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«Nicolas Sarkozy, ou le symbole d un monde qui rattrape la France»

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Academic year: 2022

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Par Michel Maffesoli

« Nicolas Sarkozy, ou le symbole d’un monde qui rattrape la France

»

Sociologue de l’« imaginaire et des tribus », Michel Maffesoli tente de décrypter le mélange de fascination et de répulsion qui caractérise la présidence de Nicolas Sarkozy.

Pourquoi tant d’hystérie autour de Nicolas Sarkozy ? Pourquoi ses détracteurs, au lieu d’opposer aux discours du président leur propre programme, ou une évaluation raisonnée du sien, en reviennent-ils toujours aux attaques ad hominem

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Pourquoi tant d’hystérie autour de Nicolas Sarkozy ? Pourquoi ses détracteurs, au lieu d’opposer aux discours du président leur propre programme, ou une évaluation raisonnée du sien, en reviennent-ils toujours aux attaques ad hominem

?

Ceux qui vont l’accuser des pires turpitudes sont bien de leur temps qui voit l’émotionnel, telle une lame de fond, emporter tout et tous sur son passage.

Sarkozy joue à l’évidence sur un tel registre. C’est son génie, et il en joue. Mais ses imprécateurs pas moins. On peut donner une première explication à cette hargne : le président représente, d’une manière caricaturale, ce dont on a peur, mais dont on pressent qu’inéluctablement « ça arrive ». On craint moins Sarkozy

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« en soi » que comme symbole du monde qui rattrape la France et l’oblige dans la douleur à évoluer.

Histoire intérieure

À l’image d’une sociologie, cherchant à repérer la logique à l’œuvre dans la vie sociale, d’une psychologie débusquant celle en jeu dans les méandres de la psychè, une « Sarkologie » se doit de repérer ce qui agit en lui. Sa raison interne, dont l’intéressé n’est pas forcément conscient ; ce qui est non connu, de lui et des autres, et qui, comme tel, mérite d’être connu.

Les affects qui jouent un rôle de plus en plus important dans la vie sociale, et désormais dans la vie politique, constituent l’élément essentiel du succès de Sarkozy. Ce succès obéit à une logique spécifique, faisant sauter les repères auxquels nous avaient habitués les tenants (droite et gauche confondues) de la politique traditionnelle.

En employant ce mot de succès, à propos de Nicolas Sarkozy, il ne s’agit bien sûr ni d’un jugement politique, encore moins d’un jugement de valeur. Mais d’un constat : ça marche.

Chaque petite anecdote, chaque fait divers auquel le président se sent tenu de réagir – un enfant mordu par un chien, des maisons détruites par une tornade, un meurtre commis par un malade mental en cavale… – est traité comme un événement majeur, requérant une loi (par essence universelle). Mais ce sont justement ces petites histoires de tous les jours qui constituent l’essentiel de la vie du plus grand nombre. À côté de l’histoire extérieure qui, de nos jours, est le sujet majeur des médias, des experts en sciences politiques et en violence urbaine comme des sondeurs, il existe une histoire intérieure qu’il faut inventer, c’est-à- dire faire venir au jour.

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Il ne s’agit pas ici d’approuver ou de critiquer Nicolas Sarkozy. Ni de se prononcer sur son bilan. Pas plus que de prédire sa réélection ou d’annoncer sa chute inéluctable. Mais de s’interroger sur le fait qu’il provoque, chez les uns (les élites éduquées) tant de ressentiment, et chez d’autres (que, faute de mieux, on peut appeler le peuple), des réactions diverses et versatiles, mais qui même hostiles en apparence, témoignent d’une forme d’empathie.

Fondamentalement, Sarkozy, en ses aspects changeants, avec sa syntaxe approximative, dans sa théâtralité voyante, avec son côté « m’as-tu vu », au travers d’un désir de jouissance, ici et maintenant, ne fait que tendre au peuple ébaudi un miroir, où celui-ci peut voir le reflet de son âme collective. Il n’a rien à dire sur le Bien en soi, il n’a aucun discours universel, mais il joue sur la sensation d’être en contact direct avec les gens et les choses.

« Participation magique »

Sa présence, malgré ou grâce aux défauts et imperfections qui sont les siens, suscite une sorte de « participation magique ». C’est ainsi que des ethnologues, tel Lévy-Bruhl, désignaient ce magnétisme, cette chose immatérielle, impondérable, échappant à toutes les statistiques, assurant la cohésion d’une communauté confortant son sentiment d’appartenance, toutes choses faisant qu’il y a du lien, du liant social.

Il faut en effet rapprocher le faire et le dire du président des processus religieux ou magiques. La parole, le verbe, l’attitude ont en quelque sorte une force propre, qu’ils soient ou non suivis de décisions. Quand il déclare (à une habitante excédée de la cité qu’il visite) « qu’il faut nettoyer au Kärcher la cité » ou « qu’il faut démanteler les campements irréguliers » ou qu’il « faut déclarer la guerre aux voyous », ce n’est pas forcément un acte d’agression voire de discrimination. Mais

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tout simplement une réaction émotionnelle tenant tout entière en la puissance du verbe qui fait écho à ces paroles qu’ont envie de prononcer, au même moment, ceux qui n’en peuvent plus de vivre là.

Comme ce serait bien s’il suffisait d’un passage au Kärcher pour résoudre les difficultés du vivre ensemble au quotidien. C’est cette métaphore résonnant dans l’inconscient collectif qui permet de nettoyer les caves, les garages, les antres souillés. Cela s’apparente au balancement de l’ostensoir, au feu purificateur. En réalité, il s’agit non d’une annonce gouvernementale, encore moins d’un acte, mais d’un Verbe dont la force s’épuise en l’instant magique. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, quitte à choquer – à nouveau – les beaux esprits qui croient encore que la politique est chose rationnelle.

Nicolas Sarkozy dit avec la force de l’image métaphorique ce que tout un chacun aimerait dire en l’occurrence, sur le moment même. Et sans que cela porte à conséquence. Père favorisant son gosse, ami protégeant ses amis, président compatissant excusant les frasques passées d’un de ses ministres, homme n’étant pas insensible au luxe et aux plaisirs de ce monde-ci… Humain, trop humain : voilà ce qui fait de Sarkozy le garant d’une chose publique, c’est-à-dire d’une res publica non plus abstraite, rationnelle, désincarnée, mais au contraire concrète, enracinée. Ce à quoi on peut réellement, illusoirement, fantasmatiquement, rêver.

Parfois d’ailleurs sans se l’avouer, parce qu’on sait « que ce n’est pas bien ».

Donc rien de programmatique, mais l’accent mis sur de l’émotionnel, ciment de ce que d’antique mémoire on nomme « affectio societatis ». C’est parce qu’il est à l’unisson avec cette pauvre « hommerie » que son charisme est opérant. « Charisme », en son sens étymologique, qui permet la cohésion ; ce qui assure la glutinum mundi, cette colle du monde faisant société. Là est l’essentiel, qui n’a rien à voir avec une morale. Le peuple sait, lui, que la morale et la politique sont antinomiques. Le « il faut bien vivre » populaire, traduit le fait qu’au-delà ou en deçà des dogmes, des « a priori », des programmes, la vie est un perpétuel et aléatoire ajustement. Tout comme elle n’est pas une morale, la politique est peu gouvernée par la justice. Dans le meilleur des cas, elle peut se tempérer par une

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dose de justesse dans l’appréciation et donc dans l’action.

Mosaïque

L’air du temps est à nous. Avec les nouvelles formes de générosité ou de solidarité que cela induit. Un « nous » à forte composante émotionnelle. Ces communautés reposant sur le sentiment d’appartenance, Sarkozy sait les toucher et s’en rapprocher parce qu’il pressent bien que ce sont elles qui vont constituer la société complexe de demain. Elles peuvent d’ailleurs être antagoniques, amenant le président à « sans cesse se contredire », supprimer la double peine un jour, proposer la déchéance de la nationalité française pour les mêmes, le lendemain. Manière d’être en phase avec l’évolution présente, il adhère en quelque sorte à ce pays « mosaïque ». Dans ses réactions « désordonnées », son action peu « cohérente », Nicolas Sarkozy ne crée pas cette fragmentation tribale.

Mais il en est , en quelque sorte, le haut-parleur. Il sait dire tout haut ce qui est vécu à bas bruit. Parfois d’ailleurs en contradiction avec ses propres incantations

« républicanistes ». Cela peut irriter les gens bien. Les gens de peu, quant à eux, n’ont que faire qu’il soit contradictoire.

Michel Maffesoli est professeur de sociologie à la Sorbonne, membre de l’Institut universitaire de France et directeur d’un laboratoire de recherche.

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Par Michel Maffesoli

“Élisée Reclus, penseur de la chair du monde”

Notre ami sociologue a lu le dernier livre de Jean-Didier Vincent consacré à Élisée Reclus, célèbre anarchiste, géographe, écologiste et d’« habitus » protestant.

Il est possible qu’une telle référence incite Élisée Reclus à se retourner dans sa tombe. Pourtant la parole de Léon Bloy s’applique, parfaitement, à lui : « Le prophète est celui qui se souvient de l’avenir. » Tant il est vrai que nombre de ses intuitions ou de ses analyses sont en parfaite congruence avec le temps, et y trouvent un retentissement indéniable.

Le livre de Jean-Didier Vincent se déguste, en grandes lampées, ou à petites doses, avec gourmandise, tant on ressent la profonde empathie que le neurobiologiste éminent qu’est l’auteur entretient avec son héros.

Connivence tenant, peut-être, à ce qu’il nomme, dès l’abord, « l’empreinte protestante » qui, d’une manière indélébile, va marquer la vie et l’œuvre d’Élisée Reclus. N’est-ce point là d’ailleurs la clef de ce « roman d’initiation » que nous propose l’auteur ? Certes, tout comme son frère aimé Élie, Élisée Reclus ne suivra pas la carrière pastorale de son père, il abandonnera les études de théologie, voire la foi chrétienne, celle-ci ne sera en tout cas plus sa préoccupation principale. Mais, pour employer ce merveilleux concept hérité d’Aristote, via saint Thomas d’Aquin, son « habitus » est tout à fait fidèle à l’empreinte protestante.

Le « relationnisme »

Manière d’être, manière de penser, rapport aux autres et à lui-même. Sens des responsabilités, exigence intellectuelle, générosité existentielle, le minutieux travail d’enquête de Jean-Didier Vincent montre en quoi tout cela est tributaire de

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la formation initiale au foyer pastoral, au collège de Sainte-Foy ou à la faculté de théologie de Montauban.

Quel pourrait en être le fil rouge, sinon cette capacité de penser par soi-même ? Ce libre examen qui sera le cœur battant de son anarchisme. Refus des divers conformismes de pensée dont on connaît par trop les déplorables effets dans ce qu’il est convenu de nommer le « correctness ».

Mais liberté de l’esprit conduisant à considérer la personne en ce qu’elle a d’unique certes, mais en même temps en ce qu’elle est « nœud de relation ».

Personne pivot à partir duquel on peut comprendre l’humanité et la nature.

Car c’est bien le « relationnisme » qui peut permettre de saisir en quoi Élisée Reclus est tout à la fois anarchiste, géographe et, avant la lettre, écologiste. Cet anarchisme, qui ne sera jamais violent, Jean-Didier Vincent montre bien en quoi il est l’expression d’une révolte contre la bassesse humaine en son cortège d’égoïsmes, d’intolérances, et autres étroitesses d’esprit propres au bourgeoisisme ambiant.

La fréquentation de Jean Grave ou de Bakounine le conduit à considérer comme essentiel, dans la vie sociale, ce que ce dernier nommait la « régénération par l’amour ». « Erotosophie », pour le dire à la manière de l’utopiste Charles Fourier, fondement d’un ordre n’ayant que faire de l’État. Belle utopie s’il en est que cet « ordre sans l’État » qui semble trouver écho dans les « zones d’autonomie temporaires » et autres libertés interstitielles en lesquelles se retrouvent, sans coup férir, les jeunes générations. Celles-ci sont fondamentalement libertaires et généreuses à la fois.

En avance sur son temps

C’est également parce qu’il considère la pensée libre comme une chevalerie, c’est parce qu’il combat contre le philistinisme ambiant qu’Élisée Reclus va être, en avance sur son temps, le protagoniste avisé d’une sensibilité écologique.

Cela, il le doit, bien entendu à cette démarche initiatique, ce que Jean-Didier Vincent nomme cette « quête mystique » le conduisant de l’Europe (Allemagne, Angleterre) en Amérique du Sud, en passant par les États-Unis.

Nomadisme existentiel lui permettant, peu à peu, d’élaborer une véritable « géopoésie », l’amenant à apprécier cette terre comme véritable maison de l’homme. Une sorte d’écosophie avant la lettre.

Cette philosophie de la nature, il la doit à ses lectures de jeunesse : Spinoza, Schelling. Lectures confortant son romantisme natif, son amour adolescent pour

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une terre matrice : il vient d’épouser la terre, noces et baptême par ondoiement dans l’eau pure du Gave – terre et eau mêlées dans un même sacrement inventé par son esprit religieux.

Tout un chacun n’est ce qu’il est qu’en relation, reliance avec ce qui l’entoure et ceux qui le précèdent. Liaison sempiternelle de l’ontogenèse et de la phylogenèse.

De ce que l’on est en fonction de l’espèce. Le tout dans un écrin qui nous est commun : la nature.

Progrès et régrès

C’est par un tel relationnisme avec l’autre du groupe et avec l’altérité de la nature que l’on peut comprendre l’altruisme anarchiste d’Élisée Reclus. La fusion des races entre elles depuis l’aurore de l’humanité : « Il était obsédé par l’idée de métissage. »

En ce sens, sa liberté de pensée, propre à son protestantisme natif, entrait en synergie avec son appartenance à la franc-maçonnerie. Pour celle-ci, toute différence enrichit la personne et confirme l’humanité. Toutes choses étant le propre d’une culture féconde.

En des pages faisant tout à la fois réfléchir et rêver, Jean-Didier Vincent, en complète osmose avec son auteur, montre en quoi ce dernier est un poète de la pensée. Un vrai humaniste également. De cet humanisme intégral sachant reconnaître qu’il y a de l’humus dans l’humain. Et, pour rester dans la proximité sémantique, qu’il faut de l’humilité et de l’humour pour ce faire.

C’est à ce prix que l’on pourra, que l’on saura penser la chair du monde, en évitant, si la chose est possible, de le dévaster. Voilà bien la dialogie du progrès et régrès à laquelle nous convie Élisée Reclus, penseur pour notre temps.

Michel Maffesoli est sociologue, membre de l’Institut universitaire de France.

À lire

Élisée Reclus

Géographe, anarchiste, écologiste Jean-Didier Vincent

Robert Laffont, 2010 425 p., 22 €.

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