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A TRAVERS LA GAMBIE ANGLAISE ET LA GUINÉE PORTUGAISE

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Academic year: 2022

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ET LA GUINÉE PORTUGAISE

Dans une Lattd-Rover à quatre ventilateurs et à tpit double) accompagnée d'un chauffeur cabo-verdien qui ne connaissait pas le français, munie d'une seule valise dans laquelle les flacons allaient se briser sous les chocs et mes vêtements s'imprégner à jamais d'une poussière écarlate, j ' a i quitté Dakar pour Bathurst et Bissao.

L a route fut longue et difficile, la chaleur écrasante. Pistes de latérite, pistes de sable blanc. J'ai vu des palmiers et des rats palmistes, des termitières-cathédrales et des singes moqueurs, des lianes, des fromagers, des rivières aussi. A l'approche de l'hiver- nage, elles me sont apparues plus blêmes que d'habitude, les eaux de l'Afrique, plus silencieuses, plus angoissantes, palétuviers des eaux mortes, aux extravagantes racines qui dessinent en noir des formes surréalistes, et dans les eaux vives, les poissons-serpents à l'ondulant corps transparent et qui attendent. E t puis, ici ou là, ces menus ports, moites et lassés, avec les camions", les ballots, les chiens jaunes, les dockers en guenilles...

Divers furent les paysages, trop nombreux les bureaux de douane. A quoi pensent les douaniers rioirs, sous les manguiers, en écoutant le cri rauque des toucans durant le jour, l'aboiement des hyènes le soir venu ? Sous le portrait de Sa Très Gracieuse Majesté, l'un d'eux m'a posé en anglais des questions ; sa voix était sévère. Il avait des ongles vernis au carmin, des doigts sur- chargés de bagues et, à son poignet, à côté du bracelet-montre, un bracelet gris-gris. Les douaniers portugais ont distraitement jeté les yeux sur mon passeport : ils étaient occupés à manger du riz. Les douaniers du Mali me sont apparus nimbés de poésie.

Leur minuscule bureau n'était qu'un nid, où des colibris avaient façonné d'innombrables nids" au long des murs de terre, et au cours

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de ma halte, les oiseaux n'ont cessé de voleter au-dessus des papiers, se perchant sur la machine à écrire, frôlant d'une aile preste la carte du Sénégal et du Soudan...

C'est dans l'un de ces bureaux que j ' a i pris une « leçon de voyages » : j ' y ai rencontré un voyageur-qui-savait-voyager...

E n pirogue, en tipoï, â pied, en camion, j ' a i accompli an Afrique nombre de randonnées, en me fiant sans cesse aux dieux de l'im- prévu, du hasard, de la chance. Par quarante-cinq degrés à l'ombre, cet inconnu m'a démontré les risques d'une telle insouciance, dévoilé les secrets de l'Organisation : i l possédait les cartes de chaque région, i l connaissait les heures de traversée des bacs, et son horaire était minuté. Dans une valise dont i l ne.se séparait jamais, i l avait une boussole, un thermomètre, un baromètre, de l'aspirine, de la quinine, des pilules de caféine, une crème anti-solaire allemande, de l'eau de Cologne de chez Guerlain, des mouchoirs en papier mode in U. S. A. et imbibés d'une essence stimulante, des sham- pooings secs contre l'épaisse poussière rouge des pistes. Il avait tout... Même un ventilateur portatif miniature fabriqué au Japon.

E t lorsque nous nous sommes séparés, i l m'a regardée partir avec pitié, moi la voyageuse aux mains vides.

*

* *

J'ai visité Bathurst jusqu'au crépuscule et maintenant la nuit tombe, peuplant d'ombres l'étrange château du Cap Sainte Marie où je vais dormir. Solitude. Le vent s'engouffre brutalement par les meurtrières et dans les escaliers inachevés. L a mer rugit. Des portes claquent sur des chambres qui ne furent jamais habitées.

- Par la fenêtre, on voit de maigres filaos se tordre, et se creuser des vagues que l'on dit riches en requins.

— Voici une torche électrique, m'a dit la ravissante femme du Consul de France. Ne l'oubliez pas, quand vous sortirez pour le dîner. Le jardin et les chemins sont infestés de serpents.

C'est un Français qui a, pour son plaisir, construit cette de- meure aujourd'hui désertée. J'aimerais savoir ce qui put le séduire en ces lieux car, que Sir Edward Windley, gouverneur de la Gambie, me pardonne, je n'ai sans doute jamais connu' ville africaine plus morne que Bathurst. Ce ne sont pas les maisons anglaises, meublées à l'anglaise, l'hôtel anglais où l'on mange des roses gelées et des buns qui donnent cette impression, ni le terrain de cricket — ce Mac

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Carthy Square dont le gazon pèle, où défilent les troupes le onze novembre et le jour, anniversaire de la Reine — ni la Wellington Street où l'on vend des produits du monde entier et où les Nave- tanes, les Maures, payant en francs C. F . A . au lieu de livres West- Africa, viennent s'approvisionner en cigarettes Players et en whisky pour en tirer bénéfice au Sénégal, au Soudan, au Niger, en Mauritanie. Pas même cet interminable cimetière qui s'allonge au ras de la plage sous les cocotiers... Mais une atmosphère d'ennui baigne la ville, entoure ces Africains si peu Africains qui ne sourient et ne plaisantent jamais, demeurent à tout jfastant roides et com- passés. E t le port qui a oublié, semble-t-il le chant des sirènes, dort face à un fleuve paralysé, stérilisé. Ce fleuve Gambie, le Fleuve comme on dit ici, bien plus que le Saloum ou la Casamanee, présente pourtant des possibilités nautiques exceptionnelles et qui, exploitées, permettraient dans une région pauvre où le problème des distances ' constitue sans doute le problème numéro un, un progrès économique et social d'importance. Mais voilà...

— L a Gambie, m'a-t-on dit, est un territoire absurde'! Dix fois plus long que large, son découpage a été effectué sans qu'il soit tenu aucun compte de la géographie ni de l'ethnographie, • et cela uniquement pour permettre à l'Angleterre la libre disposi- tion et l'usage exclusif du fleuve. L a France, certes, possède des droits de navigation inscrits dans les traités de 1880 et de 1904 mais ces droits n'ont' pas été appliqués. L a politique britannique, dans ce domaine et au cours de ces dernières années, a consisté à proposer certaines concessions assez minimes devant avoir pour contrepartie l'assouplissement du contrôle douanier, c'est-à-dire, en fait, une sorte de tolérance en ce qui concerne la contrebande...

— L a contrebande ?

— Mais oui. Comprenez : la Gambie forme une sorte de mu- raille qui coupe en deux, sur près de 350 kilomètres, le Sénégal.

De cette excentricité même, et à défaut de moyens personnels, le territoire gambien ne peut vivre qu'artificiellement, en exploitant les contradictions de sa structure. Une frontière longue de plus de huit cents kilomètres, extrêmement perméable, sans surveil- lance possible, offre des conditions d'autant plus favorables à la contrebande, que la Gambie, appartient à la zone sterling, ce qui lui permet un approvisionnement très complet sur les marchés mondiaux... De plus, les parentés existant entre les populations, de part et d'autre de la frontière, accentuent encore

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les occassions de contact, en permettant l'extension du « com- merce » gambien à une partie importante du Sénégal.

* *

L a Gambie (pour deux millions en Sierra Leone et trente-deux millions en Nigeria) a deux cent quatre vingt mille habitants.

Elle se divise, administrativement parlant, en deux parties : la.

Colonie et le Protectorat. L a Colonie, c'est Bathurst et Kombo, avec le Cap Sainte-Marie, Fadjara, Saracounda : 30.000 personnes, un hôpital, des dispensaires, des écoles, la langue anglaise... Le Protectorat englobe le reste du territoire : domaine où l'on s'ex- prime en dialectes africains, où les chefs gardent toute leur autorité, où existent encore les chefs de terres, maîtres traditionnels des cultures, où la vie enfin dépend de l'arachide. L a « période de faim », c'est-à- dire les mois — de juin à octobre — où l'argent gagné grâce aux arachides était épuisé, où le mil et le riz de la récolte précédente avaient été mangés, n'existe plus aujourd'hui, certes, le Gouver- nement ayant encouragé les paysans à la culture du riz tardif dans la mangrove en construisant des digues et des diguettes.

Cependant la pauvreté du pays exige une politique d'austérité : les salaires sont bas, très bas. A u moment de la traite des arachides (50.000 tonnes par an) les Africains qui devenaient dockers tou- chaient un pence par sac.

Récemment un syndicat a été créé, sous l'égide de Mamadou Diallo : des grèves ont éclaté depuis le début de cette année, para- lysant successivement la ville, le port de Bathurst et les ports du Protectorat. Les dockers toucheront désormais cinq pence par sac...

L'agitation sociale n'est pas pour autant éteinte, et les Anglais en conçoivent une certaine inquiétude : car, s'il y avait révolte, que pourraient faire pour la mater les trois cents policiers et les cent vingt gendarmes de la Gambie ? ,

Dans le domaine politique, quelle est aujourd'hui l'attitude des Gambiens ? Le Ghana a, depuis des années, acquis son indé- pendance, la Nigeria l'obtiendra cette année, la Sierra Leone l'an prochain. E t le puissant voisin Mali est devenu, au sein de la Communauté rénovée, pleinement indépendant le 20 juin. Cepen-

* dant le mot Indépendance est ici rarement prononcé... E t pour cause : la Gambie rie possède vraiment aucune des caractéristiques permettant la création d'un Etat !

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Bien sûr, on voit parfois dans les rues des défilés. Des hommes en pull-over bleu brandissent un drapeau bleu marqué des lettres P. P. P. Ce sont les adhérents du PeopWs Protectorat Party (ils se sont rebaptisés eux-mêmes afin de conserver le sigle en évitant le ridicule : PeopWs Progressive Party) qui organisent des Mass

Meetings. Réunions de masse où i l n'y a jamais plus de deux cents personnes.*. Réunions de masse qui sont uniquement, m'a-t-on dit, « réunions d'insultes ». Comme on n'a pas de programme défini, pas d'argent, pas beaucoup d'illusions non plus sur les possibilités du pays, on injurie simplement les vchefs des autres partis : Gaba Diakhoumpa du Muslim Congress, le Révérend Faye du Démocratie Party, ou P. N . Dyaye de Y United Party...

Parlant de la Gambie, Lord Hailey disait i l y a dix ans que

« la faiblesse de sa population et de ses ressources, déterminées par les acéidents de l'histoire et de la géographie lui rendaient à jamais difficile une indépendance économique et politique réelles ».

Il semble qu'en 1960 les Gambiens jugent de même. Certains dési- reraient l'extension du droit de vote, et des pouvoirs plus étendus, mais tout en conservant, sur le modèle maltais, des liens étroits avec le Royaume-Uni. D'autres, préconisent une fédération des territoires ouest-africains britanniques. D'autres encore l'union Gambie-Sierra-Léone. Mais bien rares sont ceux qui souhaitent le mariage avec le Sénégal : les Gambiens de 1870 n'avaiënt-ils pas déjà refusé cette intégration qui leur avait été proposée par le Royaume-Uni et par la France ?

— E t pourtant, m'a-t-on assuré, ce serait la seule solution raisonnable. Pour le Sénégal évidemment, pour la Gambie tout autant. Le Fleuve dès lors utilisé pour l'exportation des arachides sénégalaises, le port de Bathurst deviendrait prospère, et aussi tous les villages aujourd'hui si pauvres qui bordent ce fleuve.

L a contrebande n'existerait plus, bien sûr, mais les Gambiens trouveraient une compensation certaine... Mais, pour l'instant, rien à faire 1 L a Gambie demeure fidèle à l'Angleterre : à ses cou- tumes, à l'absurdité géographique qu'elle a créée au temps de la période coloniale...

* *

— Chez nous, pas de préjugés de races : des différences de classes, e'est tout différent...

Je me trouve aujourd'hui à Bissau. Bissau est vraiment une

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« province », une petite ville du Portugal reconstituée avec fidélité parmi manguiers et flamboyants. Si on oublie la très moderne Poste, la somptueuse Chambré de Commerce qui vient d'être inaugurée, avec ses tennis, sa piscine, ses meubles précieux qui d'ailleurs ont été créés à Lisbonne, au Centre d'art Ricardo Espirito, on pourrait se croire, n'était la chaleur étouffante, à Guimaraes, à Braga ou à Viseu. Mêmes rues étroites, mêmes maisons, mêmes boutiques timides, quelques cafés sans femmes, un silence que rompt à intervalles réguliers le son des cloches d'une blanche église pi- quée à son sommet d'un coq de fer. Sur l'immense place brûlée de soleil, le palais rose du Gouverneur n'est nullement dépaysé.

Henri le Navigateur, façonné en bronze et appuyé sur son épée, regarde la 'mer...

L a Guinée est la plus ancienne colonie du Portugal. Après avoir reconnu les rivages sablonneux de l'actuelle Mauritanie où ne se trouvaient, rapporte l'historien du temps, Diego Gomes,

« ni arbres ni herbes », après avoir construit à Arguin, sur l'ordre de l'Infant, une forteresse « où les Arabes venaient apporter de Vor en poudre et recevaient en échange du blé, des manteaux blancs et des burnous », les descebridors des caravelles décidèrent l'explo- ration de l'intérieur des terres. Les récits des Maures qu'ils tenaient comme captifs avaient enflammé les imaginations. On parlait de mines d'or, d'hommes qui avaient « le nez et les oreilles chargés d'or», de caravanes transportante d'inestimables charges d'or, d'un roi qui possédait un bloc d'or si lourd que vingt hommes ne pou- vaient le mouvoir. E t l'ambassadeur vénitien Marino Cavelli d'écrire : « — La volonté de Monseigneur VInfant est grande desavoir quelque chose de la terre des nègres, se disaient ses capitaines : allons donc en quête jusqu'à ce que nous oyions trouvé le paradis terrestre...

Et, entaillant les arbres pour y graver leurs armes, ils prenaient possession des terres aux cris de Santiago 1 Portugal ! San Jorge l Fondant des comptoirs, opérant aussi des conver- sions, portés par leur fougue patriotique, jamais lassés, les Portu- gais, avec Lanzarotte, découvrirent le « N i l des Noirs » — le Çanaga.

Nuno Tristao qui avait déjà fait partie de nombre d'expéditions se vit confier le commandement d'une nouvelle caravelle « armée pour la guerre et pour la paix » qui dépassa le Cabo Verde, longea le pays des Barbacins, fut attaquée par des Noirs armés de flèches, et détruite. Ce fut seulement en 1446 que le Cap Roxo, à la limite de la Casamance et de la Guinée» fut atteint

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Depuis ces temps d'épopée* une lente, extrêmement lente pacifi- cation s'est effectuée, avec la création d'abord de comptoirs à Bissao, à Bolona, à Cachéo, à Farim, à Mansoa, une pacification qui ne s'acheva en fait qu'en 1915 ! Il y eut des remous encore, des révoltes, en 1917, en 1925, en 1936, mais circonscrits à ces îles Bijagos si malaisément pénétrables, à la population mystérieuse, là où les artisans du bois sont nombreux et dont les oeuvres d'art populaire forment une des richesses du calme et charmant musée de Bissao. Devenu i l y a neuf ans Province d'Outremer, ce terri- toire de 36.125 kilomètres carrés bordé par la mer, le Sénégal et la Guinée de Sékou Touré,- est aujourd'hui en apparence fort paisible. Le Mot, le mot magique, le mot Indépendance n'a donc pas franchi les frontières ?

J'ai été frappée par le nombre prodigieux de métis qu'on ren- contre à Bissao ; par le nombre aussi de casques eoloniaux... Les Européens portent presque tous des casques et l'on Voit, image des époques lointaines, des casques pendus sur les porte-manteaux dans les corridors de chaque demeure.

— Mettez donc un casque, vous aussi ! m'a-t-on dit.

J'ai obéi, mais force de l'habitude, avec une vague impression de gêne, comme si j'avais coiffé un chapeau très démodé, retiré d'une armoire longtemps close...

— Empire... Indigène... Colonie...

Etonnement d'entendre prononcer ces mots-là, pour iious aujourd'hui volontairement oubliés.

— Les assimilados... les civilisés...

Qu'est-ce qu'un civilisé ? U n homme qui, ici, parle et écrit la langue portugaise. L a population est de 510.777 habitants. Lors du recensement de 1950, on comptait une dizaine de mille civilisés : Européens, métis qui presque tous sont originaires du Cap Vert, et noirs porteurs d'une carte de l'Enseignement. Ces noirs « civi- lisés » (le mot va disparaître prochainement et sera remplacé par le mot « évolué ») étaient au nombre de 1.500 il y a dix ans : ils seraient plus de quatre mille aujourd'hui. Les autres continuent de vivre leur existence ancestrale, formant un monde ethnogra- phiquement des plus divers puisqu'il rassemble Floups porteurs d'arcs et de flèches, Papels, Mandjaks, Nalou, Bijagos, Balantes, Saracolès, Bambaras, Pajindikos, Séréres, Malinkés et Peulhs,

— un véritable musée de races, disait un Américain, — qui s'adon- nent soit au fétichisme, soit au christianisme ou à l'islamisme.

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Terre paisible ? Oui. E n brousse, l'Africain au passage d'une voiture, s'incline en enlevant son bonnet ou son calot. Dans les villes ou les « cités », i l est souriant, aimable. Il n'est guère tenu au courant des événements qui se déroulent dans les autres Afriques.

Pas de journaux étrangers ici. Une édition by air mail du Diario Popular de Lisbonne et un quotidien local : 0 Arauto. Le Mali, l'Entente, l'Union des Républiques d'Afrique Centrale sont des termes sans résonances, semble-t-il, aux yeux du Guinéen portu- gais. U n mandjak, en brousse, à qui on parlait de Dakar, a murmuré après un instant de réflexion :

— A h oui : « la terre des Blancs » ?

Il ajouta, comme s'il évoquait une action d'éclat, une expéu dition d'envergure :

— Chez nous, on dit que tout homme digne de ce nom devrait aller une fois dans sa vie à Dakar...

Indifférence donc, à tout ce qui se passe hors du pays. E t cependant...

Cependant, en août 1959, des grèves ont éclaté, dramatiques.

E n mars dernier, des tracts ont été diffusés qui reprochent au recteur du Lycée de pratiquer la ségrégation raciale (en réalité, ce lycée

• est fréquenté à quatre vingt-dix pour cent par des métis et, si peu d'Africains y sont admis, c'est que le niveau intellectuel de la plupart d'entre eux est trop bas.

A la même époque apparurent des manifestes réclamant l'autonomie, puis l'indépendance, dans l'amitié avec le Portugal.

Tracts et manifestes émanaient, du M . L . G. C , du Mouvement de Libération pour la Guinée et le Cap-Vert, association créée par certains originaires des îles du Cap-Vert habitant au Sénégal et dont l'action « devait s'insérer dans le cadre des efforts entrepris par la Fédération du Mali en vue du regroupement des territoires de l'Ouest Africain ». On souhaitait l'ouverture de négociations pour l'indépendance, avec l'aide et la garantie pacifique des Nations <

Unies ; on rappelait aussi certaine réponse du Président Senghor à une question posée par des journalistes sud américains : « — Le , Mali est une Fédération ouverte... Nous ne revendiquons rien. L'auto- détermination doit jouer pour tout le monde. Si les Guinéens portu- gais veulent nous rejoindre, nous les accueillerons à bras ouverts. »

Par ailleurs, la radio de Conakry ne manque pas, chaque

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dimanche, d'inciter à la rébellion par une triple émission : en portugais, en créole portugais, et en mandjak. E t puis les colpor- teurs dioulas circulent à travers tout le territoire, avec leurs ballots de marchandises et leurs chuchottis. Enfin les bruits les plus divers ont leur auditoire. On parle de concentrations de troupes du côté de Buruntuma, en face de Youkounkoun ; certains assurent que l'effectif militaire de la Guinée portugaise — 500 hommes jusqu'à présent — serait porté à 2.000 soldats et que des postes vont être créés au long de la frontière. D'autres disent qu'un petit groupe s'agite au cœur de Bissao, en relations avec le « Front de Libéra- tion » qui se serait constitué au Brésil, à Sao Paulo.

Mais, tracts, manifestes, émissions subversives, murmures, né forment en fait jusqu'à ce jour que simples bruissements de palmes... L a Guinée portugaise, vigilante mais confiante, continue de vivre sa calme existence au sein d'un monde en marche ; elle veut aussi, sous la direction de son « maître à bord » le capitaine de vaisseau Peixoto Correia, dynamique gouverneur, aller de l'avant dans les domaines de l'éducation et du social. Le Gouverneur, suivant le Regulamento Administeativo do Ultramar est tout puis- sant dans son territoire puisqu'aidé par un Cabinet et un Conseil de Gouvernement (deux ex-officio, trois membres désignés et cinq élus) i l supervise toutes affaires. Il vit dans un étonnant palais : galerie de portraits de tous les gouverneurs, dont le très noir Honorio Barrefo dont on a fêté récemment le centenaire de la mort, tapisseries dont l'une représente Nuno Tristao tombant percé de flèches, lustres monumentaux, meubles de musée, argenteries merveilleuses ; un palais de rêve que prolongent des jardins tout de roses et des terrasses d'où j ' a i pu yoir un soir une émouvante procession aux bougies en l'honneur de Notre-Dame de Fatima.

Cantiques dans la nuit chaude, visages graves glissant à la trem- blante lueur d'une flamme...

— Oui, m'a dit M . Peixoto Correia,' le problème de l'éducation me préoccupe beaucoup. Avez-vous visité notre Institut pour jeunes filles ? Nous venons récemment de créer une école industrielle et commerciale, mais les élèves au début ne montraient guère d'intérêt, ils préféraient le lycée et i l a fallu les convaincre, leur apprendre...

Par contre notre école agricole'pour indigènes connaît le plus vif succès... Nous voudrions d'autre part amener quelques intellec- tuels à prendre part à nos travaux, au Centre d'Etudes que dirige M . Antonio Carreira. Voici un exemplaire de notre bulletin culturel

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qui publie régulièrement des études concernant l'histoire, l'ethno- graphie, la géologie, l'économie aussi... Notre économie ? Le riz est presque entièrement consommé sur place, à part quelques deux mille tonnes qui sont exportées. L'exportation des arachides atteint 40.000 tonnel, celle des amandes de palmistes 13.000, celle de l'huile de palme 3.000. L'économie de Ta province va peut- être être grandement modifiée grâce à la découverte de pétrole.

Avez-vous vu sur les routes des hommes à casques luisants, à torses rouges, creuser le sol à l'aide de machines gigantesques ? Des prospecteurs, venus du Texas... »

D'autres exemples attestent l'essor économique du pays.

Ainsi le chiffre de voyages annuels de la compagnie de navi- gation Sociedade Gérai qui passe de neuf, en 1935, à quarante- cinq, cette année.

Dans le domaine social, poursuit-il, on a dû vous le dire, des efforts réels ont été faits : nous avons augmenté récemment les salaires, créé une caisse syndicale d'assistance, organisé aussi des cours du soir de perfectionnement professionnel. Pour ce qui est de l'hygiène... » •

Pour ce qui est de l'hygiène, je sais... Je sais que les hôpitaux,

• les dispensaires, sont nombreux et remarquablement organisés, que des équipes volantes de dépistage parcourent la brousse et que la Guinée portugaise sera l'un des territoires d'où la lèpre disparaîtra le plus rapidement. J'ai remarqué aussi l'extrême netteté des rues, dans les villes ou les « cités », des maisons qui sont obligatoirement chaulées tous les deux ans. J'ai été frappée par la méticuleuse propreté des villages : pas un papier, pas de vieilles calebasses, pas d'os qui traînent ; autour des cases un sol net, comme ratissé. E t je garde le souvenir d'un séjour charmant que je fis dans un poste de brousse, à S. Domingos, chez l'adminis- trateur Arturo de Meireles. Je n'avais plus envie de m'en aller, je m'imaginais être au Pdrtugal... Maria-de-Lourdes de Meireles avait suspendu aux fenêtres des rideaux gais d'Alcobaça, les murs étaient ornés de ferronneries, les guéridons de coq de terre coloriés.

A chaque repas, c'étaient le caldo verde, le vinho verde, la morue salée, le fromage servi avec la pâte de coing, les pâtisseries aux œufs qu'aux environs de Coïmbra on appelle «cuisses d'anges ». L'Afrique, vraiment ? L'Afrique, certes... Cet administrateur — (dans les provinces d'Outremer, les administrateurs après avoir passé par les stades d'aspirant, de chef de poste, de secrétaire sont affectés

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à jamais sur un même territoire) — se trouvait en Guinée depuis virlgt-trois ans. U n congé tous les quatre ans. Possédant des pou- voirs étendus, étant tout à la fois maire, inspecteur du travail, ingénieur, et pouvant en tant que juge prononcer des sentences allant jusqu'à six mois de prison pour les assimilados et vingt- cinq ans de prison pour les indigènes, i l s'était naturellement intéressé aux coutumes et venait de publier un ouvrage sur les mutilations ethniques chez les Mandjaks ; tatouage, sciage ' des dents, circbncision, perforation des oreilles, arrachement de la peau des cadavres...

Hors de la maison si typiquement portugaise, c'étaient les eaux blafardes de l'Afrique, les manguiers aux fruits mûrs, le silence, l'inexorable soleil. Rieuse et vive, fredonnant des fados, l'épouse de l'administrateur voulait faire fi des douchières qui fuyent, du cuir des chaussures et des ceintures qui moisit dans l'armoire, du dentifrice introuvable, des jours sans courrier. E t en se moquant gaiement d'elle-même elle avouait qu'aux heures trop aiguës de solitude elle s'inventait des interlocuteurs, pour le plaisir d'une conversation imaginaire...

C H R I S T I N E G A R N I E R .

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