mort d'hiver.

Portée par le vent d'est comme jadis le martyr décapité qui avait donné son nom à Saint-Tropez, avait-elle abordé de nuit aux Sardinaux, à Pampelonne, à Gigaro ? S'était-elle parachutée sur Gassin ou sur Ramatuelle ? E n fin de compte, c'était le très ancien havre de tartanes des Canoubiers qu'elle avait choisi pour y débar- quer clandestinement. Car elle faisait à la cité du Saint l'honneur de venir y chercher une villa à louer, avec plage particu- lière.

Or elle était là, à 'même l'asphalte, non plus gardée par les molosses de son pied à terre d'un jour, mais exposée et quasi- nue, si proche que les garçons qui l'assaillaient en avaient déjà la gorge sèche. N'ayant pas eu le temps>de franchir la porte de la boutique, elle restait plaquée contre la devanture, sur un fond de robes de plages, et on aurait pu lui arracher la sienne. Car i l ne s'agissait plus du découpage de carton affiché par les cinémas des Champs-Elysées, de Piccadilly, de Broadway et de toutes les capitales du monde, mais du corps de l'idole charnelle, tres- saillante comme un gibier. L a chasse aboutissait d'ailleurs à la cruauté d'un hallali, on le vit à l'air de désespoir de la victime, au tremblement de ses lèvres sans fard. Allait-elle être acculée, saisie, étreinte à pleines mains ? *

A la toute dernière seconde, l'un de ses deux gardes du corps réagit, la dégagea,- réussit à rompre la lame. Elle prit sa course près de l u i , dans une foulée de sprinter.

— Ce qu'elle court bien ! s'émerveillèrent ceux qui ne furent pas aussitôt lâchés.

— D u Jocelyn !

Ce Jocelyn n'était pas celui du poète, mais une vedette des stades, avec crise, complexes et break-downs, elle aussi.

Surprise par la trouée, la meute aux pieds nus s'embarrassa elle-même, et fut en quelques secondes distancée. L e gibier s'engouffra au fond d'une impasse mal gardée par la statue de Suffren. U n rideau de fer retomba sur la proie.

Époumonnées après pareille poursuite, Nicole et Monique, des « Réalisations Mailly », de retour au bureau qui les montrait

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sous verre telles des geishas sans kimonos, se laissèrent tomber sur leurs sièges de dactylos.

— Dommage ! fit Nicole, réplique à des millions d'exemplaires de Florence M a i , lèvres blêmes, cheveux filasse éplorés, et serrée dans son pantalon rose à ne pas pouvoir plier les genoux. L'auto- graphe ne sera pas encore pour aujourd'hui !

— L'autographe, l'autographe ! maugréa « Miss », la secré- taire de direction. C'est proprement insensé ! U n autographe d'une fille !

— Bien sûr, un autographe de Jacky, ce serait beaucoup mieux ! pouffa la dissipée Monique, brune, cheveux noirs comme crin, et gorge où reposait une médaille toujours tiède.

L a grisonnante « Miss » avait un faible pour le beau Jacky, coupable d'avoir compromis dans un fric frac récent une caissière folle de lui. E t c'était 1er contre elle le cheval de bataille des deux pin-up soumises à son commandement.

— I l ne s'agit pas de. Jacky, coupa-t-elle, i l s'agit d'une F l o - rence M a i qui se fait photographier au chevet des blessés d'Algé- rie par tous les magazines, et qui n'a pas eu le cœur d'aller voir une seule fois à l'hôpital sa doublure malade.

Là-dessus, la porte de verre qui donnait sur lè quai s'ouvrit, livrant passage au Président Directeur Général des « Réalisations Mailly », appelé à Saint-Tropez par deux ou trois importants rendez-vous. Malgré son envergure, l'affaire restait familiale, et le Président Directeur Général l u i avait donné son nom. M ê m e en pleine saison d'été, Mailly père portait cravate, veston sombre, et feutre noir à bords roulés de Parisien.

— Et voilà, mes enfants ! Elle nous a filé entre les doigts, se plaignit-il comme s'il avait lui-même pris sa course à la pour- suite de la vedette. J'avais pourtant bien espéré la joindre pour mon affaire de « Cythère ». O ù est Monsieur Pierre ? E n train de forcer le rideau de fer ?

— N o n , pas du tout, répondit du bureau voisin une voix tranquille et sympathique. J'étais ici.

Entre le bouillonnement de Mailly père et l'indolence de Mailly fils, c'étaient des accrochages incessants. L e Réalisateur lança à la volée sur un fauteuil de cuir son feutre à bords roulés. I l rat- tacha son bouton de manchette, observa une seconde les deux fillettes. Blonde et brune, i l les avait choisies lui-même dans l'espoir d'attacher Pierre à son bureau.

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— T u dormais, peut-être ? éclata-t-il en passant chez son fils. T u dormais au lieu de bondir sur Florence M a i . Pour savoir qu'elle était là, i l a fallu que je débarque. C'est toi, toi qui étais sur place qui aurais dû la coincer, me téléphoner, me câbler, me...

Pour exprimer l'urgence, l'intérêt pressant du coup de main, le Réalisateur ne trouvait plus de mots. Son génie imaginatif volait d'ailleurs, précédant la parole et la laissant sur place. Ce matin-là, i l lui avait suffi de tomber par hasard sur la chasse à courre pour reprendre la voie de son utopie de « Cythère ».

— Mais réalise ! C'était le moment ou jamais, lé moment unique ! L a presse, la radio, la télévision ont dit et répété qu'elle ne veut plus entendre parler d'Eden Roc n i des environs, qu'elle cherche par i c i . Comme Veronica Lorenzi, comme Rate M a c Ivor, comme Hilda Steinberg, du reste. T u la tenais depuis qua- rante-huit heures, et toute seule, ou presque. T u n'avais qu'à la joindre, tu emportais le morceau ! Une maison, elle cherche une maison ! Mais personne ne lui a jamais parlé d'une ville, d'un royaume où elle serait reine. Elle aurait été emballée, nous aurions eu son nom pour notre lancement. Quelle tête d'affiche, non mais tu vois ? « C'est fait ! Les Réalisations Mailly édifient à Saint-Tropez la Hollywood européenne. Vedette numéro un : F L O R E N C E M A I ». E t puis j'annonçais coup sur coup Verônica Lorenzi, Kate M a c Ivor, Hilda Steinberg, Joëlle de Kersaint, Pat O Reilly, Georges-Jean Roussel, tout le Gotha international de l'écran. E t les monstres sacrés de la peinture et de l'arène ! Mais à présent le départ est raté. T u as- laissé Florence te filer entre les doigts. Après la chasse de tout à l'heure, elle doit être écœurée, et Saint-Tropez ne la reverra plus !

Pierre était trop habitué à ces soudaines flambées pour s'en émouvoir, les combattre ou les approuver. Son plus grand étonne- ment était de les voir aboutir à des résultats positifs. C'était le don de Mailly père. Mais une fois de plus, devant l'immobilité de son unique fils — autant vouloir frapper un mur et le faire frémir — le Réalisateur baissa les bras :

— T u as une cigarette ?

— Garde le paquet, je ne fume plus.

— Depuis quand ?

U n téléphone sonna. Pierre décrocha :

— C'est pour toi.

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— Donne... C'est Liêbermann. I l est en avance. I l ne devait venir qu'à midi.

Liêbermann, ce seul nom évoquait la puissance de l'une des féodalités du temps : produits chimiques, une firme qui venait en dixième rang parmi les grandes entreprises industrielles de l'Europe occidentale. »

Avant de prendre l'écouteur, le Réalisateur avait eu le temps d'annoncer à son fils :

— T a Mercedes, tu l'auras avant la fin du mois.

Pierre n'avait même pas répondu. Comment faire entendre à son père que, depuis son retour d'Algérie, i l avait vraiment d'autres soucis que sa Jaguar ou sa Mercedes, son carnet de chèques, et les belles filles à draguer ? Certes ils traitaient en camarades, mais sur ce plan-là seulement. A la mort de sa femme, tuée au volant alors qu'elle venait de voir en Normandie les yearlings de son écurie, Mailly père avait hérité de son obsession : ne provoquer chez leur unique rejeton aucun complexe, éviter toute réprimande

•— un suicide est vite arrivé — le couvrir d'argent pour le garder des tentations, et lui offrir tous les six mois la voiture de son caprice.

Pour assurer à Pierre des études plus attrayantes, i l avait même engagé une ravissante « lectrice », qui le conduisait à Janson et allait l'y chercher. « A ce régime je me demande comment je ne suis pas en taule », disait à présent Mailly fils à son père avec la vulgarité verbale que celui-ci lui reprochait d'avoir rapportée de Kabylie.

A travers la baie du bureau, Pierre voyait les gardiens des yachts ancrés devant la statue vert-de-gris du Bailli de Suffren hisser pour les sécher leurs voiles blanches ou bleues. Cependant, par la porte entrebaillée arrivait la voix du Réalisateur, inspiré par l'importance du visiteur qu'il recevait : l'homme qui n'était pas Liêbermann en personne, car Liêbermann était une entité, mais qui incarnait la puissance et la majesté de la firme. Que Liêber- mann marchât, et le financement du « Triptyque » — comme disait le Réalisateur parlant des trois cités de son projet — ferait un pas considérable.

Pierre savait par cœur les termes de l'amphi, et i l aurait voulu les empêcher de porter jusqu'à lui :

— ... d'ici cinq ans, on ne reconnaîtra plus la presqu'île tro- pézienne, prophétisait Mailly père. L e fond du golfe ne sera plus qu'une seule ville nouvelle, que je baptise « Sambracie ».

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— « Sambracie » ? s'inquiétait Liebermann, ignorant aussi bien la géographie et l'histoire que le goût de l'ancien élève des Jésuites pour les classiques et la mythologie.

>»— Mais oui, Sambraeie, du nom du golfe, qui s'appelait Golfe Sambracitain. M a Sambracie comptera vingt-cinq mille âmes. Sur le lac, au milieu des jardins, je conserverai les types des plus fins voiliers méditerranéens. Une volée d'alcyons ! E t j'esca- mote les voitures avec un immense parking souterrain à plusieurs étages. A la surface, Sambracie ne sera que masses florales, lau- riers-rose, géraniums, anthémis, feuillages, ciel et mer !

Pierre pensait au paysage du Golfe qui ferait les frais de cette création, et i l le regrettait comme un fils du pays.

— ... d'ici cinq ans, continuait à annoncer le nouveau créa- teur, la grande plage de Pampelonne> cette merveille, aura elle aussi le sort qu'elle mérite. Est-il normal que Saint-Tropez, avec i sa vogue, n'ait pas de plage, qu'il faille, pour aller se baigner à Tahiti, couper la presqu'île par des chemins o ù cent voitures devraient s'emboutir chaque nuit ? Mais i l faut donner à celle de Pampelonne son envergure. Avec son croissant de sable de huit kilomètres, elle est faite pour porter, collier de perles de princesse, et elle le portera. Son décor tahitien en toc, je le balaie ! J'y dresse une nouvelle Promenade des Anglais an 2000, et qui, l'hiver, ne sera pas couverte aux grosses mers par des rafales de galets !

Pierre, voyant déjà l'immense plage vierge, qu'il avait connue dès avant son époque pseudo polynésienne, disparaître sdus le décor futuriste que le génie de Mailly père était capable au bout du compte, d'y planter, se prenait presque à regretter les « Tahiti », les « Bopa bora », les « Moorea » dont les canisses coupaient les risées de vent d'est.

— ...seul me manque encore le nom, hésitait le Réalisateur.

Je pense à « Pampelonnie », qui s'accorderait avec « Sambracie ».

Pour l'unité de mon Triptyque, je voulais aussi baptiser ma cité de vedettes « Olympie », mais « Olympie » n'est pas l'Olympe auquel je pense pour nos dieux, nos héros et nos demi-dieux d'aujourd'hui, et je n'y hébergerai pas seulement des lanceurs de disques ou des marathoniens. J'ai pensé alors à « Cythère » à cause de la prédominance des nouvelles Marlène et autres anges bleus.

D e toute façon, c'estrpar cette réalisation que je commence, et je suis venu par avion pour m'en occuper. L'emplacement idéal

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me paraît être Camarat, et j'ai déjà l'option. Les bienheureux de

« Pampelonnie » pourront aller contempler à loisir les étoiles inter- nationales de « Cythère » et les voir prendre leur bain dans la mer, mère d'Aphrodite... « Cythère », oui,-je crois que c'est bien le nom qui convient.

Mais Liebermann, cette fois, réagit :

— M o i , je préférerais « Stars Beach ». C'est plus moderne.

— « Stars Beach »/ Mais nous sommes en France ! Nous n'avons pas à emprunter aux U . S. A . ! .

— Je trouve « Stars Beach » plus rentable.

A l'est comme à l'ouest, la défiguration de la côte sauvage, pins, chênes-liège, mimosas, lapins, cigales et lézards" verts se poursuivait, dans la soif d'un profit miracle. L a montagne des Maures, ou du moins son rivage, avait été jetée d'un coup sur le marché sordide. Elle était tout entière à vendre, affichaient les écriteaux d'agence. A vendre et à « lotir » — le mot-clé. Parache- vant l'œuvre des incendies, les bulldozers arrachaient les pinèdes, déchiraient « la colline », y ouvraient des saignées, la couturaient de cicatrices. Sur les lèvres des plaies bourgeonnaient les chantiers, les parpaings. L a lèpre du ciment gerçait les beaux sous-bois d'aiguilles sèches. Foire effrénée, encouragée par la marée cons- tamment montante des prix, les spéculateurs défrichaient, lotis- saient, les architectes, les entrepreneurs professionnels ou de fortune bâtissaient, transformaient moulins, cabanons, bergeries cependant que les particuliers possesseurs de quelques hectares, pris de la même soif, installaient dans leurs propriétés du bord de mer, jusqu'au perron de leurs villas, des campings, des villes de tentes.

Les grandes pluies d'octobre se chargeaient encore, fpar bon- heur, de balayer ordures, papiers gras, fourmilières sur les cam- pements désertés. Pour ce q u i était de la bâtisse, Pierre en venait à appeler des tempêtes de l'est qui délabreraient les façades, des déluges qui crèveraient la croûte des terrasses, des armées de termites qui endetteraient les charpentes de bois de pin. Mais n'était-il pas lui-même au foyer de l'une de ces entreprises qu'il taxait de piraterie ? Si le Triptyque était encore dans les nuages, la firme Mailly se nourrissait de réalités substantielles dont témoi- gnaient les cartes en couleurs, les plans, les images d'immeubles nouveau siècle, de villas style provençal, andalou, italien, mexi- cain, de maisons préfabriquées qui tapissaient le bureau de Mailly

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fils lui-même, et devenaient son cauchemar. L e Réalisateur restait marchand de biens, bien que pour son compte i l reniât cette appellation patentée, qu'il trouvait de mauvais aloi.

Lorsqu'il avait imaginé d'installer un bureau à Saint-Tropez.

et de mettre son fils à sa tête, i l avait cru frapper un coup de maître.

« T u n'auras plus besoin de languir dix mois après tes vacances T u y seras d'un bout de l'année à l'autre, dans ton « Saint-Trop » ! Et tu ne débronzeras pas ! ». S i elle le voyait de son paradis, sa défunte femme admirerait cette façon d'exorciser le complexe tropézien qui, "dès avant le départ de leur fils pour l'Algérie, avait tant gêné ses études de droit. L'idée s'était d'autre part avérée payante, puisqu'elle était à l'origine du projet grandiose du Triptyque, que le Réalisateur n'aurait jamais conçu si la pré- sence à Saint-Tropez de son bureau et de Pierre ne l'avait pas lui-même amené à faire sur place des séjours d'une certaine durée.

E n échange du statut d'enfant prodigue qu'il lui assurait, que demandait-il à s/m héritier ? Peu de chose au départ : quelques heures, quelques lettres, quelques contacts. Pour plus tard, i l rêvait d'un Mailly fils mûri, rompu aux affaires, et succédant à Mailly père. N'imputant l'inertie de son garçon qu'à son'jeune âge, à son insouciance de fils de famille, i l ne voyait pas la pro- fondeur du fossé qui déjà se creusait entre eux.

Pour ne pas entendre plus longtemps, Pierre avait d'ailleurs fermé sa porte. L o i n d'entrer dans les vues de son père, i l s'en éloi- , gnait de plus en plus. C'était ainsi qu'il n'avait pas fait un pas pour contacter Florence M a i . Comment son père eût-il compris qu'il lui suffît de voir le soleil revenu et les voiles à sécher pour quitter le bureau et aller « sur le port » comme tout Tropézien et sans aucune idée en tête ?

L a sirène annonça midi.

Sans même prendre la peine de ranger ses papiers, Pierre jeta un chandail de marin sur ses vastes épaules, et sortit.

U n quart d'heure plus tard, reconduisant Liebermann, Mailly père interrogeait Monique :

— O ù est mon fils ?

— Je ne sais pas... Peut-être sur le port ?

— Sur le port, sur le port ! Qu'est-ce qu'il y fait donc, sur le port ?

Mais le téléphone sonna. L e bureau de Paris rappelait le Réa- lisateur.

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— Alio oui ?... bon, bon. Je prends l'avion de Nice.

Sans cesser de parler au matelot occupé à hisser au soleil sa

» grand voile, Pierre put voir du coin de l'œil son père sauter dans la voiture dont le chauffeur, casquette à la main, tenait ouverte la portière.

— T o n croulant se tire, lui fit son ami Ange, le pêcheur.

Où va-t-il ? •

— Est-ce que je sais ?

Même s'il avait su que son père rentrait précipitamment à Paris, Pierre n'aurait pas bougé d'une semelle. Pour sa part, i l se félicitait d'avoir mouillé une bonne ancre tropézienne : celle du

« pointu » indigène qu'il partageait avec Ange et Marius, et poiir lequel i l avait bazardé le cinq mètres cinquante, cadeau de Noël de son père. A défaut de tartane, un bon « pointu » avec voile latine . et moteur, voilà qui était marin. Depuis qu'il avait ce bateau, Mailly fils ne mettait même plus les pieds à la saison sur le yacht paternel.

Marius rallia à son tour, après sa belote avec les Bretons du Café de Paris. E t Pierre, encadré de ses deux amis et traînant ses savates de cuir sur les dernières flaques, entreprit le tour du port à partir de la rose des vents inscrite sur le quai. Des ponts luisants à la pomme des mâts, les voiles de la flottille à l'ancre tendaient au soleil reparu leurs ailes blanches, ocres ou bleues. Des deux souffles du golfe, vent d'est et mistral, c'était maintenant le mistral qui prenait le dessus.

Les pêcheurs et les gens du lieu allaient s'interpellant, sans prêter attention aux groupes d'arlequins vacancier» de Pâques.

L a chasse à la vedette n'avait laissé aucune trace. Pierre pensait aux Cauvin de Camarat qui tous, chevaliers de Malte ou du Saint- Esprit, compagnons de Suffren, rois des Andes ou du Cachemire, au terme de leurs odyssées, étaient revenus « sur le port », dans la simplicité native^ I l avait l'illusion de se mêler à eux, d'être n é lui aussi à la Gleye. Comme Ange et Marius, i l connaissait tous les bateaux ancrés, leurs défauts, leurs qualités marines, leurs gardiens et leurs équipages. Comme eux, i l pouvait ergoter à perte de vue sur la manœuvre d'un inconnu doublant le phare, sur les fonds, sur les vents et sur les conditions de pêche. L u i non plus, i l n'entendait pas le crieur de journaux « Figaro ! France- Soir! ». Saint-Tropez n'était pas en France.

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L e long des terrasses pourtant, les trois garçons laissaient traîner les yeux comme filet de pêche sur les filles sortant demi- gelées d'un baih hors de saison.

— Brrr ! elles donnent froid ! riait Ange.

Pour Marius et pour l u i , le temps n'était pas encore venu de montrer leur musculature sarrasine, et de s'offrir les belles estivantes.

— Une touche pour toi, Pierre ! annonça cependant Marius à l'angle de la terrasse de Sénéquier. Bonne m è r e ! Quelle daurade ! Elle t'a pris pour un de la Ponche.

Mince de hanches, large d'épaules, puissant et cependant souple comme un garçon habitué à courir les ponts sur ses pieds nus, Pierre avec son teint brun, son visage précis, ses yeux chauds, était certes assez beau pour faire pâlir une fille déjà saisie par le sel glacé de la mer. Mais, trop gâté de ce côté, ce qu'il ambition- nait surtout -— et ses deux amis savaient flatter «son faible-—c'était d'avoir l'air d'un pêcheur et d'être pris pour tel. N o n par goût de la mer, mais pour se donner l'illusion de dépouiller même son origine.

L'heure de manger étant arrivée, Ange s'étira, remonta sa ceinture :

— O n y va ?

— N o n , j'attends un ami.

— E t nous autres, qu'est-ce qu'on est ?

— O u i , mais l u i , je l'ai connu en Algérie.

Dès qu'il était question de l'Algérie, Ange et Marius se tai- saient, tout en se demandant comment Pierre pouvait garder un si bon souvenir des bleds kabyles et de leurs embuscades.

Quelques instants plus tard, Mailly fils recevait à la terrasse de VEscale son ancien compagnon de campagnes. François et lui, ils s'étaient liés du côté de Tizi-Ouzou, alors que tout eût d û les séparer : condition, milieu, éducation et caractères. François sor- tait alors de l'Ecole d'ingénieurs de Strasbourg, école à laquelle i l avait voué u n culte. I l venait d'être engagé comme géomètre sur l'autoroute en construction de l'Esterel aux ordres d'un jeune patron de vingt-sept ans, orphelin, et tout aussi capable de rem- placer à son volant l'un de ses conducteurs de moto-scrapers qu'il l'avait été de prendre en main dès la mort de son père la direction de l'entreprise.

Pierre aimait retrouver François^ sa bonne humeur, son amour

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de son métier. Devant'le loup grillé au fenouil, le géomètre raconta que, le matin même, un bulldozer du chantier avait failli se retour- ner sur une pente, et que son chauffeur l'avait sauvé au risque d'être précipité lui-même. Histoire bien faite pour les remettre tous les deux dans l'atmosphère de la montagne de Kabylie et de ses chantiers, pistes, écoles, postes et logements. Ils racontèrent des coups, puis François en revint à son travail sur l'autoroute, travail passionné dont les hommes parlaient encore le soir à la cantine, décomptant les voyages de leurs scrapers et les records battus.

— T u as de la veine de ne pas être marchand de biens, répéta Pierre.

— Viens, je t'embauche !

— Je ne sais même pas conduire une pelle !

Mailly fils ne se faisait aucune illusion sur lui-même. I l devait à l'Algérie d'avoir découvert une jeunesse ignorée, laborieuse, efficace, aussi différente que possible des tricheurs des étés de

« Saint-Trop », des hivers de Saint-Germain-des-Prés, et des camarades de sa bande bourgeoise, Ervin l'albinos, Christian, Arnaud, ou même Jean-Gérard. Mais i l avait du même coup mesuré son inutilité.

— Bon à rien. Je ne savais que me bagarrer.

Ce fut son dernier mot après le marc d'adieu. E t la deux- chevaux, cuirassée de boue et éçharpée la veille par un rrioto- scraper, démarra, heureuse elle-même de retourner à son chan- tier.

Si agréables que fussent pour Pierre ses rencontres avec Fran- çois, elles lui laissaient toujours une amertume. Comme i l traînait du côté de chez Loulou ses pieds désœuvrés de pêcheur, un homme râblé à casquette blanche de premier maître l'interpella du haut de sa terrasse, qui donnait sur le port, et lui fit signe de monter.

Ce n'était pas pour un étranger un mince honneur que d'être ainsi invité à YOustau, foyer des Amis de la Bravade. Car Jean- Baptiste Martin, menuisier, ancien charpentier de marine, main- teneur des traditions de la cité, était un personnage. E n temps normal, i l eût fallu à Pierre des années pour être admis dans la famille tropézienne. I l ne suffisait pas en effet pour cela de se lier d'amitié avec un Ange et un Marius, n i de fréquenter le bar indi- gène du « Rascasson », pastis, soupe de poisson, aïoli. N'avait-on pas vu des peintres de la Découverte se fixer à Saint-Tropez,

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y travailler toute une vie Sans jamais arriver à forcer les portes invisibles ? Mais Pierre avait été servi par une circonstance excep- tionnellei celle de la commémoration, l'année précédente, du qua- dricentenaire des Libertés tropéziennes. L'idée était de Jean- Baptiste. Saint-Tropez avait jadis formé une république réelle!

Pourquoi s'était-il dit, la république n'aurait-elle pas, comme les rois de France, reconnu ce titre légitime, et cela au cours d'une Bravade retentissante ? C'était là que Pierre était intervenu. N o n seulement i l avait offert à Jean-Baptiste le concours des « Réalisa- tions Mailly » mais i l lui avait suggéré d'associer au quadricente- naire les trois puissances étrangères liées par l'histoire à la petite république, c'est-à-dire l'Italie, l'Argentine et le Pakistan. I l s'était chargé lui-même des démarches, et si les événements du Treize mai avaient retenu à Paris les ministres et les ambassadeurs attendus, si un mistral sauvage avait au dernier moment balayé les bâti- ments de guerre embossés dans le golfe et refoulé vers l'abri d'Impéria l'unité battant pavillon italien, les trois nations n'en avaient pas moins été, grâce à l u i , représentées au jour glorieux.

Ainsi s'était scellée entre lui et le « cépoun » — en provençal le pilier — des traditions locales une amitié qui avait été son « sésame ouvre-toi » tropézien.

I I

Ayant quitté sa terrasse, le Mainteneur attendait Pierre de l'autre côté de sa maison, sur le seuil de son atelier à l'enseigne des Amis de la Bravade. I l lui annonça la nouvelle d'emblée :

— Elle ne va pas, Honorade, tu sais.

I l s'agissait de la femme d'Hippolyte Isnard, capitaine au long cours en retraite. Hippolyte, ancien élève de l'Ecole d'hydro- graphie de Saint-Tropez, avait fait dans son temps, les grands voiliers de tour du monde. Dès son mariage, sa jeune épouse Honorade avait voulu l'accompagner, et elle avait eu son unique fille par le travers du cap Horn. « T u penses, avec les grains de ces parages ! commentait encore Jean-Baptiste. L'enfant était pour ainsi dire mort-née ! ».

— Elle devait venir coudre avec ma femme pour habiller cette graine de petits bravadeurs qui pousse de partout. Elle n'a pas pu, elle a dû se coucher, expliqua le menuisier. I l faut qu'elle

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se sente mal. Ce qu'il y a, c'est qu'elle ne s'est jamais consolée de la mort de la petite. E t comme elle n'a pas eu d'autre enfant ! Si tu y passais voir, chez Hippolyte ? M o i , i l faut que je finisse ceci.

« Ceci » désignait le cercueil que le mainteneur était en train de terminer.

Dans les bourgs comme dans les villages, i l n'est de nouvelles que de santé, de clinique et de morts. Longeant le trottoir de la ruelle qui débouchait sur la poissonnerie, Pierre se sentait villa- geois, villageois tropézien. I l salua l'aveugle marchand de billets de loterie qui, le reconnaissant à la voix, s'enquit :

— T u montes voir Honorade ? I l paraît qu'elle ne va pas ? L a maison de l'ancien capitaine au long cours ne se distinguait en rien de ses voisines de la ruelle. Les chiens avaient renversé la poubelle. Pierre appela d'en bas.

— A h ! c'est toi ? Monte, lui répondit du palier la voix d ' H i p - polyte, qui avait gardé la force d'un commandement à la mer.

L a maison sentait l'océan. Hippolyte y régnait d'ailleurs « de la cale au nid de pie ». I l s'était toujours refusé à la vendre alors que, donnant à l'ouest sur le port, elle lui aurait valu une fortune.

Même l'été, i l n'en louait aucune pièce, et i l venait de jeter dehors des mannequins de Paris qui prétendaient monter sur sa terrasse de vigie pour y tourner un film de modes.

Introduit dans les murs salpêtres de la demeure marine par la grâce de Jean-Baptiste, camarade d'enfance du capitaine, Pierre avait gagné la faveur du loup de mer, dont aucun Tropézien n'écoutait plus depuis longtemps les radotages. Comment Hippo- lyte ne se serait-il pas attaché à ce garçon qui s'intéressait à ses histoires et le relançait de lui-même, le faisant rebondir de sa première communion de mousse à Damiette à son naufrage de Zanzibar, et qui était à ses côtés, i l le savait, dans le combat local contre le projet de casino ? Mais ce jour-là, i l n'avait pas le cœur à parler de typhons. Bien qu'il fût habitué à l'état de tristesse de sa femme, la crise de la nuit l'avait inquiété,, et, cette fois, i l avait appelé le médecin.

— Tous les mêmes. Celui-ci, c'est la dépression nerveuse qu'il me sort, et l'histoire du cap Horn, expliqua-t-il en tirant de derrière une maquette de trois-mâts une bouteille de pastis. T u comprends, c'est depuis qu'elle ne navigue plus, Honorade, qu'elle

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se languit. S i seulement je pouvais rembarquer, je me la guérirais.

^ - E t qu'est-ce qu'il lui a ordonné, le toubib ?

— Des piqûres. E t après, l'air des Plans !

E n homme de la mer, Hippolyte ne parlait jamais qu'avec mépris de ces causses sauvages suspendus au-dessus de la côte, et qui en Provence portent le nom de Plans, véritable désert où aucun. Tropézien ni aucun estivant ne se serait aventuré.

— L'air des Plans, quelle galéjade ! reprit-il après avoir rem- p l i les verres. H finirait de me la tuer. T u ne sais pas ce qu'est le mistral de là-haut. Les hommes en deviennent fous, et ils tirent des coups de fusil... Honorade a les nerfs bien assez malades comme ça.

— U n changement de climat lui ferait cependant du bien.

— Sache, petit, que le meilleur climat du monde est le climat de Saint-Tropez. Je n'ai pas trouvé mieux, même aux Galapagos.

U n coup frappé à la cloison interrompit le dialogue.

— C'est elle qui appelle. N e t'en va pas.

L a minute d'après, Hippolyte reparaissait :

— Elle a reconnu ta voix et elle veut te voir. Faut-il que tu sois beau garçon !

T o u c h é par sa mélancolie, Pierre s'était mis à gâter Hono- rade, peu' choyée comme les rudes Provençales. Elle avait été assez longue à admettre que les marrons glacés, les calissons étaient pour elle, i

— L a voilà, cette paresseuse I fit le capitaine. Assise du matin au soir entre ses canaris, à regarder entrer la flotte !

E n prononçant « la flotte », le vétéran évoquait pour son pro- pre regret les vols de chébecs, de galiotes et de tartanes de jadis, les escadres de galères de Gênes, de Venise ou de l a religion, les vaisseaux de Suffren, les trois-mâts-goëlette, maudissant la misérable poussière des chris-craft, Ponants, Canards et autres Vauriens du temps présent.

Mais ce jour-là, Honorade n'aurait même pas eu la force de mettre au point la lunette de passerelle. Pour faire diversion, Pierre raconta la chasse à la vedette.

— Ils sont fous, ces garçons. Je les ai bien vus par la fenêtre...

Pierre comprit que la malade aurait souhaité l u i parler seul à seul. Appelé par le coup de sonnette du facteur, Hippolyte prenait justement l'escalier.

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76 LA REVUE

— M o i je sais mon remède, se hâta-t-elle de dire. Ce serait de revoir ma nièce Laurette. N e serait-ce que deux ou trois jours qu'elle passerait ici.

Tout ce que Pierre savait de Laurette, c'est qu'elle vivait au désert du Plan du Soleil dans une bastide perdue, auprès dé son père Sébastien, frère aîné d'Honorade, une espèce de cer- bère qui la tenait emprisonnée. Telle était du moins l'opinion d'Hippolyte, qui n'était pas tendre pour « le sauvage », pas plus que pour son farouche pays des Plans. Honorade avait déjà pressé en vain son mari d'obtenir de son frère qu'il laissât Laurette des- cendre à Saint-Tropez.

— I l a peur de Sébastien. E t toi, tu es le seul qui puisse le déci- der à essayer. S i tu lui dis que c'est le seul remède, i l te croira.

Promets-moi de lui parler !

Dès qu'il se retrouva seul avec le capitaine, Pierre tint sa promesse.

— Je sais, je sais, coupa Hippôlyte. C'est son rêve d'avoir quelques jours sa Laurette. Elle n'a plus eu d'enfant. Alors, elle ne parle que de Laurette.

— O n peut toujours essayer. I l n'y a q u ' à la faire venir, cette

Laurette. 1

— T u en parles à ton aise ! O n voit que tu ne le connais pas, Sébastien ! Pour le séparer de sa fille, i l faudrait un tremblement de terre, ou la remontée des eaux des avens. E t encore,'il l'empor- terait dans ses bras, et i l se laisserait rouler avec !

— Mais si c'était là le seul remède ?

Dans son trouble, le capitaine fit mine de chercher ses lunettes, tâta ses poches, en tira les deux lettres que venait de lui remettre

le facteur.J , /

— V a l'y chercher, toi, sur le Plan du Soleil 1 O n aurait dit qu'il parlait de quelque astre.

Pierre reprit la ruelle pour revenir chez Jean-Baptiste. Lors- qu'il était monté chez le capitaine, i l n'était encore qu'un voisin allant aux nouvelles. I l avait suffi de moins d'une heure pour tout changer. C'était à lui qu'Honorade s'était confiée, lui dont elle avait demandé le1 secours: Et, pour la première fois, Hippôlyte avait évoqué le drame de son beau-frère Sébastien, capable d'engloutir sa fille dans les abîmes pour ne pas en être séparé.

« V a l'y chercher, toi, sur le Plan du Soleil » ! Sous l'appa-

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rence d'un défi, n'y avait-il pas dans ses paroles un appel qui se joignait à celui d'Honorade ? Plus i l approchait de la maison du « Cépoun », plus Pierre se sentait investi d'une mission fami- liale. E n tout cas, i l était dès à présent fondé à s'enquérir, L a u - rette, i l avait déjà entendu à plusieurs reprises ce nom, mais ce n'était toujours qu'un nom. Pourquoi ce mystère ?

L'atelier de menuiserie était encore ouvert. Jean-Baptiste avait raccroché sa casquette blanche de premier maître pour se remettre à son métier, et i l rabotait le cercueil. Cheveu noir et dru malgré l'âge, traits durement taillés, Pierre lui trouvait un air espagnol, et le voyait très bien sous le morion d'un soldat de Pizarre.

— E h bien ? interrogea le « cépoun », arrêtant son rabot.

— E h bien, elle ne va pas du tout, Honorade.

Pierre tourna autour du cercueil, chassant les copeaux de la pointe de la savate.

— Vous le connaissez, vous, le Plan du Soleil ? A ce coup, Jean-Baptiste lâcha planche et rabot.

— Pourquoi me demandes-tu ça ?

— Parce que vous n'en dites jamais un mot, ni les uns ni les autres.

L e mainteneur haussa les épaules.

— C'est un désert !

— Avec deux âmes au moins.

— Elle t'en a parlé, Honorade ?

— Bien sûr.

E t Pierre raconta.

— C'est inouï, répéta Jean-Baptiste. I l faut- qu'elle t'aime.

— E t surtout qu'elle se sente menacée.

C'était ce qu'il fallait dire au « cépoun », et surtout devant un cercueil sorti de ses mains.

— M o i , en tout cas, appuya Pierre, je veux faire tout mon possible. Mais i l faut, que je sache à quoi m'en tenir.

— Attends, je donne un tour de clé.

Et le « cépoun », traversant son petit bureau, râtelier de trom- blons, entraîna Pierre dans la salle-foyer décorée de tableaux de Bravade, de santons, de mousquets et d'armes sarrasines, où battait le cœur de la tradition.

— Assieds-toi là.

De l'air de quelqu'un qui n'entendait laisser à nul autre

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son rôle d'initiateur, Jean-Baptiste écarta les papiers d'archives.

— Commençons par la quille !

I l aimait parler marin. ,

— A force de> faire du mystère sur Sébastien et son Plan d u Soleil, ils finiront par donner à croire je ne sais quoi. Bon ! E t bien, ces Rouvier — Sébastien et sa sœur Honorade, ce sont des Rouvier — étaient une vieille famille de Draguignan. Ils avaient près de la cathédrale maison bourgeoise et des biens un peu partout dans le Var. Mais les biens un peu partout, tu sais comme ils filent s'il n'y a pas une main pour les retenir. Sébastien a com- mencé à gaspiller pendant ses études de droit à la faculté d'Aix, et i l a continué pendant son service aux cuirassiers d'Orange.

I l était premier tireur au mousqueton, et si haut et si lourd que ses camarades devaient à chaque fois le hisser sur sa selle ! U n de ces grands troncs de Provençaux, rugueux de peau comme des éléphants. Après sa guerre de quatorze — i l n'est pas allé très loin, simple maréchal des logis — i l a fini de se ruiner.

— Je croyais qu'il était notaire ? ,

— Notaire, lui ? Notaire du sanglier et du lièvre, oui ! Enfin, i l s'est trouvé une fille assez folle pour l'épouser. Et pour lui apporter, la malheureuse, sa propriété du Réal Martin, une grande bâtisse rose avec une allée de platanes et une vigne, i l fallait voir ! Pauvre vigne ! I l a mis tout le monde dehors pour la soigner à sa façon. Résultat, la vente au tribunal. Heureusement que sa jeune femme n'a pas vu ça. Elle est morte à la naissance de L a u - rette. C'est alors qu'il a fait sa crise, Sébastien. I l a quitté les

« basses terres », comme i l disait.

L e « cépoun » fronça ses sourcils broussailleux, i l parut cher- cher : •

— Trent-sept. O u i , c'est en trente-sept qu'il est tombé veuf.

Laurette doit avoir maintenant ses vingt-deux ans. I l l'a empor- tée sur le Plan du Soleil comme l'aigle emporte l'agneau.

— O ù habitent-ils ?

— Dans une vieille bastide. Elle faisait partie des biens des Rouvier, et le propre père de Sébastien s'y était déjà retiré à la fin de ses jours.

— E t où est-elle, cette bastide ?

— Ça !... T u demanderas à Honorade. L e Plan du Soleil, aucun Tropézien n'y a jamais mis les pieds. C'est le pays du vent, des sangliers, des bandits ! M o n grand-père nous racon-

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tait toujours l'histoire des brigands dénoncés par l'un d'eux, et que les soldats du roi avaient fait sauter sur leurs barils de poudre. Quand je pense au mal que j'ai eu, moi, pour me pro- curer mes trois cents kilos de poudre' de la Bravade ! Mais c'est toujours comme ça : aux mauvaises gens les mains pleines ! Qu'est-ce que je te disais ?

— Que la bastide de Sébastien...

— A h oui, s'appelle la bastide de l'Homme seul. L'Homme seul, c'était, paraît-il, un lieu-dit.

— I l y a bien un chemin ?

— Bien sûr. Sans chemin, i l n'y aurait pas eu de bastide.

L e « cépoun » détourna les yeux, et parut interroger l'entrée de la passe où le mistral, fraîchissant tout à coup, soulevait une mer bleu d'acier.

— Mais i l y a longtemps qu'il a dû être abandonné, le chemin.

L e pays est retourné à son désert. E t qui s'y risquerait ? Sur le Plan, les fusils ne sont plus nos tromblons de bravadeurs. Ils portent loin.

— Pourquoi les fusils ? insista Pierre, qui venait de penser au cuirassier d'Orange, premier tireur.

— Parce qu'on ne parle pas de Plans, n i surtout de Plan du Soleil, sans entendre fusils.

Ici encore, Jean-Baptiste s'interrompit, comme si le sujet le gênait. I l enchaîna pourtant :

— Les histoires de fusils, ça revient, pour une raison ou pour une autre, tous les vingt ou trente ans, dans les journaux de D r a - guignan. Sans monter loin dans le Haut-Var, les maisons isolées t'y prennent de ces airs de batteries d'entrepont, avec leurs sabords et leur galbe !

Pierre, imaginant dans l'instant l'Homme seul, vit ses sabords et ses murs à étrave, telle la proue de la tour tropézienne de Jarlier, vestige de l'ancienne enceinte. Tour-prison qui amena

sa question : '

— Et Laurette, elle y vit continuellement, à l'Homme seul ?

— Honorade espérait toujours la prendre avec elle. Mais va lui arracher son petit, à ce vieux sanglier !

— Elle n'est donc jamais sortie ?

— Si. Elle a été trois ou quatre ans dans un couvent des Basses- Alpes... Elle grandissait, et son père avait avec lui une espèce de maîtresse-servante. Alors, tu comprends... Mais dès que cette

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fille l'a quitté, Sébastien a retiré Laurette du couvent, et i l l'a reprise avec lui. Honorade te dira que c'est de peur de la voir prendre le voile, ou que la Mère Supérieure la marie.

— Elle est séquestrée, quoi ?

— Séquestrée, séquestrée, vous avez de ces mots, vous autres ! Et qu'est-ce que tu lui répondrais si elle te disait qu'elle est heu- reuse ? C'est la fille de Sébastien, ne l'oublie, pas.

— Est-elle jolie ?

— Ça, i l faudrait le demander aux bergers qui l'ont emme- née avec la transhumance, dans la montagne. Son père avait voulu la changer d'air, et i l était parti avec elle et les troupeaux.

M o i , je ne l'ai vue que toute jeunette, à sa sortie du couvent.

Ensuite, elle n'est plus jamais descendue, et je ne peux pas te dire comment elle est à présent. D'ailleurs, les garçons d'aujour- d'hui, vous n'aimez que les filles de cinéma.

Pierre ici faillit réagir. I l en avait son saoul des filles de cinéma, et des autres qui les singeaient. Mais comment convaincre le mainteneur, qui, l'été, le voyait sortir avec la bande d'Ervin l'albinos et de Jean-Gérard ?

— Alors je ne peux pas te dire, continuait celui-ci. Mais moi, ce jour-là, en voyant Laurette, j'ai cru revoir Honorade au temps de ses fiançailles avec ce singe d'Hippolyte, déjà si laid. Grande et étoffée comme une fille d'Arles. U n beau raisin muscat, une belle gerbe de blé, la Provençale, quoi ? Ce n'est pas sa photo de communiante accrochée près du lit d'Honorade qui peut te donner une idée. T u n'as même pas d û la voir. T u ne les regardes pas, toi, les communiantes !

— E h bien, i l faut maintenant tout tenter. I l faut qu'elle descende, Laurette. E t qu'elle descende pour la Bravade. Pour la fête du saint, son père n'osera pas refuser.

— T u en parles à ton aise i

Pierre regagna le bureau des « Réalisations Mailly », où Miss rêvait à Jacky, tandis que Monique et Nicole écoutaient un calypso. Surprises par un retour sur lequel elles ne comptaient plus, elles arrêtèrent le tourne-disque.

Pierre aurait voulu leur dire de continuer. A u fond, d'elles ou de l u i , qui trompait davantage le Réalisateur, la firme ? Mais la journée n'était pas faite pour lui rendre le goût du métier de marchand de biens, et i l retrouvait le bureau, sa paperasse et

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ses maquettes, avec un écœurement, une irritation qui ne deman- daient q u ' à éclater.

— I l y a du courrier à signer ?

— A dicter oui, repartit M i s s ; lèvres pincées. Je ne peux pas répondre à tout moi-même.

— Pourquoi pas ?

Pierre appela nerveusement quelques dossiers, en ouvrit un, en tira des lettres.

r— Qu'est-ce qu'ils racontent encore, ces urbanistes ? Miss était habituée aux sorties insolentes de son jeune patron, et elle craignait toujours de le voir'se répandre en paroles déso- bligeantes pour des personnes, que les «Réalisations Mailly » avaient intérêt à ménager. Aussi était-elle allée pousser la porte.

— Pourquoi fermez-vous ?

— Parce que j'ai froid.

— Mais, je ne dis rien ? Ceci posé, ayez pourtant Pobligeartce de me. répondre. A quoi servent-ils ? I l n'y a qu'à voir le résultat sur cette Côte : une chaîne d'horreurs, à la débandade. Mais, bien sûr, toutes surrentables !

— Ils n'y sont pour rien, ces messieurs.

— E n tout cas, ils ont laissé faire, ils ont laissé construire dans la plus noire pagaïe. Eux qui auraient d û freiner, ils ont laissé les spéculateurs lotir, bâtir et surbâtir — jamais pour les sans- toit ! — faire de l'argent à toute force sans aucun souci d'unité ni de stylej abîmer ce pays, une merveille qu'il aurait fallu conser- ver à tout prix, embellir, défendre comme un paradis !... N e me regardez pas comme ça.,

— Mais, je ne vous regarde pas, monsieur Pierre !

Miss mentait. Elle restait saisie devant ce visage pris de passion.

— Je vous demande pardon, Miss, vous me regardiez. Et voulez-vous que je vous dise ce que vous étiez en train de pen- ser ? Que les « Réalisations Mailly », elles aussi, font de l'argent, ne font que ça. Voilà ce que vous pensiez.

— O h ! pas du tout. Pas en ce moment, tout au moins.

— Miss, j'ai mon opinion sur les R . M . Employons le sigle, c'est préférable pour le nom. Elles aussi en effet et hélas ! elles spéculent et surspéculent, et c'est bien ce qui finira de nous fâcher un jour elles et moi, j'en ai peur. Elles aussi, elles ont acheté à v i l prix, vendu cher, loti, bâti, enlaidi et vandalisé. Mais elles ont enfin une idée avec leur triptyque, quoique entre nous je

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ne voie pas comment elles vivront l'hiver, « Sambracie », « Pam- pelonnie », « Cythère », ces trois sœurs non siamoises aux noms pitoyables, coupées de tout nombril. Ce que je leur reproche, c'est de vouloir elles-mêmes surrentabiliser, si j'ose dire, leurs ensembles en y élevant par-ci par-là des « tours ». Une idée du tonnerre, ces tours new-look / Ç a vous rattrape mine de rien le manque à gagner de la limitation en hauteur de la masse ! Mais i c i , elles feront du dégât. Parce que la beauté de ce golfe est dans ses lignes d'horizon et le jeu de ses rives, basses et lon- gues comme une mer tout près de se calmer. Avec votre sensi- bilité de jeune fille, vous l'avez immédiatement senti, n'est-ce pas ?

Jamais Pierre n'avait pris sa sténotypiste pour confidente, pour témoin. Jamais i l ne s'était ainsi livré sous ses yeux. « Avec votre sensibilité de jeune fille »... Etourdie par ces mots merveil- leux, Miss suivait du regard les belles mains viriles ébauchant les ondulations des collines douces, harmonieuses, conjuguées comme des vagues successives de gris, de verts, de bleus sen- sibles et mourants. E t i l lui semblait que ces mains l'effleuraient elle-même.

— Vous me suivez ?

Incapable de répondre, elle fit signe que oui.

— Bon ! Alors, je m'en remets à vous. Pourriez-vous souf- frir de voir des tours pareilles, qui ne sont hélas ! pas des clo- chers, des accents isolés, naturels,- mais des accidents, de voir ces jets de béton accrocher à la verticale, déchirer ce concert de courbes déclinantes, et confondues enfin avec l'horizon de la mer ? C'est aussi sur ce point que je me bagarre avec mon père.

Mais, à part cette question, comme je vous disais, i l a au moins pour ses trois créations un plan d'ensemble, tandis que la Saint- Tropez future attend toujours le sien ! Entre le site du port à garder et la route du bord de mer, seule issue de l'impasse et par où l'agrandissement se fera peu à peu, i l aurait fallu prévoir déjà pour les abords un montage sur un axe puissant d'aération, d'accès. Or, que se passe-t-il ? Liberté de construire, sauf pour le nombre des étages. Impossible d'obtenir même une indication de style ou d'éléments d'accord, vous l'avez vu pour notre malheu- reux immeuble en cours. L'anarchie ! D ' i c i deux ans, ce sera une horrible banlieue de tranches de cassata coloriées aux fruits confits et jetées les unes sur les autres, une affreuse champignon- nière de fer, dé verre et de ciment embouteillée par des marées

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de voitures et de voitures. A moins que le terrain vaseux cède un jour par-dessous, avalant toute cette lèpre, c'est la grâce que je nous souhaite ! E t le casino ? A h ! le casino, parlons-en !

— Chut !

— A h J ah 1 voilà plus délicat ? O u i , je sais, vous avez peur qu'on m'accuse de vouloir torpiller l'entreprise parce qu'elle n'est pas des « Réalisations Mailly », et vous ne voudriez pas que j ' y touche^ Mais aujourd'hui, j'en suis écœuré, de cette foire du veau d'or ! J'en ai mon compte ! Si j'avais été Tropézien, on m'aurait déjà entendu, je vous prie de le croire. E t d'abord, Saint-Tropez, et même « Saint-Trop' », avec sa bohème, n'a jamais été fait pour avoir un casino, ce n'est pas son genre. Mais surtout, ce n'est qu'un tour de passe-passe, ce casino ! I l ne ferait que dédouaner l'immeuble "de boutiques et d'appartements à dix millions les deux pièces, seule raison de cette affaire. Voilà la réalité : le business le plus brutal à côté du bijou de l'Arinonciade et de ses toiles!Et ce n'est encore pas tout, Miss. Imaginons-nous revenant un son- de Sainte-Maxime tous les deux, et prenant au coucher du soleil le virage du Trezain...

Pierre tentait en vain de décrire le décor de Saint-Tropez tel qu'il surgit de ce tournant bien connu des touristes : long navire engagé sur les eaux et projeté sur un ciel nu, féerie changeant avec le vent, le soleil et les heures, rose tendre sur golfe gris par grand calme, or violent sur bleu d'écume par mistral, or pâle par mer verte, et colère du large. E t Miss en restait bouleversée.

Exilée de Paris, le démon de l'automne en avait fait à Saint- Tropez une victime. A ses frais, elle avait connu la drogue des

•mauvais garçons du type' de Jaçky, et elle n'arrivait plus à s'en passer. Mais le charme de Pierre jouait d'autre façon. Pour la première fois — et pour elle ! — i l se montrait tel qu'il devait être en réalité : sensible, passionné. Heureuses celles qui en étaient aimées. Elle rectifia en elle-même — assez jeunes pour en être aimées — mais le regret ne tient aucun compte de l'âge, et dévore n'importe qui.

—r E t bien, cette merveille du Trezain, poursuivait Pierre, risque tout simplement d'être détruite par ce monstre de casino.

N o n , mais vous la voyez, miss, cette masse plaquée comme un emplâtre sur un décor aussi tenace, aussi souple, et parfois imma- tériel comme un mirage !

— Ce serait abominable ! I l faut l'empêcher !

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— Rassurez-vous. L e coup n'est pas encore joué.

— Qu'est-ce que vous faites là à écouter, petites curieuses ? Vous devriez être déjà parties, fit Miss à Monique et à Nicole lorsqu'elle quitta le bureau de Pierre, bouleversée et rougissante comme si elle avait été prise en faute. E t elle les poussa dehors sans même leur laisser le temps de maquiller leurs yeux.

Resté seul, Pierre prit une feuille sans en-tête et, à la main, i l commença :

« M o n vieil ermite... »

Sous le coup d'une journée pareille, à qui aurait-il pu parler ? François ne l'aurait pas compris, le sujet dépassant par trop son horizon de géomètre. Pierre se félicita de la rencontre qui, avec, celui à qui i l se préparait à écrire, lui avait laissé un confident pour ses secrets les plus profonds.

U n jour d'été en effet, dans un chemin de la presqu'île, i l avait ramassé un auto-stopiste miséreux, dont le pouce presque complètement tranché ne tenait plus que par un lambeau de chair. Ce garçon, à peu près de son âge, ne semblait pourtant porter nulle attention à sa blessure. Son ennui était de ne plus pouvoir bûcheronner dans la pinède incendiée, et de voir ainsi bouleversé son programme de vie. Fils d'instituteurs athées de, Paris, étudiant en médecine, i l avait renoncé à la fin de sa troisième année pour faire retraite, et chercher le chemin de sa grâce. Son premier désert avait été une grotte des gorges du Tarn, où i l s'était livré durant trois mois à la méditation. Attiré par la Méditerranée, i l venait d'essayer d'une nouvelle ascèse. L e matin, i l travaillait les , bois brûlés pour gagner son pain, son lait, son fromage de chèvre.

L'après-midi et dans la nuit, i l poursuivait son aventure spiri- tuelle. Mais i l commençait à douter d'y suffire. Pierre l'avait

• gardé deux ou trois jours, puis i l l'avait conduit à la Sainte-Baume et remis entre les mains d'un ami de sa famille entré en religion, et devenu directeur d'âmes efficace.

Quant à lui, i l avait regagné son « Saint-Trop », mais avec mauvaise conscience. E t depuis lors l'ermite restait son image exemplaire, le confesseur sans absolution auquel i l livrait le secret de ses crises, et qui ne lui répondait pas.

« M o n vieil ermite... »

Après la facilité deTexorde, Pierre butait toujours sur l'épreuve

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des mots. Puis, assuré d'être en fin de compte compris, i l se jetait à l'eau :

« ...II m'arrive aujourd'hui quelque chose. Ce mercredi a embrayé à une vitesse extraordinaire, et sans que je fasse rien, tu t'en doutes, n i aux « Réalisations Mailly » ni ailleurs. Je croyais être passé de l'autre côté, avec ma simple vie de Tropézien. Aller à la pêche en « pointu » entre Ange et Marius, jouer à la belote au

« Rascasson », giberner avec Jean-Baptiste et Hippolyte, manger chez eux l'aïpli, prendre sel et poivre dans un roseau, et être aussi heureux qu'avec les copains dans la pauvreté d'une mecht-a kabyle, je n'ayais pas'besoin de plus pour me laver de toute fa saleté de la spéculation, des lotissements, de la bâtisse — que la mer de l'est les ensevelisse ! Mais aujourd'hui, comment te dire ? Aujour- d'hui, brusquement, sur un coup de mistral qui me saoule, la maison d'Hippolyte, son sextant, sa boussole, ses images de cap- hornier, s'est ouverte du côté terre. S'est ouverte sur un désert.

Voilà que tu dresses l'oreille, mon vieil ermite ! Oui, sur un désert où personne ne va, et à une heure à peine en Jag — ce n'est plus le Grand E r g ! Dans ce désert, i l y a une vieille bastide et, dans la vieille bastide, deux âmes. Est-ce excitant ? Voilà qui va me faire oublier Saint-Tropez, je le sens. Mais sans Saint-Tropez, j'en serais encore à « Saint-Trop » et à sa misère. E t jamais je n'aurais entendu parler de ce désert. Je te dirai. »

III

L e berger arrêté sur la pente avec ses moutons d'un vert sale se gara, effaré. Jamais ce chemin n'avait vu une Jaguar dévorer ses lacets. M ê m e au plus fort de l'été, à l'heure de la marée des foules précipitées sur la côte par la certitude d'un soleil quotidien et d'une mer clémente, pas un conducteur n'eût songé à se déta- cher du courant descendu pare-choc contre pare-choc par la Nationale Sept, et coulant jour et nuit à la cadence de deux ou trois mille voitures-heure. Pas un n'eût eu l'idée, ne fût-ce que pour se détendre, de se libérer du corso Saint-Raphaël — Saint-Tropez, de, faire le crochet. A plus forte raison celui d'une

« Jag » de la nouvelle vague, faite pour charger des grappes de nudistes assommés par le jazz noir, le whisky et les insolations.

Pierre avait pourtant piqué droit vers le nord, à travers les vignes bourgeonnantes et les pêchers en fleur. Encore quelques

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lacets 'sans doute, et la Grande Muraille allait d'un coup surgir.

Pierre attendait l'apparition avec une espèce d'oppression. L e front des Plans est en effet d'une majesté saisissante. Dressant à plus de mille mètres sa falaise, i l met fin à la confusion tourmentée des vignobles, des bois, des bassins sans issue, pour régner seul, et annoncer l'éternité. ,

A u détour d'un dernier lacet sous la forêt de chênes-lièges, la muraille blanche apparut, soutenant un ciel d'un bleu d'infini.

A ses pieds, des cultures en terrasse depuis longtemps abandonnées évoquaient le combat que l'homme d'en bas, pierres sèches en main, avait livré durant des siècles et perdu. Montée du littoral à travers la masse des Maures, patiemment infiltrée par les défilés et les seuils, la vague humaine avait pourtant battu le pied de la Grande Muraille. Dans l'espoir peut-être de la vaincre, de débou- cher un jour sur le Plan du Soleil et de gagner son paradis, elle avait accroché à la pente un village, qui, repoussé par les mistrals, semblait encore chercher un abri pour reprendre son souffle.

Avec ses étroites maisons jaillissant du rocher sur six ou sept étages, ses toits plats et ses fenêtres alignées, ce village imposait l'image d'un de ses frères thibétains, et Pierre au volant de sa Jaguar crut voir l'un de ces « dzongs » au pied desquels les expéditions britan- niques campaient sur la route de l'Everest, et d'où appelait la nuit la trompe rauque des monastères. N'était-ce pas la même voie d'ascension vers le ciel ?

Cependant le village mystique s'abîmait à son tour dans la profondeur. Comme pour s'accorder avec le monde supérieur, les terres d'en bas noyaient leurs champs, leurs vignes, leurs oli- veraies, leurs agglomérations humaines dans une jungle bleu fumée, et la mer lointaine elle-même semblait avoir effacé l'homme de ses bords. Ainsi se préparait l'exaltation.

Lacet par lacet, la* Jaguar s'éleva au flanc du mur de citadelle, surprenant une énorme couleuvre qui se croyait dans la sécurité de l'éden. U n dernier tournant, sur lequel on sentait le vide défer- ler, et, d'un seul coup, le désert de pierraille s'ouvrit, moutonnant sous l'outre-mer d'un ciel immense.

Déjà le vent maître de ces espaces, installé,à jamais, forçait les joints de la voiture. Pour le respirer librement, en goûter mieux l'odeur de. pierres et de montagne, Pierre descendit. Ce n'était pas, ce jour-Jà, le mistral qui soufflait, mais un vent lent, calme et profond comme un grand fleuve. Sans prendre l'inutile soin de

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se garer, Pierre se mit à marcher à travers la pierraille blanche qui avait l'air d'un troupeau chassé par le vent, et où de loin en loin nichaient des fleurs roses de paradis. Jamais dans ce pays air aussi vierge n'avait,pénétré sa poitrine, jamais i l ne s'était

senti lui-mêrne aussi pur. 1

Pas une vie, pas une brebis, nulle silhouette de berger. Com- ment cette terre astrale, suspendue au bord d'un rivage humanisé depuis des âges et d'une mer sillonnée par les nefs, avait-elle p u sauvegarder ainsi ses solitudes ? Seuls y régnaient k vent, le silence à peine froissé par l'aile des choucas familiers des hauteurs, la tranquillité du chaos. Après avoir longtemps marché pour épui- ser jusqu'au tréfonds cette source de pureté, Pierre s'en retourna vers la Jaguar tout interdite, et qui était restée à frissonner, à écouter une mer inconnue briser sur sa coque inquiète. Sans doute aurait-elle préféré, quant à elle, revenir au monde des routes, où heures et distances brûlent comme si quelque chose était réelle- ment en jeu.

Journée d'inoubliable découverte. Ce n'était pas en vain que, depuis l'appel d'Honorade, Pierre avait rêvé à ce Plan d u Soleil et à son mystère, en avait subi l'obsession. Mais i l avait été de longue main préparé à cette aventure. Ses lectures d'adolescent, les histoires d'un oncle maternel vétéran des Compagnies saha- riennes, avaient en. effet fait naître en lui un goût précoce des déserts. L u i que ne tentaient pas les escalades, i l se plaisait, en forêt de Fontainebleau, à s'isoler de son groupe, et à dresser sa tente dans la dune, s'imaginant qu'il y campait avec ses méha- ristes. N é trop tard pour mener ces raids de nomades — le désert de son temps n'était plus que pistes — i l avait entrepris en compa- gnie d'une fille exaltée une traversée, qui avait failli leur faire connaître à tous deux, dans le Grand Erg, l'authentiquemort saha- rienne. Or, voici qu'il découvrait un nouveau désert, et tout proche.

Découverte si bouleversante qu'il en oubliait la bastide, et le mys- tère de ses deux âmes.

Tout l'après-niidi, i l erra à pied. L e chaos sentait les buis acres. Par endroits, la pierraille blanche semblait dresser un mur de bergerie. Mais lorsqu'il s'en approchait, le mirage se dissipait, faisant place à la mort des pierres ruinées par les tourmentes de mistral. A la fin cependant, apparut la trace de l'homme : au haut d'une butte escarpée, une enceinte vertigineuse, confondue à ses racines avec le roc qui la portait. Pierre gravit la pente. Près de

!

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88 LA REVUE

passer le seuil de la ville enchantée, i l sentit coller à son front moite le fil poisseux d'une araignée, qui devait attendre depuis des siècles. N'ayant pas eu la même patience, la fontaine s'était tarie. A u creux d'une niche taillée dans l'épaisseur de la muraille et défendue par des fers rouilles, un pot crevé perdait sa terre.

L e chef-d'œuvre pourtant restait, et non seulement dans les tours à peu près intactes, mais dans les parties qui avaient le plus souffert. Chef-d'œuvre de la pierre dorée par les soleils, patinée par les vents et qui, née du rocher comme si elle en était sortie d'elle-même, en épousait l'élan et donnait aux profils une douceur vivante. Quelques instants, Pierre en oublia le désert. Inspiré peut- être par son prénom, i l découvrait en effet une fois de plus, i l touchait, caressait de la main le seul matériau qu'il aurait été heureux de manier, de tailler lui-même, ou du moins de faire employer. Sous les espèces d'un garçon du temps du bétonnage, i l restait un homme d'autrefois. L e ciment, ses parpaings, ses coffrages, ses fers dès le départ rouilles, la souillure qu'il dispensait autour de l u i , son insensibilité, son inhumanité, sa raideur méca- nique le rebutaient jusqu'à l'écœurement, et c'était aussi là l'une des raisons qui l'opposaient si fort à son père et à son métier. Dans l'abbaye du Thoronet, i l aimait le miracle de la couleur, des lignes, l'harmonie des plans et des surfaces. Dans la ruine qu'il parcou- rait, i l découvrait lés mêmes charmes. I l lui fallait, i l s'en assurait une fois .de plus, la massivité, le grain de la pierre, l'usure de ses angles et de ses seuils brunis, ses marches douces au pied et, sous les doigts, son galbe, sa tiédeur. Ses mousses dorées, ses fleurs sauvages, et les figuiers qui en naissaient, ne démontraient-ils pas qu'elle n'était pas stérile ?

Pierre poursuivit sa route à travers l'étendue. Plan du Soleil, le causse provençal méritait bien ce nom. Chaque crête, chaque pierrier accrochait, retenait le soleil déclinant, et devait en garder la chaleur. Peut-être même ne se couchait-il pas, le soleil, ne tou- chait-il l'horizon infini que pour rebondir, et. reprendre sa lente ascension du zénith. Bienheureux, pénétré par l'accord absolu qui se faisait en lui avec le vent calme, la douceur du couchant, et le silence astral, Pierre ne souhaitait plus la rencontre de l'homme, qui lui aurait indiqué le chemin de la mystérieuse bastide et de ses deux reclus.

U n peu plus tard pourtant, i l crut à un hasard providentiel.

Comme i l gravissait une dernière crête, i l aperçut, dans une gorge

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de pierraille abritée du mistral, une maison massive. Les lierres semblaient cependant l'avoir surprise et étouffée, car elle tombait à la ruine. L a bastide de l'Homme seul devait lui ressembler, tout en se maintenant vivante. Mais elle ne devait pas être aussi aisée à découvrir, Pierre s'apprêtait à rebrousser chemin lorsqu'il dis- tingua, au-dessus d'un rocher, la silhouette d'un homme armé.

Toutefois, i l ne pensa pas sur le coup aux histoires de fusils, auxquelles avait fait allusion Jean-Baptiste. Dans un authentique désert comme celui-là,, la présence humaine ne pouvait se mani- fester que sous deux espèces : l'anachorète, et l'homme au fusil, nomade ou pasteur. Pierre oubliait celui qui est la proie d'un tour- ment. I l essaya de héler l'inconnu. Mais le porte-fusil sombra dans l'instant, comme avalé par l'un de ces avens qui criblent les Plans, et s'ouvrent sous les pas.

I V

— Je le connais, le Plan du Soleil, à présent.

— Quoi ? , ' ,

— Je le connais, le Plan du Soleil.

Sous le choc, pour se donner une contenance, Jean-Baptiste se, mit à fourrager dans le carton, d'où i l était occupé à extraire des bicornes noirs trouvés dans une boutique de Toulon, et des- tinés aux bravadeurs. •

— Rassurez-vous, je ne suis pas allé jusqu'à l'Homme seul.

Ce sera pour la prochaine fois, enchaîna Pierre.

— Bonne idée ! grommela le menuisier.

Mais ce soir-là, i l ne put pas en savoir davantage. Une vieille entrait en effet, demandant des boutons pour la tenue de mousque- taire de son arrière-petit-fils. Dans ces journées, la maison du mainteneur ne se prêtait guère à un entretien confidentiel. Les gens s'y succédaient en quête de boutons, de sabres, de tenues de garde-saint, de mousquetaires ou de marins. Car le jour solennel, celui de la fête du saint, avec son cortège de la Bravade et sa trom- blonnade historique, approchait, et le « cépoun », qui non seule- ment portait sur ses épaules tout le poids de l'organisation, mais œuvrait jour et nuit à l'église ou chez l u i , vérifiant l'arsenal, les tenues, fabriquant lui-même les épaulettes, était une fois de plus débordé. Contre le « Saint-T»op » de Paris, de la foire d'été, i l luttait cependant de tout son corps trapu pour rnaintenir debout

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90 LA. REVUE

l'authentique Saint-Tropez, et assurer l'éclat de la parade annuelle qui le dix-sept mai, défilant dans les ruelles avec un fracas d'artil- lerie, rappelait les fastes de la petite république de la mer.

— Alors, tu la fais, la Bravade ?

C'était Ange qui entrait, tout faraud sous un chandail frappé du nom d'un yacht qu'il n'avait jamais manœuvré, et appuyait sa phrase d'une bourrade, à laquelle Pierre répondit avec encore plus de vigueur.

— Fan de pied, ce qu'il peut faire mal ! se plaignit à l'adresse du « cépoun » le. pêcheur, chaque fois ravi par ces jeux de gaillards.

Ange venait chercher la mitre de garde-saint de « Rascasson ».

Car le patron du bar n'aurait pour rien au monde renoncé à son privilège. Armé de son tromblon et coiffé de la mitre à l'effigie du martyr, i l comptait jusqu'à son dernier jour accompagner le saint dans sa procession hors les murs, et le protéger des méchants comme aux temps des pillards barbaresques, et de la grande peur méditerranéenne. Ange de son côté s'apprêtait à revêtir sa tenue de second maître.

— Dommage qu'il n'ait pas voulu être capitaine de ville, regretta-t-il une fois de plus, admirant la stature athlétique de Pierre. Quel beau balès i l aurait fait !

— C'est bien sa faute ! grogna Jean-Baptiste.

Après les fêtes mémorables du quadricentenaire, Pierre, en effet, s'était vu offrir la charge annuelle de capitaine de ville. Mais i l avait décliné cethonneur, estimant que pour exercer cette charge historique transmise de génération en génération dans les familles, etmêmepour

« faire la Bravade » comme simple mousquetaire, i l fallait une vraie naturalisation tropézienne. S ' i l en avait été besoin, son voyage au Plan du Soleil l'aurait au surplus averti que son aventure person- nelle venait à peine de commencer, et ne se limiterait pas aux rem- parts de la citadelle jadis réédifiée par les Génois.

— T u te dépêches ou tu te dépêches pas ? pressa Ange.

T u me la donnes, cette mitre ? Pour quoi i l faut que j'aille voir si mes amarres tiennent.

Pierre s'apprêtait à rester pour renouer, la conversation sur le Plan du Soleil. Mais une jeune femme entra, chargée de couffins et traînant une ribambelle d'enfants.

— Vous en voulez, de la graine de bravadeurs ? demanda-t- elle au mainteneur. Vous auriez de quoi les habiller ?

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Pierre alors s'en alla, rejoignant Ange dans: la descente de l'an- cienne poterne, assaillie par la tempête de mistral comme un gail- lard d'avant par k s paquets de mer.

— Je vais avec toi.

I l était prudent d'aller surveiller les « pointus » qui, à chaque rafale, faisaient des sauts d | mouton à rompre leurs amarres. L e mistral en effet tenait depuis six jours, avec de courtes accal- mies.

Serrant d'une main contre son genou sa petite jupe, trop courte pour la protéger des lames glacées du mistral qui forçaient les parois de verre, Monique décrocha.

— Monsieur Pierre, c'est vôtre père qui vous appelle de Paris.

— Passe-le moi.

Pieds sur son bureau — c'était là sa seule attitude d'homme d'affaires à l'américaine — Pierre prit l'écouteur :

— Oui, i c i Pierre.

— C'est heureux. Voilà trois ou quatre fois que je t'appelle.

Toujours sorti.

— Des gens à voir.

— O u la pétanque ?

— Je ne touche plus une boule.

C'était vrai. Dès que venait la belle saison, Pierre ne touchait plus une boule, et ses amis Ange, Marius et « Rascasson »,. ne comprenaient pas. E n réalité, i l tenait à séparer son cas de celui des étrangers qui mettaient leur snobisme à jouer à la pétanque, et à se faire tutoyer par de faux durs du pays. I l avait renoncé aux boules comme aux travestis de pirate, ou autres accoutre- ments prétendus tropéziens.

L'écouteur à l'oreille et l'œil sur ses orteils calleux, Mailly fils faisait semblant de prendre des notes. 1

— ... T u vas donc faire un saut à Rome, conclut le père.

Quel jour dis-tu ? J'entends mal.

— Je dis le seize. Ray Nielsen t'attend à onze heures.

L e seize mai était le, premier jour de la Bravade.

— Impossible, repondit Pierre, comme l'aurait fait n'importe quel autochtone, et le plus naturellement du monde. A sa réac- tion tropézienne — comment aurait-il manqué la Bravade ? — s'ajoutait d'ailleurs maintenant un autre motif. Honorade, en

effet ne cessait plus de le presser, et elle comptait sur la fête du

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