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De l’écologie à l’urbanisation : instrumentalisation politique de la dégradation de l’environnement dans un village de métier de la province de Bắc NinhBắc Ninh (Vietnam) ?

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Academic year: 2021

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politique de la dégradation de l’environnement dans un

village de métier de la province de Bắc NinhBắc Ninh

(Vietnam) ?

Yves Duchère

To cite this version:

Yves Duchère. De l’écologie à l’urbanisation : instrumentalisation politique de la dégradation de l’environnement dans un village de métier de la province de Bắc NinhBắc Ninh (Vietnam) ?. Mous-sons : recherches en sciences humaines sur l’Asie du Sud-Est, Presses universitaires de Provence, 2015, pp.145-165. �10.4000/moussons.3282�. �halshs-02443018�

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Moussons

25  (2015)

Recherche en sciences humaines sur l'Asie du Sud-Est

...

Yves Duchère

De l’écologie à l’urbanisation :

instrumentalisation politique de la

dégradation de l’environnement dans

un village de métier de la province de

Bắc NinhBắc Ninh (Vietnam) ?

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Référence électronique

Yves Duchère, « De l’écologie à l’urbanisation : instrumentalisation politique de la dégradation de l’environnement dans un village de métier de la province de Bắc NinhBắc Ninh (Vietnam) ? », Moussons [En ligne], 25 | 2015, mis en ligne le 23 juillet 2015, consulté le 24 septembre 2015. URL : http://moussons.revues.org/3282

Éditeur : Presses Universitaires de Provence http://moussons.revues.org

http://www.revues.org

Document accessible en ligne sur : http://moussons.revues.org/3282 Ce document est le fac-similé de l'édition papier.

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Instrumentalisation politique de la dégradation

de l’environnement dans un village de métier

de la province de

Bắc NinhBắc Ninh (Vietnam) ?

DUCHÈRE Yves *

IFG, université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, 93526 Saint-Denis Cedex, France

Le delta du fleuve Rouge est le berceau de la civilisation việt, il a été hautement

« artificialisé » par les Kinh 1 afin de profiter de son sol enrichi en limon à haute teneur en matière organique. Si l’on devait retenir une particularité plus qu’une autre pour évoquer l’espace du delta du fleuve Rouge ce serait ses densités démographiques rurales parmi les plus hautes au monde. Actuellement, le delta compte 20 millions d’habitants et ses densités démographiques rurales sont supérieures à 1 300 hab/ km2 en 2009.

C’est dans cet espace que se développe depuis le xiiie siècle un artisanat rural

entre-tenant d’intenses relations avec la riziculture irriguée qui, rappelons-le, fournissait en 2002 19,6 % du total de la production du pays (Dao The Anh & Fanchette 2008).

Ces localités, appelées làng nghề en vietnamien (làng : village, nghề : métier), ont

toujours été intégrées dans l’économie rizicole du delta. Les villages de métier se sont développés en raison du sous-emploi rural lié au calendrier particulier de la riziculture en zone de mousson. Les villages profitant de localisation de choix ont alors pu développer des activités complémentaires.

Le développement de ces activités artisanales a été marqué par différentes étapes dont les plus récentes (collectivisme puis Đổi mới 2) se caractérisent par une accélé-ration sans précédent de leur processus de développement au point que le ministère

* Doctorant, Institut français de géopolitique (IFG), université Paris 8. Partenariat franco- vietnamien : I.R.D/CASRAD An Khánh, Hanoi, Vietnam.

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de l’Agriculture et du développement rural (MARD) comptait en 2004 2 000 villages de métier au Vietnam dont 1 000 pour le seul delta du fleuve Rouge.

Le développement industriel sans précédent de certaines de ces localités pose la question de l’avenir de ces dernières (Lao Động, 2007). Plus encore, c’est de leur place dans la métropolisation de Hanoi qu’il est question. La ville de Bắc Ninh est distante de plus de 30 km de la ville de Hanoi mais son territoire, frontalier avec celui de la province de Hanoi, reste concerné au premier chef par le processus de métropolisation en cours. La ville de Bắc Ninh, depuis 2007, ne cesse de s’agrandir en intégrant les communes périphériques. La commune de Phong Khê fait partie de ces localités en cours d’urbanisation. Ce village de métier spécialisé dans la pro-duction de papier est célèbre pour le chaos écologique qui y règne mais aussi pour ses performances économiques remarquables. En 2006, Phong Khê produisait déjà 180 000 tonnes de papier par an, ce village de métier contribuait en 2006 à près de 9 milliards de đồng (500 000 USD) au budget de l’État (enquêtes Duchère, comité populaire communal, 2010). 210 chaînes de production se partagent le travail et font appel à près de 4 000 employés ainsi qu’à 200 ateliers familiaux sous traités. L’enjeu majeur à Phong Khê est de freiner la pollution de cet espace dans lequel vivent plus de 10 000 personnes et d’intégrer la commune dans l’agglomération de Bắc Ninh qui deviendra ville-province 3 en 2020 (Duchère & Fanchette 2014). L’urbanisation est présentée comme étant une solution capable d’enrayer la dynamique de dégra-dation de l’environnement, nous avons voulu vérifier la viabilité de cette stratégie en répondant à quelques questions essentielles.

En quoi l’industrialisation de la commune de Phong Khê constitue-t-elle l’étape préliminaire à l’urbanisation de son territoire ? Comment la dégradation de l’environ-nement est-elle convoquée par les collectivités locales pour justifier l’urbanisation de la commune ? Quels sont les risques environnementaux liés à l’urbanisation des villages de métier ? Les caractéristiques propres au cluster de villages de métier sont-elles prises en compte dans l’urbanisation de ces territoires ? Et enfin, quels enjeux de pouvoir et rapports de force sont activés par le développement de l’urbanisation à Phong Khê ?

Comme son titre l’indique, cet article vise à montrer les liens qui existent entre la dégradation environnementale d’un territoire et sa dynamique d’urbanisation. Nous postulons que la pollution émise par l’artisanat local a trois effets sur la commune de Phong Khê :

– La dégradation de l’environnement accélère la transition d’une partie de la popula-tion dont l’activité était encore organisée autour de la riziculture. De nombreux vil-lageois se reconvertissent alors dans une activité du secteur artisanal et industriel. – La dégradation de l’environnement est une notion convoquée par les autorités pour

justifier la réalisation de zones résidentielles. Les terres polluées étant incultes, il faut les construire.

– Le développement des espaces résidentiels dans la commune accroît la pression foncière. Or, le manque de place dont souffre l’artisanat local est une des causes de la pollution. La boucle est alors bouclée.

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Fig. 1 : Environnement et rareté de l’espace à Phong Khê

Nous présenterons donc dans une première partie la commune de Phong Khê, notam-ment à travers une analyse spatiale de la pollution et de son artisanat. La seconde par-tie tâchera de montrer les impacts de l’urbanisation sur les dynamiques industrielles communales et par là même sur l’accélération de la dégradation de l’environnement.

Fig. 2 : Localisation du village de la commune de Dương Ổ dans la province de Bắc Ninh

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hêouLacatastropheécoLogique

La commune de Phong Khê a changé de statut administratif en 2013. Actuellement Phong Khê est un quartier urbain (phường) de la ville de Bắc Ninh. Alors que sa

production industrielle est de plus en plus développée, quelles sont les conséquences environnementales observables et quel est le système de production responsable de ces dégradations ?

Phong Khê dans la ville de Bắc Ninh

La province de Bắc Ninh est la plus petite du Vietnam mais c’est aussi une des plus dynamiques en ce qui concerne le secteur industriel. Le montant de la valeur de la production industrielle positionne Bắc Ninh à la troisième place au niveau national. On estime que, en 2012, les exportations de la province représentaient 12 % du montant des exportations nationales. À Bắc Ninh, la valeur brute de la production industrielle totale a été multipliée par six en cinq ans, passant ainsi de 5 211 milliards de dong (260 millions USD) en 2005 à 14 021 milliards de đồng (701 millions USD) en 2010 (département des statistiques, province de Bắc Ninh, 2011).

Selon les autorités de la province de Bắc Ninh dans laquelle se situe la commune de Phong Khê, il y aurait 62 villages de métier alors que pour la même province le MARD/JICA (Ministry of Agriculture and Rural Development/Japan International Cooperation Agency) en recense seulement 32 (Fanchette 2011). Pour la province de Bắc Ninh, un village de métier comprend au moins 50 % d’actifs dans l’artisanat, cette activité devant rapporter au moins 50 % des revenus des villages.

Établi le 25 janvier 2006 sur la base de la cité municipale de Bắc Ninh, la ville de Bắc Ninh se situe au centre du triangle économique Hanoi-Haiphong-Quảng Ninh. Selon le recensement démographique du 1er janvier 2009, la ville de Bắc Ninh compte 82,6 km2 et 175 000 habitants soit une densité démographique de 2 116 hab/km2. La ville de Bắc Ninh totalise 10 phường et 9 xã (communes rurales). Chaque année, un grand nombre des travailleurs provenant des provinces et des districts périphé-riques convergent vers Bắc Ninh pour y trouver un emploi. Bien qu’il soit difficile de prendre en compte les migrants temporaires dans les calculs démographiques, les autorités de la ville de Bắc Ninh estiment que le taux d’accroissement annuel de la population est de 2,3 %.

À la croisée de différents axes de communication (routes nationales 1A, 1B, 18, 38, chemin de fer transnational, rivière Cầu) la ville de Bắc Ninh s’affirme comme ville commerciale et industrielle.

En 2007, elle fait intégrer 9 communes voisines en élargissant ses limites admi-nistratives. La superficie totale des terres naturelles de la ville est de 8 260,88 ha répartis sur 19 communes. Ainsi, comme l’illustre la figure 3, la ville de Bắc Ninh est progressivement en train d’intégrer ses espaces péricentraux. La part des terres non agricoles sur le territoire de la ville est passée de 62 % en 2005 à plus de 80 % en 2012 (enquêtes Duchère). En 2008-2009, la ville de Bắc Ninh a récupéré 700 ha de terres pour assurer son développement (bilan sur la mise en place de la résolution 7 du PCV sur la modification des politiques foncières, province de Bắc Ninh, 2012).

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©Yves Duchère

Fig.

3

: Part des terres agricoles dans la ville de

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Fig. 4 : Les villages de métier le long des rivières Ngũ Huyện Khê et dans la province de Bắc Ninh

Source : Organisation spatiale de la production à Phong Khê (Duchère 2015)

Le territoire de la ville de Bắc Ninh compte 4 villages de métiers que sont Phong Khê, Khắc Niệm, Khúc Xuyên et Nam Sơn/Vân Dương, respectivement spécialisés dans la papeterie, l’agroalimentaire (vermicelles de riz), l’ébénisterie et la vannerie. La commune de Phong Khê est située le long du défluent Ngũ Huyện Khê, dans sa partie avale. De célèbres villages de métier comme Đồng Kỵ ou Đa Hội y sont également installés. Le Ngũ Huyện Khê se déverse dans la rivière Cau 4 km plus en aval de Phong Khê. Avant la conquête de l’Indochine par l’armée française, les mandarins en place avaient fait creuser de nombreux canaux qui ont modifié dans une large mesure le régime des eaux du fleuve Rouge. L’exemple le plus célèbre est le canal des rapides qui a été creusé par le gouverneur (Tổng đốc) de Hanoi aux alentours de 1860. Avec

cet aménagement, les autorités souhaitaient mettre la capitale à l’abri des inondations. Le cours d’eau Ngũ Huyện Khê a quant à lui été creusé par les rois d’Annam quand ils habitaient Cổ Loa. Cette rivière est considérée comme morte par les habitants et les autorités. Les espoirs de dépollution se portent davantage sur la rivière Cầu. Avant d’arriver à Phong Khê, l’eau de la rivière Ngũ Huyện Khê a déjà été polluée par les activités humaines situées plus en amont, on pense notamment au village de Đa Hội ou encore à Đồng Kỵ (Fig. 4). En 2010, la commune compte 10 047 habitants répartis dans quatre villages (Dương Ổ, Đào Xá, Châm Khê, Ngô Khê). Les densités à Phong Khê sont relativement hautes et évoluent rapidement puisqu’on est passé de 1 592

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hab/km² en 2006 à 1 850 hab/km² en 2010. La commune de Phong Khê est considé-rée par le service de l’environnement provincial comme étant la plus polluée de la province de Bắc Ninh 4. À Phong Khê, en 1998, on comptait 80 chaînes de production de papier dont 56 localisées dans le village de Dương Ổ (enquêtes Fanchette 2003). Actuellement, la commune de Phong Khê accueille près de 210 chaînes de production de papier et concentre 90 % de la production papetière de la province de Bắc Ninh (enquêtes Duchère 2010). Selon le rapport annuel sur la situation économique et sociale de la commune de Phong Khê 5, l’industrie dans la commune génère plus de 85 % du revenu total communal. Quelle est alors la particularité de la production d’un village de métier tel que Phong Khê ?

La production artisanale de Phong Khê : un rapport ambivalent à l’espace

Depuis le xie siècle (Langlet Quach Thanh-Tâm 1993 ; Vũ Huy Phúc 1996), des

acti-vités artisanales et industrielles viennent soutenir les faibles revenus générés par l’agriculture. À l’époque impériale, l’artisanat et l’industrie étaient pratiqués dans des villages spécialisés que sont les actuels villages de métier 6. Les villages de métier sont le plus souvent organisés en cluster. Ce mode d’organisation, dont l’origine remonte au xve siècle, implique une grande proximité (spatiale et sociale) entre les différents

acteurs s’adonnant à la production d’un article particulier. Pour une même activité, plusieurs villages se regroupent et organisent échanges et collaborations entre eux. Cette organisation du travail permet une grande flexibilité de la production qui fait intervenir de nombreux acteurs allant de la production familiale sous-traitée à l’en-treprise formelle des zones industrielles.

En prise avec le manque de place, certains villages de métier développent des stratégies sociospatiales dont les conséquences environnementales sont de plus en plus critiques.

La spécialisation des villages et la grande division du travail observées par Pierre Gourou en 1930 sont toujours d’actualité et s’expliquent quasiment de la même manière : l’esprit de monopole et la pauvreté des artisans qui n’ont pas le capital pour investir dans l’intégralité de la chaîne de production entraînent la spécia-lisation. Cette spécialisation des villages nous incite à appréhender la production des villages de métier comme un système de complémentarités intervillages. Cependant, la réalité d’aujourd’hui diffère légèrement de ce que P. Gourou avait pu observer : l’industrialisation s’accompagne d’une segmentation et d’un allongement des chaînes de production entre les villages et dans les villages (Gourou 1936). Dans le cas de Phong Khê, la production manuelle de papier a été remplacée par des ateliers mécanisés, tout le paysage villageois s’est alors métamorphosé. La mécanisation de la production observée depuis les années 1980 a entraîné une modification du rapport à l’espace, notamment dans le cas de l’industrie papetière fortement dépendante de la ressource en eau. Lorsque la fabrication du papier était manuelle, les artisans se localisaient de préférence à proximité du fleuve qui traverse la commune, notamment pour réceptionner les matières premières acheminées par bateau. Actuellement, du fait de la mécanisation et de la forte pression démographique à l’intérieur du village, l’activité papetière se distribue dans l’espace villageois selon des critères liés à l’évacuation des eaux usées (dans des canaux d’évacuation des eaux domestiques), à l’accessibilité et à la surface disponible.

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L’activité productive à Dương Ổ montre qu’en amont et en aval de la fabrication du papier, il y a une grande division du travail, de la collecte de papier usagé jusqu’aux différentes étapes de fabrication. À Dương Ổ, si la chaîne de production s’allonge et intègre davantage d’étapes assumées dans le village, de nombreux travailleurs viennent d’autres communes, parfois même d’autres provinces pour exercer une activité de collecteur ou de trieur. Les artisans sont liés les uns aux autres dans la chaîne de production ; seuls ceux qui assurent l’intégralité de la production s’affran-chissent de la dépendance au système de production des villages de métier. Ces entreprises sont pour la plupart situées dans la zone industrielle, c’est le cas de la société Việt Đức Anh dont la capacité de production de papier blanc avoisine les 100 t/jour (enquêtes Duchère 2012).

L’intérêt de l’analyse des chaînes de production repose sur le souhait de montrer comment la production du papier ne peut s’affranchir des contraintes physiques du site, mais surtout comment chaque acteur s’inscrit dans un système d’interactions : celui du cluster du papier.

D’après nous, la spécificité des villages de métier a trait à l’organisation spatiale de leur production. Différents espaces et niveaux de production sont alors concernés. La division verticale du travail fait intervenir des artisans localisés dans tout le cluster, c'est-à-dire dans les quatre villages de la commune et dans le village de Phú Lâm qui appartient au district de Tiên Du. On y note une grande fragmentation des étapes de production. Pour certains produits, on estime qu’il y a autant d’ateliers qu’il existe d’étapes. Ces ateliers s’affranchissent alors des contraintes liées à l’espace et à l’écla-tement de la chaîne de production. De l’échelle de la rue à celle du cluster, il existe une organisation spatiale de la production. Certains xóm 7 sont spécialisés dans la découpe du papier, d’autres dans la fabrication de la pulpe. Du xóm au xã en passant par le thôn 8, la production est diffuse sur tout le territoire communal. Différentes entreprises peuvent se diviser le travail à travers une chaîne de production plus ou moins longue faisant intervenir des artisans assurant soit un segment de la chaîne soit un produit particulier.

Une autre particularité notoire des villages de métier concerne l’informalité de leur production. Selon le Comité populaire de la Province de Bắc Ninh, en 2005, 89 % des actifs dans l’artisanat travaillaient dans leur résidence et 11 % seulement dans des compagnies et des coopératives (Fanchette & Nguyễn Xuân Hoàn 2009). La sous-traitance la plus poussée est la sous-traitance à domicile. Ce modèle d’organisa-tion du travail est diffus dans le territoire villageois et permet à différents villageois de s’impliquer dans la réalisation d’un produit selon leurs capacités spécifiques. La production artisanale de Phong Khê est globalement non déclarée. Cette réalité ne signifie pas pour autant que l’activité n’est pas contrôlée. Les entreprises déclarées (celles de la zone industrielle par exemple) doivent s’acquitter de taxes environne-mentales particulières.

La pollution à Phong Khê : bilan humain et environnemental

Comme nous l’avions déjà fait remarquer dans un article précédent (Duchère 2012), la pollution à Phong Khê a atteint des niveaux sans précédents au point qu’elle menace la santé humaine et rend périlleuse toute forme d’agriculture.

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©Yves Duchère

Fig.

5

: Organisation sociospatiale de la production à

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Fig. 6 : Décharge sauvage sur une des rives de la rivière Ngũ Huyện Khê

©Yves Duchère

Selon le rapport sur la situation environnementale à Bắc Ninh en 2006 (DONRE, 2007, les ateliers de production de papier à Phong Khê brûlent tous les jours plus de 200 tonnes de charbon et utilisent 50 à 100 m3 d’eau par tonne de papier pro-duite. Dans les 2 000 à 2 500 m3 d’eau rejetés chaque jour dans l’environnement, on retrouve près de 20 tonnes de résidus de charbon ainsi que des métaux lourds 9. Chaque atelier mécanisé rejette quotidiennement dans l’environnement 5 à 15 m3 d’eau industrielle non traitée (enquêtes comité populaire, Duchère 2010). D’après les prélèvements réalisés par le département des ressources naturelles et de l’envi-ronnement de la province de Bắc Ninh en mars 2003 (analyse des eaux industrielles de la commune de Phong Khê, mars 2003, province de Bắc Ninh, département des Ressources naturelles et de l’environnement), les eaux usées de la commune de Phong Khê (hors zone industrielle) ont un pH de 5,5-9, contiennent 1,08 mg/l de MN, 5,4 mg/l de Fe, 0,54 mg/l de Pb, 2mg/l de Cu, 3 mg/l de Zn, 10 mg/l d’ammoniac, et nécessitent 50 mg d’oxygène par litre d’eau pour oxyder les matières organiques (DBO). Des prélèvements ont également été réalisés à la sortie du réseau d’évacuation des eaux usées de la zone industrielle : ces prélèvements attestent d’un degré de pol-lution identique à celui de l’espace villageois. Une question qui se pose alors est : quel est le but de créer un site industriel si les entreprises qui s’y installent continuent de polluer comme si elles étaient dans le tissu villageois ? En 2009, seulement 4,7 % des ateliers de la zone industrielle et 2,2 % des ateliers du reste de la commune étaient dotés d’un système de traitement des eaux usées avant rejet dans le réseau d’égouts commun (Nguyễn Mậu Dũng 2010). De plus, Nguyễn Mậu Dũng (2010) précise que 71,1 % des usines de la zone industrielle payaient les taxes environnementales sur les eaux usées alors que seulement 30 % des usines et ateliers installés à l’extérieur de la zone s’en acquittaient en 2009. Il s’agit là d’un véritable problème de gouvernance dont les conséquences sanitaires sont de plus en plus graves.

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Le nombre de malades lié à la production artisanale dans les villages de métier a considérablement augmenté ces dernières années. L’espérance de vie y est de dix ans plus faible que dans les villages non artisanaux. (MONRE 2008)

À Phong Khê, nos entretiens au dispensaire relatent l’existence de maladies res-piratoires en grand nombre ainsi qu’un taux de cancer en croissance rapide. Ces observations sont par ailleurs reléguées par certains médias 10 (Nhân Dân 2009).

Les conséquences sur l’agriculture s’offrent aux yeux de tous. Des rizières entières irriguées par de l’eau mousseuse et puante, des canaux d’irrigation complètement sédimentés par de la pulpe de papier, des décharges informelles envahissants les espaces agricoles, un égout à ciel ouvert en guise de cours d’eau et des rives-dé-charges sur lesquelles les collecteurs de papiers viennent chercher quelques chutes monnayables. À Châm Khê, en 2009, le rapport annuel du comité populaire fait état de plus de 50 % de terres agricoles non cultivables. Selon ce rapport, 4 ha des terres agricoles de Đào Xá et 8 ha des terres agricoles de Dương Ổ ne sont plus cultivables en raison de la pollution. Dans les faits, il n’existe plus aucun agriculteur dans le village de Dương Ổ et les terres agricoles de Đào Xá sont cultivées contre l’avis des autorités qui font pression sur les paysans pour qu’ils abandonnent ces terres « irré-cupérables »… sauf pour un fructueux projet de zone résidentielle ou industrielle.

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Comme dans de nombreuses localités au Vietnam, la récupération des terres 11 néces-saire au processus d’urbanisation est source de conflits. Des représentations de l’es-pace et des usages différents de ce dernier se confrontent et créent des situations instables pour les autorités. Les autorités de la ville de Bắc Ninh ont choisi de justifier l’urbanisation par la nécessité de lutter contre la pollution industrielle.

Le manque de place comme enjeu central

Avec l’ouverture de l’économie, les artisans des villages de métier doivent rester compétitifs et faire preuve d’adaptabilité face aux aléas du marché. Pour cela, ils doivent pouvoir élargir leur espace de production afin d’intégrer dans la chaîne de fabrication une étape supplémentaire par exemple. Cependant, il est particulièrement difficile d’obtenir de la terre, notamment en raison de son prix. Les artisans les plus à même d’acquérir de nouvelles terres sont ceux qui possèdent les garanties demandées par les banques lors d’un emprunt ; ceux n’ayant pas de carnet rouge 12 sont donc pénalisés. Or, pour pouvoir hypothéquer sa maison (condition indispensable pour accéder au crédit), il faut pouvoir être en mesure de justifier de la possession d’un droit d’usage du sol de terres résidentielles. En raison de la difficulté à obtenir de nouvelles terres, certains villageois n’ont pas hésité, dans les années 1980 et 1990 (DiGregorio, 1999), à occuper et à construire illégalement des terres à vocation agricole, ce phénomène existe encore aujourd’hui même si depuis l’annonce de la future intégration de Phong Khê à la ville de Bắc Ninh il est plus difficile d’enfreindre la loi à ce sujet.

Plusieurs possibilités s’offrent aux artisans qui souhaitent élargir leur espace de production. Certains n’hésitent pas à développer leur production dans l’espace domes-tique. La cour se transforme en entrepôt et le salon en atelier. Des espaces informels

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de production se créent également. En 1996, s’est constituée une zone artisanale informelle en bordure de la rivière Ngũ Huyện Khê. Cette localisation de choix (pour son accessibilité et sa proximité avec le cours d’eau) a rapidement été saturée : elle compte 56 unités spécialisées dans la production de papier hygiénique et papier votif. D’autres construisent également illégalement sur des espaces agricoles en bordure du village de Đào Xá ou de Châm Khê. La dernière possibilité offre l’opportunité aux villageois de racheter les terres polluées par les eaux usées pour y construire des habitations ou des ateliers domestiques. D’ici 2020 plus de 20 hectares de terres agricoles seront ainsi transformés. Les fonctionnaires de la commune incitent déjà depuis 5 ans les paysans à stopper toute forme d’agriculture sur ces terres mais ces derniers continuent malgré les risques. Selon un cadre communal : « 100 % des terres de Dương Ổ et Đào Xá ne sont plus cultivables, en ce qui concerne les terres de Châm Khê et Ngô Khê, la baisse des rendements est telle qu’on se dirige vers la même situation d’ici quelques années. Ces terres ne peuvent dorénavant servir qu’au développement urbain » (enquêtes Duchère 2012).

De nombreuses études se sont intéressées à l’intégration des villages périurbains dans le processus de métropolisation de Hanoi. Toutes ont en commun de mettre en exergue les importants enjeux qui gravitent autour de ce processus. Nguyen Van Suu (2009) montre par exemple, études de cas à l’appui, comment les projets urbains qui sont décidés par les autorités et les promoteurs-constructeurs privés concentrent de multiples tensions et revendications. Danielle Labbé et Clément Musil (2011) décrivent quant à eux le marché foncier et ses tractations comme générateurs de richesses, notamment pour les membres de l’administration :

Au Vietnam, ce n’est pas une bourgeoisie urbaine capitaliste mais plutôt les fonction-naires d’État et d’autres individus intimement liés à la structure étatique nationale ou locale qui ont en premier lieu bénéficié de la rente foncière. Ces acteurs ont eu un accès privilégié aux terres urbanisables mises à disposition, de manière plus ou moins légale, par les institutions dont ils dépendaient. Bien que la composition sociale des investisseurs dans l’immobilier se soit diversifiée au fil des ans, les fonctionnaires sont, encore aujourd’hui, les premiers informés des projets de développement. Ces individus profitent de leurs accès privilégiés à l’information pour acquérir des terrains qu’ils revendent à plusieurs multiples de sa valeur originale lorsque les projets sont rendus publics. (http://cybergeo.revues.org/24179)

Dans ce contexte, tout élément nouveau permettant de justifier auprès de la popu-lation la récupération des terres agricoles pour réaliser des projets urbains est le bienvenu. Les discours justifiant l’urbanisation comme indispensable au développe-ment local varient d’une commune à une autre. La commune n’a pas de pouvoir en matière d’urbanisme, elle doit appliquer les décisions de la province, cependant, c’est bien à elle qu’incombe la responsabilité de justifier les choix politiques des niveaux supérieurs et leurs conséquences au niveau local. À Phong Khê, l’urbanisation est justifiée par la nécessité d’enrayer la pollution.

Un aperçu des titres du journal de la ville de Bắc Ninh ces 5 dernières années reflète deux réalités : d’une part, pour les autorités la pollution de l’environnement est principalement un problème de conscience environnementale des villageois et d’autre part le développement urbain apparaît comme une solution viable pour lutter

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contre la dynamique de dégradation de l’environnement actuelle. Une grande partie des articles de presse au sujet de la pollution des villages de métier met directement en cause la responsabilité des artisans. Par ailleurs, de nombreux articles mettent en avant les mérites de la construction et de l’urbanisation pour lutter contre la pollution à Bắc Ninh13.

Pour mieux comprendre comment les dégradations environnementales se recoupent avec les enjeux du développement urbain de la ville de Bắc Ninh et de la commune de Phong Khê nous avons choisi de croiser ces trois échelles en retenant trois dimensions essentielles à l’analyse : les projets urbains, les zones agricoles et la pollution.

Sur la figure 3 on observe que l’espace agricole disparaît dans son intégralité pour laisser place à des projets de zones résidentielles ou industrielles. On remarque également que les terres les plus dégradées par la pollution industrielle ne sont pas celles qui supporteront la construction de nouveaux espaces industriels (sites et zones industrielles). Les terres situées au sud de la commune sont en contact avec la route nationale qui dessert la ville de Bắc Ninh. Elles seront vouées à la mise en valeur du métier et la création d’espaces commerciaux. Malgré la multiplication des espaces de production industrielle il n’est pas prévu de nouveau système de trai tement des eaux ni de décharges supplémentaires. On se pose également la question de savoir à qui sont destinés les nouveaux espaces industriels ? Sont-ils planifiés pour accueillir les artisans de la commune ou des industriels extérieurs à la commune ?

Depuis son intégration dans la ville de Bắc Ninh, la commune de Phong Khê se doit de respecter plus scrupuleusement les orientations foncières édictées par la province. La surveillance du territoire communal s’est accrue et les possibilités pour les villageois de construire illégalement se sont considérablement réduites. L’impos-sibilité pour les entreprises d’élargir leur production participe à l’aggravation de la situation environnementale.

Aggravation de la pression foncière

L’urbanisation, en plus d’augmenter la concurrence entre les espaces et la pollution de l’environnement, accélère l’industrialisation. Alors que l’urbanisation est présentée comme la solution aux maux environnementaux de ce village de métier, nous nous questionnons sur les effets pervers de cette dynamique.

Dans le cas du village de Phong Khê, les modalités de l’urbanisation ne favorisent pas la diminution des atteintes à l’environnement, au contraire elles les augmentent. Alors que l’urbanisation du territoire communal est justifiée auprès de la population par la nécessité de lutter contre la pollution, dans les faits on observe que c’est l’effet inverse qui est produit, à savoir que la dégradation de l’environnement est aggravée par l’urbanisation et plus particulièrement encore par la pression foncière qu’elle génère. Une fois de plus, le manque d’espace est au centre des préoccupations.

Comme nous venons de le voir, les terres agricoles qui sont les uniques réserves foncières de la commune sont dorénavant protégées par les autorités de la ville de Bắc Ninh qui prévoient d’y développer les extensions urbaines de la ville. À Phong Khê, les autorités ont facilité le crédit auprès de quelques banques telle que la Banque agricole et ont modifié le statut de certaines terres pour faciliter le développement industriel, mais le manque de terres reste un problème majeur. Lorsque l’initiative ne

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vient pas des autorités (du comité populaire de la commune), elle vient directement des villageois (occupations illégales de terres).

La production souffre d’un manque de place pour pouvoir se développer dans des conditions acceptables pour l’environnement mais aussi pour la population, no-tamment ouvrière. À l’échelle d’une parcelle occupée par un atelier mécanisé, pour contrebalancer le manque de place, les artisans réalisent des économies sur l’envi-ronnement et les conditions de vie et de travail de la main-d’œuvre logée sur place. Alors que la décision No 76/2000/QD-UB précise que toutes les chaînes de pro-duction de papier doivent être dotées d’un système de traitement des eaux usées, seulement 9 ateliers ont investi dans cet équipement (enquête Duchère 2010). Les coûts de construction d’un tel équipement sont particulièrement élevés, ils peuvent atteindre 60 millions de dong (3 000 USD) auquel il faut rajouter un million de đồng/mois (50 UDS) pour le fonctionnement et l’entretien. Pour près de 50 % des enquêtés d’une étude réalisée par la province de Bắc Ninh (2007), le manque de place explique le fait qu’ils ne réalisent pas de système de traitement des eaux. La principale raison évoquée étant la faiblesse du montant des amendes et la rareté des contrôles environnementaux. Si la gestion de l’environnement soulève une série de questions liées à la gouvernance de ces espaces artisanaux en mutation (Duchère 2012), elle peut également interroger la stratégie des autorités quant à leur laxisme apparent dans la gestion et le contrôle de l’environnement local. Comme nous l’avons précisé plus haut, plus l’environnement général de la commune est dégradé, plus le discours pro-urbanisation des autorités paraît faire sens et gagne en légitimité.

La marge de rentabilité des ateliers étant tellement réduite, des économies sont réalisées aux dépens du respect des normes environnementales de production mais également sur les conditions générales de vie et de travail de la population ouvrière. Les ouvriers dorment au milieu des machines sur des mezzanines improvisées. Alors que le revenu moyen n’excède pas 250 USD/mois, les ouvriers de ces usines tra-vaillent 12h/jour, 7 jours sur 7. La plupart de la main-d’œuvre est originaire de provinces étrangères ou du village de Châm Khê dans lequel la production indus-trielle peine à se développer en raison de l’absence d’espaces propices à son déve-loppement. Dans le cœur villageois de Châm Khê, s’entremêlent d’étroites ruelles de qualités variables où l’on retrouve des activités manuelles peu polluantes telles que la fabrication du Giay ban ou encore le tri et le pliage du papier votif. Il est impossible d’y développer des activités industrielles plus grandes, la population de Châm Khê se rend donc quotidiennement dans les ateliers de Dương Ổ et Đào Xá. Châm Khê, ne pouvant pas profiter de ses terres agricoles pour élargir son espace de production, doit donc continuer à cultiver des parcelles polluées par les usines de Dương Ổ (via le cours d’eau Ngũ Huyện Khê) tout en louant les services de sa population à ce même village… Outre les pollutions et flux de main-d’œuvre internes entraînés par la difficulté à élargir les espaces de production, on note également l’existence de constructions illégales sur le territoire communal. Si les localisations de ces constructions illégales divergent, elles ont toutes en commun de participer à la pollution de l’environnement villageois et agricole. Certains artisans comblent les mares du village pour y construire un atelier, d’autres se localisent à proximité des canaux d’irrigation pour y rejeter leurs eaux usées et bénéficier d’une alimentation

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en eau. Enfin, quelques ateliers se localisent en bordure de l’espace villageois, à la jonction entre l’espace agricole et artisanal.

Instrumentalisation de l’écologie

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au service de la promotion urbaine

Dans le cluster de papier de Phong Khê on observe un gradient d’urbanité qui traduit le degré d’industrialisation des différents villages de la commune. La figure 7 repré-sente la relation entre agriculture, artisanat et pollution industrielle. À l’observation de ce schéma ressortent plusieurs constats.

Fig. 7 : Diffusion de la pollution dans la commune de Phong Khê

©Yves Duchère (2015)

Tout d’abord, en raison de l’absence de système de traitement des eaux usées (domes-tiques et industrielles), les eaux rejetées dans la rivière sont réintroduites dans le territoire communal à travers les pompes locales chargées d’assurer l’irrigation des parcelles agricoles. Cette eau est mélangée à l’eau de la rivière dont la couleur noire permet de douter de sa qualité. Évidemment, pour le village de Dương Ổ qui n’a plus

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de terres cultivables, la diffusion des polluants ne se fait pas via le système d’irriga-tion, il s’explique plutôt par la surcharge des égouts qui débordent et qui contraignent alors les artisans à rejeter directement dans les espaces autrefois voués à l’agriculture. On observe à l’échelle communale que la diffusion de la pollution touche tous les espaces, y compris ceux peu concernés par le développement industriel. C’est le cas du village de Châm Khê qui, n’ayant qu’une dizaine d’ateliers, subit largement les conséquences environnementales de la production du village de Đào Xá et Dương Ổ. La dégradation progressive des terres agricoles de Châm Khê entraîne alors une reconfiguration de l’organisation sociale interne au village. La principale conséquence est l’abandon progressif de la riziculture qui pousse un grand nombre de villageois à aller travailler à Dương Ổ et Đào Xá. On comprend alors que la pollution, en plus d’être convoquée comme raison justifiant l’urbanisation, entraîne une intensification de l’industrialisation sur le territoire communal.

Un système de traitement des eaux financé par la coopération décentralisée japo-naise est en construction. La construction de l’ouvrage revient à 47,5 milliards ; les coûts liés aux technologies s’élèvent à 24,5 milliards de dong ; les frais administra-tifs (compensations des terres, études d’impacts, recherches préliminaires, etc.) à 18 milliards (900 000 USD) et enfin les frais d’entretien et de fonctionnement à 104 millions de dong/an (5 200 USD) (salaire mensuel de l’ouvrier 3 millions de dong/ an, électricité 50 millions de dong/an, produits chimiques 8,2 millions de dong/an). Ce système traitera 5 000 m3 d’eaux usées par jour, c'est-à-dire ce que la production villageoise rejette aujourd’hui. Le système risque alors d’être rapidement dépassé au regard de la vitesse à laquelle se développe l’industrie dans cette commune.

L’analyse détaillée des investissements fonciers réalisés ou à venir à Phong Khê fait ressortir une particularité que nous devons souligner. L’investisseur principal du projet de zone résidentielle de 40 ha ainsi que de la zone industrielle Phong Khê 2 est un industriel de la commune dont la famille a, depuis la période coloniale, toujours entretenu de très étroites relations avec l’administration. Avant la révolution, un des ancêtres de cet investisseur était un haut responsable politique au niveau cantonal. Aujourd’hui, cette famille dirige la plus importante chaîne de production de papier de la commune et deux de ses membres ont des responsabilités au ministère de l’Environnement et des ressources naturelles.

Nécessité d’un meilleur contrôle de l’activité artisanale

Bien que les rapports gouvernementaux fassent état d’une gouvernance de l’environ-nement inefficace, l’espace continue d’être perçu par les collectivités locales comme le levier principal permettant d’agir en faveur de la protection de l’environnement. On note très peu de changements des modes de gouvernance. L’aménagement de zones spécialisées (artisanales, industrielles, résidentielles, etc.) se surimpose à un tissu villageois structuré autour d’une organisation sociospatiale de la production. Les nouveaux aménagements sont le plus souvent perçus par la population comme étant déconnectés des besoins locaux. Ainsi, ces nouveaux espaces ne sont pas toujours très bien accueillis par la population qui préfère dans certains cas éviter de s’y installer en raison du coût d’installation élevé ou de la distance avec le centre ancien villageois.

La planification urbaine ne prend que très peu en compte les aspects environne-mentaux. À Phong Khê, dans la zone industrielle, les autorités ont laissé les

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entre-prises produire sans traitement des eaux usées. Les conséquences actuelles sont désastreuses. Dorénavant, un système de traitement des eaux usées est en construc-tion, mais il risque d’être rapidement dépassé par la vitesse d’industrialisation de la commune.

Selon nous, une des causes majeures de ces difficultés réside dans l’existence d’une corruption endémique qui place l’environnement au centre d’enjeux socio-politiques qui nuisent fortement au développement industriel de Phong Khê. Le respect de la loi environnementale est l’exemple le plus frappant de cette corruption ancrée jusqu’aux plus petits niveaux de la société. La représentation populaire de la loi au Vietnam semble aujourd’hui dépendre de la place que chacun occupe dans la société. En fonction de ses rapports avec les autorités des différents niveaux, en fonction également de ses capacités financières, l’artisan des villages de métier subira plus ou moins la législation environnementale, en matière de production, comme une contrainte.

Il est donc urgent d’agir efficacement dans la limitation de la production et son contrôle environnemental. Avec un tel degré de « petits arrangements » à tous les niveaux de la société, il apparaît évident que la création de nouvelles zones artisanales ou industrielles n’arrangera pas la situation. Il est dorénavant important de restruc-turer le mode de gestion de ces espaces et de lutter plus efficacement contre la cor-ruption qui fait perdre, depuis déjà trop longtemps, un temps précieux au Vietnam.

Fig. 8 : Obstruction des canaux d’irrigation par de la pâte de papier

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c

oncLusion

L’urbanisation de Phong Khê nous éclaire sur trois points : tout d’abord on remarque que, une fois de plus, les villages de métier ne bénéficient pas de traitement par-ticulier dans la résolution de leurs problématiques locales. Les spécificités de ces localités ne sont pas prises en compte dans la planification urbaine et plus largement dans la gouvernance territoriale. Cette situation entraîne des contradictions majeures qui sont le reflet d’une mauvaise gestion des territoires et d’une déconnexion entre l’échelon communal et l’échelon provincial qui détient le pouvoir de décision et alloue les budgets aux districts. Les communes apparaissent comme de simples caisses d’enregistrement des niveaux supérieurs et doivent, pour attirer l’attention sur elles, mettre en place des stratégies particulières. À Phong Khê, si on ne peut pas prouver que le laxisme des autorités dans la gestion de l’environnement a été motivé par le désir d’attirer de nouveaux financements, il est certain qu’actuellement le désordre environnemental qui règne constitue un argument utilisé par les autorités pour jus-tifier le déploiement de nouveaux projets urbains et industriels.

Le problème de fond n’est cependant pas résolu avec l’urbanisation. Le manque de place s’accentue et les artisans sont contraints, eux aussi, de mettre en place des stratégies particulières pour poursuivre le développement de leur activité. Ces stratégies sont particulièrement coûteuses pour l’environnement. Nous sommes ici au cœur d’un problème qui ne pourra être résolu qu’en limitant le développement industriel informel et en revisitant la gestion politique de ces territoires en mutation rapide. La gestion des villages de métier devrait selon nous être abordée sous une focale plus large, celle des clusters de villages de métier auxquels il importe de donner une reconnaissance institutionnelle et financière pour en faciliter la gestion.

Notes

1. Ethnie majoritaire.

2. Réformes économiques de 1986. Cette libéralisation économique, contrairement à la peres-troïka, ne s’est pas accompagnée d’une libéralisation politique.

3. On distingue au Vietnam trois niveaux administratifs : le niveau provincial qui comprend 64 unités (provinces ou villes-provinces, le Vietnam compte, en 2011, 5 villes-provinces : Hanoi, Hô-Chí-Minh Ville, Haiphong, Đà-Nẵng et Cần Thơ), le niveau du district et enfin le niveau des communes. Les villes peuvent appartenir à chacun de ces niveaux, ce qui les distingue alors véritablement est leur position dans la classification économique des centres urbains (cette classification, dont le but n’est pas administratif, sert uniquement à délimiter les niveaux d’investissement de l’État dans les infrastructures urbaines lors des plans éco-nomiques annuels et quinquennaux). Ce classement compte 5 échelons. La ville de Hanoi appartient au premier échelon, cependant le territoire de la ville de Hanoi inclut des districts ruraux et des communes rurales au même titre que des arrondissements urbains (quận) et des

quartiers urbains (phường).

4. Enquêtes comité populaire de Bắc Ninh, service de l’environnement et des ressources natu-relles, Duchère Y., mars 2012.

5. Comité populaire de Phong Khê, 2007, Rapport annuel sur la situation socio-économique de

Phong Khê en 2006, Vietnam : Bắc Ninh.

6. Les définitions varient en fonction des organismes. Pour la province de Bắc Ninh, un village de métier comprend au moins 50 % d’actifs dans l’artisanat, cette activité devant rapporter au moins 50 % des revenus des villages.

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7. Subdivision territoriale du xã (un xã comprend plusieurs xóm). 8. Village.

9. D’après les prélèvements réalisés par le département des ressources naturelles et de l’en-vironnement de la province de Bắc Ninh en mars 2003 (analyse des eaux industrielles de la commune de Phong Khê, mars 2003, province de Bắc Ninh, département des ressources naturelles et de l’environnement), les eaux usées de la commune de Phong Khê (hors zone industrielle) ont un pH de 5,5-9, contiennent 1,08 mg/l de MN, 5,4 mg/l de Fe, 0,54 mg/l de Pb, 2mg/l de Cu, 3 mg/l de Zn, 10 mg/l d’ammoniac, et nécessitent 50 mg d’oxygène par litre d’eau pour oxyder les matières organiques (DBO). Des prélèvements ont également été réali-sés à la sortie du réseau d’évacuation des eaux usées de la zone industrielle : ces prélèvements attestent d’un degré de pollution identique à celui de l’espace villageois.

10. http://www.nhandan.org.vn/print/?article=145822

11. La terre étant la propriété de l’État, les paysans sont faiblement indemnisés au regard du prix de la terre constructible sur le marché (d’après nos enquêtes en 2012 auprès de la population villageoise de Phong Khê, le rapport peut être de 1 à 100, parfois plus).

12. Certificat attestant des Droits d’Usage du Sol.

13. http://baobacninh.com.vn/news_detail/71686/-yen-phong-xay-dung-giai-phap-xu-ly-onhiem-moi-truong.html.

14. Giblin (2001).

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Résumé : À l’horizon 2020, la province de Bắc Ninh devrait atteindre le niveau de ville- province. C’est dans ce contexte que la ville de Bắc Ninh est en train de s’étendre sur ses espaces périphériques. La commune de Phong Khê, qui comprend deux villages de métier, est devenue en 2013 quartier urbain de la ville de Bắc Ninh. Cette commune réputée pour l’ancestralité de son artisanat s’est également rendue célèbre par la forte capacité de nuisance environnementale de ses ateliers. Pour les autorités, l’urbanisation de la commune de Phong Khê se justifie par sa situation environnementale critique. Dans les faits, lorsqu’on regarde plus en détail les modalités de l’urbanisation à Phong Khê, on s’aperçoit qu’elle accentue la dynamique d’industrialisation du secteur formel, aggrave la situation environnementale et est source d’importantes collusions et « petits arrangements » entre une proto-bourgeoisie émergente et les autorités locales.

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From Ecology to Urbanization : Political Manipulation of Environmental Degradation in one Craft Villages of the Bắc Ninh province (Vietnam) ? Abstract: In 2020, the province of Bắc Ninh will reach an upper administrative level : the city-province. In order to complete this transformation, the commune of Bắc Ninh is sprawling on surrounded areas. The commune of Phong Khê, which has two craft villages, is becoming urban and belongs already to Bắc Ninh city. Phong Khê is very famous for his paper handicraft but nowadays this locality is sadly famous because of the state of its envi-ronment. For the authorities, the main solution to fight the pollution due to the intensive industrial activity is to urbanize. If we analyze with attention this option we can observe that the solution is not so obvious. The urbanization of Phong Khê seems to promote the development of the formal sector, seems to increase the environmental impact of the production, and to generate corruption and non democratic practices especially between the new local pre “bourgeois society” (Thayer 2008) and local authorities.

Mots-clés : villages de métier, urbanisation, environnement, artisanat, foncier, villages

de métier, gouvernance, Vietnam.

Figure

Fig. 2 : Localisation du village de la commune de Dương Ổ  dans la province de Bắc Ninh
Fig. 3 : Part des terres agricoles dans la ville de Bắc Ninh
Fig. 4 : Les villages de métier le long des rivières Ngũ Huyện Khê  et dans la province de  Bắc Ninh
Fig. 5 : Organisation sociospatiale de la production à Dương Ổ
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