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Les enseignants et la diversité ethnoculturelle : entre différenciation et homogénéisation dans les discours et les pratiques pédagogiques

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Academic year: 2022

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Les enseignants et la diversité ethnoculturelle : entre différenciation et homogénéisation dans les discours et les pratiques pédagogiques

MOTTET, Geneviève

Abstract

L'objectif de cet article est de présenter le rapport ambivalent qu'entretiennent les enseignants avec la diversité ethnoculturelle de leurs élèves. Nous verrons qu'ils mobilisent deux schèmes de discours et de pratiques qui s'entremêlent et s'opposent. D'une part, les professionnels cherchent à promouvoir la différenciation pédagogique et à prendre en compte la diversité des publics scolaires. D'autre part, ils développent paradoxalement des pratiques et produisent des discours qui entendent l'effacer, dans une visée d'homogénéisation, cherchant à ajuster les publics aux normes scolaires et sociétales ; soit à induire les bons comportements et à promouvoir la culture commune.

MOTTET, Geneviève. Les enseignants et la diversité ethnoculturelle : entre différenciation et homogénéisation dans les discours et les pratiques pédagogiques. Education et socialisation , 2021, no. 59

DOI : 10.4000/edso.13718

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:151363

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59 | 2021

L’organisation du travail dans les coulisses de la différenciation

Les enseignants et la diversité ethnoculturelle : entre différenciation et homogénéisation dans les discours et les pratiques pédagogiques

Geneviève Mottet

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/edso/13718 DOI : 10.4000/edso.13718

ISSN : 2271-6092 Éditeur

Presses universitaires de la Méditerranée

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Référence électronique

Geneviève Mottet, « Les enseignants et la diversité ethnoculturelle : entre différenciation et homogénéisation dans les discours et les pratiques pédagogiques », Éducation et socialisation [En ligne], 59 | 2021, mis en ligne le 31 mars 2021, consulté le 16 avril 2021. URL : http://

journals.openedition.org/edso/13718 ; DOI : https://doi.org/10.4000/edso.13718 Ce document a été généré automatiquement le 16 avril 2021.

La revue Éducation et socialisation est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.

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Les enseignants et la diversité ethnoculturelle : entre

différenciation et homogénéisation dans les discours et les pratiques pédagogiques

Geneviève Mottet

Introduction

1 Dans cet article, nous nous intéressons à la dialectique « différenciation – homogénéisation » qui se trouve au cœur de la relation pédagogique. Comme le relève Laflamme (2012), dans la seconde moitié du XXe siècle, en Occident, deux visions antinomiques ont tenté d’expliquer le devenir de l’humanité, l’une insistant sur les phénomènes de différenciation, l’autre sur ceux d’homogénéisation. L’auteur met en évidence le fait que les deux positions ne sont pas mutuellement exclusives et qu’il s’agit de considérer l’imbrication de ces phénomènes. S’intéressant à ces injonctions paradoxales, telles qu’elles se donnent à voir dans le milieu scolaire, en Suisse et plus spécifiquement à Genève, notre objectif est ici d’analyser le rapport ambivalent qu’entretiennent les enseignants avec la diversité ethnoculturelle de leurs élèves, dont les discours et pratiques à visée différenciatrices et/ou homogénéisantes semblent particulièrement imbriquées.

2 La montée en puissance de la « question raciale » qui s’est opérée dans les sociétés occidentales depuis les années 1960, évacuant parallèlement la question sociale, a engendré des représentations de type « ethnico-raciales » traduisant l’origine culturelle des élèves en élément effectif de différenciation, tant au point de vue des discours que des pratiques (Bolzman, Fibbi et Vial, 2003). Parallèlement, les formes d’ajustement à la diversité des élèves s’inscrivent dans une transformation historique

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où l’individu est perçu en tant qu’être autonome, référé à des catégories de plus en plus spécifiques et de plus en plus extrait de son contexte social (Astier, 2007 ; Castel, 1995 ; Lahire, 2005).

3 Malgré les dispositifs de reconnaissance de la diversité (lois, recommandations, méthodes pédagogiques, etc.) mis en place dans le milieu scolaire à partir des années 1960, la notion de diversité ethnoculturelle véhicule aujourd’hui un rapport social ambivalent. Parfois valorisée, elle s’assortit néanmoins encore très souvent d’une connotation négative dans les discours émanant des médias, des politiques ou des professionnels où elle apparaît comme un problème1 (Mottet, 2017). Cet article s’intéresse ainsi à la manière dont les enseignants ont intégré et retraduisent les principes d’une politique promue en amont visant à prendre en compte la diversité ethnoculturelle des élèves, tout en cherchant à l’atténuer ou à la réguler puisqu’elle apparait comme une complexité.

Cadre théorique

4 Les recherches qui s’intéressent aux discours et pratiques pédagogiques des enseignants lors de la présence à l’école d’élèves issus des minorités ethnoculturelles montrent soit des démarches de différenciation et de reconnaissance des différences, soit des opérations à visée d’homogénéisation, voire de standardisation et de normalisation.

5 Le concept de différenciation dans le champ scolaire relève de la prise en compte de la diversité culturelle qui s’est développée de manière parallèle et imbriquée à la lutte contre les inégalités sociales de chances de réussite et à la critique de l’« indifférence aux différences » (Bourdieu et Passeron, 1964). Dans ce contexte des années 1970, il s’agissait alors de promouvoir le développement de personnalités distinctes et émancipées du carcan patriotique qui leur était jusqu’alors attribué2. La différenciation pédagogique s’est affichée dans les années 1990 comme une réponse pédagogique et managériale (Aebischer, 2012) à cette nouvelle perspective éducative qui promouvait également l’individualisation des parcours de formation. Dès lors, l’enjeu de la différenciation a demandé de prendre en compte l’hétérogénéité de la classe (Tomlinson et McTighe, 2010) en s’aidant de divers moyens pour amener chaque élève à son plus haut niveau potentiel (Gillig, 1998)3.

6 La définition de la différenciation pédagogique donnée par Perrenoud (1997) relève ainsi que « différencier c’est rompre avec la pédagogie frontale – la même leçon, les mêmes exercices pour tous ; c’est surtout mettre en place une organisation du travail et des dispositifs didactiques qui placent régulièrement chacun dans une situation optimale » (p. 86). Au niveau des cultures, selon Hutmacher (1994), le mode de lecture des différences s’est transformé progressivement, depuis le milieu des années 1970, engendrant, notamment dans le domaine scolaire, un changement d’attitude à l’égard de l’altérité et établissant une certaine symétrie de valeurs entre origines et cultures différentes. Selon le chercheur, à cette époque, la stigmatisation de l’étranger en tant qu’étranger4 est devenue socialement moins tolérable et les militants les plus convaincus par ce changement d’esprit ont plaidé pour une éducation interculturelle en tant que moyen d’enrichissement réciproque des patrimoines culturels.

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7 Néanmoins, à la suite du développement de la pédagogie interculturelle visant à reconnaître la diversité culturelle des élèves comme étant une richesse, des chercheurs ont commencé à faire des mises en garde. Abdallah-Pretceille (2010) rend attentif aux conséquences désastreuses qui peuvent survenir, telles que la réification et la folklorisation, lorsque l’on réduit l’identité ethnique ou culturelle aux éléments culturels, ces effets pouvant aller jusqu’à la stigmatisation et la marginalisation des élèves des minorités auxquels est attribuée une identité socialement dévalorisée (Nicolet, 1987). Mc Andrew (2001) relève en ce sens que l’organisation d’activités pédagogiques fondées sur une définition stricte (ou personnelle) des éléments culturels des élèves, ainsi qu’une trop grande concentration sur la réalité des pays d’origine est à éviter. La critique étant que de cette façon, la culture cesse d’être réelle, actuelle, mouvante, flexible et individualisée (Clifford, 1988).

8 Parallèlement au concept de différenciation dans le champ scolaire, le concept d’homogénéisation se développe à partir des années 1960, lors de la création des collèges et l’instauration d’une école unique. Il s’opère alors selon Riutort (2014), une homogénéisation – au moins dans les principes – des parcours scolaires. Dans le milieu scolaire, de multiples tentatives d’homogénéisation ont été menées et continuent de l’être avec des regroupements d’élèves par sexe, par classes d’âge ou par niveaux de connaissances, par déficiences ou handicaps, par ethnies, par langues parlées, créant pour eux des structures d’accueil, des classes spéciales ou spécialisées, des internats (Belkaïd, 2002). L’homogénéisation est également au cœur d’un processus qui prévaut dans l’école et qui comporte une tendance assimiliationniste, notamment par l’imposition de valeurs, de normes et de manières de faire présentées comme universelles, mais dont l’enjeu principal est l’homogénéisation de la population, notamment des familles issues de l’immigration, sur une base autre que linguistique (Lenoir, Lenoir, Pudelko et Steinback, 2018). Aussi, selon ces auteurs, la tendance assimilationniste contribue à marginaliser davantage des familles jugées hors normes du fait qu’elles n’adhèrent pas à des codes, normes ou valeurs qui leur sont étrangers ou méconnus.

9 Dans ces tentatives d’homogénéisation vis-à-vis de la diversité des publics, les thèmes du vivre ensemble à l’école et de la promotion d’une culture commune, peuvent tendre vers une normalisation questionnée par des chercheurs. Cette entreprise de normalisation se fonde sur une vision déficitaire des familles minoritaires (Matthiesen, 2016) et ce sont essentiellement les fractions des familles populaires les moins nanties en bagage scolaire qui constituent les cibles privilégiées de ce processus de normalisation des acteurs en charge de veiller à la « bonne éducation » des enfants de ces familles (Delay et Frauenfelder, 2013). Conus (2017) relève également comment la négociation des rôles entre parents et enseignants dans un contexte de diversité culturelle peut se trouver prise dans une dynamique de « normalisation » institutionnalisée du rôle parental vis-à-vis d’une norme scolaire toute-puissante, caractéristique d’un ethnocentrisme institutionnel qui tend à imprégner l’école et ses acteurs (Asdih, 2012 ; Ogay, 2017).

10 Les deux schèmes de différenciation et d’homogénéisation ne sont pas mutuellement exclusifs, et comme nous allons le voir, les professionnels peuvent mobiliser l’un ou l’autre selon leurs pratiques.

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Sources empiriques

11 Notre analyse prend empiriquement appui sur une quarantaine d’entretiens de type qualitatifs semi-directifs effectués auprès d’enseignants de l’école primaire genevoise, d’une durée d’une heure trente en moyenne5. Ces derniers ont été contactés à partir d’une liste établie par l’autorité scolaire qui indiquait les références de professionnels que nous pouvions contacter, et qui, comme nous le souhaitions, devaient travailler dans des écoles regroupant une population d’élèves hétérogènes en termes de niveau socio-économique et d’origine ethnoculturelle. En outre, nous avions demandé à interroger des enseignants novices, ainsi que des professionnels proches de la retraite.

Notre guide d’entretien avait pour objectif de les amener à s’exprimer sur leur représentation du métier en contexte d’hétérogénéité des publics, sur leurs pratiques pédagogiques et notamment sur leur rapport à la diversité des élèves6. Cet article mobilise également des entretiens effectués auprès de professionnels dans le cadre d’une autre enquête portant sur la scolarisation des enfants issus de l’asile7. Nous avons procédé à une analyse des contenus (Bardin, 2003) en interrogeant les propos des professionnels et les thématiques qu'ils mobilisent, ainsi qu'en questionnant l'articulation entre leurs discours, leurs pratiques (telles qu'ils les décrivent), ainsi que leurs caractéristiques individuelles et sociales (ancienneté dans le métier, positionnement politique).

12 Tout d'abord, nous verrons dans cet article les objectifs que les professionnels de l'enseignement primaire à Genève donnent à la différenciation pédagogique, les modalités qu'ils promeuvent en direction des élèves issus de la migration, ainsi que les problèmes qu'ils relèvent à l'égard de ces pratiques. Ensuite, le propos montrera comment la diversité ethnoculturelle peut être l’objet d’une logique d’homogénéisation des publics, notamment en ce qui concerne les principes éducatifs et culturels. Nous verrons ainsi comment cette visée peut s’opérationnaliser dans une logique de normalisation des comportements et de promotion d’une culture commune.

Pédagogies interculturelles et différenciation au quotidien en contexte de diversité ethnoculturelle

13 Si la notion de différenciation pédagogique a déjà fait couler beaucoup d’encre, les études empiriques sur les pratiques pédagogiques sont plus rares (Forget et Lehraus, 2015). Notre propos rend compte de deux dimensions qui sont apparues dans nos entretiens relativement à l’appréhension par les enseignants de la diversité ethnoculturelle des élèves ; les objectifs et les modalités de différenciation, ainsi que les limites à celles-ci.

Objectifs et modalités de différenciation promues par les enseignants en direction des élèves issus de la migration

14 Alors que la différenciation pédagogique s’inscrit dans un changement de paradigme -

« Penser qu’on n’a pas une classe, mais qu’on a vingt enfants […] ce n’est même pas du tout le même esprit » (enseignant proche de la retraite) - il y a à présent un consensus à l’idée qu’il faille différencier et les enseignants aujourd’hui présentent la différenciation

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comme une pratique centrale de leur métier. À la question « pourquoi différencier ? », des professionnels répondent : « parce que l’on est tous différents », « pour respecter le choix et les besoins spécifiques des élèves », « pour ne pas laisser de côté des élèves sous prétexte qu’ils sont différents », « pour répondre à un principe d’égalité des chances », « pour aider les élèves en difficultés », ainsi que « pour stimuler les bons élèves ». Si pour les enseignants les pratiques différenciatrices visent en premier lieu à aider les élèves en difficulté, elles sont également pensées pour les élèves « doués » ou encore motivées pour toutes les catégories d’élèves (les élèves issus de la migration, les « dys »8, les élèves ayant des handicaps physiques, ceux ayant des besoins spécifiques).

15 Si Hutmacher (1994) constate un changement d’attitude à l’égard de l’altérité dans le domaine scolaire depuis les années 1990, c’est en partie en lien avec l’institutionnalisation de différents dispositifs symboliques (structures, recommandations, etc.) et pédagogiques de différenciation (Mottet, 2017) qui se déploie dans l’école. Une enseignante proche de la retraite relève en ce sens que l’école prenait auparavant moins en compte les élèves issus de la migration qui, selon elle, n’étaient pas très aidés par l’institution : « Ils s’y mettaient un peu tout seuls, on n’avait pas toutes ces méthodes annexes pour les stimuler, pour que ça soit plus facile pour eux ».

16 Les discours et pratiques des enseignants sur la prise en compte des différences se reflètent de manière récurrente autour de la thématique de l’éthos « interculturel ».

Pour certains d’entre eux, l’objectif de ces pratiques est de « sensibiliser les enfants aux diversités et aux origines de chacun », « être curieux, montrer de l’intérêt envers les autres cultures », « aller vers l’Autre », « mettre en valeur leurs cultures, leurs langues, leurs habitudes », « ne pas porter de jugements », « s’enrichir des différences des autres cultures »,

« observer les différences tout en les rapportant à ce qui unifie, à ce qui rassemble ». Les enseignants interrogés relèvent de manière assez consensuelle promouvoir cette spécificité de leurs élèves, tout au moins de manière ponctuelle. Ils se réfèrent à différentes pratiques visant la prise en compte spécifique de l’origine immigrée de leurs élèves. Plusieurs enseignants disent organiser des collations interculturelles où les élèves amènent des plats de leur(s) pays, parfois en invitant les parents, d’autres parlent de ce qui se passe dans les pays d’origine de leurs élèves. Prenant en compte la diversité linguistique des parents, certains enseignants relèvent faire appel à des interprètes dans le cas d’entretiens ou de réunions de parents. Enfin, d’autres pratiques sont également promues par les enseignants de l’enquête qui disent utiliser parfois des dispositifs pédagogiques proposés par l’institution, dispositifs promouvant les différences linguistiques de leurs élèves telles que la lecture de contes provenant de différents pays, la comparaison sous forme de jeux de différents alphabets, le fait de proposer des chants dans différentes langues, etc. Les propos des enseignants s’inscrivent ici dans les modèles que Bolzman (2009) qualifie d’ethnoculturels, dans le sens où l’on introduit une certaine réciprocité dans les relations avec les migrants, et d’interculturels, dans le fait qu’il vise la valorisation des différences et du vivre ensemble.

17 L’éducation interculturelle (ou multiculturelle) a ainsi mis l’accent sur l’harmonie entre les groupes et la lutte contre les préjugés, l’enrichissement mutuel par la célébration de la diversité et l’échange interculturel, puis sur le renforcement de l’image de soi des élèves des minorités en valorisant leur héritage culturel (Banks et McGee Banks, 2010 ; Potvin, 2014). Les professionnels interrogés s’inscrivent pour bon nombre dans ce

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paradigme en cherchant à reconnaître et à promouvoir les diversités induites par l’origine culturelle ou nationale de leurs élèves.

Une différenciation qui pose néanmoins problème

18 Conjointement aux propos des professionnels présentant la multiculturalité comme une richesse qu’il s’agit de valoriser par le biais de la pédagogie interculturelle, la diversité ethnoculturelle des élèves est toutefois parallèlement problématisée par certains enseignants qui relèvent qu’enseigner dans une classe ayant des élèves issus de la migration est très difficile, car cela demande une différenciation pédagogique de tout instant.

19 Ces derniers considèrent que la diversité des classes impacte sur les pratiques et donne du travail supplémentaire. Les modalités à promouvoir ralentiraient ainsi l’avancée du programme et semblent peser sur le moral de certains enseignants. Ainsi, pour ces enseignants, il apparaît, qu’avec la multiculturalité des classes il faille « amener les choses différemment », « s’arrêter sur des choses différentes », « aller à l’essentiel », « parler clairement ». La question de la langue est alors problématisée comme étant quelque chose d’« énorme » que l’enseignant doit gérer en plus des difficultés d’apprentissage des élèves dans des classes considérées comme étant déjà assez nombreuses. Le manque de vocabulaire des élèves non francophones demanderait de la part de ces enseignants un constant travail d’explicitation de termes qu’ils considèrent comme étant simples et qui ne nécessiteraient normalement pas de s’y attarder. En outre, la création de matériel différent pour les élèves allophones primo-arrivants nécessiterait un investissement important. Ogay et Gohard-Radenkovic (2008) ont également observé cette ambivalence chez de futurs enseignants. Selon les chercheuses, une tension se manifeste entre l’angélisme interculturel qui célèbre l’enrichissement apporté par la diversité, et l’embarras devant la dimension potentiellement conflictuelle de l’expérience de la différence.

20 Le propos ci-dessous illustre la manière dont certains professionnels se représentent la complexification du métier relative à la « gestion » de leurs élèves issus de l’immigration : « Parce que je vois des titulaires qui sont… peut-être pas racistes, mais qui en ont marre des fois de la pluriculturalité de leur classe et puis qui n’en peuvent plus, qui sont débordés ». Un autre enseignant relève que si c’est effectivement une richesse de connaître des gens qui viennent d’ailleurs, « cette richesse s’arrête là » car, selon lui, « ce sont surtout des problèmes qu’ils causent ». Les enseignants interrogés se demandent

« jusqu’où aller avec la diversité des élèves » et constatent que celle-ci impacte sur leur travail quotidien. Si les enseignants reconnaissent et pratiquent la différenciation pédagogique, il émerge néanmoins de certains propos que les différences peuvent poser problème et que, s’il importe de s’approcher des individualités, il s’agit également de respecter certaines limites à la prise en compte des différences.

21 La présence à l’école d’élèves issus des minorités ethnoculturelles soulève ainsi des questions pédagogiques, éthiques et politiques (Schiff, 2017). Selon la chercheuse, sans homogénéiser à l’excès les points de vue des enseignants, il s’agit de souligner qu’il existe un cadre national et culturel dans lequel s’inscrit l’appréhension des « problèmes

» des élèves issus de l’immigration au regard des désignations en vigueur dans chaque pays. Aussi, l’auteure constate l’effet des « modèles » nationaux d’intégration sur les interprétations et les réponses pédagogiques apportées par les enseignants de

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différents pays européens dans la place donnée à l’altérité ethnoculturelle à l’école.

Alors qu’en Angleterre, la chercheuse observe la prégnance du paradigme Noirs/Blancs, elle relève en France une résistance des enseignants à « l’ethnicisation », soit à se référer spécifiquement aux origines immigrées des élèves. En Allemagne, Schiff remarque un tiraillement entre une tentation différencialiste et une conviction assimilationniste et au Danemark, une interprétation de la différence à partir des obstacles linguistiques. Nous pourrions interpréter à partir des résultats présentés et à venir dans la deuxième partie de cet article, que les enseignants de Suisse romande côtoient les modèles nationaux allemand, français et dans une moindre mesure, danois.

La diversité ethnoculturelle des publics scolaires au prisme d’un travail d’homogénéisation

22 Conjointement à la différenciation ethnoculturelle que les enseignants pratiquent, il apparaît qu’ils effectuent parallèlement un travail paradoxal d’homogénéisation de la diversité des publics. Les enseignants attendent des publics qu’ils s’ajustent à certaines attentes institutionnelles, mettant dans un arrière-plan les dispositifs de reconnaissance des diversités qu’ils mobilisent. Dans le premier temps, nous mettrons en évidence des propos qui traduisent l’idée d’une intervention des enseignants dans l’optique de changer des manières d’être (ou de faire) de certains élèves et de leur famille, considérées comme socialement ou culturellement inadaptées. Nous verrons comment ils effectuent un travail de standardisation visant à induire les bons comportements, ceux socialement attendus, et à normaliser certaines pratiques parentales éducatives. Nous aborderons ensuite la manière dont certaines pratiques professionnelles opérationnalisent un travail d’homogénéisation des publics à partir de la promotion d’une culture commune, qui est celle de l’école et de la société d’accueil (la commune, le canton, le pays).

Induire les bons comportements et normaliser les pratiques éducatives des parents

23 Pour une grande partie des professionnels interrogés, les difficultés des élèves découlent d’un manque de motivation et/ou de travail. D’après ces enseignants, il s’agit de promouvoir un travail éducatif pour qu’ils adhèrent à leur « rôle » d’élève et pour qu’ils travaillent plus et mieux. Il faut ainsi que l’élève en difficulté augmente sa motivation, son goût de l’effort et qu’il fasse son « métier d’élève » : « S’il travaille régulièrement et qu’il le fait régulièrement, s’il fait l’effort, il obtient le résultat. Les seuls qui n’atteignent pas les objectifs assignés ce sont des élèves qui ne travaillent pas ». On observe que pour ces enseignants, si les élèves sont en difficulté, c’est parce qu’ils n’adoptent pas une « attitude normale » (Rousseau et Potvin, 1993). Comme le souligne Kahn (2015), l’élève repéré comme hors norme par ses comportements, ou par ce qu’il produit lors des évaluations récurrentes, a de fortes probabilités de voir se poser sur lui un regard défectologique. On parle alors de ses carences ou manques, en termes moralisateurs (il manque de travail, de sérieux), ou en termes psychologiques (on parle de son manque d’attention ou de troubles d’apprentissage). C’est ce que pointent nombre de chercheurs, et ce, dès l’enseignement préprimaire (Kahn, 2011).

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24 Dès lors, pour prévenir ces difficultés scolaires et/ou comportementales, il s’agit pour les professionnels comme pour les politiques de les cibler au plus tôt, selon une logique de détection précoce (Castel, 1983), notamment lorsque le public est perçu comme étant à risque. Plusieurs enseignants ont observé un changement en la matière. « Je trouve qu’on essaie plus vite de cibler les difficultés de l’enfant qu’avant. Avant bon, voilà, il était en difficulté, mais maintenant, très tôt, on essaie de cibler et après de les orienter soit sur une logopédiste9, un psy ou… pour essayer de trouver vraiment ce qui ne va pas et agir le plus vite possible ». À l’instar d’Astier (2007), on peut dire que les enseignants attendent que chaque élève fasse un travail de construction de soi, qu’il prenne en charge son destin et qu’il élabore des motifs personnels aux apprentissages scolaires, notamment dans le sens d’une motivation. Les enseignants cherchent à promouvoir des dispositions spécifiques au « métier d’élève » qui tendent à une standardisation des attitudes sociales et scolaires.

25 Par ailleurs, en cas de difficulté, les enseignants responsabilisent souvent les parents du manque d’implication et de motivation scolaire de leur enfant. L’implication des parents et leur respect de l’école semblent des éléments fondateurs à la réussite des élèves. Certains enseignants effectuent un travail visant également l’homogénéisation des pratiques parentales pour qu’elles correspondent aux standards attendus par l’école. Les solutions proposées visent presque tout le temps le changement des pratiques des parents, et notamment des familles immigrées, parallèlement à celles des élèves. À une élève manquant d’enthousiasme pour les activités scolaires, la

« solution » serait pour une professionnelle que cette élève ait « un milieu familial qui collabore pleinement avec l’école et qui travaille avec elle à la maison ». En outre, il est attendu que les parents posent un cadre et qu’ils donnent les « conditions propices à l’étude ». Les enseignants souhaitent ainsi que les parents éduquent leur enfant, qu’ils sachent leur dire non en leur donnant des limites, notamment concernant la durée et l’usage des écrans. Ils attendent des parents qu’ils ne soient pas laxistes sur les heures de sommeil. Les façons de vivre des parents issus de la migration qui couchent tard leur enfant amèneraient une gestion plus difficile des élèves : « Il y a des enfants qui sont couchés très tard parce que c’est la façon de vivre de leur famille, de leurs pays et il y a pleins de choses disons qui sont plus difficiles à gérer ». Certains enseignants demandent à voir régulièrement les parents dans le but de les informer de l’évolution de leur enfant, et dans le cas de parents issus de la migration, de leur expliquer/rappeler le fonctionnement de l’école et de la culture locale, afin de contrer aux manques éducatifs constatés. « On en parle en réunion de parents, je leur donne des heures précises (…), quand on est dans les entretiens, il y a des petits trucs de métier que je peux transmettre aux parents pour assumer leur métier de parents ».

26 Ces observations rejoignent celles de différents chercheurs, tels qu’Ichou (2020) qui relève que le thème de l’échec scolaire des enfants d’immigrés reste un leitmotiv, souvent associé à la dénonciation des carences supposées des familles immigrées, à l’absence de « volonté d’intégration » de leurs enfants et, plus rarement, aux dysfonctionnements du système scolaire. Aussi, nous observons que, derrière lesdites problématiques individualisées de tel ou tel élève, s’expriment parallèlement et spontanément des registres interprétatifs, comme des jugements sociaux et souvent stéréotypés invoquant les caractéristiques sociales des élèves telles que l’« ethnicité » et le « milieu social » (Mottet, 2020). Le travail de l’enseignant semble être alors celui d’induire, par un accompagnement, sur les attitudes et valeurs des publics pour qu’elles

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correspondent à celles attendues par l’école et la société : induire les bons comportements et normaliser les pratiques parentales.

27 Si les enseignants que nous avons interrogés sont conscients des différences de conditions de vie entre les familles, l’attente d’une implication des parents dans l’école n’en est pas moins grande et une partie d’entre eux regrettent ce qu’ils nomment une attitude « démissionnaire ». C’est ainsi que dans une logique de prévention, l’accompagnement précoce est aujourd’hui préconisé pour augmenter les possibilités d’intervenir sur le milieu. La thématique de l’accompagnement par le coaching ou la responsabilisation est aujourd’hui omniprésente (Ion, 2010), ainsi que des dispositifs de

« soutien à la parentalité » (Lamboy, 2009) se multiplient. Concernant les familles immigrées, on observe en ce sens que se déploient de tels dispositifs (Audren, Baby- Collin et Valcin, 2018, Petit et Serves, 2019), notamment par le biais de formations de parents (Lamboy, 2009, Pecorini et al., 2012). La mise en place de dispositifs de soutien à la parentalité se développe particulièrement dans les écoles regroupant de populations immigrées et notamment celles qui scolarisent des familles récemment arrivées, demandant l’asile ou réfugiées. Nous l’avons vu dans le cadre d’une recherche sur la scolarisation des enfants issus de l’asile10, il s’agit de transmettre des valeurs telles que le vivre ensemble, l’hygiène, les mœurs non violentes, le système national, etc.

L’apprentissage du français participe également de ces dispositifs de soutien à la parentalité.

28 Lamboy (2009), citant Foucault, relève toutefois qu’à travers la mise en place de multiples actions regroupées sous l’appellation unificatrice de « soutien à la parentalité », il s’agit moins de « soutenir les parents (que d’imposer) une certaine normalité de l’être parent, afin d’orienter la société dans son ensemble dans le sens qu’ils souhaitent lui voir prendre, au niveau de ses modèles, valeurs, idéaux, représentations » (p. 46). Cette énonciation du soutien à la parentalité comme dispositif à visée éducative permet de faire le lien avec une autre visée d’homogénéisation de la diversité des publics que nous avons observée dans notre analyse des discours et pratiques professionnelles, à savoir la promotion d’une culture commune.

Promouvoir la culture « commune »

29 Les ajustements vis-à-vis du public issu de l’immigration se font par une recherche de solutions qui s’articulent dans une logique d’homogénéisation. La cohésion sociale, le vivre-ensemble, l’apprentissage de la citoyenneté et la promotion d’une culture commune, sont des principes érigés en autant de mots d’ordre et de discours par les politiques et pour les professionnels. Pour l’institution, les enseignants portent ainsi la mission d’amener la population d’origine étrangère, élèves et parents, à s’intégrer à la société, notamment par l’apprentissage de la langue française perçue à bien des égards comme indispensable, et à s’adapter aux fonctionnements de l’institution scolaire.

Cette affirmation d’un relativisme culturaliste limité par la prise en compte nécessaire des manières de faire de l’institution, du pays d’accueil, voire de la « loi », ainsi que de la nécessité d’intégration, découlerait en partie de l’impossibilité énoncée par certains professionnels de considérer « toutes les cultures » de leurs élèves.

30 Si, pour des enseignants, il est capital d’informer les parents immigrés « du fonctionnement de l’école genevoise », il importe pour les élèves de créer une culture commune qui passe par la connaissance du lieu d’accueil (géographie, histoire…) : « je

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pense qu’une petite fille qui vient du Brésil et qui commence à apprendre le Salève, le Jura, l’Arve, l’Escalade11, c’est une façon de partager notre culture et de l’intégrer ». De même, l’intégration ne peut se faire que lorsque l’élève arrive à « se considérer un petit peu comme les autres, comme la masse ». Les élèves doivent donc « apprendre à faire comme on fait à Genève », car « tu ne peux pas tenir compte de toutes les cultures, de toutes les religions, quelque part, ça devient impossible maintenant, ça devient ingérable ». Pour cette enseignante, il importe de relever les risques de stigmatisation qui peuvent émerger lorsque l’on met trop en exergue les différences des élèves : « en essayant de tenir compte de chacun, on n’y arrive pas, c’est impossible, tu froisses un petit peu…tu as l’impression que tu fais un peu de la ségrégation, quelque part ». Être tous ensemble et faire tous pareil est une proposition ainsi invoquée pour éviter certaines inégalités.

31 Le discours qui prône l’avènement d’une culture commune est également tenu par un petit nombre de professionnels proches de la retraite, mobilisant certains propos spécifiques de l’extrême-droite. Ceux-ci expriment un sentiment d’invasion qu’ils ressentent devant « des parents étrangers qui revendiquent des droits particuliers », qui voudraient garder leur culture ou qui ne feraient pas l’effort d’apprendre le français.

Aussi, l’idée de l’abus est présente dans les propos d’une enseignante pour qui les étrangers sont des gens qui veulent recevoir de l’argent et profiter des dispositifs de l’État : « ils veulent que leurs enfants soient aidés à l’école, qu’ils aillent tous les jours aux activités surveillées, qu’on leur paye le dentiste… ». En outre, selon certains professionnels, les coutumes et fêtes locales seraient mises en péril par le fait que l’on ne pourrait plus mettre de jambon dans la soupe de l’Escalade12 et que les enseignants n’oseraient plus fêter Noël.

32 Outre la problématisation des questions religieuses, que cherche à contrer une politique de la laïcité, le manque d’éducation des enfants issus de la migration pose également problème à certains professionnels. Pour une enseignante, les nouveaux publics seraient des « enfants sauvages » qu’il s’agit d’éduquer et de « cadrer ».

Je crois qu’on doit être encore plus cadrant, on doit être encore plus cadrant parce que l’on a eu des enfants qui étaient… des enfants… je vais dire quelque chose d’un peu fort, mais des enfants sauvages, des enfants qui sont venus de certains pays, qui n’avaient jamais été scolarisés, qui ne savaient pas du tout ce que c’était une école et qui avaient l’habitude d’être dans la nature, et puis ils courent dans tous les sens.

33 Le développement d’une « culture commune » passerait ainsi par la civilisation d’enfants pensés comme des êtres n’ayant pas eu d’éducation.

34 Face à ces formes d’homogénéisation et d’essentialisation, la reconnaissance des singularités semble être mise à distance puisqu’elle pose d’emblée certaines limites aux professionnels. Si nous avons vu que la figure idéaltypique de l’enseignant est celle d’un professionnel qui considère la différenciation comme une posture inhérente au métier, elle revêt également une posture opposée qui cherche à préciser les limites de la singularisation et à rendre justice à des formes de standardisation des pratiques pédagogiques. La promotion du « vivre ensemble » et des « valeurs sociétales » (culture locale et nationale) s’inscrit dans une pensée néolibérale qu’il s’agit de rappeler.

Conclusion

35 Comprendre les discours et pratiques des enseignants relativement à la diversité ethnoculturelle et mettre en évidence les formes d’homogénéisation engagées sur ces

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publics variés a été l’objectif de cet article. Nous avons vu d’une part que les enseignants promeuvent souvent la différenciation pédagogique tout en montrant la complexité. D’autre part, qu’ils développent parallèlement des pratiques et produisent des discours qui entendent dissimuler ces dernières, dans une visée d’homogénéisation, cherchant à ajuster les publics aux normes scolaires et sociétales ; soit à induire les

« bons comportements » et à « promouvoir la culture commune ». L’imbrication entre des discours et pratiques qui peuvent se percevoir comme contradictoires, mais qui coexistent, relève du propos de ce texte. Aussi, si derrière les tendances à la différenciation, il y a quelqu’aptitude à l’indifférenciation (Laflamme, 2012), il est intéressant de relever que les enseignants participent eux-mêmes d’une institution qui les amène à standardiser leurs pratiques tout en encourageant les personnalités à se différencier.

36 En interrogeant des enseignants novices et des professionnels proches de la retraite, nous avons cherché à voir si les discours et les pratiques en direction des élèves issus de la migration, se différenciaient par des facteurs générationnels. De fait, nous n’avons pas observé de différences signifiantes quant à la prise en compte de la diversité des publics selon cette catégorie d’analyse, à l’exception des propos témoignant une critique forte sur les familles issues de la migration. Ces propos, qui apparaissent comme étant proches de ceux portés par l’extrême-droite, sont dans notre enquête véhiculés par des enseignants proches de la retraite, bien que par une minorité d’entre- deux. Outre cette différence, nous pouvons dire que ce sont leurs caractéristiques individuelles, sociales ou politiques qui agissent sur les représentations des enseignants, plus que leurs inscriptions générationnelles. En ce sens, nos observations rejoignent les constats de Goodson et Norrie (2009) qui, dressant un état des lieux de la profession enseignante dans le primaire en Angleterre, n’ont pas observé de différences notables entre les opinions des deux générations13. Aussi, si cet article classifie les pratiques professionnelles en matière de différenciation pédagogique relative à la diversité des publics, ainsi qu’en matière de pratique antinomique visant l’homogénéisation des publics diversifiés, il va de soi que les contextes d’énonciation sont à prendre en compte pour comprendre comment elles peuvent osciller entre différenciation et homogénéisation. Dans tous les cas, comme Lahire (2005) le précise, les enseignants semblent tous plus ou moins pédagogiquement partagés et leurs pratiques sont les produits de métissages ou de bricolages aux dosages très subtils.

37 Enfin, nous allons conclure avec une réflexion que ces constats amènent sur la formation des enseignants. La question se pose tout particulièrement au sujet des effets des formations à l’interculturel sur les pratiques professionnelles. L’on sait que nombreux sont les enseignants qui ont suivi des formations relatives aux différences de cultures telles que sur les « populations migrantes », l’« immigration », les approches interculturelles, etc. Il n’est pas étonnant dans ce contexte qu’ils soient amenés à réfléchir en termes de différences. L’on peut dire, à la suite de Serre (2010), que la réification des différences culturelles à laquelle participent les formations en construisant une frontière nette entre « Eux » et « Nous » rend possible le glissement d’un regard compréhensif à un jugement négatif. Tutiaux et Verhoeven (2018), dans leur numéro spécial sur la question, mettent de fait en exergue les difficultés relatives à la conscientisation des phénomènes d’inégalités et de discriminations dans les formations des enseignants, mais également et surtout celle d’amener les professionnels à changer concrètement leurs pratiques. Mottet et Sanchez-Mazas (à

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paraître) montrent par ailleurs les variations qui peuvent s’opérer entre formation initiale et continue, questionnant les approches promues qui peuvent se révéler paradoxales. Aussi, une réflexion partagée gagnerait à être déployée, comme le propose Abdallah-Pretceille (1998), afin de reconnaître « l’autre comme sujet singulier et universel » (p. 103) et ainsi d’appréhender tant les trajectoires personnelles que les contextes socio-historiques.

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NOTES

1. La diversité ethnoculturelle des élèves est souvent associée par ces acteurs à des problèmes d’intégration, de violence en milieu scolaire, de difficulté scolaire ou comportementales, ainsi qu’à une complexité du métier.

2. Aussi, à Genève par exemple, la transformation introduite par la loi sur l’instruction publique de 1977 (par rapport à celle de 1940) est éloquente à cet égard.

3. Dans Forget et Lehraus (2015).

4. En Suisse, l’usage du terme « étrangers » pour désigner des élèves issus de la migration est fréquent en raison du contexte relatif au droit du sang, et non du sol comme en France.

5. Dans le cadre d’une recherche financée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS : 100013-137834/1).

6. À partir de questions de ce type: « Quel est le profil des élèves de votre école ? »,

« Votre classe vous paraît-elle homogène ou hétérogène ? », « Comment composez-vous avec la diversité des élèves de votre classe ? Différenciez-vous votre pratique ? »,

« Pensez-vous que la diversité culturelle des élèves ait amené les enseignants à changer leurs pratiques ? », « Pensez-vous que l’école doit « être indifférente aux différences » ou qu’elle doit plutôt prendre en compte ces dernières ? », « L’intégration des élèves d’origine étrangère vous paraît-elle être une mission de l’école ? », « Pouvez-vous me parler d’un élève (en difficulté/difficile)? Pouvez-vous me faire part des raisons qui pourraient être à l’origine des difficultés de cet élève? Qu’aurait-il besoin ? ».

7. Recherche financée par le FNS : 100019_173025.

8. Dyslexie, dysorthographie, dysphasie, dyspraxie, dysgraphie, dyscalculie.

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9. Équivalent de l’orthophoniste.

10. Recherche financée par le FNS : 100019_173025.

11. Références à la géographie et à l’histoire locale : montagnes, fleuve et fête genevoise.

12. Fête locale.

13. À l’exception des technologies de l’information et de la communication.

RÉSUMÉS

L’objectif de cet article est de présenter le rapport ambivalent qu’entretiennent les enseignants avec la diversité ethnoculturelle de leurs élèves. Nous verrons qu’ils mobilisent deux schèmes de discours et de pratiques qui s’entremêlent et s’opposent. D’une part, les professionnels cherchent à promouvoir la différenciation pédagogique et à prendre en compte la diversité des publics scolaires. D’autre part, ils développent paradoxalement des pratiques et produisent des discours qui entendent l’effacer, dans une visée d’homogénéisation, cherchant à ajuster les publics aux normes scolaires et sociétales ; soit à induire les bons comportements et à promouvoir la culture commune.

The aim of this article is to present the ambivalent relationship that teachers have with the ethnocultural diversity of their students. We will see that they mobilise two intertwined and opposing patterns of discourse and practice. On the one hand, professionals seek to promote differentiated instruction and to take into account the diversity of school audiences. On the other hand, they paradoxically develop practices and produce discourses that seek to erase it, with a perspective of homogenisation, seeking to adjust the public to school and societal norms; that is, to induce good behaviour and promote the common culture.

INDEX

Mots-clés : diversité ethnoculturelle - école - différenciation pédagogique - interculturel - homogénéisation - éducation

Keywords : (ethno)cultural diversity – school - differentiated instruction – intercultural – homogenization - education

AUTEUR

GENEVIÈVE MOTTET

Université de Genève - Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation

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