Techniques & Culture
Revue semestrielle d’anthropologie des techniques
71 | 2019
Technographies
Dessins, photos, fichiers, cartes ou graphiques
André Leroi-Gourhan renouvelle ses techniques à chaque objectif anthropologique
Philippe Soulier
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/tc/11272 DOI : 10.4000/tc.11272
ISSN : 1952-420X Éditeur
Éditions de l’EHESS Édition imprimée
Date de publication : 15 juin 2019 Pagination : 26-45
ISBN : 978-2-7132-2786-8 ISSN : 0248-6016 Référence électronique
Philippe Soulier, « Dessins, photos, fichiers, cartes ou graphiques », Techniques & Culture [En ligne], 71 | 2019, mis en ligne le 01 janvier 2022, consulté le 08 janvier 2022. URL : http://
journals.openedition.org/tc/11272 ; DOI : https://doi.org/10.4000/tc.11272
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SYNTHÈSE
article complet en accès libre : journals.openedition.org/tc
André Leroi-Gourhan (1911-1986), préhistorien et anthropologue, a renouvelé en profondeur les sciences de l’Homme au XXe siècle. Par sa capacité à combiner les évolutions de l’humanité en société, en relation avec la nature et le règne animal, il a laissé un héritage intellectuel dont les ambitions et les méthodes se révèlent aujourd’hui encore particulièrement d’actualité.
Formé à l’école de Mauss et de Rivet, se plaçant lui-même à la croisée de plusieurs champs disciplinaires, il a voulu essentiellement renouveler le concept même d’ethnologie préhistorique en partant de la démarche comparative des ethnologues. À partir de l’observation des sociétés vivantes, il a d’abord cherché où se situait leur héritage technique en remontant dans le plus lointain passé (1936, La Civilisation du renne) ; ensuite, il a développé et théorisé cette approche (1943-1945, Évolution et techniques) ; après 1945, à la faveur des chantiers sur lesquels il formait ses étudiants, il a pu connaître de près la réalité matérielle des millénaires de la préhistoire, que ce soit aux Furtins (71) et à Arcy-sur-Cure (89) – où il a travaillé sur le très long terme du Paléolithique – puis à Pincevent (77) – où il a au contraire pu observer dans leur détail les restes d’une occupation saisonnière.
Conjointement aux approches strictement technologiques consacrées à l’analyse des objets du quotidien à travers les civilisations du monde entier, dans des systèmes de relations entre les hommes et leur environnement, Leroi-Gourhan a voulu aborder les activités des hommes aussi bien à l’échelle de leur comportement social qu’à celle de leur expression graphique.
Quel que soit le domaine abordé, conjointement à une constante recherche du bon vocabu- laire pour dénommer les choses et les faits, il a cherché à mettre au point des procédés pour en rendre compte, l’expression graphique lui servant le plus souvent à contourner les contraintes de l’écriture linéaire.
Philippe Soulier
Dessins, photos, fichiers, cartes ou graphiques
André Leroi-Gourhan renouvelle ses techniques
à chaque objectif anthropologique
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Nous allons ici passer en revue quelques-unes des voies explorées pour y parvenir dans trois des domaines essentiels de ses recherches : la technologie, l’archéologie préhistorique, l’art pariétal paléolithique.
Technologie
Série 1 : exposition eskimo au musée d’ethnographie du Trocadéro
Dans ce premier essai muséographique (1936) de mise en relation des données techniques, sociales et spatiales des faits observés, André Leroi-Gourhan propose une présentation qui com- bine les différentes échelles – familiale, sociale, technique, territoriale – de la vie des Eskimos.
Cette exposition inaugure ses objectifs de relier son approche matérielle des comportements humains à son ambition de la partager au plus grand nombre.
Série 2 : première approche des techniques
Ces premières planches d’André Leroi-Gourhan illustrant, en 1936 dans l’Encyclopédie française, les effets de l’action de l’homme sur la matière sont encore très sommaires et partielles. Il s’agit cependant du début d’un paradigme qui va orienter ses recherches pendant des décennies, dans une perspective privilégiant l’action de l’homme sur les matières.
Série 3 et 4 : la diffusion spatiale des techniques
À l’issue d’une mission ethnologique de deux ans au Japon (1937-1939), il réunit ses observa- tions dans une thèse sur l’Archéologie du Pacifique nord (1944) qui montre comment il analyse et prend en compte les objets dont il trouve des récurrences par milliers en Asie extrême orientale comme en Amérique septentrionale. Leur identification, leur organisation à l’aide d’un fichier puis leur cartographie par type lui permettront de reconstituer des aires culturelles et des cou- rants de diffusion techniques indépendamment de considérations migratoires.
Série 5 et 6 : la construction théorique de l’évolution technique
Simultanément à sa thèse, il reprend son essai théorique de 1936 dans un travail systématique consacré à l’approche technique des objets, qu’il répartit en fonction de l’état de la matière, de solide à liquide. Il déclinera ensuite ses propositions d’après des centaines d’exemples illustrés sélectionnés sur tous les continents.
1. Série 1 : Schéma de la vitrine A relatif au projet d’exposition « Eskimos » au musée du Trocadéro Représentation des rapports entre activités techniques et composantes du groupe familial.
2. Série 2. Premières planches illustrant les effets de l’action de l’homme sur la matière Planche I « Les formes élémentaires de l’activité humaine », André Leroi-Gourhan (Encyclopédie française 1936).
3. Série 3. La diffusion spatiale des techniques
Comment rendre compte des récurrences et les organiser. André Leroi-Gourhan procède à la réalisation de tableaux morphologiques systématiques. Ici, l’exemple des couteaux.
4. Série 4. La diffusion spatiale des techniques André Leroi-Gourhan cartographie par aires considérées les types d’objets qu’il identifie. Ici, le couteau à lame courte dans le Pacifique nord.
5. Série 5 et 6. La construction théorique de l’évolution technique Tableau illustré à double entrée présentant les combinaisons possibles de modes de percussion.
6. De manière complémentaire, André Leroi-Gourhan rend compte par la schématisation des rapports dynamiques entre longueur et force selon les principes du levier. Cette tentative restera cependant lettre morte sous cette forme pour la suite de l’étude des objets.
7. Série 7 à 9. L’évolution de la technologie lithique D’abord présentée de manière très schématique et théorique (1955).
Comment restituer le rapport entre poids de matière première travaillée et longueur de tranchant obtenu. Le cas du silex.
8. André Leroi-Gourhan complétera l’exposé par une relation aux époques de la préhistoire (1962), ci-dessus …/…
9. …/… Puis, aux stades de l’anthropogenèse, schématisation au moyen d’une courbe chronologique ascendante continue (1964) des différentes techniques lithiques.
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Série 7 à 9 : l’évolution continue de la technologie lithique
Dans ses recherches menées sur les vestiges préhistoriques, il reprend son approche des « cou- teaux » sous l’angle du rapport entre poids de matière première travaillée et longueur de tran- chant obtenu.
Archéologie préhistorique
La pratique de l’archéologie préhistorique à partir de 1946 va lui permettre de mettre au point de nouvelles manières de fouiller et d’organiser ses chantiers, directement associées aux ambi- tions de renouvellement méthodologique qu’il entend imprimer à la recherche archéologique en France.
Série 10-11 : Les Furtins (71), premier grand terrain en préhistoire
Aux Furtins, de 1946 à 1949, il se trouve confronté pour la première fois au dégagement stra- tigraphique, à la lecture des coupes et à l’enregistrement stratigraphique en grotte. La diversité des modes de représentation qui illustrent la publication reflète ses hésitations du moment pour trouver la meilleure expression de ce qu’il comprend du terrain.
Série 12-13 : Arcy-sur-Cure (89), la longue durée en milieu karstique
Avec cette opération (1949-1963), dans une démarche affirmée d’ethnologie préhistorique, il va vouloir combiner le décapage synchronique intensif à la perspective extensive diachronique.
Cette dernière lui permet de confronter les données archéologiques (évolution et diversification techniques), environnementales et paléontologiques à travers les dizaines de millénaires.
Série 14-16 : Pincevent (77), l’occupation domestique en terrain limoneux
À partir de 1964, avec Pincevent, Leroi-Gourhan peut se consacrer entièrement à la perspec- tive synchronique. En effet, ce site magdalénien en milieu ouvert et alluvial va lui permettre de décaper de vastes surfaces d’occupations, qui plus est bien conservées (lithique, faune, ocre rouge, charbons des foyers). Leroi-Gourhan observe l’organisation au sol des vestiges mis au jour dans une configuration qui semble exceptionnellement intacte, puis analyse les données collectées, catégorie par catégorie, pour en déduire des dynamismes de circulation lui permet- tant au final de proposer un modèle de structuration pour des unités d’habitat domestique, qu’il imagine sous tente, abritant temporairement un groupe de chasseurs de rennes. (Leroi- Gourhan 1966, 1972).
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Art
Série 17 : L’art asiatique
Ses premières expériences dans l’approche des représentations artistiques concernent essen- tiellement l’analyse des motifs relevés sur des objets des musées Guimet et du Trocadéro, à Paris. Il s’agit d’une approche très formelle, Leroi-Gourhan cherchant avant tout à identifier les représentations, souvent rendues illisibles à force de transcriptions séculaires.
Série 18-19 : l’art pariétal franco-cantabrique
Alors qu’il s’était jusque-là surtout intéressé aux motifs qu’il relevait sur des objets historiques, à partir de 1956, il s’intéresse à ceux des grottes préhistoriques. Son propos est avant tout de s’éloigner d’une approche individuelle des motifs, alors dominante chez ses contemporains, pour une approche globale des rapports entre motifs, et entre ceux-ci et la topographie des grottes. Il parcourt alors systématiquement les cavités et dépouille les publications. À l’aide de fiches à perforations marginales il tente d’en saisir l’organisation par la détection des récurrences d’emplacements. En démontrant le haut niveau de symbolique des systèmes de représentation, son approche révolutionne la compréhension de l’art pariétal.
17. Série 17.
Les relevés de motifs d’art asiatique Ici, il illustre la dérive graphique (de haut en bas) de trois motifs ani- maliers symétriques sur des bronzes chinois.
10. Série 10-11. L’archéologie préhistorique aux Furtins (1946-1949) : les fondations d’un renouvellement méthodologique Comment représenter les dégagements stratigraphiques (à l’époque, une innovation).
Ici, une vue en perspective des différentes faces d’un sondage.
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11. Ici, un relevé stratigraphique avec numérotation des couches sédimentaires.
Cette coupe est accompagnée d’une légende détaillant la composition de chaque couche.
12. Série 12-13. L’expérience de la longue durée préhistorique à Arcy-sur-Cure (1949-1963) Ou comment combiner le décapage synchronique intensif et la perspective extensive diachronique ? La représentation pédagogique et en perspective par André Leroi-Gourhan d’une coupe montre l’évolution de sa conception d’un chantier sur un site en grotte : coupes orthogonales, étiquetage des niveaux, conjonction des stratigraphies verticales et des décapages topographiques des niveaux.
13. André Leroi-Gourhan participe directement aux fouilles et aux relevés, aux côtés de ses étudiants, à Arcy-sur-Cure.
14. Série 14-16 . Pincevent, l’approche synchronique intensive (à partir de 1964) Déduire des dynamismes de circulation, à partir du décapage et de l’enregistrement de vastes surfaces d’occupation.
Relevé manuel des vestiges au sol, dessin Roger Humbert et Pierre Guilloré
15. Croquis de situation des masses de vestige (lithique, osseux, ocre, pierres, charbons), dessin Leroi-Gourhan
16. Proposition d’une structure au-dessus des trois foyers : maquettes des tentes
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18. L’art pariétal franco- cantabrique Une approche globale des rapports entre motifs et topographie.
Fiche de référence perforée montrant les repères de chaque figuration identifiée dans les grottes d’occupa- tion préhistorique.
19. Une des fiches relatives à Lascaux
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En ligne
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Iconographie
Image d’ouverture. André Leroi-Gourhan au relevé, à la grotte du Portel. Archives CNRS-MAE-Nanterre (fonds EP).
1. Archives MNHN (correspondance G.-H. Rivière).
2. Leroi-Gourhan, A. 1936 « Section A : Les formes élé- mentaires de l’activité humaine » in P. Rivet dir. Encyclo- pédie française tome 7, L’espèce humaine. Paris : Comité de l’Encyclopédie française éditeur / Librairie Larousse.
3 & 4. Leroi-Gourhan, A. 1946 Archéologie du Pacifique nord. Paris : Institut d’Ethnologie.
5 & 6. Leroi-Gourhan, A. 1943 L’homme et la matière.
Paris : Albin Michel.
7. Leroi-Gourhan, A. 1955 Hommes de la préhistoire. Les chasseurs. Paris : Éditions Bourrelier.
8. Leroi-Gourhan, A. 1963 « Apparition et premier déve- loppement des techniques » in M. Daumas dir. Histoire générale des lechniques. 1/ Les origines de la civilisation tech- nique. Paris : PUF : 1-74.
9. Leroi-Gourhan, A. 1964 Le geste et la parole. 1/ Tech- nique et langage. Paris : Albin Michel.
10 & 11. Leroi-Gourhan, A., Baudet, J., Bozzones, S. &
N. Dutrievoz 1950 « La caverne des Furtins » Préhistoire 11. Paris : PUF : 17-143.
12. Leroi-Gourhan, A. 1950 Les fouilles préhistoriques, technique et méthodes. Paris : Picard.
13-16 & 18-19. Archives CNRS-MAE-Nanterre (fonds EP).
17. Leroi-Gourhan, A. 1935 « L’art animalier dans les bronzes chinois », Revue des Arts asiatiques IX (4) : 179-189.
L’auteur
Préhistorien, Philippe Soulier a été conservateur du patrimoine, puis ingénieur de recherche au CNRS. Ses travaux en histoire de la recherche, consacrés à l’archéologie française, ont traité de divers domaines : la Société préhistorique française, le mégalithisme, l’évolution de la réglementation et des institutions en archéologie, etc. ainsi que plusieurs biographies de préhistoriens… et notamment : André Leroi-Gourhan (1911-1986), une vie (CNRS Éditions, 2018).
Références
Leroi-Gourhan, A. 1936 La Civilisation du renne. Paris : Gallimard.
— 1943 Évolution et techniques, 1, L’homme et la matière.
Paris : Albin Michel.
— 1945 Évolution et techniques, 2, Milieux et techniques.
Paris : Albin Michel.
— 1946 Archéologie du Pacifique nord : matériaux pour l’étude des relations entre les peuples riverains d’Asie et d’Amé- rique. Paris : Institut d’Ethnologie, (coll. « Travaux et mémoires de l’Institut d’Ethnologie » 47).
Leroi-Gourhan, A. & M. Brézillon 1966 « L’habitation magdalénienne n° 1 de Pincevent prés Montereau (Seine-et-Marne) », Gallia-Préhistoire IX (2) : 263-365.
Leroi-Gourhan, A., Brézillon, M., David, F. et al. 1972
« Fouilles de Pincevent. Essai d’analyse ethnogra- phique d’un habitat magdalénien (la section 36) ».
Paris : C.N.R.S. (Supplément à Gallia-Préhistoire VII), 2 vol.
Pour citer l’article
Soulier, Ph. 2019 « Dessins, photos, fichiers, cartes ou graphiques. André Leroi-Gourhan renouvelle ses techniques à chaque objectif anthropologique », Techniques&Culture 71 « Technographies », p. 26-45.