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Étude sur l’écologie et l’économie des praxéologies de la recherche d’information sur Internet. Une contribution à la didactique de l'enquête codisciplinaire

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Étude sur l’écologie et l’économie des praxéologies de la recherche d’information sur Internet. Une contribution

à la didactique de l’enquête codisciplinaire

Caroline Ladage

To cite this version:

Caroline Ladage. Étude sur l’écologie et l’économie des praxéologies de la recherche d’information sur

Internet. Une contribution à la didactique de l’enquête codisciplinaire. Education. AIX-MARSEILLE

UNIVERSITÉ, 2008. Français. �tel-01964613�

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UNIVERSITÉ AIX-MARSEILLE 1 – UNIVERSITÉ DE PROVENCE AIX-MARSEILLE UNIVERSITÉ

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THÈSE

pour obtenir le grade de

DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ D’AIX-MARSEILLE UNIVERSITÉ Formation doctorale :

Sciences de l’éducation présentée et soutenue publiquement

par

Caroline LADAGE le 4 décembre 2008

TITRE :

ÉTUDE SUR L’ÉCOLOGIE ET L’ÉCONOMIE DES PRAXÉOLOGIES DE LA RECHERCHE D’INFORMATION SUR INTERNET

Une contribution à la didactique de l’enquête codisciplinaire Directeur de thèse :

Yves CHEVALLARD

JURY

Georges-Louis BARON, professeur, Université René Descartes Paris 5, examinateur Marianna BOSCH, profesora titular, Université Ramon Llull (Barcelone), examinatrice Éric BRUILLARD, professeur, Université de Paris 12, rapporteur

Yves CHEVALLARD, professeur, Université de Provence Aix-Marseille 1, examinateur

Jean RAVESTEIN, professeur, Université de Provence Aix-Marseille 1, président

Gérard SENSEVY, professeur, Université de Rennes 2, rapporteur

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Laboratoire où la thèse a été préparée : UMR P3 ADEF (Aix-Marseille Université, INRP)

Résumé en français. Cette recherche se situe dans le cadre de la théorie anthropologique du didactique (TAD) dont elle utilise la notion clé de praxéologie. Le problème étudié est celui des conditions et contraintes déterminant les équipements praxéologiques institutionnels et personnels en matière de recherche d’information sur Internet (RII). L’étude se scinde en trois questions non indépendantes. Tout d’abord, quelles praxéologies peuvent être regardées comme utiles à la RII ? Ensuite, quelle est l’offre praxéologique en la matière ? Enfin, quels sont les obstacles à un accès large à une offre praxéologique idoine ? Ce travail, qui mobilise la notion de culture d’un domaine d’activité, développe les notions de frontière praxéologique et de lecture questionnante et met en œuvre une technique originale d’exploration d’un ensemble praxéologique. Ses résultats tendent vers la constitution, à l’intersection de la didactique de l’enquête codisciplinaire et de la didactique du Web, d’une didactique de la RII.

Mots clés : conditions et contraintes, culture (de la RII), didactique de l’enquête codisciplinaire, équipement praxéologique, frontière praxéologique, lecture questionnante, offre praxéologique, recherche d’information sur Internet, théorie anthropologique du didactique, Web.

Titre en anglais : Study on the ecology and economy of the praxeologies of Web search. A contribution to the didactics of codisciplinary inquiry

Résumé en anglais. The framework of this research is the anthropological theory of the didactic (ATD), of which it uses the key concept of praxeology. It studies the conditions and constraints determining institutional and personal Web search praxeological equipments. The study is divided into three closely related questions. Firstly, which praxeologies can be regarded as useful to Web search? Secondly, what is the offer of praxeologies in this field? Finally, what are the obstacles which limit access to a large supply of appropriate praxeologies? This work, which mobilizes the concept of a domain’s culture, develops the notions of praxeological border and question-led reading and implements an original technique to explore a given set of praxeologies. Its results tend to the constitution, at the intersection of the didactics of codisciplinary inquiry and of Web didactics, of a Web search didactics.

Keywords: conditions and constraints, culture (of Web search), didactics of codisciplinary

inquiry, praxeological equipment, praxeological border, question-led reading, praxeological offer,

Web search, anthropological theory of the didactic, Web.

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Remerciements

Mes remerciements vont d’abord…

… à Yves Chevallard, qui m’a permis de porter un regard nouveau sur une activité que je pensais pourtant familière, pour sa direction sans faille tout au long des différentes étapes de ce travail, pour ses compétences scientifiques, son érudition et sa curiosité sans frontières, pour sa patience, ses conseils scientifiques et linguistiques, pour les séances de travail d’une valeur inestimable, pour les pistes et les projets de recherche qu’il m’a suggérés,

… à Jean Ravestein, grâce à qui ce travail a pris son essor,

… à Gérard Sensevy, Georges-Louis Baron, Éric Bruillard et Marianna Bosch, qui ont accepté d’être les rapporteurs et les membres du jury de ce travail.

Je tiens aussi à remercier vivement…

… Michèle Artaud, Joël Denisot, Michel Jullien, Jean-Pierre Lapébie, Christian Reymonet et Odile Schneider, pour l’aide précieuse qu’ils m’ont apportée,

… ainsi que les enseignants, étudiants, élèves et toutes les personnes qui ont accepté de participer aux enquêtes, questionnaires, interviews, en particulier Corinne, Perrine et Yann Gaël.

Je remercie particulièrement Sergine Saiz-Oliver et ses élèves pour m’avoir permis d’observer leur activité en classe depuis de nombreuses années, ainsi qu’Odile Chenevez grâce à qui j’ai pu observer le travail de formation de professeurs stagiaires. Ces moments ont été très riches en éclairages.

Mes remerciements vont encore…

… à mes anciens collaborateurs professionnels du Web, Bernard Fernandez et Stefan Polo, qui m’ont maintes fois accordé leur temps pour soupeser mes questions parfois inattendues,

… aux participants au séminaire TAD/IDD animé par Yves Chevallard, auprès de qui les thèmes de cette recherche ont pu rencontrer un premier public,

… au directeur de l’UMR P3 ADEF, Alain Mercier, ainsi qu’aux chercheurs de ce laboratoire et à

son personnel, en particulier Annie Rombi, pour m’avoir accueillie en m’offrant un lieu de travail,

de présentation et de mise en débat du travail engagé.

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Je tiens bien sûr à remercier chaleureusement…

… l’ensemble des enseignants chercheurs et du personnel du département des sciences de l’éducation et de l’université de Provence qui, d’une manière ou d’une autre, m’ont aidée et encouragée, tout particulièrement Christian Roux, Yvan Abernot, Bernard Donnadieu, Jeanne Mallet, Chantal Eymard, Odile Thuilier, Stéphane Simonian, Jacques Audran, Patrick Lascabettes, Christine Vallier, François Michel, Danièle Picard, Odile Sylvain-Cifre, Leila Temli, Viviane Dho et Françoise Fabre,

… sans oublier les apports d’autres universitaires, et plus particulièrement de Valérie Campillo et de Juliette Simont.

Enfin, je remercie mes enfants, Laurent et Aurélie (ainsi que leurs tribus), et mes parents, dont les récits de leurs quêtes sur le Web ont été pour moi des sources précieuses de réflexion et de questionnement.

Caroline Ladage

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Table des matières

It was a process of accretion, not the linear solving of one well-defined problem after another.

Tim Berners-Lee, 2000

Résumés (p. 3) Remerciements (p. 5)

INTRODUCTION GÉNÉRALE. LE « MONDE INTERNET » ET LA THÉORIE

ANTHROPOLOGIQUE DU DIDACTIQUE. ÉLÉMENTS POUR UNE RECHERCHE

Du référencement à la RII (p. 15)

La théorie anthropologique du didactique (p. 19) Conditions et contraintes (p. 21)

Une contrainte sensible : la péjoration du monde Internet (p. 23) Personnes, institutions, rapports (p. 28)

La notion de praxéologie (p. 32)

Didactique de l’enquête codisciplinaire (p. 40) Problématiques de recherche connexes (p. 48) Problématique de la recherche (p. 59)

Aspects méthodologiques (p. 65) Note sur le « style » (p. 72)

ANNEXE 1. La péjoration de l’Internet à l’épreuve du différenciateur sémantique (p. 74)

PREMIÈRE PARTIE. ENTRER DANS LE MONDE INTERNET ? ANALYSE D’UNE ENQUÊTE CODISCIPLINAIRE

Introduction (p. 87)

Chapitre 1. L’enquêtrice, la question, les semblables, les savoirs (p. 90)

La question inaugurale : comment vivre (au) mieux avec Internet et Google ? (p. 91) Le point de départ : une “vanity search” expéditive (p. 92)

Le trauma et le collège invisible (p. 93)

Savoirs indigènes, savoirs allogènes (p. 97)

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Non pas organiser, mais faire système (p. 100) Pan et holon (p. 102)

Chapitre 2. Ratés de l’enquête et contre-enquête avec Internet (p. 105) De “In God We Trust” à “Our mission” (p. 105)

L’expression “Our mission is” vue à travers Google (p. 107)

“Our mission” en français (p. 110)

Que disent les dictionnaires ? La notion de “mission statement” (p. 111) Une autre recherche avec Google : “mission statement” (p. 113)

Des outils d’étude pertinents (p. 122)

Complément d’enquête : déclarer sa mission est-il obligatoire ? (123) Chapitre 3. Égarements et approximations de l’enquête (p. 131) Organiser, dites-vous ? (p. 131)

Élargir l’enquête… (p. 138)

“All the information in the world” ou les aléas d’une enquête (p. 140) Chapitre 4. Le cas de PageRank (p. 148)

Google : une image ambivalente (p. 149)

PageRank, mathématiques et bibliométrie (p. 150) PageRank contre la démocratie et la culture ? (p. 154) Méprises et malentendus (p. 157)

Chapitre 5. Scilicet ou Qu’est-il permis de savoir ? (p. 162) Savoirs et folklore de l’Internet (p. 163)

Politique et savoirs de l’Internet (p. 167)

De l’Internet au Web : invasion technique et déroute de la culture (p. 172) Le recours aux savoirs « indigènes » : à propos de doxa (p. 176)

Traduction, trahison ? Une autre contre-enquête (p. 177) Un moteur de recherche européen ? (p. 187)

Conclusion (p. 188)

ANNEXE 2. Les « aides à l’étude » : une somme de compétences et d’expériences (p. 195)

DEUXIÈME PARTIE. QUE PEUT-ON SAVOIR ? EXPLORATIONS PRAXÉOLOGIQUES Introduction (p. 213)

Chapitre 6. Ordre et désordre dans la connaissance (p. 218)

Des ordres tout faits à interroger (p. 218)

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Un symptôme : Shmoogle (p. 219)

L’expertise supposée ne suffit pas (p. 223)

Chapitre 7. Deux analyses praxéologiques (p. 225) La RII, un thème presque absent (p. 225)

Le Web et ses liens (p. 227) Adresses Web et onglets (p. 232)

À la recherche des moteurs de recherche (p. 234)

“Basic Computer Skills” (p. 237) La syntaxe des requêtes (p. 239)

Chapitre 8. Un peu au-delà des rudiments (p. 241) Préparer une requête (p. 242)

Écrire une requête : les opérateurs booléens (p. 244) La recherche par champ (p. 247)

Outils de la recherche : les annuaires (p. 248)

Les moteurs de recherche face aux annuaires (p. 252) Méta-moteurs et « moteurs de moteurs » (p. 254) Bases de données : errances et sérendipité ? (p. 255) Manuel d’instruction ou programme d’études ? (p. 258) Du français à l’anglais et retour (p. 263)

Conclusion (p. 268)

TROISIÈME PARTIE. DES SAVOIRS UTILES À LA RII ? UN REPÉRAGE

PRAXÉOLOGIQUE

Introduction (p. 279)

Chapitre 9. Premiers repérages : histoire, économie, politique, documentation, droit (p. 283)

Domaines praxéologiques et RII (p. 284) Personnes, institutions, dispositifs (p. 285) L’irruption de l’histoire (p. 286)

L’enracinement économique (p. 289)

La politique ne se fait jamais oublier (p. 292)

Une vieille dame saisie par la modernité : la documentation (p. 293) Le droit, outil et modèle (p. 298)

Chapitre 10. Mathématiques, physique et technologies numériques (p. 314)

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Des mathématiques dans la RII ? (p. 315) Les bases physiques du numérique (p. 317) Le cas de l’électricité (p. 318)

L’induction électromagnétique (p. 320) À propos de disques durs (p. 323) Chapitre 11. L’informatique (p. 326)

Théorie, pratique : une tension indépassable ? (p. 327) Matériel et logiciel (p. 329)

Protocoles (p. 331)

Difficulté de l’élémentation : l’exemple du BIOS (p. 333) Chapitre 12. La fracture de l’anglais (p. 340)

Un faux problème ? (p. 340)

Quand la langue s’opacifie… (p. 342) HTML : le préfixe hyper (p. 345) HTML : le markup (p. 348)

Comment traduire “A (Web) search” ? (p. 352) Chapitre 13. L’Internet (p. 355)

L’union du téléphone et de l’ordinateur : le cas de l’ADSL (p. 355) Modem, modulation, etc. (p. 358)

Questions de débit : les liaisons physiques (p. 359) Des connaissances à diffuser ? (p. 360)

Numéros IP (p. 362)

Réseaux et protocoles (p. 364)

Le modèle client/serveur et le DNS (p. 366) Le cas des noms de domaine (p. 370) Le modèle TCP-IP (p. 372)

Le contrôle de la transmission des données (p. 375) Adresses IP et routage des données (p. 376)

La couche liaison de données (p. 378)

Une culture appropriée est une culture large (p. 379) Chapitre 14. Le World Wide Web (p. 382)

Le Web et le modèle client-serveur (p. 383) Le Web en lui-même (p. 384)

La genèse du Web : concepts et outils (p. 387)

Un glossaire du Web (p. 389)

(12)

Les RFC et la notion de ressource (p. 392)

Une notion subtilement complexe : la notion d’URL (p. 393) Hyperliens et HTML (p. 398)

Le cas du hotlinking (p. 402)

Les pages de cadres comme problème (p. 405) Quels contenus ? Quels pièges ? (p. 412) Les cookies et la liberté de l’internaute (p. 422) Conclusion (p. 435)

ANNEXE 3. Sur la notion d’éléments d’une science (p. 440)

QUATRIÈME PARTIE. DES SAVOIRS SPÉCIFIQUES DE LA RII ? BESOINS ET OFFRES PRAXÉOLOGIQUES

Introduction (p. 457)

Chapitre 15. La recherche d’information sur Internet : un exposé encore (p. 464) Un exposé tout simple (p. 464)

Annuaires, moteurs, métamoteurs (p. 465) Google, toujours lui ! (p. 469)

Rechercher une information (p. 470)

Au-delà des apparences : ordre des résultats et référencement (p. 471) Questions d’URL (p. 474)

Contrôler l’information : au-delà de l’URL (p. 479) Médias en ligne : une autre frontière (p. 481) Chapitre 16. Questions de RII (p. 484) Quelles questions se poser ? (p. 485)

“How to search” (p. 485)

“Searching Text” (p. 491)

Un vaste panorama praxéologique (p. 500) Points de vue de formateurs (p. 509)

Synnomie ou idionomie ? Le cas des booléens (p. 515) Le moment socratique et son évitement (p. 518) Questions de RII (p. 520)

Chapitre 17. Vers des réponses ? (p. 524)

Témoigner de l’offre praxéologique ? (p. 528)

Une enquête auprès de « témoins » (p. 529)

(13)

Offre et besoins praxéologiques : une rencontre délicate (p. 537) Une offre praxéologique accessible ? (p. 539)

Construire des réponses R

? (p. 547) Conclusion (p. 551)

ANNEXE 4. “How to search” : un exposé en questions (p. 555) ANNEXE 5. Des questions de RII extraites de Notess, 2006 (p. 584) ANNEXE 6. Présentation du questionnaire en ligne (p. 589)

CONCLUSION GÉNÉRALE. VERS UNE DIDACTIQUE DU WEB. RÉSULTATS ET PERSPECTIVES

Praxéologies utiles à la RII (p. 598) L’offre praxéologique en RII (p. 600)

Un triple problème épistémologique, didactique, éthique (p. 601) L’accès à l’offre praxéologique en RII (p. 605)

Culture de la RII et codisciplinarité (p. 607) Recherches à venir (p. 609)

Bibliographie (p. 613)

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

LE « MONDE INTERNET »

ET LA THÉORIE ANTHROPOLOGIQUE DU DIDACTIQUE

ÉLÉMENTS POUR UNE RECHERCHE

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

Le « monde Internet »

et la théorie anthropologique du didactique Éléments pour une recherche

Une œuvre où il y a des théories est comme un objet sur lequel on laisse la marque du prix.

Marcel Proust, 1927

Le travail que nous présentons est le produit de la rencontre entre deux dynamiques de développement. La première, qui donne à ce travail sa spécificité conceptuelle et technique, est celle de la théorie anthropologique du didactique (TAD), au sein de laquelle, à partir de l’année 2000 au moins, s’est approfondi le souci d’une didactique de l’enquête codisciplinaire. La seconde, qui fournit à notre recherche son objet, est celle du World Wide Web lui-même, dont l’impressionnante croissance depuis le milieu des années 1990 n’est évidemment pas sans effet sur la pratique et la théorie de l’enquête codisciplinaire telle que l’étudie la TAD : dès 2000, les savoirs « dialectiques » que dégage et commente Yves Chevallard à propos des TPE, les travaux personnels encadrés, introduits alors dans les classes de première de l’enseignement général, sont reliés explicitement à l’utilisation des richesses documentaires du Web, par contraste avec la (relative) rareté documentaire traditionnelle dans l’éducation scolaire (Chevallard, 2001a ; et aussi Chevallard & Matheron, 2002). Ce sont les tenants et les aboutissants de cette rencontre que, du point de vue de ce travail, nous nous efforcerons de préciser dans cette Introduction générale.

Du référencement à la RII

Nous dirons ici rapidement comment nous avons été conduite à nous situer, personnellement,

dans la configuration objective évoquée dans ce qui précède. Après des études parallèles de

philosophie (1989) et de sciences politiques (1990) à l’Université Libre de Bruxelles,

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complétées ensuite par des études de gestion des entreprises à l’Institut d’Administration des Entreprises (IAE) de l’Université Paul-Cézanne (1995), nous avons eu depuis le début des années 1990 une activité professionnelle, dont l’importance s’est rapidement accrue, au sein de ce que nous appellerons dans tout ce travail le monde Informatique & Internet. Cette activité, soit comme consultant indépendant, soit dans le cadre de SARL à la création desquelles nous avons été associée, nous a amenée à acquérir des compétences approfondies en matière de création et de référencement de sites Web ainsi que de gestion informatisée de données, activités que nous avons développées pour des entreprises de tous secteurs. En même temps, dans le prolongement de ces travaux, et en raison de la labilité intrinsèque de leurs produits, nous avons eu à répondre à des demandes de formation à la création de sites et à leur référencement, en français et en anglais, émanant d’entreprises désireuses d’accroître les compétences de leurs dirigeants et de certains de leurs salariés. Ce fut là une expérience cruciale pour le cheminement qui a été le nôtre.

La labilité des produits est une chose ; mais les actions de formation que, à l’époque, nous avons eu à concevoir et à réaliser nous montraient chaque fois le caractère au moins partiellement labile du contenu même de ces formations. Une telle observation nous conduisit alors à nous interroger, au-delà de ce contenu spécifique, sur les savoirs existant en matière de formation, ce qui nous incita à nous tourner vers le département de sciences de l’éducation de l’université de Provence, avec le désir d’y acquérir une formation systématique à la formation d’adultes engagés dans la vie professionnelle et, plus précisément, aux prises avec le monde Informatique & Internet, lequel nous apparaissait alors comme la terre d’élection des « savoirs labiles ». Guidée par Jean Ravestein, nous avons d’abord suivi les enseignements du DESS

« Ingénierie de la formation multimédia »

1

. Dans ce cadre, notre mémoire, intitulé Utilisation des nouvelles technologies dans un dispositif de formation d’un savoir labile (Ladage, 2003), portait sur la conception d’une plate-forme hybride d’apprentissage du référencement (le public visé étant celui des clients des SARL où nous avions exercé notre activité professionnelle). L’année suivante, dans le cadre du DEA « Systèmes d’apprentissage, systèmes d’évaluation », nous avons consacré notre mémoire, intitulé Approche didactique de l’enseignement d’un savoir labile en technologies de l’information et de la communication (Ladage, 2004), à la question de l’apprentissage du référencement. Le jury de soutenance comprenait, outre Jean Ravestein, Samuel Johsua et Yves Chevallard – dont, sur les conseils de Jean Ravestein, nous avions commencé de suivre avec attention et intérêt le séminaire. Le

« tournant didactique » était pris.

Le travail que nous présentons est le fruit de ce cheminement. Mais plusieurs éléments

doivent encore être précisés. Dans des contextes institutionnels divers, nous avions, dès 1997,

(18)

été amenée à enseigner la recherche d’information sur Internet – que nous désignerons désormais, dans ce travail, par le sigle RII

2

. Parallèlement, nous observions les comportements de recherche sur Internet, ainsi que les manières d’en parler, tant dans des situations de la vie courante ou dans des situations de formation à l’université que, de façon plus systématique, dans des situations de classe à l’école primaire, où il est traditionnel de demander aux élèves de « chercher des mots », mais où l’accès croissant au Web conduit aujourd’hui à leur demander aussi de rechercher de l’information pour répondre à des questions plus ou moins précises (Ladage, 2007a). Dans cette perspective, notre article avec Jean Ravestein et Samuel Johsua (2007) portait ainsi sur le bruit, le silence, les

« incongruités » observables dans les résultats affichés en réponse à certaines requêtes adressées aux moteurs de recherche Google, Yahoo! et MSN. Dans le même temps, et de notre point de vue de référenceur, il devenait clair que nombre de savoirs qui nous auraient semblé utiles à la conduite des recherches évoquées ici paraissaient étrangement absents, quel que soit le type d’usager observé. En particulier, il en était ainsi des savoirs du référencement, qui fournissaient de cette absence un exemple à plusieurs égards paradigmatiques (Ladage &

Ravestein, 2005).

En français, le mot de référencement (appliqué à un site ou à une page Web) est en fait polysémique. Le sens restreint du mot désigne simplement le fait qu’un site Web est indexé par tel moteur de recherche, c’est-à-dire est « présent » dans sa base de données – y ait « référencé ». Mais le fait qu’il soit ainsi « connu » du moteur de recherche ne signifie pas pour autant qu’il occupera une position avantageuse (sur la première page de résultats…) dans les réponses apportées par le moteur aux requêtes contenant certains mots clés déterminés. Et cela n’est pas tout : comme le souligne un auteur reconnu en la matière (Olivier Andrieu, 2008, p. 3), il ne servirait à rien « d’être bien positionné sur des mots clés que personne ne saisit ou sur des moteurs que personne n’utilise... ». En anglais, on parle plus globalement de search engine optimization (SEO), c’est-à-dire d’optimisation (d’un site ou d’une page) pour les moteurs de recherche, les référenceurs étant désignés comme search engine optimizers (l’acronyme SEO ayant ainsi, en anglais, deux significations). Depuis le début de la jeune histoire du référencement, il existe en quelque sorte un « jeu » – au sens de la théorie des jeux (game theory) – entre référenceurs et (gestionnaires de) moteurs de recherche.

Classiquement, par exemple, ces derniers sont portés à « punir » (en les bannissant de

leurs index) les sites qui tentent de les « tromper » quant à leur contenu réel (celui qui

sera véritablement accessible à l’usager) ou quant à leur popularité (définie en termes

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de liens pointant vers le site). À l’inverse, on reconnaîtra à certains sites ou à certaines pages la vertu d’être “search engine friendly”.

L’idée s’imposa à nous, ainsi, de l’utilité de travailler à une « didactique de l’Internet » ou « du Web » (Ravestein & Ladage, 2006). La pratique du référencement conduit en vérité à entrer dans un jeu à trois joueurs, car référenceurs et moteurs de recherche doivent les uns comme les autres tenir compte, dans leurs choix stratégiques, d’un troisième joueur : l’usager. Inversement, on pouvait se demander – et c’est là l’origine de notre travail – si, au lieu de se représenter son action comme si elle relevait d’un jeu à un seul joueur ou, comme l’on dit encore de façon très suggestive, d’un jeu « contre la Nature » – a game against Nature –, le praticien ordinaire de la RII ne gagnerait pas sensiblement à assumer sa démarche comme participant d’un jeu à (au moins) trois joueurs, incluant, outre lui-même, Webmasters et référenceurs d’un côté, moteurs de recherche de l’autre – ce qui, bien entendu, supposerait de sa part la reconnaissance et une certaine connaissance de quelques-uns des savoirs portant sur les moteurs de recherche et sur le référencement.

Notre expérience du référencement de sites a, parallèlement, joué un rôle clé dans les réflexions didactiques qui ont accompagné notre questionnement. Deux éléments peuvent à cet égard être notés. Le premier paraîtra sans doute trivial et nous ne le citons ici que pour le mettre en relation avec un fait massif que nous expliciterons plus loin : il s’agit du temps consacré et de l’effort développé, au fil de plusieurs années d’un intense labeur fait d’allers- retours incessants entre pratique et théorie, à notre propre formation au monde Informatique

& Internet, afin de nous donner les compétences professionnellement indispensables à notre activité de création et de référencement de sites. Le second élément, en vérité solidaire du premier, a constitué pour nous une expérience didactique essentielle. Loin d’être limitée à une

« auto-formation » menée dans un face-à-face solitaire avec une sèche littérature spécialisée

toujours plus volumineuse, notre formation à la création de sites, aux moteurs de recherche et

au référencement s’est en effet appuyée de façon essentielle sur le travail collectif qui se

menait alors dans divers forums en ligne dédiés aux questions que pouvaient se poser à

l’époque les référenceurs, acteurs d’un champ de spécialisation encore à l’état naissant : de

cette expérience subjectivement marquante, on trouvera une description et une analyse

objectivées dans notre article sur Les communautés virtuelles sur Internet (Ladage, 2007b ;

voir aussi Ladage, 2007c). Par contraste, nous pouvions observer autour de nous, hors du

champ professionnel où nous opérions, une attitude souvent fort éloignée du climat

d’engagement à la fois passionné et « hyperréaliste » qui prévalait sur la scène du

référencement. D’un côté, l’usager ordinaire, éternel débutant, semblait ne guère vouloir

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s’instruire en matière de RII, qu’il se satisfasse de son niveau de pratique, qu’il se cache ses propres échecs ou qu’il les impute, plus communément, à une nature malveillante ou « mal faite » – celle « de l’Internet ». D’un autre côté, et de façon consonante, les « échanges de savoir » à propos de la RII, quand ils n’étaient pas entièrement absents, semblaient ne pouvoir s’établir que de façon allusive, hâtive, jamais approfondie, comme s’il y avait là un champ de problèmes qu’on ne pouvait pas reconnaître, sans parler de l’explorer méthodiquement. Pour mieux comprendre ces énigmes ordinaires, nous nous sommes alors tournée vers la TAD, qui nous paraissait à même, par son abord large, non sélectif, des faits didactiques, de nous permettre d’analyser ce que nous avions pu observer jusque-là.

La théorie anthropologique du didactique

La TAD repose sur un petit nombre de principes que Yves Chevallard a résumés à l’occasion du premier congrès international sur la théorie anthropologique du didactique tenu à Baeza (Espagne) en 2005. Le premier principe situe la didactique dans son genre prochain, celui des sciences en général : comme toute science (y compris les sciences « dures » : mathématiques, physique, etc.), la didactique « se définit en se donnant pour objet d’étude un certain ensemble de conditions et de contraintes de la vie des sociétés humaines » (Chevallard, 2005, p. 718).

Le deuxième principe désigne la différence spécifique qui donne à la didactique son caractère

distinctif parmi les autres sciences : la didactique, précise le même texte (p. 719), « se voue à

étudier les conditions et contraintes sous lesquelles les praxéologies se mettent à vivre, à

migrer, à changer, à opérer, à dépérir, à disparaître, à renaître, etc., au sein des institutions

humaines ». La notion de praxéologie utilisée ici marque l’évolution entre les formulations de

la théorie de la transposition didactique (Chevallard, 1991) et son extension ultérieure sous le

nom de théorie anthropologique du didactique : le concept de praxéologie a en effet été

engendré par le besoin de modéliser « la connaissance » en s’affranchissant des limitations

imposées de façon plus ou moins subreptice par les notions jusque-là seules disponibles dans

la culture courante, celle de savoir ou de savoir-faire notamment. Si composer un concerto

suppose « du savoir », se moucher n’en supposerait pas, selon la culture dominante. Or là où

celle-ci ne décèle aucun savoir digne de ce nom, la TAD voit des praxéologies qui, par leur

nature, ne sont pas ontologiquement – sinon axiologiquement ! – différentes de celles mises

en œuvre dans la composition musicale. Les « cotes » culturelles, quel qu’en soit l’objet et la

nature, deviennent ainsi – le cas échéant – des réalités à étudier, à expliquer comme effet de

certaines conditions et contraintes, et cessent d’être des passagers clandestins embarqués dans

le travail scientifique.

(21)

Il y a là, croyons-nous, une raison clé du choix de l’adjectif anthropologique pour marquer l’apport propre de la TAD : au lieu de reprendre étroitement, de façon implicite ou parfois explicite (et même revendiquée), les points de vue et les valeurs de telle ou telle institution établie, la didactique – comme toute science, là encore – doit s’efforcer de bâtir ses praxéologies en fonction de ses besoins, sans s’embarrasser du « praxéologiquement correct » défini par telle ou telle institution existante, fût-elle au cœur de son domaine d’étude. Ainsi n’y a-t-il plus intrinsèquement de savoirs « dignes de ce nom » et de savoirs « indignes », de savoirs « nobles » et de savoirs sans noblesse, voire ignobles. Il y a des praxéologies, qui naissent, migrent, réussissent ou dépérissent, sont déconstruites et reconstruites, s’installent durablement en tel paysage institutionnel ou disparaissent sans retour, etc. Cette puissance d’émancipation nous permettait en particulier de parler des praxéologies de la RII comme on parle en TAD des praxéologies de l’algèbre ou de la statistique, c’est-à-dire sans les dénigrer ou les louer, mais en les envisageant comme réalité à observer, à analyser et à suivre en ses migrations et transformations institutionnelles.

Cela nous permettait en particulier de reformuler et donc de penser autrement les constats auxquels nous étions arrivés jusque-là. Tout d’abord, pourquoi la culture praxéologique en matière de RII observable autour de nous semblait-elle tellement figée en un état rudimentaire, ce que confirmaient au reste plusieurs enquêtes internationales, dont l’une

3

révélait par exemple, entre autres constats, la non-utilisation presque totale de l’opérateur booléen AND NOT ? Ensuite, la rareté et la pauvreté des « échanges de savoirs » en matière de RII pouvaient maintenant s’exprimer à l’aide de ce que la TAD nomme le didactique, en le définissant ainsi (Chevallard, 2005, p. 717).

… il y a du didactique lorsqu’une personne ou une institution, se faisant par là agent didactique, fait quelque chose afin qu’une institution ou une personne « apprenne » un certain ensemble praxéologique, c’est-à-dire afin que cet ensemble arrive jusqu’à cette institution ou cette personne et finisse par s’intégrer à son équipement praxéologique.

Là encore, nous disposions ainsi d’une notion très compréhensive, qui permettait de pointer

tout à la fois l’apparente faible densité institutionnelle (ou interpersonnelle) du didactique à

propos de RII et le caractère sommaire, non élaboré de ses formes – comme s’il n’y avait

quasiment rien à apprendre et si ce peu-là pouvait être acquis à simplement l’évoquer à la

volée. La question, bien entendu, était de comprendre pourquoi il en était ainsi, c’est-à-dire

d’analyser les conditions et les contraintes qui maintenaient ainsi le didactique en matière de

RII dans cet état de sous-développement apparent, au double plan quantitatif et qualitatif.

(22)

Pour cela, il convient maintenant d’entrer plus avant dans ce qui est au cœur de la définition de la didactique proposée plus haut, celle de science des conditions et des contraintes de la diffusion des praxéologies dans la société.

Conditions et contraintes

On peut tenter de résumer cette définition de la didactique par une autre, plus lapidaire, et formellement plus restrictive (Chevallard, 2005, p. 717) : « La didactique est la science qui étudie le didactique. » C’est supposer que la diffusion et la non-diffusion praxéologiques s’expliquent essentiellement par le didactique, ou encore qu’il n’y a pas d’apprentissage sans quelque intention didactique – ce qui est un postulat limite. Mais il n’en est pas moins vrai, nous semble-t-il, que la plupart des apprentissages sont en quelque sorte soutenus, impulsés, sinon tout entiers engendrés, par du didactique (y compris bien sûr de l’auto-didactique), faute de quoi ils demeurent en quelque sorte en suspens. Ce qui importe alors, c’est d’étudier ce que, en TAD, on nomme classiquement l’écologie et l’économie du didactique, notions étroitement liées à celles de conditions et de contraintes

4

. La distinction entre ces deux notions est simple dans son principe. L’écologie d’un objet peut être définie comme l’ensemble des conditions actuelles pesant sur la vie de cet objet. Les contraintes sont alors des conditions d’un type particulier : ce sont ces conditions qui, regardées depuis une certaine position institutionnelle au sein de la société, apparaissent (à un moment donné) comme non modifiables et sous lesquelles on devra alors, depuis cette position, organiser l’économie de l’objet, c’est-à-dire le remaniement ou la création des conditions tenues pour modifiables. Les situations didactiques – au sens de la théorie des situations didactiques (Brousseau, 1998) – qu’un enseignant peut envisager de créer dans une classe participent pour lui de l’économie de ces objets (mathématiques, grammaticaux, informatiques, etc.) regardés comme enjeux didactiques. En revanche, ce même enseignant regardera généralement comme une contrainte intouchable le fait d’assurer aux élèves des séances de travail d’une durée imposée, au lieu par exemple de « scander » le travail collectif – à la façon dont le psychanalyste Jacques Lacan conduisait ses séances – en découpant le temps d’horloge disponible en sessions pour les unes très courtes (d’une à deux minutes par exemple), pour d’autres beaucoup plus longues (alignant les heures au cours d’une même journée), le critère supposé en tout cela étant celui des conditions temporelles jugées optimales du point de vue didactique, c’est-à-dire du point de vue de la gestion des apprentissages.

Les distinctions entre condition (modifiable) et contrainte (non modifiable), d’une

part, et économie et écologie, d’autre part, ne se superposent qu’imparfaitement. C’est ainsi

(23)

que l’innovation pédagogique consiste souvent à regarder certaines contraintes traditionnelles comme de simples conditions que, sans changer fondamentalement de position institutionnelle, on pourrait modifier à sa guise – pourvu toutefois que d’autres conditions et contraintes réputées favorables à la modification recherchée soient vérifiées. La volonté d’innover ou, plus souvent encore, le simple désir de croire à ce que l’on est contraint de faire conduisent en règle générale à oublier, voire à nier, un grand nombre de contraintes qui n’en déterminent pas moins l’écologie du didactique et ruinent parfois les projets les plus séduisants : l’utopie didactique rêvée se change alors en dystopie vécue

5

. Si nous adoptons pour position institutionnelle celle du chercheur, l’oubli des contraintes comme, aussi bien, celui des conditions (modifiables) constituent une erreur lourde, contre laquelle la TAD tente de nous prémunir en proposant une échelle à plusieurs niveaux qui rappelle que les

« contraintes » avec lesquelles il faut compter ne sont pas seulement les conditions

« presque » modifiables que l’on renonce à modifier. Nous ne retiendrons ici que l’échelle partielle suivante, qui appelle un bref commentaire.

Civilisation

↓↑

Société

↓↑

École

↓↑

Pédagogie

↓↑

Discipline

L’échelon inférieur est, ici, celui de la « discipline », terme qui renvoie simplement à

l’ensemble praxéologique dont on examine la diffusion. (Il peut évidemment s’agir de

praxéologies de nature quelconque : mathématique, ou poétique, ou concernant la courtoisie

dans la vie quotidienne, ou propres à la RII, ou relevant de la plomberie, etc. On retrouve là le

caractère ouvert de la TAD.) Sur ce niveau pèsent des contraintes et opèrent des conditions

ayant leur « siège » dans les niveaux supérieurs. Inversement, ce niveau impose des

contraintes et crée des conditions propres à la discipline, qui « jouent » sur les niveaux

supérieurs. À chaque utilisation, plus généralement, le schéma précédent doit être bien sûr

spécifié : le niveau de l’école impose ainsi des contraintes et crée des conditions qui varient

selon le type d’école considéré ; notons seulement, à titre d’illustration, qu’il peut s’agir d’une

(24)

école créée spécialement pour y enseigner la discipline considérée ou d’une école déjà existante, dans laquelle on vient loger un tel enseignement. Les mêmes remarques valent pour le niveau de la pédagogie : comme au niveau de l’école, et par contraste avec les niveaux supérieurs, il s’y déploie des conditions et des contraintes censées servir – d’une certaine manière – le projet de diffuser aux « élèves » de l’école la discipline praxéologique considérée. Même si les conditions et les contraintes issues des niveaux de l’école et de la pédagogie doivent être considérées, du point de vue de l’analyse et de l’ingénierie didactiques, comme des conditions et contraintes comme les autres (en dépit de leur finalité affichée), celles qui règnent au niveau de la société ou de la civilisation ne procèdent pas, sauf exception, d’une volonté de faciliter spécifiquement la diffusion de tel ou tel système de praxéologies. Pour le créateur d’un enseignement, ainsi, elles apparaîtront souvent comme des contraintes dont on peut tirer profit en certains cas, et dont on peut, en d’autres, atténuer les effets jugés nuisibles à la diffusion praxéologique visée par un aménagement local de conditions appropriées. Il y a là bien sûr le point de départ de l’illusion que le local – celui de l’enseignant s’affairant à préparer son « cours » par exemple – peut ignorer le global, alors que, bien souvent, le global pénètre avec les élèves eux-mêmes dans la salle de classe, dont

« l’isolation didactique » n’est ainsi jamais assurée.

Ajoutons encore que le niveau de la civilisation a été introduit dans l’échelle des conditions et contraintes pour attirer l’attention sur le fait que la désignation d’une condition (modifiable ou non) comme relevant d’une société déterminée, qui est souvent un fait d’auto- désignation, masque par son localisme (voire son hyperlocalisme) l’extension du phénomène constaté à une zone parfois beaucoup plus vaste : la TAD retrouve ici le constat que faisait déjà Marcel Mauss (1873-1950) en proposant de réserver le nom de « phénomènes de civilisation » à ces phénomènes « communs à un nombre plus ou moins grand de sociétés et à un passé plus ou moins long de ces sociétés » (Mauss, 1930, p. 85). Notons comme probable que, en règle générale, une contrainte « de civilisation » tout à la fois passe davantage inaperçue (elle paraît « naturalisée », elle est vécue comme un fait « de nature ») et, toutes choses égales par ailleurs, est d’autant plus prégnante qu’elle est ainsi plus subreptice.

Une contrainte sensible : la péjoration du monde Internet

Une contrainte (ou une condition) peut favoriser la survenue d’un phénomène ou, au

contraire, en gêner l’apparition. Dans les deux cas, on dira que cette contrainte est pertinente

ou sensible (par rapport au phénomène), favorable dans le premier cas, défavorable dans le

second. (Dans le cas contraire, on dira que la contrainte est insensible ou non pertinente.) À

(25)

titre d’illustration, nous nous arrêterons d’abord un bref instant sur une contrainte qui, sans y être centrale, n’est sans doute pas entièrement dénuée de pertinence en matière de RII. Voici la chose : on peut imaginer deux types de sociétés (ou de civilisations) où prévalent des attitudes opposées à l’endroit des produits de la robotique ; dans les premières, l’idée même de robot évoquera de sourdes menaces pour l’humanité et l’on y raillera avec un soulagement certain les déficiences éventuelles et l’inachèvement parfois évident de ces créations jugées inquiétantes ; dans les secondes, tout au contraire, on supposera que le robot est regardé comme un ami de l’homme, que sa mise au point est encouragée et que ses imperfections, supposées provisoires, sont regardées avec bienveillance. L’opposition est classique : la société américaine relève, nous dit-on, du premier cas (comme la société française, d’ailleurs), tandis que la société japonaise participe largement du second paradigme (Hornyak, 2006a).

Ainsi l’écologie du rapport ordinaire aux robots ne sera-t-elle pas la même dans l’un et l’autre types de sociétés : difficile dans les premières, elle se révèlera beaucoup plus facile dans les secondes. Se former à la robotique, par exemple, sera, selon le cas, un choix à assumer contre le regard social ordinaire ou, tout au contraire, un choix porté par le regard majoritaire ; et de même pour l’utilisation de robots dans les différents types de tâches qu’ils sont ou seront capables d’accomplir

6

.

Dans l’abord de la RII qui est le nôtre ici, on ne peut manquer de rencontrer – nous aurons mainte occasion de nous en assurer au fil de ce travail – une contrainte analogue, celle matérialisée dans une attitude très répandue de suspicion et de péjoration à l’endroit de l’Internet et de ce qui y vit. En voici un exemple typique : dans un petit livre limpide et tonique, intitulé L’Esprit des Lumières, l’auteur, lui-même esprit éclairé, à la fin d’un développement questionnant le recours aux experts et à la science dans la détermination du bien, et avant une protestation de sens inverse contre l’emprise de la morale sur la recherche de la vérité, écrit tout à coup ceci (Todorov, 2006, p. 84).

La croissance vertigineuse des moyens de stockage et de transmission de l’information a révélé un

danger nouveau : trop d’information tue l’information. Il suffit de poser une question sur Internet

pour recevoir aussitôt cent mille réponses ; comment savoir laquelle est la plus digne de confiance et

la plus éclairante ? Une encyclopédie composée librement par ses utilisateurs (la « Wikipédia ») est-

elle préférable à celle rédigée par des scientifiques compétents ? Seulement si l’on efface la limite

entre vouloir et savoir.

(26)

La thématique est classique : nous y reviendrons. Tout se passe comme s’il y avait là une réaction très large à ce qui est vécu par beaucoup comme une agression culturelle contre le monde d’hier. Plusieurs clarifications sont, à ce propos, utiles.

Notons d’abord que, contrairement à l’hypothèse évoquée à propos de l’exemple précédent, une telle réaction, qui semble chez beaucoup de personnes procéder d’une culpabilité imaginaire devant l’effacement anticipé du monde d’hier, peut être en même temps le fait de personnes fortement utilisatrices du Web, voire de spécialistes (ou d’ex-spécialistes) du monde Internet. Ainsi en va-t-il d’Andrew Keen, l’auteur d’un ouvrage à succès paru en 2007 sous le titre The cult of the amateur, dont le sous-titre est parfaitement explicite : How today’s internet is killing our culture. Plus récemment, dans le numéro de juillet-août du magazine The Atlantic, l’auteur d’un ouvrage récent intitulé The Big Switch: Rewiring the World, from Edison to Google (Carr, 2008a), Nicholas Carr, a publié un article (Carr, 2008b) dont le titre parle de lui-même : Is Google Making Us Stupid? Cet article a suscité aux États- Unis un large débat dont on trouvera des échos dans un post d’Andrew Keen daté du 27 juillet, au titre catastrophiste (Keen, 2008) : Is the Internet killing the American reader? Mais ce climat d’appréhension n’est pas réservé au Nouveau Monde. Notons en outre qu’il semble baigner l’ensemble de la société, y compris les générations montantes, comme en témoigne cet autre post, qui semble faire écho jusque dans son titre – Google nous rend-il cons ? – à l’article de N. Carr, dû à un jeune homme de 19 ans qui conclut par ces mots (Williamson, 2008) : « Je suis dingue d’Internet, mais plus j’y réfléchis, plus Internet me fait peur. »

La péjoration de l’Internet, on le voit, peut accompagner une fréquentation assidue,

voire passionnée du Web : l’objet péjoré, même devenu familier, même vécu comme

indispensable, n’en reste pas moins un « mauvais objet ». Nous reviendrons un peu plus loin

sur cette attitude dépréciative, voire hostile, face à l’Internet. Mais pour illustrer encore un

peu le « jeu » des contraintes de niveau supérieur – c’est-à-dire qui ne tiennent pas d’abord à

l’école ou à sa pédagogie, même si, bien sûr, elles sont sensibles à la discipline à diffuser –,

nous nous arrêterons un instant sur une dissonance plus localisée, que nous retrouverons, elle

aussi, tout au long de notre travail : celle entre le monde ancien et vénérable des bibliothèques

et de la documentation, d’une part, et le monde Internet, d’autre part. La création du World

Wide Web ne s’est pas faite dans un univers vierge en matière documentaire. Or le créateur

du Web lui-même, Tim Berners-Lee, l’avoue, fût-ce implicitement, dans le passage suivant de

son livre Weaving the Web : le mouvement de pensée qui a donné vie au Web porte en lui un

affrontement presque inévitable avec le monde ancien de la gestion des « ressources »

(Berners-Lee, 2000, p. 2).

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The vision I have for the Web is about anything being potentially connected with anything. It is a vision that provides us with new freedom, and allows us to grow faster than we ever could when we were fettered by the hierarchical classification systems into which we bound ourselves. It leaves the entirety of our previous ways of working as just one tool among many.

Les auteurs d’un ouvrage intitulé Web Dragons. Inside the Myths of Search Engine Technology, qui nous accompagnera durant ce travail, consacrent leur deuxième chapitre – qu’ils intitulent “Literature and the Web” – à examiner le tableau historique sur le fond duquel naît le Web. Ils y insistent dans les termes suivants sur le choc culturel (et professionnel) qu’ont pu ressentir les milieux de la documentation et des bibliothèques devant l’irruption brutale de moyens d’information procédant, on l’a vu, d’une problématique radicalement nouvelle (Witten, Gori, & Numerico, 2007, p. 30).

How would you react if a technology juggernaut like Google suddenly declared that its mission was something that you thought society had entrusted to you alone, which you had been doing well for centuries: “to organize the world’s information and make it universally accessible and useful”? How do librarians feel when people turn from their doors and instead visit web bookstores to check their references, to ferret out related books, or to see what others recommend—even to check out facts in standard reference works? Like everyone else, they are acutely aware that the world is changing, and they know their job descriptions and institutions must follow suit. Their clients now work online, and part of the contemporary librarian’s job is to create websites, provide web interfaces to the catalogue, link to full text where available, and tend the e-mail help desk.

La situation est sans doute d’autant plus difficile à vivre que la doctrine de la profession ainsi remise en cause était depuis longtemps fortement affirmée, ce qu’un outsider – que nous avouons être en grande partie à cet égard

7

– peut facilement méconnaître. Les mêmes auteurs signalent à cet égard une profession de foi aux accents imposants, celle de Richard Rogers Bowker (1848-1933), qui contribua fortement à la création en 1876 de l’American Library Association (ALA) et créa le Library Journal qu’il devait diriger pendant plus de cinquante ans. Dans une communication intitulée emphatiquement “The work of the nineteenth-century librarian for the librarian of the twentieth”, présentée en 1883 à l’occasion du sixième congrès de l’ALA, Bowker écrit notamment ceci (Bowker, 1883, p. 85).

While the scientist is translating the book of nature and rewriting its palimpsests, it is for him [the

librarian] to classify and catalogue the records of ascertained knowledge, the literature of the whole

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past, and so to bring the books to readers and readers to books. He is the merchant, the middle-man, of thought, and performs in this field the function which political economy recognizes as so important, of bringing goods to the place where they are wanted, and so, also, creating demand. In this busy generation, when the hurried man grumbles that “all the time there is” is not enough for him, the librarian makes time for his fellow-mortals by saving it; for a minute saved is a minute added. And this function of organizing, of indexing, of time-saving and of thought-saving, is associated peculiarly with the librarian of the nineteenth century.

C’est à cette mission si hautement assumée que, en apparence au moins, le projet de Tim Bernes-Lee venait se heurter. Il n’y a pas si longtemps encore, un responsable d’une bibliothèque universitaire américaine (Campbell, 2003) pouvait suggérer “that the Association of Research Libraries should seriously pursue the feasibility of developing a ‘library.org’ web presence”, entreprise chimérique visant à promouvoir “the development of and provide access to the highest quality content on the Web”, ce qui se concrétiserait par la création d’un scholars portal à propos duquel l’auteur concluait : “the need within the academic community for a scholars portal is high, and the capacity to develop it is resident in ARL [Association of Research Libraries], OCLC [Online Computer Library Center], the Library of Congress, and other agencies.”

Deux raisons solidaires justifient à nos yeux que nous ayons choisi de mettre ainsi en exergue les contraintes exprimant une attitude toujours actuelle de défiance et de péjoration à l’encontre de l’Internet. La première, c’est tout simplement qu’il s’agit là d’une contrainte qui pèse sans doute lourdement sur l’élaboration et la diffusion sociales de praxéologies de la RII : qu’on minimise son investissement didactique dans ce que, somme toute, on tient en piètre estime – le Web et ses usages – ne paraît pas, en effet, déraisonnable ; qu’on justifie la chose, à ses propres yeux, en avançant que la RII, quant à elle, ne pose guère de problème particulier dont la résolution devrait être le fait de l’usager ne le semble pas davantage. Ainsi retrouve-t-on les constats mis au point de départ de notre travail. Bien entendu, ce travail montrera que bien d’autres contraintes existent, qui vont au delà d’une « simple » attitude.

Mais c’est précisément l’effort engagé pour mettre au jour de telles contraintes qui nous

apporte une seconde raison de souligner d’emblée ces pesantes contraintes : bien que n’ayant

pas toujours manifesté le tranquille détachement qui nous aurait permis, à cet égard, une totale

lucidité (ce qui n’est guère original dans la situation qui était la nôtre), nous avons cru

constater tout au long de notre recherche combien celle-ci, en règle générale, hors du cercle

nécessairement étroit des observateurs ou accompagnateurs fortement impliqués, donnait lieu

à des malentendus, selon un mouvement logique que nous ne croyons pas caricaturer en le

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schématisant ainsi : l’Internet étant un objet à l’évidence pour le moins « terne », sinon tout à fait inintéressant, sans attractivité « scientifique », cette recherche ne devait certainement d’exister qu’à se centrer sur quelques aspects piquants, sur lequel on attendait alors mille révélations. Sans digresser plus que nécessaire sur ce point, soulignons qu’il s’agit là d’une difficulté de notre recherche qui tient, non à son objet lui-même, mais au rapport à cet objet apparemment le plus répandu, encore aujourd’hui, ce qui rend délicate l’observance pourtant indispensable du précepte fameux, formulé par Spinoza (1632-1677) dans l’introduction de son Traité politique (1677), selon lequel il nous faut « ne pas railler, ne pas déplorer ni maudire, mais comprendre » – non ridere, non lugere, neque detestari, sed intelligere.

Personnes, institutions, rapports

La manière dont les conditions et contraintes évoquées jusqu’ici s’imposent dans un milieu humain doit encore être précisée. La TAD s’est construite, nous semble-t-il, par le développement, à partir du socle initial de la théorie de la transposition didactique, de plusieurs théories « sectorielles » successives et articulées entre elles. C’est à partir de l’élaboration de la théorie des personnes, des institutions et des rapports personnels et institutionnels (Chevallard, 1989) que le qualificatif anthropologique a, semble-t-il, commencé d’être usité (Chevallard, 1992). Comme précédemment, nous n’en retiendrons ici que le minimum qui nous a paru indispensable pour notre travail, tout en nous appuyant sur un certain nombre de textes fondamentaux (par exemple Chevallard, 1995, 2003).

Le point de départ se trouve ici dans une dialectique unissant deux termes, ceux de personne et d’institution : les personnes et les institutions se définissent les unes par les autres.

Le mot d’institution est pris en TAD dans une acception des plus larges : est une institution tout ce qui peut être… institué. Une école, une classe, une séance en classe même sont des institutions (qui, en l’espèce, forment système). Une famille est une institution. Le déjeuner dominical est une institution – pourvu qu’il ait été institué, c’est-à-dire, nous le verrons un peu plus loin, qu’il soit marqué par certains rapports à peu près invariants à des objets emblématiques. La notion ainsi assumée par la TAD intègre même les emplois familiers du mot, dont le Dictionnaire culturel en langue française (Rey et al., 2005) propose l’exemple suivant : « La fraude est dans ce pays une véritable institution ! »

Les institutions sont des créations humaines ; elles ont des acteurs, qui en sont – plus ou moins – les sujets ; qui leur sont ainsi assujettis – plus ou moins strictement.

L’assujettissement d’une personne à une institution peut survivre (en se transformant plus ou

moins) au-delà de la période où l’institution regarde cette personne comme son sujet – ce

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qu’exprime par exemple le passage du statut d’élève à celui d’ancien élève. Une personne apparaît de façon générale comme la résultante d’un système évolutif d’assujettissements institutionnels : l’infans, défini comme l’enfant qui n’a pas encore acquis le langage (Sándor Ferenczi), est ainsi d’emblée assujetti au langage, et à telle langue plutôt qu’à telle autre ; il est assujetti aussi à la pesanteur, ou plutôt à la manière dont son groupe humain a institué le traitement des effets de la pesanteur, lequel varie avec l’âge, etc. Et on pourrait faire des remarques analogues pour l’ensemble des contraintes « naturelles » – physiques, biologiques, etc. –, dont le traitement donne lieu, en un groupe humain donné, à des créations institutionnelles spécifiques. Ainsi les institutions « font »-elles les personnes, qui les font et les feront, ou les déferont avant de les refaire.

Selon une formule employée par Y. Chevallard, une personne est, à chaque instant, l’émergent d’un nexus d’assujettissements passés et présents

8

. Une personne est donc tout à la fois le produit – sans producteur – des institutions existantes, y compris ces institutions par lesquelles une société définit la capacité des personnes à changer le monde, entre « libre arbitre » et « destin » –, et une innovation en puissance – qui, toutefois, ne trouvera pas toujours à « s’exprimer » –, dans la mesure où le faisceau de ses assujettissements apparaît unique ou, du moins, singulier. Une personne est ainsi une singularité de l’espace institutionnel. Deux points sont à cet égard à souligner. Le premier point tient en ceci que, contrairement à ce que certaines des formulations employées jusqu’ici pourraient porter à croire, une personne dispose bien de liberté, mais d’une liberté potentielle, qu’il lui revient chaque fois de faire advenir : prenant appui sur certains de ses assujettissement, elle peut vouloir s’assujettir à de nouvelles institutions en espérant alléger, par cela même, des assujettissements devenus « tyranniques ». Ainsi en va-t-il de qui entreprend une psychanalyse, par exemple ; ou de qui change de partenaire de vie, ou de métier ; ou encore du chercheur qui bâtit une nouvelle théorie à laquelle il s’assujettira pour se délivrer de ses points de vue anciens, tenaces mais jugés par lui, désormais, contre-productifs ; ou, aussi bien, de qui emprunte pour se libérer d’une dette

9

; etc. Il y a ainsi, dans le « jeu » renouvelé des assujettissements d’une personne – qui correspond, on le voit, à un je renouvelé –, une dialectique entre puissance (ce sont nos assujettissements qui nous donnent notre puissance d’action) et asservissement (ce sont nos assujettissements qui limitent le champ de notre action).

Le second des deux points annoncés sera plus encore au cœur de notre travail. Toute

personne cache, derrière sa singularité visible, une foule d’assujettissements, dont certains

apparaissent définitivement incorporés à la personne, et dont d’autres semblent – peut-être à

tort – n’être plus que des traces et des vestiges d’assujettissements anciens. De ce « moirage »

(31)

institutionnel de la personne, pourtant, il est en principe possible de faire ressortir tel ou tel assujettissement (ou tel « paquet » d’assujettissements) en créant momentanément, localement, des conditions auxquelles ces contraintes du comportement de la personne se révèleront sensibles – tandis que d’autres y seront insensibles ou moins sensibles –, et cela afin d’amener les assujettissements visés à s’exprimer dans le comportement de la personne.

Nous verrons plus loin comment cette possibilité théorique sera exploitée dans la méthodologie de notre recherche. Mais il faut ajouter avant cela une autre notion théorique au corpus de la TAD : celle de rapport. On retrouve là, à nouveau, le phénomène d’approfondissement théorique déjà souligné.

Par delà les institutions et les personnes, la TAD suppose des objets (et des rapports à ces objets). Un objet peut être une institution ou une personne ; plus généralement, est objet tout ce qui existe pour au moins une institution ou une personne. Un objet existe pour une personne ou une institution si celle-ci a un certain rapport à cet objet – ou plutôt : a un rapport

« non vide » à cet objet. On dit alors que la personne ou l’institution connaît l’objet – selon le rapport qui est le sien à cet objet. Un rapport (personnel ou institutionnel) subsume a priori tout ce qui entre dans le « commerce » que peut avoir la personne ou l’institution avec l’objet en question. À nouveau, ce qu’est le rapport à un objet peut varier depuis le cas limite du rapport vide – mais ce rapport n’est plus vide dès lors que quelqu’un a prononcé devant vous son nom, par exemple… – jusqu’à un rapport riche, complexe, intime, qui ne sera peut-être celui que de quelques personnes ou de très rares institutions. Le rapport d’une personne ou d’une institution à un objet peut changer : on dira alors que la connaissance qu’a cette personne ou cette institution change. Ainsi peut-on parler d’apprentissages personnels ou institutionnels.

Pour décrire le mécanisme de l’assujettissement d’une personne à une institution, il

faut affiner un peu la description précédente. Une institution donnée accueille ses « sujets »

dans des positions différenciées : on peut être sujet de l’école en tant qu’élève ou en tant que

professeur, par exemple. Étant donné une position institutionnelle, l’institution définit et

promeut un rapport institutionnel (à un objet donné) pour les sujets de l’institution occupant

cette position. Le rapport d’un professeur enseignant en collège à l’objet « brevet blanc », par

exemple, n’est ainsi pas le même que celui de l’élève au même objet. Mais ce dernier exemple

peut être trompeur : le « rapport d’un professeur » à l’objet « brevet blanc » mentionné ici est

en fait le « rapport institutionnel pour un professeur » à l’objet « brevet blanc ». Ce n’est

jamais vraiment le rapport personnel de tel ou tel professeur à ce même objet. C’est le rapport

en quelque sorte idéal proposé (en principe, bien que de façon parfois peu lisible) par

l’institution comme « modèle » du rapport personnel qui devrait être celui de ses sujets venant

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occuper la position : ce n’est en fait le rapport de personne, parce que toute personne est pluri- assujettie et que son rapport à un objet ne saurait être engendré totalement (même s’il l’est principalement) par son assujettissement à une institution, qui plus est dans une position au sein de cette institution. Pour que la personne occupant telle position apparaisse alors comme un « bon sujet » devant l’institution, il suffira que son rapport personnel soit regardé comme conforme au rapport institutionnel pour la position qu’il occupe – ce qui suppose une évaluation par l’institution, question dans laquelle nous n’entrerons pas plus ici. Bien entendu, telle personne pourra alors apparaître comme un « mauvais sujet » de l’institution, parce que ses assujettissements antagonistes à d’autres institutions se laisseront trop bien apercevoir depuis l’institution où, par exemple, elle tente de se fait agréer comme sujet « à part entière ».

À cet égard, on notera que chacun oscille, dans la mise en scène de ses assujettissements (vécus souvent comme constitutifs de sa « personnalité ») entre histrionisme et retenue ; dans tous les cas, la « clinique » des personnes doit être attentive à l’idée d’explorer ce qui peut se tenir derrière ce que la personne exhibe ou cèle.

La théorie des rapports ainsi développée a de nombreuses implications, en particulier au plan de la méthodologie, nous le verrons. Notons ici seulement deux phénomènes qui concernent au premier chef les communautés scientifiques. Une institution ne définit de rapport (non vide), pour les positions existant en son sein, qu’à propos d’un certain ensemble d’objets, qui d’ailleurs peut varier avec la position (les personnes dans telle position n’ayant pas à connaître, en tant que sujets de l’institution, tel objet que d’autres sujets de l’institution, en une position différente en son sein, devront connaître selon tel rapport institutionnel).

Lorsque, pour une position donnée, existe un rapport institutionnel non vide à un certain objet, on pourra dire que cet objet est visible depuis la position considérée au sein de l’institution.

On dira que l’objet n’est pas visible depuis l’institution s’il n’est visible depuis aucune des

positions existant en son sein. (Il revient au même de dire que l’objet n’existe pas pour

l’institution ou que l’institution ne connaît pas cet objet.) Si, en outre, une personne n’a jamais

été assujettie qu’à des positions institutionnelles d’où tel objet est (ou était) invisible, cet objet

n’existera pas pour lui. Cela noté, lorsque l’institution considérée est une communauté

scientifique, les recherches accomplies en son sein ont en principe pour effet ou d’y rendre

visibles des objets qui ne l’étaient pas, et donc de proposer des rapports institutionnels là où il

n’y avait rien – ou, du moins, rien de problématique –, ou de porter sur ces objets un autre

regard, c’est-à-dire de proposer un remodelage du rapport institutionnel. Quand elle ne

manque pas sa cible, une recherche porte en elle, ainsi, l’exigence d’apprentissages nouveaux

de la part de la communauté où elle s’inscrit et, en conséquence, de la part de ses « sujets »,

chercheurs et responsables de la communauté. C’est ainsi que, comme on le verra, la

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