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INTRODUCTION A LA PHILOSOPHIE ARABE 1

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INTRODUCTION A LA PHILOSOPHIE ARABE1

La naissance de la philosophie dans le monde de langue arabe est un moment fondateur et représentatif non seulement pour l’Orient et l’Islam, mais aussi et surtout pour l’histoire de l’Occident chrétien-latin.

La falsafa (c’est-à-dire la philosophie ‘d’inspiration essentiellement platonicienne- aristotélicienne, d’expression arabe et d’influence musulmane’, pour reprendre les termes de Louis Gardet – George C. Anawati, 1948) ainsi que tout le mouvement de traduction du grec (et du syriaque) à l’arabe a permis à la culture occidentale non seulement de sauver les œuvres fondamentales de la pensée philosophique (et aussi scientifique) des Grecs, mais aussi à ce que l’arabe devienne une des langues de la philosophie avec la formation des néologismes et des empreintes terminologiques.

La falsafa se répand dans la méditerranée hellénisée sur laquelle s’abat la force des armées musulmanes qui, depuis le VII siècle, conquièrent tout d’abord l’Empire de Perse, la Syrie, le Moyen-Orient et le nord de l’Afrique et ensuite l’Espagne Wisigoth en traversant le détroit de Gibraltar. A une expansion militaire aussi imposante correspond la formation d’une culture philosophique, scientifique, juridique, littéraire et théologique tout aussi imposante qui voit dans l’arrivée des œuvres de la pensée grecque un phénomène non marginal.

La philosophie, en effet, s’ajoute aux sciences islamiques du droit déjà existantes (fiqḥ), de la grammaire et de la science des traditions, c’est-à-dire de ceux qui s’occupent des « faits, silences et dires du Prophète » (aḥādīth). La falsafa et le kalām, c’est-à-dire la théologie spéculative, naissent l’une à côté de l’autre (et, en partie, en opposition) et, en général, la philosophie contribue à une nouvelle phase de réflexion pour ces sciences.

Et, en effet, si on retrace, pour les grands chefs, l’histoire de l’Islam, nous remarquons qu’aux califes Rāshīdun (les « Orthodoxes », les « Bien Guidé »), qui régnaient sur le monde arabe à la mort du Prophète en 611, succède la dynastie des Omeyyade, qui régna de 611 à 750, et la dynastie des Abbasside, qui siégèrent sur le trône califale jusqu’à l’avènement des Mongoles de Houlagou Khan et à l’éclatement définitif de l’unité islamique (désormais de jure et non de facto) avec la conquête de Baghdad en 1258.

C’est véritablement Baghdad qui a propulsé la philosophie arabe. La « Ville Ronde » appelée ainsi parce que construite selon un modèle précis d’architecture, à savoir selon la forme

1 Traduit par Alexandra Féret, laquelle je remercie de tout cœur.

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géométrique du cercle dont tous les points de la circonférence (les quartiers des habitants) sont équidistants du centre, à savoir la cour du calife. Baghdad a été fondé par le calife abbaside Al- Mansur en 762-767 et dans cette ville a été fondé un des centres culturels les plus influents du Moyen-Age, la Bayt al-Hikma (la Maison du savoir) qui servait d’observatoire d’astronomie et de bibliothèque. C’était aussi un lieu où se traduisaient les textes grecs et syriaques et où s’affrontaient les controverses de philosophie et de théologie.

C’est un événement particulier (selon les bio-bibliographies arabes) qui déclenche l’intérêt des Abbasides pour la philosophie grecque, à savoir le légendaire « rêve d’al-Maᵓmūn » (813-833), petit-fils d’Hārūn al-Rashīd, le calife représenté dans les Mille et une nuits. Dans ce rêve serait apparu Aristote et il aurait demandé au calife al-Maᵓmūn de guider son peuple jusqu’au Bien et à la Connaissance. Cet événement aurait causé l’intensification au IX siècle de cet intérêt fécond des arabes pour les manuscrits du savoir scientifique antique qui, en partie, c’était déjà manifesté avec le mouvement de traduction du syriaque à l’arabe, et avec l’intense échange culturel avec la Perse et l’Empire Byzantin.

En réalité, au cœur de cette mission culturelle se trouve une idée politique précise, selon laquelle l’Empire des Abbasides se serait présenté non seulement comme l’héritier directe du Prophète et même de Dieu, mais aussi comme l’héritier directe du savoir scientifique gréco-helléniste tout court : ils traduisirent des manuscrits d’astronomie, de mathématique, de botanique, de médecine et non pas seulement de philosophie.

Cette politique culturelle permettra à la dynastie abbaside d’obtenir le plus vaste consensus et de donner l’impulsion à différents mouvements culturels (le kalām est l’un deux), en même temps qu’elle permettra à l’Occident de retourner à la philosophie après la fermeture en 529 de l’école néoplatonicienne d’Athènes et la fuite des philosophes platoniciens en Perse, terre conquise un siècle après par les Arabes.

Cependant, pour comprendre cet important phénomène culturel, il est nécessaire de faire quelques pas en arrière et, en lien aussi avec le thème du cours, comprendre la formation de l’ « Aristote Arabe » et, en général, la tradition aristotélicienne des arabes, pour lesquels (avec une grande stupeur) Alexandre d’Aphrodise, l’exégète par excellence d’Aristote, mais aussi Plotin et Proclus jouent un rôle de premier plan.

Les racines de cette concordance d’écoles différentes se trouvent dans l’enseignement des écoles platoniciennes de l’Antiquité tardive et dans leur tentative de systématiser le savoir philosophique de telle sorte que les doctrines platoniciennes se révélèrent cohérentes, intégrant Aristote, afin que le platonisme devienne la philosophie la plus proche de la vérité divine.

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L’école platonicienne d’Alexandrie revêt une importance particulière parce qu’elle suit le modèle de Porphyre de Tyr (m. 305 environ), disciple de Plotin qui a publié l’édition de ses écrits, en essayant d’harmoniser Platon avec Aristote pour rendre cohérentes les thèses de nature théologique présentes dans les dialogues platoniciens.

L’étude d’Aristote, de ses objections à Platon, de sa physique et de sa métaphysique, de cette science de l’être en tant que tel, deviennent des moments essentiels du curriculum d’études des écoles platoniciennes pour toute l’Antiquité tardive. L’œuvre d’Aristote est liée à la connaissance de Platon : non seulement comme propédeutique par le biais de sa logique (en particulier les Catégories) et de sa physique, mais aussi en ce qu’elle est le point culminant de la pensée théologique avec la Métaphysique et le livre XII (selon la lecture d’Alexandre d’Aphrodise). En tant que disciples du divin Pythagore, les doctrines de Platon s’intègrent à celles d’Aristote, et ainsi la science aristotélicienne perfectionne la vérité du Phédon, de la République et du Timée, selon un parcours qui de la connaissance de l’âme et de soi conduit à la connaissance du cosmos et de la réalité divine.

L’exégèse d’Aristote tend donc à la résolution des problèmes internes et à sa concordance avec Platon. Les traducteurs arabes suivent ce modèle philosophique et exégétique depuis le début.

A l’époque abbaside, quelques traducteurs, soit chrétien soit musulman, se sont réunis autour de la figure d’al-Kindī (m. 866 ou 873), philosophe, astrologue, musicologue, mathématicien et physicien. Cet homme, en effet, reçoit la mission de diriger la traduction des textes du calife al-Maᵓmūn et continue son travail aussi sous les successeurs de celui-ci, tombé ensuite en disgrâce sous le calife d’al-Mutawakkil (m. 861).

L’intention d’al-Kindī, qui transparait aussi dans ses œuvres personnelles, est de formuler une

« théologie rationnelle » qui, harmonisant les philosophies d’Aristote, de Platon (dans l’exégèse systématique de Plotin), de Proclus (c’est-à-dire le platonisme tardif) et l’exégèse péripatétique d’Alexandre, permet de combiner la philosophie grecque avec le dogme islamique du tawḥīd, à savoir l’unicité de Dieu. Par conséquent, ce « cercle (maǧlis) d’al-Kindī » se donnait comme objectif de montrer, avec son œuvre, comment les philosophes grecs étaient déjà parvenus à saisir le principe fondamental de l’Islam, à savoir l’unité absolue ou unicité de Dieu. Dans ce but, le cercle n’hésitait pas à produire de nouveaux écrits tout à fait originaux, attribués (faussement) à Aristote, et ils étaient même capables de présenter comme étant d’Aristote lui- même les thèses du néoplatonisme de Plotin et de Proclus sur la causalité, le cosmos et, en particulier, sur la Cause Première. C’est ainsi que sont nées certaines des œuvres métaphysiques les plus importantes du Moyen-Age arabe, hébraïque, et latin. Parmi eux, le Liber de causis (en

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arabe : al-Kalām aw al-Kitāb fī al-ḫāyr al-maḥḏ, à savoir Discours ou Livre sur l’exposition du Bien pur) et la théologie d’Aristote (en arabe : al-Qawl fī-alā al-rubūbiyya, à savoir Discours sur la Seigneurie divine et aussi, tout simplement en calquant le grec Uṯūlūǧiyyā Arisṭūṭālīs) sont les écrits les plus célèbres produits au sein du cercle. Derrière le nom d’Aristote se cachent, tout d’abord, quelques propositions des Eléments de théologie de Proclus et ensuite, les extraits des Ennéades de Plotin. D’autres écrits pseudépigraphiques produits par le cercle sont, par exemple, ceux qui, sous le nom d’Alexandre d’Aphrodise, font circuler d’autres extraits des Eléments de Proclus. Une telle imposture, justifiée par la conviction qu’il existe une harmonie entre le platonisme et l’aristotélisme a permis à des thèses néoplatoniciennes de nature émanationniste et polythéiste de surmonter les éventuelles accusations d’hétérodoxie grâce au prestige et à la fascination que suscite Aristote, considéré comme le « Premier Maître » (al- muᶜallim al-awwal).

Et ainsi les œuvres sont parvenus dans le monde latin, comme, par exemple, le Liber de causis, qui a été traduit en latin au XII siècle, étudié et commenté à l’université dans toute l’Europe médiévale. Le Liber de causis était présenté comme un écrit d’Aristote jusqu’à ce que, grâce à Thomas d’Aquin, on puisse l’attribuer à Proclus.

Dans ces textes, la structure métaphysique commune repose sur la doctrine de l’âme qui, inévitablement, introduit au thème de l’intellect. Et ce n’est pas un hasard si la Théologie d’Aristote s’ouvre sur le chapitre sur l’âme ou le Liber de causis présente, avec la seconde proposition, une thèse qui aura d’importantes conséquences dans le monde latin.

Ils avaient définis l’âme (individuelle) comme une entité « amphibie », liée au corps et donc requise pour gouverner et donner la vie à celui-ci, tout en étant séparée et appartenant au cosmos intelligible. Dans l’âme, en effet, demeure la puissance intellective qui, quand elle est exercée, permet de concevoir adéquatement les formes intelligibles et, avec elles, la nature supérieure.

Quand il a décrit l’intuition intellectuelle de l’âme, Plotin a bien présenté la description du noûs divin d’Aristote, par lequel celui qui pense, l’acte d’intellection et l’objet connu sont la même chose. Cet acte d’intellection, qui pour l’être humain arrive occasionnellement, coïncide avec la nature même de dieu (en totale harmonie avec l’interprétation aristotélicienne développée par Alexandre) : pour Plotin le dieu de Métaphysique XII, l’Intellect Agent du De Anima et le Démiurge du Timée sont la même réalité, à savoir le Noûs divin.

L’âme individuelle fait partie de cette Ame cosmique à travers laquelle la Cause Première, définie comme Un Vrai et Etre Pur, a créé le cosmos. La doctrine de la création par les

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intermédiaires situe l’âme selon le célèbre adage du De causis : « sur l’horizon inférieur de l’éternité mais au dessus du temps2».

On entrevoit le modèle cosmologique développé par les œuvres de al-Fārābī (m. 950) et Ibn Sīnā/Avicenne (m. 1037) pour qui le cosmos procède de la Cause Première grâce à un processus d’émanation qui constitue au fur et à mesure toutes les intelligences motrices des cieux jusqu’à arriver à la Dixième Intelligence, définie par les latins Dator formarum (« Donneur de formes »), qui est l’Intellect Agent. Ce modèle, entièrement absent de l’œuvre aristotélicienne et inspiré des principes néoplatoniciens, constituera le modèle cosmologique débattu par tout le Moyen Age latin avec les modifications attendues.

Dans le but de constituer cette structure cosmologique, les discussions sur le statut de l’intellect et de l’âme et le rôle joué par ces principes comme intermédiaires de l’œuvre de la Cause Première dans la production du cosmos ont joué un rôle de premier plan.

Sans entrer dans le détail, il est utile de rappeler que les philosophes arabes ultérieurs (al-Fārābī et Avicenne surtout) seront influencés par le De Intellectu d’Alexandre d’Aphrodise, mais non de manière décisive comme on l’a longtemps cru. L’aristotélisme de ces auteurs, aussi dans le domaine noétique et gnoséologique, repose sur l’ « Aristote Arabe », plutôt que sur Aristote le Stagirite originel ; ceux-ci considèrent l’émanation hiérarchique de l’intelligence de la Cause Première, doctrine dont la matrice est clairement néoplatonicienne. Cependant, le cœur de la réflexion noétique d’Alexandre d’Aphrodise se maintient avec la distinction entre les quatre degrés de l’intellect et l’identification entre l’Intellect Agent et le Premier Moteur immobile, bien que l’Intellect Agent soit plutôt assimilé à la Dixième Intelligence (le « donneur des formes » précisément) et ce pour protéger l’absolu transcendance de Dieu.

S’ouvre ici un thème crucial, à savoir la relation qui existe entre la falsafa, qui de fait se présentait comme science grecque en langue arabe, et la religion coranique. En effet, les néoplatoniciens étaient proches des considérations qui provenaient du texte coranique, comme par exemple la notion « d’âme » qui était déjà présente dans la langue arabe et dans le mot nafs, indiquant le « soi » de l’individu singulier (pour dire « lui-même en arabe on utilise le mot nafs). Ce mot portait avec soi l’antique conception de l’âme, à savoir le souffle vital et, en tant que tel, n’était en aucune manière en contradiction avec les nouvelles apportées de la science des grecs. Et, en effet, depuis la première rencontre entre le monde arabo-musulman et la science gréco-hellénistique, les doxographes musulmans se sont engagés dans une

2 De causis, prop. 2, p. 61.10-63.3 Bardenhewer = p. 4.17-5.8 Badawī: «fī ufuq al-dahr safalān wa ufuq al- zamān» (nella traduzione latina: «in horizonte aeternitatis inferius et supra tempus»).

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interprétation selon laquelle l’histoire de la science se présentait en parfait accord avec celle de la Révélation, comprise comme une révélation du savoir qui irait de Dieu, en passant par les grands maîtres Luqmān (un homme sage présent dans la XXXI Sourate du Coran), Empédocle, Pythagore, Platon et Aristote, jusqu’aux hommes de leur temps.

La même distinction entre « esprit » et « âme » concerne la philosophie grecque, plutôt que les principes de l’Islam d’origine. D’autant plus qu’un auteur arabe chrétien Quṣtā ibn Lūqā (m.

913 environ) écrira un texte sur la différence entre les principes du pneuma et de l’âme qui sera connu aussi des latins puisque traduit par l’école de Tolède au XIIème siècle.

En effet, une des clés pour comprendre la falsafa semble être précisément sa formation et le développement de ce travail synergique d’auteurs de foi différentes, ayant comme seul point commun la langue arabe et l’intention de redécouvrir le savoir scientifique grec.

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