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Peut-on échapper à l'épiphénoménisme ? : une immersion dans la psychophysiologie britannique de la seconde moitié du XIX° siècle

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Academic year: 2021

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HAL Id: tel-03102825

https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-03102825

Submitted on 7 Jan 2021

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Peut-on échapper à l’épiphénoménisme ? : une

immersion dans la psychophysiologie britannique de la

seconde moitié du XIX° siècle

Hortense De Villaine

To cite this version:

Hortense De Villaine. Peut-on échapper à l’épiphénoménisme ? : une immersion dans la psychophys-iologie britannique de la seconde moitié du XIX° siècle. Philosophie. Université de Nanterre - Paris X, 2020. Français. �NNT : 2020PA100050�. �tel-03102825�

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Thèse préparée au sein du laboratoire IRePh, Institut de Recherches Philosophiques, 200 Avenue de la République, 92000 Nanterre

https://ireph.parisnanterre.fr/

R

ESUME

Dans la seconde moitié du XIXᵉ siècle britannique, le nombre d’ouvrages, d’articles ou de conférences se rapportant au problème des rapports entre l’esprit et le corps est particulièrement conséquent. En effet, cette époque est caractérisée par la formulation de la théorie de l’évolution de Darwin, par l’émergence des sciences du cerveau, et par une lutte pour l’autorité intellectuelle entre les élites traditionnelles et certains scientifiques fraîchement arrivés sur la scène culturelle. Dans ce cadre, des scientifiques, rejetant la tutelle métaphysique ou théologique de la science, souhaitent aussi arracher la question de l'esprit des mains des métaphysiciens et théologiens, pour proposer une étude expérimentale des liens entre phénomènes physiques et phénomènes mentaux. Ils s'aventurent alors sur le terrain de la philosophie de l'esprit, proposant leurs propres théories concernant les relations de l'esprit et du corps. La thèse centrale et très discutée est celle de l’épiphénoménisme, telle qu’elle a été présentée par Thomas Henry Huxley en 1874. Elle stipule l'inefficacité causale des états mentaux sur le corps, animal ou humain, et fait de la volonté une illusion de la conscience. La formulation originaire de l'épiphénoménisme est par ailleurs solidaire de deux autres thèses centrales : l'agnosticisme métaphysique et la conception mécaniste du monde. Toutefois, certains scientifiques ou philosophes qui militent en faveur d’une prise en compte de la physiologie dans l’étude de l’esprit ne souscrivent pas à l’épiphénoménisme. Les critiques formulées à l’encontre de l’automatisme de Huxley ne proviennent donc pas uniquement des défenseurs de la liberté métaphysique et de la responsabilité humaine. Par ailleurs, il est possible de relever des nuances voire des désaccords théoriques chez les divers adhérents à l’automatisme.

Le problème des rapports de l’esprit et du corps constitue à nos yeux une nouvelle porte d’entrée dans les débats de cette époque. Il nous a permis d’identifier un mouvement philosophique que nous avons qualifié de « philosophie psychophysiologique victorienne » et dont cette thèse a pour ambition d'être la première exploration globale et systématique. Les principaux auteurs étudiés sont les suivant : Thomas Henry Huxley, John Tyndall, William Clifford, Henry Maudsley, Alexander Bain, William B. Carpenter, George Henry Lewes et George Romanes.

Mots-clés : épiphénoménisme, Thomas Huxley, William Clifford, psychophysiologie,

Royaume-Uni, époque victorienne, philosophie de l’esprit, sciences du cerveau, problème esprit-corps.

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Can we escape epiphenomenalism? An immersion in British

psychophysiology: 1850-1900.

A

BSTRACT

During the second half of the nineteenth century in Great Britain, a substantial number of articles, conferences and books were dedicated to the mind-body problem. This period was indeed marked by the Darwinian theory, the development of brain sciences, together with the fight for intellectual leadership between some scientists and traditional authorities. A certain number of scientists rejected the theological tutelage of science as well as the metaphysical studies of the mind. They defended an experimental approach to the mind-body problem. Therefore, they started developing their own philosophy of mind. The most controversial thesis debated in this overall context was the thesis of epiphenomenalism formulated by Thomas Huxley in 1874. He argued that mind was causally inefficient, thus saying that the conscious will was an illusion. The defence of this astonishing position is related to two other main ideas: metaphysical agnosticism and the mechanical conception of the world. Even though it was widely accepted among Huxley’s close colleagues, this thesis was criticised by some people who also defended a scientific study of the mind.

The mind-body problem thus appeared to us as a new way to enter the controversies of this time. Its study enabled us to identify a philosophical movement, which we labelled “Victorian psycho-physiological philosophy” and which this work aims at providing a global and systematic exploration of. The main authors of this study are the following: Thomas Henry Huxley, John Tyndall, William Clifford, Henry Maudsley, Alexander Bain, William B. Carpenter, George Henry Lewes and George Romanes.

Key-words: epiphenomenalism, psychophysiology, United-Kingdom, Victorian era,

mind-body problem, brain sciences, Thomas Huxley, John Tyndall, William Clifford, Henry Maudsley, George Henry Lewes.

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R

EMERCIEMENTS

Je tiens tout d’abord à remercier chaleureusement Monsieur Denis Forest, Professeur à l’Université Panthéon Sorbonne, qui m’a encadré tout au long de cette thèse. Il m’a non seulement fourni des conseils bibliographiques qui ont été déterminants pour la redéfinition du sujet, mais il a aussi été présent pour me lire, me corriger, me faire progresser tout au long de ces cinq années. Je le remercie donc pour sa disponibilité, son grand travail, et ses nombreux encouragements, qui ont plus que largement contribué à l’aboutissement de ce projet de recherche. Je le remercie d’avoir monté le groupe « Mind » qui m’a permis de travailler avec ses autres doctorants, d’aller exposer nos recherches au Canada, et de s’entre-aider régulièrement. Je suis ravie du bout de chemin philosophique parcouru ensemble, et je ne doute point que nous continuions à nous amuser avec les textes de Laycock ou de Carpenter par exemple.

Je souhaite de plus remercier les différents membres de mon jury, tout d’abord d’avoir accepté de siéger à ma soutenance, mais surtout, conséquence fâcheuse, d’avoir accepté de lire les quelques dizaines de pages ainsi infligées en période de vacances scolaires. Heureusement pour moi, les circonstances exceptionnelles n’étaient pas propices à des voyages exotiques ou excursions au bout du monde. J’adresse donc mes chaleureux remerciements à Madame Delphine Mahut, qui a accepté d’être rapportrice de ma thèse. Delphine Antoine-Mahut a été ma directrice de recherche en Master 2, et m’a redonné le goût à la recherche en philosophie après un Master 1 en demi-teinte. Son aide fut déterminante pour préparer mon projet de thèse et à obtenir le Saint Graal, le fameux contrat doctoral qui conditionne dans une large mesure l’aboutissement des recherches en humanités. Je lui en suis donc infiniment reconnaissante.

J’adresse de plus tous mes remerciements à Madame Catherine Marshall, qui a accepté d’être rapportrice d’une thèse de philosophie, alors qu’elle est professeure des universités en histoire et civilisation britanniques à l’université de Cergy. La période et les auteurs étudiés étant dans une large mesure inconnus d’un public de philosophe, ses travaux d’historienne m’ont été d’une grande aide. Ainsi, la publication par Catherine Marshall des conférences de la « Metaphysical Society » m’a été d’un grand secours pour approfondir et compléter nombre de mes analyses. J’espère que cette soutenance ouvrira la possibilité de futures collaborations sur les auteurs qui nous intéressent toutes les deux.

Je tiens à exprimer mes remerciements à Monsieur Philippe Hamou, professeur des universités à l’Université Paris Nanterre. Du point de vue de la recherche, Philippe Hamou a toujours été très actif dans notre équipe d’accueil, notamment pour rompre l’isolement des chercheur.ses, problème récurrent qui pèse souvent aux nouveaux arrivants. Il a ainsi monté le groupe de philosophie classique, afin de discuter d’articles à paraître de manière constructive et dans un cadre amical. Il a invité nombre de professeurs étrangers au séminaire de l’IRePh, et s’est toujours rendu disponible pour organiser des événements et pots qui rendent le travail de recherche plus sociable et plus humain. Je le remercie donc de m’avoir fait découvrir et

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4 redécouvrir l’aspect collectif de la recherche, mais aussi de l’enseignement. En effet, j’ai passé trois années à donner les travaux dirigés rattachés à son cours magistral, trois années au cours desquelles nous avons pu échanger sur les contenus et au cours desquelles j’ai donc beaucoup appris.

J’adresse tous mes remerciements au professeur Arnaud François, qui n’a pas pour habitude de lire des thèses en juillet, mais bien davantage de participer aux Université d’été annuelles du réseau OFFRES. Ce réseau international, dont je suis une membre active, m’a permis de rencontrer des enseigant.e.s et des chercheur.se.s francophones de toute l’Europe, dans un cadre propice aux échanges intellectuels et amicaux. Mon investissement dans ce réseau fut un pur bonheur, et m’aida à obtenir un poste en Russie afin de finir ma thèse dans de bonnes conditions. Merci donc à Arnaud François pour les efforts colossaux qu’il a fait en tant que président du réseau afin que vive cette superbe structure d’échanges.

Last, but clearly not least, merci infiniment à Madame Sandrine Roux pour tous ses précieux conseils enjoués autour d’un café près de la dalle des Olympiades. J’ai beaucoup appris en assistant à sa soutenance de thèse, et en ayant la chance d’échanger avec elle à diverses reprises. On sous-estime souvent l’importance pour les jeunes arrivant.e.s dans la recherche des conseils et récits d’expérience de celles et ceux qui viennent de finir leur thèse. Pourtant, de tels conseils et récits sont précieux car précis, tout en étant concrets et pragmatiques. Merci donc d’avoir pris le temps de partager ton expérience, et de m’avoir offert le super ouvrage que tu as dirigé, Le corps et l’esprit : problèmes cartésiens, problèmes contemporains.

J’exprime ma gratitude à tous les membres de l’IRePh, mon équipe d’accueil, pour les éclairages qu’ils ont pu m’apporter sur mon sujet lors des journées annuelles des doctoriales, et pour les divers événements de recherche organisés à Nanterre. Plusieurs membres de l’IRePh, comme Claire Etchegaray et Claire Schwartz, m’ont encouragée et soutenue tout au long de ma thèse, et je les en remercie vivement. Le soutien de l’IRePh m’a aussi permis d’aller donner des conférences dans différents pays, et d’organiser l’Université d’été du réseau OFFRES en Russie.

Enfin, je tiens à remercier ma famille, pour avoir fait semblant de s’intéresser à la philosophie, sans m’épargner la moindre blague sur les mots de 5 syllabes et plus. Je remercie chaleureusement la fine équipe des doctorant.e.s de philosophie de Nanterre, dont le soutien a été plus que déterminant dans les moments de doute et de fatigue. Merci pour votre engagement et votre lucidité qui m’ont été d’une aide très précieuse. Evidemment, un immense merci à mes relecteurs/ relectrices pour leur intransigeance vis-à-vis de mes petites fautes de langue et expressions douteuses. Et bien sûr, je tiens à remercier tous ceux et toutes celles qui ont participé de près ou de loin à faire de ces cinq années une grande aventure intellectuelle mais pas que ….

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Table des matières

RESUME ... 1

ABSTRACT ... 2

REMERCIEMENTS ... 3

Introduction : le problème esprit-corps dans le Royaume-Uni victorien (1850-1900) ... 9

Première partie : Définition de la philosophie psychophysique et de ses thèmes phares ... 41

Chapitre 1. Problèmes de méthode et présentation des auteurs engagés dans le débat ... 43

1. Les obstacles méthodologiques contextuels et rhétoriques ... 44

➢ L’entrelacement des questions philosophiques, scientifiques et sociopolitiques ... 44

➢ Une rhétorique de combat ... 50

2. Qualifier le mouvement intellectuel qui intéresse notre étude ... 52

➢ Le « naturalisme scientifique » comme catégorie historiographique . 52 ➢ La psychophysiologie comme mouvement proprement philosophique ……….61

3. Les thèses défendues et les auteurs impliqués dans le débat : tableau de la philosophie psychophysiologique dans la seconde moitié du XIXᵉ siècle britannique ... 72

➢ Les épiphénoménistes ... 73

➢ Les thèses issues de l’étude du réflexe cérébral ... 86

➢ Les auteurs monistes ... 91

➢ Naissance et revendication d’une science indépendante de la philosophie et de la physiologie : la psychologie ... 94

➢ Deux absences : Darwin et Spencer ... 100

4. Par-delà le brouillard britannique ... 104

➢ Une influence phrénologique ?... 104

➢ La querelle du matérialisme en Allemagne ... 106

➢ Fechner et le parallélisme psychophysique ... 111

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6 Chapitre 2. Une immersion dans la philosophie psychophysiologique victorienne : les topoï de cette littérature dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle

britannique. ... 116

1. La constitution d’une science expérimentale de l’esprit ... 116

La revendication d’une étude scientifique de l’esprit ... 116

➢ Déterminer cette science de l’esprit... 138

➢ Une naturalisation de l’esprit, sans matérialisation ... 153

2. La critique de la métaphysique et le refus de tout traitement métaphysique de la question de l’esprit ... 182

➢ La métaphysique comme épouvantail ... 183

➢ L’interprétation de ce rejet unanime ... 199

3. Rejet de la métaphysique et scientisme. La défense d’une épistémologie empiriste et la question des limites de la connaissance ... 211

➢ Les qualités morales et intellectuelles à l’œuvre dans la science : la constitution d’un éthos du scientifique chez John Tyndall ... 212

➢ Un naturalisme contradictoire ? Le cas de William Clifford ... 219

➢ L’agnosticisme de Thomas Henry Huxley ... 239

Deuxième partie : La conception mécaniste de l’univers et l’épiphénoménisme ... 279

Chapitre 3. Univers mécanique, loi de conservation de l’énergie et automates : les étapes de l’assimilation du corps humain à une machine ... 282

1. La conception mécaniste de l’univers : entre épistémologie et idéologie. Huxley, Clifford et Tyndall ... 283

➢ Présentation de la conception mécaniste de l’univers chez Huxley et Clifford : un mécanisme épistémologique ... 283

➢ La loi de conservation de l’énergie et son effet sur la conception mécaniste de l’univers ... 301

➢ Deux problèmes corrélatifs : la notion de force et le risque d’idéologie lié à la loi de conservation de l’énergie. ... 308

➢ Entre idéologie et épistémologie : relecture des deux textes à plus forte teneur polémique ... 314

2. Efficacité de la prière et possibilité théorique des miracles. Deux débats majeurs autour de la conception mécaniste du monde ... 323

➢ Le problème de l’efficacité de la prière, et la mobilisation de la loi de conservation de l’énergie par Tyndall ... 323

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7 ➢ Le problème des miracles : Huxley et le débat de la Metaphysical

Society ... 341

➢ Expliquer la croyance dans le surnaturel pour mieux la combattre : l’ouvrage Causes naturelles et apparences surnaturelles de Maudsley ... 367

3. Le mécanisme appliqué aux êtres vivants : Huxley, Tyndall et Maudsley ………..385

➢ La continuité entre le non-vivant et le vivant ... 385

➢ L’inscription de l’être humain dans ce mécanisme global et l’automatisme du corps humain ... 397

Chapitre 4. L’épiphénoménisme : histoire et analyse détaillée ... 405

1. Présentation de l’épiphénoménisme ... 405

➢ L’épiphénoménisme : une nécessité scientifique ? L’exclusion des états mentaux de la chaîne de causalité physique ... 405

➢ Histoire de l’épiphénoménisme victorien : Shadworth Hodgson ... 411

➢ Le succès de l’épiphénoménisme : Huxley « Sur l’hypothèse selon laquelle les animaux sont des automates et l’histoire de cette hypothèse »………..………...416

2. La genèse de l’épiphénoménisme dans la pensée de Huxley ... 435

➢ La conférence de 1868 : « Sur le socle physique de la vie » ... 436

➢ La conférence de 1870 : « La grenouille a-t-elle une âme ? » ... 449

L’essai de 1870 sur le Discours de la méthode ... 458

➢ L’essai de 1871 : « Les critiques de M. Darwin » ... 465

3. Epiphénoménisme et matérialisme ... 469

➢ Huxley est-il matérialiste ? ... 471

➢ Le rôle de la philosophie de Clifford ... 487

➢ Pour une interprétation dualiste de l’épiphénoménisme de Huxley . 493 ➢ Le rôle de la philosophie de Clifford, deuxième argument ... 501

➢ Conclusion : Maudsley et Huxley ... 519

Troisième partie : Les solutions alternatives et critiques de l’épiphénoménisme ... 530

Chapitre 5. Les critiques et solutions alternatives qui préservent l’efficacité de la volonté ... 533

1. Alexander Bain et l’étude psychologique de l’esprit humain ... 533

Les sens et l’intelligence ... 537

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L’esprit et le corps ... 548

2. William Benjamin Carpenter et la notion de sens commun ... 565

➢ « La philosophie de la causalité de sens commun » ... 570

➢ « Qu’est-ce que le sens commun ? » ... 579

➢ « Sur la doctrine de l’automatisme humain » ... 589

Préface de la quatrième édition des Principes de physiologie mentale ………...601

Chapitre 6. Les critiques monistes de l’automatisme ... 616

1. George Henry Lewes et la redéfinition de la conscience ... 617

➢ « La moelle épinière en tant que centre de sensation et de volition » ………...620

La physiologie de la vie ordinaire ... 624

Les fondations d’un corps de principes ... 638

Le socle physique de l’esprit ... 664

L’esprit en tant que fonction de l’organisme ... 683

2. George Romanes : l’agnosticisme et l’argument darwinien ... 687

➢ La croyance en l’efficacité des prières ... 694

➢ L’adhésion de Romanes au naturalisme scientifique ? ... 709

➢ La critique des automates conscients ... 729

L’adhésion au monisme ontologique ... 754

Epilogue. Les critiques de l’automatisme dans le monde scientifique victorien : Le cas de L’univers invisible ... 767

➢ Présentation de l’ouvrage ... 768

➢ Lecture suivie de l’ouvrage de Balfour Stewart et Peter Tait ... 773

➢ Réactions, interprétations et critiques ... 794

Conclusion ... 812

BIBLIOGRAPHIE : LITTERATURE PRIMAIRE ... 838

BIBLIOGRAPHIE : LITTERATURE SECONDAIRE ... 843

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Introduction : le problème esprit-corps dans le

Royaume-Uni victorien (1850-1900)

Dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle anglais, le problème des rapports entre l’esprit et le corps fait figure de question intellectuelle majeure, mobilisant des auteurs aux formations, aux parcours intellectuels, et aux spécialités très divers. Les décennies 1860 et surtout 1870 sont ainsi marquées par une floraison d’œuvres concernant le rapport du corps et de l’esprit, rédigées aussi bien par des scientifiques que par des philosophes, des représentants du clergé ou des intellectuels travaillant en dehors de toute affiliation académique. En témoignent le nombre important d’ouvrages ou de conférences portant le titre de « Body and Mind ». Nous pouvons citer l’ouvrage du psychiatre Maudlsey, Body

and Mind, an inquiry into their connection and mutual influence, datant de 1871 ; celui du philosophe Alexander Bain, Mind and Body, the theories of their

relations de 1873, ou la conférence prononcée en 1874 par le mathématicien William Kingdon Clifford, « Body and Mind ». Les questions de philosophie de l’esprit sont le lieu de nombreux débats, et aucune thèse ne semble fixée définitivement ou l’emporter de manière décisive. Tel est le constat effectué en 1874 par Douglas Spalding qui avance, à propos de la psychologie expérimentale, qu’« il n’y a dans aucun département du savoir revendiquant le nom de science de doctrine si peu établie»1. Comment expliquer cette multiplication soudaine du

nombre d’ouvrages concernant la philosophie de l’esprit ainsi que la diversité des auteurs engagés dans le débat ?

1 SPALDING, Douglas, « Ribot’s ‘English Psychology’ », Nature, June, 4, 1874, p. 82. «In no

department of knowledge claiming the name of Science is there so little settled doctrine…» Nous traduisons. De manière générale nous traduisons toutes les citations originellement en langue anglaise, sauf indication contraire.

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10 Avant le tournant du XXe siècle, au Royaume-Uni, la psychologie n’est pas

encore constituée en science indépendante et autonome2, et la spécialisation

académique dans le monde intellectuel est suffisamment faible pour qu’aucune discipline ne puisse se réserver le traitement exclusif du problème esprit-corps. Les questions qui ressortissent aujourd’hui à la psychologie ou à la philosophie de l’esprit étaient, dans la seconde moitié du XIXᵉ siècle britannique, des questions ouvertes à des intellectuels de formations ou spécialités diverses et variées. L’historien de la psychologie, William R. Woodward, définit l’objet de l’ouvrage collectif qu’il a dirigé sur la psychologie au XIXᵉ siècle :

« Nous voulons surtout faire comprendre que la psychologie n'était pas l'apanage du philosophe, du médecin, du pédagogue ou du scientifique, mais l'effort commun de tous ceux-ci et plus encore. »3

De plus, en raison de cette spécialisation relativement faible du paysage académique, de nombreux intellectuels victoriens sont davantage généralistes qu’entièrement dévoués à une discipline académique précise. Ainsi, Henry Maudsley, considéré comme un des fondateurs majeurs de la psychiatrie en Angleterre est membre du Royal College of Physicians, mais il s’est aussi consacré à la rédaction d’un article et d’un ouvrage sur l’œuvre de Shakespeare. Autre exemple, l’intellectuel George Henry Lewes, qui multiplie les publications sans aucune affiliation académique, et qui endosse les différents visages de romancier, journaliste, critique littéraire, historien de la philosophie, physiologiste disséquant les grenouilles, et bien d’autres encore. Il est représentatif d’un univers victorien qui n’est pas marqué par une spécialisation académique stricte, mais par un dialogue constant entre les différentes disciplines, notamment en ce qui

2 Rick RYLANCE souligne que la psychologie ne devient une discipline académique à part

entière, indépendante des sciences du cerveau et de la philosophie, et caractérisée par certaines procédures expérimentales, qu’à la fin des années 1890. RYLANCE, Rick, Victorian Psychology and British Culture. 1850-1880, New York: Oxford University Press, 2000, p. 7.

3 WOODWARD, William Ray, «Introduction. Stretching the Limits of Psychology’s History.’ In

WOODWARD, William Ray et ASH, Mitchell G. The Problematic Science: Psychology in Nineteenth-Century Thought. New York, N.Y: Praeger, 1982, p. 1.

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11 concerne la question des phénomènes mentaux. Par ailleurs, la seconde moitié du XIXᵉ siècle anglais est marquée par l’arrivée sur la scène intellectuelle de scientifiques ne provenant pas des formations traditionnelles offertes à Oxford et Cambridge, mais qui revendiquent haut et fort une place dans le monde intellectuel, et n’hésitent pas à investir les débats philosophiques4. Thomas Henry

Huxley peut être considéré comme un des exemples emblématiques de cette nouvelle vague de scientifiques influents non issus des parcours académiques traditionnels. Or Sherrie Lyons souligne que s’il est fondamentalement un scientifique :

« les centres d’intérêt de Thomas Henry Huxley couvraient virtuellement tous les domaines de la connaissance humaine. (…) Il a écrit et donné des conférences sur l'éthique, ainsi que sur la théologie, sur la métaphysique, et il a participé à diverses controverses politiques. »5

Ainsi, la faible spécialisation des intellectuels victoriens, alliée à la montée en puissance d’homme de sciences sur la scène intellectuelle, favorise des débats impliquant des personnalités aux connaissances et centres d’intérêt variés, notamment en ce qui concerne des questions autrefois réservées aux initiés en métaphysique ou en théologie. La question des rapports entre le corps et l’esprit se présente donc, dans la seconde moitié du XIXᵉ siècle britannique, comme la

4 LIGHTMAN, Bernard, Evolutionary Naturalism in Victorian Britain. The ‘Darwinians’ and

their Critics, Burlington: Ashgate Publishing Company, 2009, p. VII: «When Thomas Henry Huxley’s generation arrived on the scene at the mid-point of the nineteenth century, a changing of the guard took place within the British scientific leadership. Many of the middle-class ‘Young Turks’ of science, including Huxley and John Tyndall, came from outside the Oxfbridge environment. Whereas the gentleman of science of the first half of the century, including Oxbridge products John Herschel and William Whewell, had insisted that knowledge of nature was to be conceived within a religious framework, the aims of this new group included the secularization of nature, the professionalization of their discipline, and the promotion of expertise. Huxley had a catchy name for this new vision of an emancipated, professionalized science: scientific naturalism. »

5 LYONS, Sherrie, «Convincing Men They Are Monkeys», in BARR, Alan P. (ed.), Thomas

Henry Huxley’s Place in Science and Letters: Centenary Essays. London: University of Georgia Press, 1997, p. 95.

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12 principale question interdisciplinaire, appelant des réponses multiples et suscitant nombre de débats.

Les discussions et prises de position à ce sujet se déroulent à l’occasion de rencontres interdisciplinaires, aussi bien publiques que privées, bénéficiant d’un large public pour certaines ou restreintes aux cercles d’initiés pour d’autres. Le premier exemple, et le plus représentatif est la Metaphysical Society (Société de Métaphysique), fondée en 1869 et dissoute en 1880. Elle compte parmi ses membres différents représentants du clergé, anglican et catholique, tout comme des philosophes (Shadworth Hodgson, Henry Sidgwick par exemple) et des naturalistes scientifiques très connus à l’époque, tels que Thomas Huxley et John Tyndall. Les membres de cette société se réunissaient neuf fois par an à Londres, afin de débattre d’un certain nombre de sujets, parmi lesquels figurent « l’immortalité et l’identité personnelle de l’âme » et « la nature de la conscience ». Ils s’étaient aussi fixé comme but de recueillir des observations qui portent sur la question des relations entre le corps et l’esprit, et entre la physique et la métaphysique. Les réunions privées de cette société font donc figure de lieu d’échange interdisciplinaire, consacré pour une large part au problème corps-esprit. En parallèle, les réunions annuelles de la British Association for the

Advancement of Science offrent un deuxième lieu majeur d’expression de positions relatives à cette question. Cette association réunit un nombre particulièrement conséquent de scientifiques, dans une définition très large de la science. Elle comporte ainsi les sections mathématiques, biologie, géologie, zoologie, ingénierie civile, mais aussi les sections qui relèvent de ce que l’on nomme aujourd’hui les sciences humaines, telles que la géographie ou l’anthropologie. Les conférences portent tout aussi bien sur des questions techniques très spécialisées que sur des thèmes plus généraux, tel que celui du rôle de la science ou de ses méthodes propres. En 1874, John Tyndall, alors président de l’Association, prononce devant 1 900 personnes une conférence qui

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13 lui vaudra de sérieuses accusations de matérialisme, car il soutient que la vie dérive de la matière en vertu de l’évolution. Lors des conférences du soir de cette même année, le biologiste Thomas Huxley affirme l’inefficacité causale de la conscience, définissant cette dernière comme un épiphénomène. Les réunions de cette association font donc figure de lieu d’expression de positions théoriques bénéficiant d’un très large public et d’un relais important dans la presse et l’ensemble du monde intellectuel. Enfin, la Sunday Lecture Society, fondée par Thomas Huxley, avait pour but de proposer une activité séculière et intellectuelle le dimanche, notamment aux personnes des classes populaires. Les conférences proposées par cette société font aussi office de lieu d’expression de certaines conceptions des rapports du physique et du mental, comme le confirme la conférence « Le corps et l’esprit » prononcée par William Clifford à cette occasion.

En parallèle de ces associations et sociétés, qui offrent un lieu d’expression et de débat interdisciplinaires, plusieurs revues à grand tirage se font les vecteurs des débats pour le grand public. La revue mensuelle The Nineteenth Century, fondée en 1877 par l’architecte James Knowles, membre de la Metaphysical

Society, bénéficia d’un succès immédiat et jouissait d’une grande influence sur

l’opinion publique. Thomas Huxley n’y publia pas moins de treize articles en moins de quatre ans. Les revues Mind et surtout The Fortnightly Review étaient aussi des relais des débats intellectuels pour le grand public. La dernière était éditée par James Morley, un homme originaire des cercles intellectuels d’Oxford, mais profondément athée, dont le journal servait de lieu d’expression et de transmission des idées non orthodoxes. Il publiait ainsi régulièrement les conférences prononcées à l’occasion des Sunday Lectures. La seconde moitié du XIXᵉ siècle se caractérise en effet par le développement d’une lecture de masse permise par les nouvelles techniques d’impression et de diffusion des journaux et ouvrages. Or, le développement de ce lectorat implique un changement de nature

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14 de la controverse scientifique, qui ne se déploie plus uniquement au sein des sociétés spécialisées, entre pairs. De plus, il permet à certains scientifiques hétérodoxes de contourner les autorités intellectuelles et scientifiques reconnues afin d’acquérir une influence notable par la mobilisation de cette audience non spécialisée. En effet, ce nouveau lectorat constitué majoritairement de membres de classes moyennes éduqués mais non-spécialistes, était très friand de vulgarisation scientifique, et en particulier des récits de nouvelles découvertes ou des controverses quant au sens à accorder à ces découvertes6. Ce public permet de

développer un savoir aux marges de la science officielle, qui finira même par la supplanter.

Les années 1860 et surtout 1870 se caractérisent donc par une grande effervescence sur la scène intellectuelle anglaise, favorisée par des réunions interdisciplinaires mettant en contact les différents acteurs des débats et jouissant de nombreux relais dans le grand public. Cette effervescence est principalement liée aux découvertes scientifiques qui ont eu lieu depuis deux décennies, notamment en ce qui concerne la théorie de l’évolution et le fonctionnement cérébral ; et à une communication plus agressive et volontaire de la part des hommes de science. Les découvertes scientifiques, ainsi que leur impact social, éthique, philosophique et théologique sont donc au cœur des débats. Un article anonyme publié en 1874 dans The Westminster Review soutient ainsi que les progrès effectués en psychologie par cette génération sont les plus grands jamais réalisés depuis la fondation de cette science, et ce en raison de l’étude de la face physique du mental, et de l’inclusion de l’esprit dans le grand mouvement de l’évolution :

« les progrès effectués en Psychologie dans la période actuelle sont non seulement les plus grands jamais été effectués auparavant sur une telle période, mais aussi les plus

6 LIGHTMAN, Bernard, «Victorian Periodicals, Evolution, and Public Controversy»,

Spontaneous Generations: A Journal for the History and Philosophy of Science, Vol. 5, No. 1, 2011, pp. 5-11.

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15 grands jamais faits depuis la fondation de la science. L’acquisition importante de faits nouveaux, la description fidèle des phénomènes, leur réduction à des lois et l’investigation des « côtés » physiques des produits mentaux, que nous devons au Professeur Bain ; et l’application à l’esprit de la philosophie révolutionnaire de l’évolution, que nous devons à M. Herbert Spencer ; ont changé non seulement l’aspect, mais aussi la constitution de la Psychologie »7.

L’auteur identifie donc deux aspects de la révolution psychologique : l’application des méthodes et découvertes importées des sciences physiques à l’étude des phénomènes mentaux, et la théorie de l’évolution qui mène à nier le caractère substantiel de l’esprit ainsi que son origine divine.

Toutefois, si l’auteur précédemment cité considère qu’Alexandre Bain est le premier à avoir exploré le « côté physique des produits mentaux », nous pouvons émettre un désaccord quant à son jugement historique qui oblitère, peut-être volontairement, le travail de Gall et de la phrénologie. En effet, un certain nombre d’auteurs dans la deuxième moitié du XIXᵉ siècle britannique défendent la thèse selon laquelle la psychologie et la philosophie de l’esprit doivent intégrer les recherches de physiologie cérébrale et se nourrir des sciences du cerveau. En ceci, leur revendication n’est pas nouvelle : Gall entendait précisément localiser les fonctions mentales dans des aires cérébrales déterminées. Ainsi, Canguilhem souligne que l’étude du système nerveux central, qu’il considère comme l’originalité scientifique du XIXᵉ siècle, débute avec Gall8. Plus encore, Gall

établit un principe de dépendance des fonctions étudiées vis-à-vis de leur siège cérébral : il place donc les facultés traditionnellement qualifiées de « mentales »

7 The Westminster Review, vol. 101, London: Trübner & Co., 1874, pp. 396-397. «the progress

made by Psychology within the present generation is not only far greater than has been before made in any period of equal length, but greater than has been made since the foundation of science. The large acquisitions of new facts, the faithful description of phenomena, the reduction of them to law and the investigation of the physical «sides» of mental products, which we owe to Professor Bain; and the application to mind of the revolutionary philosophy of evolution, which we owe to Mr. Herbert Spencer; have changed not only the aspect but the constitution of Psychology. »

8 CANGUILHEM, Georges, « La constitution de la physiologie comme science » in Études

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16 sous la stricte dépendance du cerveau. Sur les îles britanniques, c’est principalement à Édimbourg que le travail de Gall fut le plus repris, commenté et discuté. Geoffrey Cantor explique ainsi que « à Édimbourg, la connaissance des doctrines anatomiques et phrénologiques de Gall et Spurzheim fut graduellement disséminée pendant les deux premières décennies du dix-neuvième siècle. »9 Le

débat concernant la phrénologie débuta par deux attaques contre les travaux de Gall et Spurzheim dans la Edinburgh Review, en 1803 et 1815, rédigées par les philosophes de l’école écossaise Thomas Brown et John Gordon. La première marqua le début d’un certain intérêt pour la phrénologie dans la littérature spécialisée, et la seconde entraîna le déplacement de Spurzheim à Édimbourg qui vint donner une série de conférences pour défendre la phrénologie. C’est alors que George Combe, convaincu par les conférences et débats publics de Spurzheim, devint le principal promoteur de la phrénologie à Édimbourg. En 1820, il participa avec son frère (qui avait suivi des études de médecine à Paris) à la création de la

Phrenological Society qui se dota rapidement d’un journal pour promouvoir les

idées de Gall et Spurzheim. Parmi leurs opposants figuraient aussi bien des médecins que des philosophes et des représentants du clergé. La phrénologie fut vite taxée de « matérialiste » et de « déterministe » et donc présentée comme dangereuse pour l’ordre moral et social. Or, le débat porta en grande mesure sur la méthode d’étude des phénomènes mentaux : les philosophes de l’école écossaise, tels que Brown ou Hamilton, défendaient une étude introspective de l’esprit humain. Ils refusaient ainsi un mode d’étude de l’esprit via le cerveau, qu’ils considéraient comme nécessairement déterministe.

Ce très rapide aperçu historique montre que les auteurs de la deuxième moitié du XIXᵉ siècle ne sont pas les premiers à nier haut et fort l’indépendance de l’esprit vis-à-vis du corps, et plus précisément du cerveau. L’idée même selon

9 CANTOR, Geoffrey N., « The Edinburgh Phrenology Debate: 1803-1828», Annals of Science,

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17 laquelle l’étude du système nerveux central a des choses à nous apprendre sur le fonctionnement de l’esprit n’est pas une nouveauté des années 1850-1860. Néanmoins, si la thèse d’une détermination des fonctions mentales par le cerveau reste omniprésente dans la génération suivante, les auteurs dont il sera question dans cette étude ne reprennent pas, ou très peu, la thèse phrénologique d’une spécialisation des différentes aires du cerveau. De plus, ils proposent pour certains des critiques acerbes de la phrénologie afin de ne pas être identifiés comme des héritiers de Gall : ils ne souhaitent pas que leur œuvre soit considérée comme un prolongement de la cranioscopie. Nous avons donc affaire à une « deuxième vague » qui cherche à effacer l’héritage de la phrénologie, héritage houleux et sujet à de trop nombreuses simplifications. Par ailleurs, dans la deuxième moitié du XIXᵉ siècle, la revendication d’un discours sur l’esprit nourri de physiologie cérébrale prend place dans un contexte social et intellectuel différent de celui du début du siècle, qui redessine les contours du débat et les lignes de force. Concernant spécifiquement le problème corps-esprit, deux éléments historiques principaux ont participé à remettre ce problème au cœur des débats intellectuels : le développement de la physiologie cérébrale et la formulation de la théorie évolutionniste. Ces deux éléments s’inscrivent eux-mêmes dans un contexte historique et social de valorisation de la science qui confère une autorité certaine aux yeux du grand public aux personnes identifiées comme parlant en son nom. L’ampleur des débats concernant les rapports de l’esprit et du corps à partir des années 1850 au Royaume-Uni est donc solidaire de ce cadre spécifique, dont voici une présentation succincte.

L’histoire des sciences de la deuxième moitié du XIXᵉ siècle européen est marquée par le développement rapide et conséquent des études et laboratoires de physiologie, et notamment de physiologie cérébrale. En 1833, Johannes Müller obtint un poste de Professeur de Physiologie à l’Université de Berlin. C’est la première fois que s’ouvre un poste entièrement dédié à la physiologie en Europe,

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18 et cela révèle l’importance croissante de cette discipline scientifique ainsi que son autonomisation vis-à-vis de l’anatomie. Au Royaume-Uni, l’essor de la physiologie est plus tardif, pour des raisons aussi bien structurelles que politiques10. Mais il se déroule de manière très rapide et marque profondément la

littérature victorienne. Ainsi, Richard D. French avance que : « Au milieu du dix-neuvième siècle, la physiologie en Grande-Bretagne était une discipline sous-peuplée, sous-alimentée et ignorée. Au tournant du siècle, les physiologistes du

10D’un point de vue institutionnel, Richard D. FRENCH souligne le caractère très centralisé et

hiérarchisé du système éducatif anglais. Ainsi, les physiologistes anglais étudient ou enseignent dans des fondations ou au University College, London, plutôt que dans les universités de prestige que sont Cambridge et Oxford. De plus, le manque de fonds pour la recherche et le peu de prestige des carrières ouvertes aux personnes intéressées par la physiologie dans les années 1850 expliquent aussi partiellement l’essor tardif de la physiologie cérébrale anglaise. Richard D. French isole néanmoins un facteur majeur dans ce retard : l’incapacité des médecins à reconnaître le statut distinct de la physiologie par rapport à l’anatomie. Il soutient que cette incapacité est le facteur principal qui a retardé le développement de la physiologie moderne en Grande-Bretagne. Toutefois, ce problème ne nous semble pas spécifique à la Grande-Bretagne : en France aussi, la prise d’indépendance de la physiologie par rapport à l’anatomie fut longue et complexe. Ce retard de développement de la physiologie anglaise par rapport à la physiologie française ou allemande semble donc à nos yeux s’expliquer davantage par la conjonction des différents facteurs susmentionnés. En ce qui concerne le facteur politique, nous soulignerons simplement que nombre de médecins engagés dans les recherches sur le cerveau étaient aussi engagés d’un point de vue social et politique, notamment auprès des classes les plus populaires. La révolution de 1848 en France eut pour effet de jeter la suspicion sur ces médecins et ne facilita pas le développement d’une science portée par des personnes identifiées par les conservateurs comme matérialistes et révolutionnaires. FRENCH, Richard D., « Some problems and sources in the foundations of modern physiology in Great Britain », History of Science, 10, 1971, p. 30.

David Cahan quant à lui, met au premier plan les questions institutionnelles spécifiques au Royaume-Uni. Il explique que les universités ont joué un rôle central pour la communauté scientifique allemande. En revanche, le développement institutionnel des sciences au Royaume-Uni se fit majoritairement en dehors des universités, et notamment des universités de prestige. Ainsi, il souligne que la recherche britannique pouvait, au XIXᵉ siècle, s’appuyer davantage sur les ambitions et activités entrepreneuriales de certaines personnalités que sur un système institutionnel établi. Cet état de fait concerne principalement les sciences expérimentales : Oxford et Cambridge accueillaient de très bons mathématiciens, mais n’avaient pas d’installation pour la recherche expérimentale. Les réformes institutionnelles furent initiées dans les années 1870 par les universités londoniennes dans lesquelles travaillaient des personnalités engagées pour un meilleur enseignement des sciences, avant d’être suivies par leurs équivalents écossais, et plus tard par Oxford et Cambridge. C’est la raison pour laquelle la ville de Londres fait figure d’épicentre de la recherche scientifique britannique, notamment dans la seconde moitié du XIXᵉ siècle. CAHAN, David, From Natural Philosophy to the Sciences. Writing the History of Nineteenth-Century Science, London: The University of Chicago Press, 2003, pp. 307-308.

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19 pays étaient des chefs de file à l’échelle mondiale »11. En effet, à partir des années

1850, les travaux des physiologistes allemands et français, tels que Johannes Müller ou Pierre Flourens sont connus sur les îles britanniques. Or, ces études suscitent l’intérêt de certains médecins ou scientifiques qui souhaitent ainsi importer dans leur pays ces recherches de physiologie, notamment de physiologie cérébrale. Les travaux de Thomas Laycock (1812 – 1876) illustrent les conditions de la naissance de la physiologie cérébrale anglaise. De formation médicale, Thomas Laycock a effectué deux séjours à l’étranger : l’un à Paris pendant ses études de médecine, et l’autre en Allemagne, à Göttingen, après avoir entrepris d’apprendre l’allemand. Dans son ouvrage The Nervous Diseases of Women, publié en 1840 à son retour d’Allemagne, il formule pour la première fois sa thèse majeure qui est celle de la possibilité d’étendre au cerveau les mouvements réflexes que l’on rapporte usuellement à la moelle épinière. Dans ce texte, il cite Prochaska et Unzer, deux physiologistes allemands ayant travaillé sur le mouvement réflexe et que Laycock a abondamment étudiés. La thèse de Laycock a été rendue célèbre lors de sa reformulation dans une conférence prononcée devant la British Association for the Advancement of Science, montrant ainsi l’importance de cette association dans la promotion de cette science nouvelle. Dans cette conférence, intitulée « Sur la fonction réflexe du cerveau », Laycock présente les travaux de Marshall Hall et se réfère au physiologiste français Pierre Flourens. Si, en 1840, les travaux de physiologie cérébrale ont une audience encore limitée et n’occupent pas les devants de la scène intellectuelle, l’exemple de Laycock révèle le caractère déterminant de l’arrivée des études continentales au Royaume-Uni dans le développement de la physiologie cérébrale.

Le développement de la physiologie se produit ensuite de manière particulièrement rapide dans les années 1860 et surtout 1870, avec l’ouverture des

11 FRENCH, Richard D., « Some problems and sources in the foundations of modern physiology

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20 premiers laboratoires spécialisés, grâce notamment au retour d’étudiants en médecine partis se former sur le continent, auprès de physiologistes français et allemands tels que Claude Bernard ou Carl Ludwig pour citer d’autres exemples. La position de prédominance occupée par la physiologie dans la décennie 1870 se matérialise par différents éléments. En 1870, Michael Foster obtient le rôle de Praelector en Physiologie au Trinity College de Cambridge et en 1874, Burdon Sanderson devient « Professor of Physiology » à University College London, succédant à Sharpey qui occupait le poste en tant que « Professor of Anatomy and Physiology ». La physiologie est désormais considérée comme une science à part entière, et n’est plus restreinte au rôle de complément de l’anatomie. Le terme de « physiologie » acquiert par ailleurs à cette époque son sens contemporain12. En

1870, les examinateurs du Royal College of Surgeons, collège très influent et traditionnellement en lutte contre les idées scientifiques identifiées comme matérialistes, reconnaissent leur incapacité à examiner seuls les compétences des candidats en physiologie et en anatomie. Ils renoncent donc à utiliser leur autorité morale et leur prestige pour promouvoir une personnalité scientifique dans ces domaines. La Physiological Society voit le jour en 1876 ; le Journal of Physiology paraît pour la première fois en 1878, et bénéficie d’un succès notable. L’année suivante apparait le premier numéro de la revue Brain, consacrée à la physiologie cérébrale. La décennie 1870 est donc marquée par un essor rapide et marquant de la physiologie, par la professionnalisation et la reconnaissance académique de cette discipline et enfin par la position favorable occupée par ses défenseurs sur la scène intellectuelle. Les défenseurs de la physiologie en général, et plus particulièrement de la physiologie cérébrale, au premier rang desquels on retrouve

12 Stephen JACYNA note ainsi qu’« au début du dix-neuvième siècle le terme ne possédait pas

sa signification actuelle ; il renvoyait plutôt à toutes les formes d’investigation du corps, et particulièrement à celles qui présentaient un intérêt médical ». La séparation de l’anatomie et de la physiologie, entre 1840 et 1880, a permis à chacun de ces deux modes d’études de développer leurs concepts et méthodes propres, et donc de spécifier le sens du terme « physiologie ». JACYNA, L. S., Scientific naturalism in Victorian Britain: an essay in the social history of ideas, Ph.D., University of Edinburgh, 1980, p. 103. http://hdl.handle.net/1842/7529.

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21 Huxley ou Maudsley sont dans des positions académiques largement dominantes, et bénéficient d’un auditorat très large en vertu de leur travail constant de publication et de vulgarisation.

Or, ces travaux des physiologistes tendent à remettre en cause la distinction stricte entre phénomènes mentaux et phénomènes cérébraux, distinction à laquelle souscrivent de moins en moins les scientifiques victoriens. Ainsi, à partir des années 1860, un nombre croissant d’intellectuels défendent un ancrage cérébral des phénomènes mentaux, et militent pour une physiologie de l’esprit, comme en témoignent les nombreux ouvrages à ce sujet. Nous pouvons citer les Principes

de physiologie mentale13 de William Carpenter (1875), Le socle physique de l’esprit14, de George Henry Lewes (1877) ou les différentes conférences de Henry

Maudsley : « Les conditions physiques de la conscience », « Le socle physique de l’esprit »15. Dans son ouvrage Esquisse de psychologie, James Sully renvoie à un

manuel de physiologie rédigé par Thomas Huxley, en soulignant qu’une connaissance minimale de la structure et du fonctionnement du système nerveux sont requis pour la bonne compréhension de ses thèses de psychologie. Ainsi, à partir des années 1860 principalement, un nombre croissant d’intellectuels militent pour la reconnaissance d’un ancrage cérébral des phénomènes mentaux, contre un dualisme qui fait de l’esprit une substance indépendante. La physiologie, développée autour d’un paradigme mécaniste de fonctionnement du corps, se présente donc comme une science désormais à même de proposer un

13 CARPENTER, William Benjamin, Principles of Mental Physiology, with their applications to

the training and discipline of the mind and the study of its morbid conditions, 7th Edition,

London: Kegan Paul, Trench Trübner & Co, 1896.

14 LEWES, George Henry, The physical basis of mind, London: Kegan Paul, Trench, Trübner

and Co., 1893.

15 MAUDSLEY, Henry, « The physical conditions of consciousness », Mind, A Quarterly Review,

vol. XII, London: Williams and Norgate, 1887. MAUDSLEY, Henry, « The physical basis of mind » in The Forum, 1891, accessible en ligne: https://www.unz.com/print/Forum-1891feb-00645/

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22 discours sur l’esprit, concurrençant celui des théologiens ou des philosophes dualistes, et appuyé sur diverses expériences réalisées en laboratoire.

Les arguments issus expériences effectuées sur des animaux sont complétés par l’augmentation des études concernant les lésions cérébrales et leurs conséquences physiques et mentales, notamment chez les êtres humains. La psychopathologie se voit donc désormais confier un rôle heuristique afin de fournir des éléments d’explication du fonctionnement cérébral et mental sain. Denis Forest explique ainsi que le premier cas connu de récit d’une aphasie est un texte écrit sur papyrus datant de 3 000- 2 500 avant notre ère. Mais, dit-il, « l’histoire déjà longue des observations de troubles du langage n’a pas conduit, avant le XIXᵉ siècle, à une recherche systématique sur l’organisation du cerveau et sur la nature de l’homme lui-même. »16 C’est donc à partir du XIXᵉ siècle que

les études des aphasies, et plus généralement toutes les études de lésions cérébrales, se voient mobilisées dans des débats concernant la nature humaine, et

a fortiori concernant le problème esprit-corps. Dans son article « À propos des aphasies », Henry Maudsley explique que l’interprétation des faits et observations recueillis sur les patients qui souffrent d’aphasie nous mène nécessairement dans la région des rapports entre le corps et l’esprit, région inexplorée en raison des barrières élevées par les êtres humains entre ces deux substances. Or, il souhaite, pour des raisons médicales, rétablir un pont entre les fonctionnements de l’esprit et du corps, pont qui permettrait de mieux comprendre la maladie17. Autre

16 FOREST, Denis, Histoire des aphasies, Paris : Presses Universitaires de France, 2015, p. 13. 17 MAUDSLEY, Henry, « Concerning Aphasia », The Lancet, vol. 92, November 1868, p. 690:

«It appears to me that inquiry into this obscure subject has arrived at a stage when little or no further profit can accrue from an aimless accumulation of observations, and that what is now needed is a digestion of the material which lies at hand.

Now the condition of aphasia, or the loss of the power of intelligent expression by speech, must needs for a long time be a very difficult study, forasmuch as the consideration of it brings us at once to that unknown region which lies between what we call mind and what we call matter-to that great barrier which man, having himself first set it up, has been

occupied generation after generation in adding to, lamenting all the while that he can find no means of passing it. »

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23 exemple : Forbes Winslow publie en 1860 l’ouvrage Sur les obscures maladies

du cerveau et dérangements de l’esprit. Cette œuvre a pour but d’expliquer des

phénomènes mentaux pathologiques par des maladies ou lésions du cerveau, puisque ces phénomènes mentaux pathologiques sont « de nature cérébro-psychique »18. Il explique ainsi que les altérations du cerveau ont nécessairement

et inévitablement des conséquences intellectuelles. Par ailleurs, il invite à une lecture précise des autobiographies de personnes atteintes de démence et convoque régulièrement des cas psychopathologiques tout au long de l’ouvrage. La psychopathologie fournit donc un socle d’observations et d’arguments en vue d’une réfutation d’un dualisme corps-esprit trop prononcé, qui fonderait la connaissance de l’esprit exclusivement sur l’introspection. Parmi les auteurs impliqués dans le débat sur le problème corps-esprit, il n’est donc pas étonnant de constater la présence de médecins travaillant dans des asiles, et défendant une définition physiologique de la maladie mentale. Ainsi, les études de physiologie cérébrale se nourrissent à la fois des recherches sur les animaux réalisées dans le cadre des laboratoires spécialisés, et des observations anatomiques et comportementales effectuées sur des êtres humains souffrant de lésions cérébrales. Elles tendent à remettre en cause le paradigme dualiste dominant la philosophie de l’esprit et la psychologie de la première moitié du siècle.

Le deuxième élément contextuel majeur consiste dans les travaux de Spencer et de Darwin. En effet, la théorie de l’évolution a joué un rôle considérable dans la multiplication des débats concernant la nature de l’esprit, en ce qu’elle remet en cause la spécificité humaine et l’immortalité de l’âme. Si la conscience est apparue progressivement au cours de l’évolution, alors elle n’est pas l’apanage de l’être humain. La théorie de l’évolution révoque ainsi en doute la thèse de

18 WINSLOW, Forbes, On Obscure Diseases of the Brain and Disorders of the Mind: their

incipient Symptoms, Pathology, Diagnosis, Treatment, and Prophylaxis, Philadelphia: Blanchard & Lea, 1860, p. VI: «and the second on Disorders of Intelligence, Cerebro-Psychical in their nature. »

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24 l’exception humaine. Plus grave encore, les phénomènes d’ordre spirituel ou mental pourraient tout à fait être apparus au cours de l’évolution et donc dériver de la matière. La théorie de l’évolution ouvre ainsi sérieusement la possibilité de définir la conscience comme une fonction du cerveau. Alors, le philosophe ou le théologien ne peuvent plus poser une âme immortelle, don de Dieu à l’humain, qui assure son statut exceptionnel au sein de la création. La psychologie évolutionniste de Spencer illustre le changement de point de vue impulsé par les théories évolutionnistes ou développementales en ce qui concerne la question de l’esprit19. Les facultés mentales sont replacées dans le cadre de l’analyse

scientifique de fonctions biologiques et l’esprit humain est ainsi réinscrit au sein même de la création comme produit de l’évolution biologique. Ainsi, dans le premier volume des Principes de psychologie, Spencer établit que la psychologie découle et dépend de la physiologie, car les phénomènes mentaux dérivent de l’organisation et de l’évolution physiologiques. Si les deux sciences ne sont pas identiques et assimilables, on ne peut établir de ligne de démarcation claire et immédiatement reconnaissable entre les phénomènes qui relèvent de la psychologie et ceux qui relèvent de la physiologie : ces deux sciences sont complémentaires et intimement liées20. La théorie de l’évolution a grandement

favorisé ce qu’en 1930, le scientifique et historien des sciences William Cecil Dampier considère comme la grande révolution intellectuelle du dix-neuvième siècle : l’inclusion de l’étude de l’humain dans son intégralité dans les sciences physiques et biologiques. Ainsi, c’est la totalité des pensées et activités humaines

19 Nous employons de manière volontairement indistincte les termes de « conscience »,

« esprit », « âme », « mental », du moins pour le moment. Ces termes sont souvent considérés comme interchangeables dans les textes de notre corpus, puisque la plupart des auteurs définissent l’esprit par la conscience et ne s’intéressent pas à la possibilité de phénomènes mentaux inconscients. Ils utilisent donc les termes de « mind », « consciousness » et « mental phenomena » comme des synonymes. Nous serons amenés à affiner l’emploi de ces concepts au cours de l’étude.

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25 qui se voient désormais incluses dans un champ d’étude scientifique21. Le

privilège de l’être humain, comme être à part au sein de la Création, est sérieusement révoqué en doute par la théorie de l’évolution : l’être humain, dans l’intégralité de ses facettes, aussi bien physiques que mentales, voire même morales, est désormais considéré comme potentiel objet de science.

La question de la dépendance ou de l’indépendance de l’esprit vis-à-vis du corps est donc une question de la plus haute importance dans le monde intellectuel victorien de la deuxième moitié du XIXᵉ siècle. Elle est le lieu de querelles et de désaccords majeurs, mais aussi d’une grande lutte d’influence notamment entre les intellectuels défendant un ancrage cérébral des facultés mentales, et les auteurs attachés à l’indépendance d’un principe mental ou spirituel transcendant. L’existence même de la Metaphysical Society est le témoin d’une conscience accrue des redéfinitions que peuvent impliquer certaines découvertes scientifiques, tout comme elle est lieu d’une lutte en termes d’autorité intellectuelle entre des naturalistes scientifiques et des personnes (scientifiques ou religieux) qui refusent les prétentions nouvelles d’une science détachée d’un cadre religieux. Il serait réducteur de considérer cette lutte comme le combat de la science contre les préjugés métaphysiques22, bien que la situation soit souvent

21 DAMPIER, William Cecil, A History of Science and its Relations with Philosophy & Religion,

Cambridge: Cambridge University Press, 1930, p. 217: « But, during the last hundred or hundred and fifty years, the whole conception of the natural Universe has been changed by the recognition that man, subject to the same physical laws and processes as the world around him, cannot be considered separately from the world, and that scientific methods of observation, induction and experiment are applicable, not only to the original subject-matter of pure science, but to nearly all the many and varied fields of human thought and activity. »

22 Bernard LIGHTMAN considère ainsi que la signification historique de l’existence de la

Metaphysical Society doit être cherchée dans le refus de la part des métaphysiciens chrétiens des années 1870 de céder le contrôle sur la science à Tyndall et à ses alliés. Il affirme ainsi que ces métaphysiciens continuaient de considérer la science comme une source de justification pour le christianisme, malgré l’importance croissante du naturalisme scientifique et de la théorie darwinienne. Ainsi, conscients des risques que représentent les idées dites « matérialistes» de certains hommes de sciences, des scientifiques et religieux chrétiens s’emploient à maintenir la science sous une tutelle théologique. Tyndall, Huxley et Clifford, pour ne citer que ces trois noms, luttent contre cette compréhension de la science et pour la diffusion d’une définition naturaliste de l’esprit. Il s’agit donc moins d’une lutte entre la science et la métaphysique, que

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26 présentée ainsi dans les textes défendant une origine cérébrale de l’esprit. Ainsi, le développement de la physiologie cérébrale et la multiplication des débats de philosophie de l’esprit s’inscrivent dans le contexte intellectuel et sociologique particulier, marqué par la remise en cause des autorités intellectuelles traditionnelles.

D’une part, cette époque est marquée par un engouement prononcé pour les sciences naturelles. Le développement industriel, l’arrivée de l’électricité, les campagnes de santé publique menées par les médecins ainsi que l’augmentation de la productivité agricole : nombre d’éléments permettent à la science d’avoir le vent en poupe et aux scientifiques de revendiquer l’autorité intellectuelle dans tous les domaines. La rhétorique agressive des naturalistes scientifiques tels que Huxley et Tyndall, conjuguée à la mise en avant constante des résultats pratiques de leurs travaux, notamment en ce qui concerne l’amélioration des conditions de vie, leur permettent d’obtenir une importance croissante sur la scène intellectuelle. L’écrivaine Béatrice Webb, se remémorant cette période, souligne à quel point les scientifiques faisaient figure d’autorité intellectuelle incontestée dans tous les domaines :

« qui niera que les hommes de science étaient les intellectuels dominants de cette période ; que c’étaient eux qui se présentaient comme des hommes de génie avec une réputation internationale ; que c’étaient eux qui étaient les militants en confiance de cette période ; que c’était eux qui renversaient les théologiens, qui confondaient les mystiques, qui imposaient leurs théories aux philosophies, leurs inventions aux capitalistes, et leurs

d’une lutte entre deux conceptions de la science : l’une soutenant que la science a pour but de justifier les thèses théologiques, et l’autre souhaitant extraire la science de cette tutelle. Il explique que le cœur des débats de la Metaphysical Society porte sur la définition du savoir, ses limites, et le rôle attribué à chacun dans l’entreprise de connaissance. Ainsi, la question des méthodes est au premier rang : alors que les naturalistes défendent une connaissance purement expérimentale, les théologiens chrétiens défendaient la valeur de l’intuitionnisme. Bernard Lightman défend donc la thèse selon laquelle le contenu des débats portait avant tout sur la définition de la science, ses méthodes et sa portée. Bernard LIGHTMAN, « Science at the Metaphysical Society: Defining Knowledge in the 1870s.» in LIGHTMAN, Bernard et REIDY, Michael S., (ed.) The age of scientific naturalism: Tyndall and his contemporaries, London: Pickering & Chatto, 2014, p. 205.

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27 découvertes aux médecins ; pendant qu’en même temps ils snobaient les artistes, ignoraient les poètes, et jetaient même des doutes sur les compétences des politiciens.»23

S’il ne faut pas faire de cette position d’autorité des scientifiques une position d’hégémonie totale, tant sont diverses les contestations de leur autorité, force est de constater que leur parole, ayant acquis une force croissante depuis les années 1850, a valeur de vérité pour un grand nombre d’individus vivant dans le Royaume-Uni de la seconde moitié du XIXᵉ siècle. L’historien Bernard Lightman souligne l’autorité intellectuelle pour le grand public et le public lettré de ceux qui sont perçus comme parlant au nom de la science :

« Puisque la science était perçue pendant cette époque comme fournissant la voie la plus légitime vers la vérité, quiconque pouvait prétendre parler au nom de la science pouvait se présenter comme un leader intellectuel fiable qui savait comment interpréter la plus ample signification de la science moderne »24.

La parole considérée comme scientifique se vit ainsi pourvoir d’une autorité remarquable dans le grand public et dans le monde intellectuel : les personnes pouvant se prévaloir de compétences scientifiques dictent les termes du débat et avancent des nouvelles thèses toujours très contestées, mais toujours au centre des discussions.

Notons dans ce sens que la deuxième moitié du dix-neuvième siècle au Royaume-Uni est marquée par l’autonomisation des sciences physiques ou naturelles vis-à-vis de la philosophie. Jusqu’aux années 1840 environ, les termes « science » et « philosophy » étaient interchangeables : on pouvait tout aussi bien

23 WEBB, Beatrice, My Apprenticeship, London: Longmans, Green and Co, 1926, p. 130-131 :

«who will deny that the men of science were the leading British intellectuals of that period ; that it was they who stood out as men of genius with international reputations ; that it was they who were the self-confident militants of the period; that it was they who were routing the theologians, cofounding the mystics, imposing their theories on philosophers, their inventions on capitalists, and their discoveries on medical men; whilst they were at the same time snubbing the artist, ignoring the poets, and even casting doubts on the capacity of the politicians.»

24 LIGHTMAN, Bernard, ««Fighting even with Death»: Balfour, scientific Naturalism, and

Thomas Henry Huxley’s Final Battle» in BARR, Alan P., Thomas Henry Huxley’s Place in Science and Letters: Centenary Essays, op. cit., p. 325.

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