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La vulgarité en équations

Michel Husson, Politis n°905, jeudi 8 juin 2006

La société est aujourd’hui dominée par l’économie, et l’économie par la rigueur de la science.

Donc, la société est gérée scientifiquement en fonction de lois aussi rigoureuses que celles qui règlent la physique. C’est ce qu’expliquait Maurice Allais en 1988, en recevant son prix Nobel :

« Le pré-requis de toute science est l'existence de régularités qui peuvent être l’objet d’analyses et de prévisions. C'est le cas par exemple de la mécanique céleste. Mais c’est vrai également pour de nombreux phénomènes économiques. Leur analyse approfondie révèle en effet l'existence de régularités tout aussi frappantes que celles que l’on trouve dans les sciences physiques. Voilà pourquoi l’Economie est une science et voilà pourquoi cette science repose sur les mêmes principes généraux et sur les mêmes méthodes que les sciences » (1). Les hommes et les femmes ne sont dans cette conception que des électrons n’ayant d’autre liberté que de s’adapter aux lois de l’économie, de la concurrence et de la mondialisation.

Mais contrairement à la physique, la « science » économique ne progresse pas linéairement : comme pour mieux se plier à son objet, elle connaît des fluctuations, des cycles et des retours en arrière. La grande crise des années 30, puis la guerre, avaient conduit à un réaménagement du capitalisme qui semblait sceller la défaite définitive des conceptions libérales. Ses partisans en étaient réduits à l’état de sectes se réunissant clandestinement, par exemple au sein de la fameuse Société du Mont-Pélerin qui cherchait, sous l’égide de von Hayek, à maintenir la flamme ultra-libérale. Dans sa dernière conférence prononcée le 30 décembre 1949 devant le congrès de l’American Economic Association, le grand économiste autrichien Schumpeter se contentait d’une allusion féroce : « II existe, m’a-t-on dit, une montagne suisse sur laquelle se sont tenus des congrès d’économistes. Mais [leurs] anathèmes sont tombés dans le vide et n’ont pas même suscité de contre-attaques » (2). Aujourd’hui, ces anathèmes archaïques ont pignon sur rue, et la contre-réforme libérale représente de ce point de vue une véritable régression.

Bien des économistes libéraux pourraient faire leur cet avertissement : « si la Chine devient un grand pays manufacturier, je ne vois pas comment la population industrielle de l'Europe saurait soutenir la lutte sans descendre au niveau de ses concurrents ». Pourtant cet avis d’un éditorialiste du Times, cité par Marx, date de 1873. Le discours économique ne fait ainsi que recycler des positions à peu près invariantes qui habillent des intérêts sociaux étroits. Autre exemple : le débat sur les nécessaires incitations au travail reprend les termes de celui qui a opposé les économistes au XIXème siècle à propos des lois sur les pauvres. Et les hymnes contemporains à la modération salariale semblent directement inspirés par Malthus qui écrivait ceci en 1846 : « Il est fort à désirer que les classes ouvrières soient bien payées pour le bonheur de la grande masse de la société. Mais une grande augmentation de consommation parmi les classes ouvrières doit beaucoup augmenter les frais de production et diminuer ou détruire les motifs qui engagent à accumuler. Si chaque travailleur venait à consommer le double du blé qu’il consomme à présent, un tel surcroît de demande, bien loin d’encourager la richesse amènerait une grande diminution du commerce intérieur et extérieur » (3).

Bref, le bonheur des hommes doit être compatible avec des lois économiques qui limitent objectivement leurs aspirations. La mathématisation de l’économie se borne à donner un tour scientifique et moderne à ce postulat fondamental. Par ses méthodes et ses thèmes de recherche, la science économique qui domine aujourd’hui se ramène à une vaste entreprise de réification qui transforme les rapports sociaux en choses et met nos désirs en équations. En dépit de ses oripeaux mathématiques, elle s’inscrit dans une très vieille tradition, celle de l’économie vulgaire.

(1) Maurice Allais, « An outline of my main contributions to economic science », 1988 http://guesde.free.fr/allais88.pdf

(2) Joseph Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie (1949), Payot, 1969. Sur la Société du Mont-Pélerin, voir aussi Keith Dixon, Les évangélistes du marché, Raisons d’agir, 1998.

(3) Thomas R. Malthus, Principes d'économie politique considérés sous le rapport de leur application pratique, Calmann-Lévy, Paris, 1969.

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