Mili, I. & Rickenmann, R. (2015) La formation didactique des enseignants de musique instrumentale et vocale et leur professionnalisation. Une recherche exploratoire à méthodologie mixte.
Communication au Séminaire de l’IFÉ, 2 & 3 mars 2016, ENS de Lyon.
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La formation didactique des enseignants de musique instrumentale et vocale et leur professionnalisation. Une recherche exploratoire à méthodologie mixte
1Isabelle Mili René Rickenmann
Equipe de didactiques des arts et du mouvement (DAM) Université de Genève
Objectifs
Cette recherche exploratoire a un double objectif : a) contribuer à l’étude didactique des processus de professionnalisation dans la formation initiale des enseignants dans les deux années de Master du système des Hautes écoles de Musique en Suisse, et b) contribuer à affiner les instruments de l’analyse didactique avec des méthodologies mixtes (qualitatives et quantitatives), en mesurant les coefficients de corrélation entre des éléments centraux des dispositifs de formation et leurs éventuels effets en termes de gestes professionnels en développement.
Le contexte
Dans le cadre de la réforme Bologne, la Suisse a créé le système de Hautes Ecoles depuis le milieu des années 1990. Ces réformes répondaient à un mouvement général d’amélioration de la qualité des formations supérieures au niveau Européen. L’une des recommandations majeures des experts mandatés pour évaluer le processus de tertiarisation des formations professionnelles est celle de l’accompagner de recherches systématiques. Vers les années 2000, un certain nombre de rapports et de méta-analyses sur la recherche et la formation supérieure, notamment Gretler (2000), Hofstetter & Schneuwly (2001), ont pointé la nécessité
« de considérer comme prioritaires les recherches se rapportant à l'évaluation des systèmes de formation, ainsi qu'à l'étude des transitions de la formation vers l'emploi » (Pagnossin, 2002, p. 28). Dans ce cadre, cette évolution institutionnelle a été suivie d’un nombre important d’études sur les standards, les impacts et la qualité des formations (Perellon, 2003 ; Heldenbergh, 2007 ; Behrens, 2008 ; PNR 33),
Au niveau des Hautes Ecoles, cette politique s’est traduite par la mise en place d’études supérieures sous le format Bachelor-Master (3+2) auxquelles peuvent désormais accéder les étudiants des formations professionnelles (formations professionnellement orientées vers le métier, auxquelles les étudiants ont accès dès la fin de leur école obligatoire vers 15 ans). Elle s’est également traduite par a) un investissement au niveau de la formation des formateurs et b) l’injonction de développer la recherche, notamment en favorisant chez les formateurs des formations au niveau masters of advanced studies (MAS) et doctorats. Afin de ne pas perdre l’orientation professionnalisante des formations offertes, les différents organismes fédéraux de financement de la recherche dans les Hautes écoles privilégient des programmes de recherche appliquée et de recherche développement fortement ancrés dans le monde du travail.
1 LA PROFESSIONNALISATION DES ENSEIGNANTS DE MUSIQUE EN FORMATION INITIALE. Analyses didactiques qualitatives et quantitatives des gestes professionnels en développement- RECHERCHE EXPLORATOIRE (2014-2016) financée par le Fonds National Suisse de la recherche, requête No. FNS-100019-156730
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C’est dans ce contexte à visées professionnalisantes, autant en ce qui concerne l’exercice des métiers que le développement de la profession dans son ensemble, notamment via la recherche, que cette étude a été proposée concernant la formation des futurs enseignants de musique. Avec une focalisation sur un des dispositifs centraux du programme de master qui est celui des pratiques professionnelles en année 1 et 2 – pratiques encadrées par les cours en didactique de l’instrument ou du chant.
L’OBJET
L’approche didactique de ce projet se justifie par la nécessité de décrire les articulations, actuellement développées par les formateurs dans le cadre de leurs pratiques, entre les savoirs à enseigner et les savoirs pour enseigner (Hofstetter & Schneuwly, 2002). Ceci dans des domaines de formation supérieure où de nombreux formateurs se forment « sur le tas » à partir d’expertises qui nous sont aujourd’hui largement inconnues.
Dans ce cadre, l’étude porte moins sur les formateurs eux-mêmes que sur le dispositif qui a jusqu’à présent été privilégié, qui s’organise selon une structure en alternance cours - travail sur le terrain - analyse du travail via l’observation et des feedbacks. Il faut souligner que, dans un contexte comme celui de l’apprentissage musical dans lequel les attentes sociales ainsi que les modes de fonctionnement institutionnels ont tendance à privilégier l’individualité (artistique) des formateurs et des étudiants, notre recherche propose de s’intéresser plutôt au fonctionnement des formats institutionnels qui accompagnent la professionnalisation, ceci à partir d’une démarche méthodologique mixte comportant trois types d’études :
- Etudes descriptives de cas et d’ensemble de cas (notamment, par instrument, par Haute Ecole) à partir des données quantitatives – ceci dans le but d’affiner des hypothèses de travail pour les analyses quantitatives et qualitatives ;
- Etudes cliniques de cas pour des couples formateur-étudiant ; - Etude statistique sur l’ensemble des cas
Dans notre présentation, nous n’aborderons que des exemples des deux premiers types d’études, l’analyse statistique étant en cours.
Méthodologie
Du point de vue méthodologique, les approches compréhensives, à partir de l’étude minutieuse de cas nombreux et variés, permettent d’inscrire ces travaux dans une visée « (…) heuristique [qui] est à même de faire passer de cas singuliers à un certain universel par le biais de la découverte de l'organisation des processus et des mécanismes mis en jeu dans les interactions enseignants- enseignés, selon une sorte de raisonnement inférentiel (…) » (Bru et alii, 2004. Nous soulignons). Dans les approches qualitatives, nos propres travaux s’inscrivent dans le courant de la clinique du didactique (Leutenegger, 2009) qui, notamment, s’assure méthodologiquement de théoriser et rendre systématique ce « raisonnement inférentiel ».
La clinique du didactique articule méthodologiquement une description ascendante des logiques locales des situations étudiées et des modèles théoriques issus du repérage d’invariants et de phénomènes didactiques génériques.
Parmi ces phénomènes didactiques, les gestes didactiques d’enseignement ont fait l’objet d’un nombre important de travaux depuis les années 2000. Parmi les gestes qui permettent de caractériser les actions didactiques de l’enseignant en classe, nous avons choisi d’étudier les
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gestes liés à la fonction de définition (de la situation, des tâches, des contenus d’enseignement, etc.).
Suite à l’observation de séances de formation et de leçons données par les débutants à leurs élèves dans le cadre d’une recherche pilote conduite en 2014-2015, nous avons identifié 6 types de définitions que l’on trouve potentiellement dans les cours de musique instrumentale ou vocale:
Dt (définition tâche)
Dd : définition discursive
De+ : Définition exemple
De- : Définition contre- exemple
Dp : pointing définitions
Dm : définition métaphores
Les rapports qu’il est possible d’établir entre ces 6 types de définitions ne sont à l’évidence pas équivalents, suivant comment on les apparie. Si De+ et De- constituent un binôme parfaitement complémentaire, voire symétrique, il n’en va pas de même pour Dt et Dd, par exemple. Quant à Dd et Dm, on pourrait presque plaider que Dm est une partie de Dd….
Afin de garder une perspective clairement didactique liée aux contenus, nous avons également catégorisé 4 sortes de savoirs à enseigner
MT (Technique)
MI (Interprétation)
ML (lecture) MH (Homework)
Concernant les feedbacks des formateurs, nous avons aussi identifié trois sortes de savoirs pour enseigner
DL (processus d’apprentissage
de la musique)
Dpl (planification)
Dr
(conduite de leçon)
Puis nous avons procédé à un travail de codage à partir de verbatims des leçons données par les étudiants à un de leurs élèves, puis des feedbacks donnés en cours par les formateurs à leurs étudiants, suite à l’observation de ces leçons. Ces codages ont été réalisés à partir d’observables variés, notamment : les milieux didactiques (les tâches, les différents supports de l’enseignement), les échanges verbaux et les comportements des acteurs.
Pour les leçons données par les étudiants en formation à leurs élèves d’instrument ou de chant, les codages ont été réalisés dans le but de repérer les occurrences concernant les savoirs à enseigner ainsi que les types de définitions mobilisées pour leur enseignement/apprentissage.
Concernant les séances de feedback nous avons également codé des savoirs pour enseigner qui sont sensés caractériser un discours de formation à la didactique de l’instrument ou du chant.
Nous avons ensuite codé les verbatims de la manière suivante :
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Exemple de verbatim de leçon
Date:
28.04.2015
Prof. de Didactique:
X
Acteurs:
U+ Z
Moment du cours : Harpe: leçon quatre de U
Codage effectué par:
RR
Réf. Vidéo : X – leçon 4-1 de U
Exemple de verbatim de feedback
Date:
16.03.2015
Prof. de Didactique:
X
Acteurs:
X + U
Moment du cours : Harpe: feedback 3 de U
Codage effectué par:
RR
Réf. Vidéo : X – Feedback 4 - 20-2-2015
Time Type de définition, Type de savoirs,
Acteurs
Verbatim
(définitions données)
Commentaires
00’00
Dt /M
T/ St
i (La vidéo démarre 30 s après le début du cours). Le cours commence avec un exercice routinier d’échauffement (selon Sti) basé sur des arpèges[Sti régule relativement au tempo, les pouces, fermeture des doigts une fois la corde jouée,…]
1’01
De+Dd/M
T/St
i« pour la nouveauté d’aujourd’hui on fait l’inverse (se dirige à la harpe pour montrer) il y a une petite subtilité (lui montre comment reculer la main et articuler le poignet au moment du
« saut » avec changement de doigt) « il faut beaucoup reculer la main » 1’29
D
t/M
T/St
i« sinon tu vas te retrouver coincée avec le troisième doigt… Essaie »
Time Type de définition, Type de
Verbatim
(définitions données)
Commentaires
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5 Puis mis en forme les données pour l’analyse quantitative
savoirs, Acteurs
La séance commence par une autoévaluation de U(durée d’env. 4 minutes)
4’38
D
dD
p/D
L/F
i « Je trouve dommage qu’il n’y ait pas ces deux minutes de technique », « je comprends l’urgence mais en même temps cet aspect technique du corps (mime le jeu à la harpe)… pour moi la technique c’est ça, c’est un moment de penser au corps, à la position du corps, à comment on attrape les cordes, ça aide… de sauter en souplesse (elle fait référence au problème technique rencontré par Pi dans la leçon 3) »5’24
Dd/D
RD
LM
t/F
i « des fois quand on a peur ça raidit les mains, mais des fois lorsque les mains sont raides ça raidit le mental aussi » « donc tu peux lui dire regarde que tes mains soient souples , ça détend, juste travailler la respiration, c’est ça aussi la technique»5’48
D
t/D
PLD
RM
t/F
i « pour moi globalement c’est ce qui manquait dans le cours d’aujourd’hui (un peu de travail technique) » « c’est un cours ‘virtuel’… ça manquait de résultats concrets »Communication au Séminaire de l’IFÉ, 2 & 3 mars 2016, ENS de Lyon.
6 Corpus
Le traitement de ces données s’appuie sur un corpus relativement important, compte tenu de la lourdeur qu’implique le travail clinique basé sur des vidéoscopies et transcriptions des séances. Le plan de travail comporte :
Chant Ville 1 4 feedbacks Leçon de référence + 4 leçons
Chant Ville 2 4 feedbacks Leçon de référence + 4 leçons
Chant Ville 3 4 feedbacks Leçon de référence + 4 leçons
Cuivres Ville 3 4 feedbacks Leçon de référence + 4 leçons
Violoncelle Ville 2 4 feedbacks Leçon de référence + 4 leçons
Violoncelle Ville 4 4 feedbacks Leçon de référence + 4 leçons
Violon Ville 3 4 feedbacks Leçon de référence + 4 leçons
Violon 2 Ville 3 4 feedbacks Leçon de référence + 4 leçons
Harpe Ville 4 4 feedbacks Leçon de référence + 4 leçons
Piano Ville 4 4 feedbacks Leçon de référence + 4 leçons
Corps - Ville 4 3 feedbacks Leçon de référence + 3 leçons
43 feedbacks 54 leçons
Après cette très brève présentation des principaux éléments de notre méthodologie, nous vous proposons un premier exemple d’analyse descriptive à partir des données quantitatives recueillies, puis ensuite un deuxième exemple d’analyse qualitative issue des phénomènes observés dans les différentes leçons.
Nous avons fait le choix de présenter des textes assez complets, à partir desquels nous traiterons que quelques extraits significatifs dans le cadre de notre rencontre de l’AlféA à Lyon en mars prochain
IM/RR
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Analyses descriptives
Dans le cadre du programme de recherche « LA PROFESSIONNALISATION DES ENSEIGNANTS EN FORMATION INITIALE. Analyses didactiques qualitatives et quantitatives des gestes professionnels en développement » (Subside FNS-100019-156730) nous procéderons dans ce document à une première analyse descriptive des données quantitatives obtenues.
Les analyses descriptives permettent de situer puis de comparer les différents cas observés, ceci avec les objectifs suivants :
- Obtenir une première vision des caractéristiques générales et des spécificités des feedbacks puis des leçons pour chacun des 9 cas observés pour le violoncelle, la harpe, le piano, le chant, le violon, les cuivres et la rythmique dalcrozienne ;
- Formuler des hypothèses et des sous-questions de recherche à partir de chaque cas, ou des comparaisons pertinentes entre cas.
Pour rappel, les questions de recherche qui orientent ce projet sont :
1. Quelles distinctions et articulations entre les savoirs à enseigner et les savoirs pour enseigner, les formateurs en didactique de l’instrument/du chant font-ils dans le cadre de leurs interventions ?
2. Comment sont-ils didactisés et avec quels effets observables sur les apprentissages des étudiants ?2
La mise en forme et organisation des données obtenues permettent également d’apporter des éléments descriptifs intéressants concernant les cas individuels étudiés (duos formateur- stagiaire) ainsi que les différences éventuelles entre instruments de musique ou groupes d’instruments pour les séances de formation (formateur-stagiaire) et pour les leçons (stagiaire- élève-s). Ces éléments descriptifs facilitent l’interprétation des données quantitatives, notamment les liens éventuels entre les feedbacks donnés aux stagiaires et les leçons auprès de leurs élèves pendant qu’ils étaient observés.
1. Analyse descriptive des leçons et des feedbacks en didactique de la Harpe
1.1. Les feedbacks de didactique de la harpe
Les feedback observés se sont produit régulièrement immédiatement après les leçons de l’enseignant stagiaire, avec une distance d’un mois environ entre chacun pour le cas des cours de harpe. Ces feedbacks ont eu une durée inégale : environ 30 minutes pour F1 et F3 et environ 16 minutes pour F2 et F4. Cette durée inégale des feedbacks, malgré l’intention de le formateur d’avoir une durée plus ou moins fixe et pas trop longue, montre le souci d’aborder l’ensemble des questions soulevées par l’observation des leçons ; elle peut s’expliquer également par une prise séquentielle de données qui obligeait le formateur à reprendre les phénomènes en suivant le récit de la leçon.
2 Cette question, qui concerne la partie qualitative de la recherche, est reformulée en deux sous-questions pour la partie quantitative.
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8 1.1.1. Les savoirs abordés dans les feedbacks
Concernant les savoirs abordés durant les feedbacks, l’on peut constater que les savoirs pour enseigner représentent plus des deux tiers (66.3%) des savoirs traités contre un tiers (33.6%) concernant les savoirs à enseigner. Ces chiffres laisseraient entendre que les feedbacks du formateur de harpe sont clairement orientés en termes de « formation didactique », avec une prépondérance de questions liées à la gestion des processus d’enseignement (DR) en rapport avec la spécificité des modalités d’apprentissages disciplinaires.
Parmi les catégories relatives aux savoirs pour enseigner, les savoirs sur la conduite des leçons sont principalement abordés (DR 33.1 %), suivis par ceux relatifs aux processus d’apprentissage des élèves (DL 19.8 %) et dans une moindre mesure ceux concernant la planification de l’enseignement (DPL 13,3%). La proportion relativement importante du couple DR/DL, qui réunit un peu plus de 50% des savoirs traités dans les leçons donne une
« couleur » spécifique aux feedbacks du formateur de harpe. Celui-ci semble particulièrement intéressé par les catégories de savoirs liés davantage à l’interaction enseignant-élève (DR), qu’elle met significativement en rapport avec les difficultés usuelles qui émergent dans l’interaction élève-instrument (DL). Cette importance donnée aux phénomènes qui émergent dans le hic et nunc de la relation didactique présentielle durant les leçons est certainement en lien avec le type de leçon que l’enseignant stagiaire développe elle-même, comme nous en faisons l’hypothèse plus loin (cf.1.2.2, note 5).
Toujours concernant cette catégorie de savoirs, l’on peut également constater une apparente absence de progressions de l’enseignant-stagiaire, du fait que le nombre d’occurrences pour chacun des trois types de savoirs reste relativement stable, exception faite de F3 qui correspond à une leçon L3 qui est atypique (voir § 1.2). Nous utilisons l’expression
« apparente absence de progression » dans la mesure où ces données contrastent avec un constat de progression de l’enseignement dans les leçons de cet enseignant stagiaire (cf.
§1.2.3) en ce qui concerne l’un de nos principaux indicateurs de progression3 : celui de la diminution significative du nombre d’interventions de définition durant les leçons. Deux hypothèses peuvent être proposées pour tenter d’expliquer ce phénomène. Soit a) il n’y a effectivement pas de progression de l’enseignant stagiaire, ce qui explique que le formateur doit toujours définir dans ses feedbacks des objets concernant l’enseignement efficace ; b) il y a des progressions chez l’enseignant stagiaire, mais le champ des savoirs pour enseigner reste vaste et il y a toujours « quelque chose à rajouter » et l’on peut « aller toujours plus loin ». A cette hauteur de l’analyse descriptive, compte tenu des données concernant les leçons, l’hypothèse (b) semble être plus probable.
3 L’on fait, en effet, l’hypothèse que la diminution des gestes de définition de la part de l’enseignant stagiaire peut signifier qu’il laisse proportionnellement plus de place à l’activité de son élève.
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1. Harpe. Histogrammes concernant les savoirs abordés dans les feedbacks
Concernant la catégorie des savoirs à enseigner, pour le tiers qu’ils représentent dans leur ensemble, les histogrammes 1 montrent un comportement similaire quant à l’évolution des occurrences tout au long des feedbacks. Ainsi, ceux abordés à partir de F1 diminuent en nombre en F2 et F3 puis remontent légèrement en F4. Ce sont les savoirs techniques qui sont proportionnellement les plus abordés (MT 18.8%) doublant en nombre les occurrences des savoirs sur l’interprétation musicale (Mi 9.6%). Les savoirs concernant l’enseignement de la lecture et décodage des partitions (ML 0.9%) ainsi que ceux touchant à l’organisation du travail autonome de l’élève (MH 4.1 %) sont très peut significatifs sur l’ensemble des savoirs abordés dans les feedbacks. Ici, l’on peut également formuler deux hypothèses contrastées : c) l’enseignant-stagiaire maîtrise relativement bien ce dernier ensemble de savoirs, ce qui amène à ne pas devoir les aborder en termes de régulations formatrices dans les feedbacks ; d) le formateur ne donne pas d’importance à ce dernier ensemble de savoirs, et reste significativement focalisée sur les savoirs techniques dont le nombre d’occurrences double celles sur l’interprétation musicale. L’hypothèse (d) indiquerait une approche didactique focalisée sur la conduite de leçon et orientée sur le technique.
1.1.2. Les gestes de définition dans les feedbacks
Pour caractériser les gestes de définition des formateurs dans les séances de feedback ainsi que des enseignants stagiaires dans les leçons de musique instrumentale et vocale, ont été répertoriés 6 catégories : définition de la tâche (Dt), définitions discursives (Dd), définition à travers des démonstrations sur la manière de jouer (De+) ou avec des contre-exemples (De-), des définitions de type ostensif, notamment les pointages sur des éléments du milieu
0 10 20 30 40 50
F1 F2 F3 F4
Harpe-Savoirs abordés dans les feedbacks- en pourcent
0 5 10 15 20 25
F1 F2 F3 F4
Harpe-Feedbacks sur les savoirs à enseigner
0 5 10 15 20 25
F1 F2 F3 F4
Harpe-Feedbaks sur les savoirs pour enseigner
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10 didactique (Dp) et, finalement, le recours à un sous-ensemble du discursif que constituent les métaphores (Dm).
L’histogramme 2. Harpe. Histogramme sur le nombre d’occurrences dans chaque feedback montre la primauté des définitions de type discursif sur l’ensemble. Cependant, la durée assez inégale des quatre feedbacks nous incite à faire une comparaison à partir des pourcentages des occurrences des gestes produits par séance de feedback. Au vu des formats usuellement pratiqués dans la plupart des formations de ce genre, il s’agit de séances basées sur l’observation par le formateur des leçons données par les enseignants stagiaires à l’un de ses élèves, souvent avec une prise de notes qui sera la base des commentaires de formation. Il n’est pas étonnant en conséquence, de constater que le geste privilégié est celui de la définition discursive comme le montre l’histogramme 3. Histogramme.
2. Harpe. Histogramme des gestes de définition produits dans les feedbacks
0 5 10 15 20 25 30 35
F1 F2 F3 F4
Harpe-Gestes de définition dans les feedbacks
Dt (définition tâche)
Dd : définition discursive De+ : Définition exemple De- : Définition contre- exemple Dp : pointing définitions Dm : définition métaphores
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3. Histogramme des savoirs abordés dans les feedbacks-en pourcents 4. Histogramme des gestes de définition mobilisés dans les feedbacks, en pourcents
0 5 10 15 20 25 30 35 40 45
F1 F2 F3 F4
Harpe-Savoirs abordés dans les feedbacks- en pourcent
MT (Technique) MI (Interprétation) ML ( lecture) MH (Homework) Dl (Learning) Dpl (planification) Dr (conduite de leçon)
0 10 20 30 40 50 60 70 80 90
F1 F2 F3 F4
Harpe-Gestes de définition dans les feedbacks- en pourcent
Dt (définition tâche) Dd : définition discursive De+ : Définition exemple De- : Définition contre- exemple Dp : pointing définitions Dm : définition métaphores
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12 Avec des pourcentages bien inférieurs, les gestes de définition par pointage d’éléments présents dans le milieu didactique (l’instrument, des éléments de la partition, des éléments liés à l’explication d’un geste démontré, principalement) accompagnent le discours du formateur : absents dans F1, ils représentent 17.1% dans F2, diminuent fortement à 6% en F3, puis remontent à 21.2% en F4. Cette présence irrégulière ne permet pas de desceller une tendance claire ; c’est également le cas de l’évolution concernant les définitions à travers des exemples (De+ et De-) qui augmentent très légèrement entre F1 et F4, bien qu’elles soient absentes en F3, et dont les pourcentages sont peu significatifs, sauf dans F4 ou De+ et De- représentent le 18, 4 % des gestes produits. Les manifestations irrégulières de ces gestes contrastent ainsi avec la régularité et suprématie du mode discursif dans les feedbacks du formateur, qui constituent la structure de base de ses interventions. Les analyses qualitatives permettront certainement de décrire les conceptions des processus de formation qui se logent dans cette distribution particulière des gestes au travers lesquels le formateur est censée instaurer et donner forme au travail d’enseignement. En ce sens, l’irrégularité de définitions de tâches qu’il donne explicitement à l’enseignant stagiaire, ainsi que le nombre relativement faible au regard du total de gestes produits (10.4%) sont significatives : 17 % dans F1, 0% dans F2, 25% dans F3 et 6% dans F4. La fonction d’infléchissement de l’activité d’enseignement de la stagiaire des feedbacks semble ainsi être très irrégulière. Le comportement de ces données peut aider à comprendre la conception des processus de formation à l’œuvre dans ces séances.
En l’état, l’on peut seulement émettre l’hypothèse les discours du formateur semblent référer à une conception rationaliste des processus de formation selon laquelle le discours analytique sur les actions réussies et sur celles moins réussies suffirait à modifier le comportement des stagiaires.
Concernant leur évolution dans le temps, il faut constater qu’au fur et à mesure que le semestre avance, le répertoire des gestes de définition semble quelque peu s’étoffer, pour terminer dans une séance F4 dans laquelle les gestes discursifs ont diminué de 80.4% à 54.4%
pour être remplacés par d’autres types de gestes, notamment des pointages (Dp 21.2%), des monstrations (De+ 15%) et même des définitions de tâches (Dt 6%).
Sans faire encore d’analyse statistique sur les rapports entre le groupe de données
« feedbacks-savoirs abordés » (cf.3. Histogramme) et le groupe de données « feedbacks-types de gestes de définition » (cf. 4. Histogramme), la comparaison nous permet de constater que les gestes de définition discursifs (70.2 % en moyenne sur l’ensemble) concernent principalement les savoirs sur la conduite des leçons (33.4 % en moyenne), les savoirs techniques (19.25 % en moyenne) et ceux portant sur les processus d’apprentissage (18.64 % en moyenne sur l’ensemble).
L’analyse de la distribution des savoirs abordés en fonction de l’avancement de la leçon (cf.
tableau 5) permet d’aller un peu plus loin dans la caractérisation des définitions, notamment discursives. L’on constate ainsi que dans F1, les occurrences de définitions concernant les savoirs pour enseigner (DR, DL et DPL) sont très souvent associées aux savoirs à enseigner.
Peux nombreuses sont les occurrences dans lesquelles les savoirs pour enseigner sont traités indépendamment de ceux à enseigner : dans F1 ces savoirs plus généraux représentent un 20% des moments de définition, 30.4% en F2, 18% en F3 puis 26.3% en F4. Ceci impliquerait que les définitions, notamment discursives, concernent très probablement des savoirs pour enseigner qui sont fortement liés à ce qui a été concrètement observé dans la leçon en tant qu’enjeu disciplinaire.
Mili, I. & Rickenmann, R. (2015) La formation didactique des enseignants de musique instrumentale et vocale et leur professionnalisation. Une recherche exploratoire à méthodologie mixte.
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5. Distribution des savoirs abordés dans les feedbacks
0 2 4 6 8 10 12
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18
Harpe-F1-Distribution des savoirs abordés/minute
0 2 4 6 8 10 12
1 3 5 7 9 11 13 15 17 19 21 23 25 27 29 31 33
Harpe-F2-Distribution des savoirs abordés / minute
0 2 4 6 8 10 12
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
Harpe-F3-Distribution des savoirs abordés/minute
0 2 4 6 8 10 12
1 3 5 7 9 11 13 15 17 19 21 23 25 27 29 31
Harpe-F4-Distribution des savoirs abordés/minute
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14 C’est essentiellement une analyse qualitative qui permettrait de caractériser le type de lien entre ces deux catégories de savoirs. Cependant, l’analyse statistique sur les liens entre feedbacks et leçons permettra certainement d’établir des liens entre les discours du formateur et l’évolution des types de savoirs abordés par l’enseignant-stagiaire.
1.2. Les leçons
Les leçons de harpe observées ont été données à un élève débutant, jeune adulte. Il s’agit de leçons L0 (leçon de référence) puis L1 à L4 (leçons ayant fait l’objet d’un feedback) d’une durée moyenne de 30 min, exceptant L3 qui a eu une durée de 40 min.
Les leçons de harpe ont une structure tripartite échauffement-exercices-interprétation, dont la durée et importance des parties va évoluer avec le temps.
1.2.1. Les savoirs abordés
Du point de vue des savoirs abordés durant ces leçons, l’on observe dans l’histogramme 6.
une grande importance donnée aux savoirs techniques abordés, notamment ceux concernant le jeu instrumental, qui a tendance à diminuer avec l’avancement du semestre ; ceci de manière inversement proportionnelle à l’investissement de savoirs concernant l’interprétation musicale. Les rapports MT et Mi sont affectés par l’atypicité de L3, leçon qui s’est prolongée dans le temps parce que le stagiaire a consacré beaucoup de temps à ajuster des savoirs techniques en rapport avec l’interprétation d’une des pièces, et aussi parce qu’il a consacré plus de 7 minutes sur 42 à une tâche d’improvisation liée à la construction de la posture interprétative chez l’élève (l’expression à travers les nuances de jeu).
En prenant en compte cet aspect, l’on peut observer une évolution de l’enseignement (voir 6), avec une prise en compte progressive des savoirs relatifs à l’interprétation musicale qui aboutit en L4 à une proportion égale des deux principaux types de savoirs en jeu.
En référence à la description obtenue, l’on peut dire que cette évolution est compatible avec l’une ou l’autre des trois principales conceptions de l’apprentissage instrumental que nous avons descellé ailleurs (Mili & Rickenmann, 2012): a) technique puis interprétation, b) interprétation puis technique ou, finalement, c) technique et interprétation. D’autres analyses sont nécessaires pour identifier laquelle des trois est prioritairement mobilisée par cet enseignant stagiaire (cf. § 1.2.2).
Mili, I. & Rickenmann, R. (2015) La formation didactique des enseignants de musique instrumentale et vocale et leur professionnalisation. Une recherche exploratoire à méthodologie mixte.
Communication au Séminaire de l’IFÉ, 2 & 3 mars 2016, ENS de Lyon.
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6. Distribution des savoirs enseignés dans les 5 leçons de Harpe A) en nombre d’occurrences/leçon et B) en pourcentage par leçon
37 32 18
9 20 17 31
23
29 16 6
3
1 5 4 5
14
4 2 5
0 10 20 30 40 50 60 70 80 90
L0 L1 L2 L3 L4
Nb d'occurrences
5A. Harpe-Distribution des savoirs enseignés en nb. d'occurrences par leçon
ML (lecture) MH (Homework) MI (Interprétation) MT (Technique)
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
L0 L1 L2 L3 L4
pourcentage/leçon
5B. Harpe-Savoirs enseignés en pourcents/leçon
ML (lecture) MH (Homework) MI (Interprétation) MT (Technique)
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16 Concernant les deux autres catégories de savoirs codées, les savoirs concernant la lecture et compréhension des partitions (ML) et les savoirs concernant l’organisation du travail à la maison (MH), l’histogramme 6 nous permet de constater qu’elles sont relativement peu abordées dans les leçons d’instrument de l’enseignant-stagiaire. Les observations ayant débuté avec le deuxième semestre de l’année académique, il n’est pas étonnant qu’un certain nombre de savoirs concernant la lecture et décodage des partitions se présente à un moment où sont introduites de nouvelles œuvres à l’étude (ML environ 18% dans L1, mois de janvier), où les moments dans lesquels l’on revient sur les partitions pour construire des aspects relatifs à l’interprétation des œuvres (ML 12% pour L4, mois d’avril). Quant aux savoirs concernant le travail à la maison (MH), l’on constate également qu’ils ne sont pas très nombreux, ce malgré le fait que les temps très courts d’enseignement4 devraient en principe inciter les enseignants à mieux préparer les élèves pour ce travail en autonomie qui constitue la base –même du travail durant les leçons. Alors que dans la leçon de référence (L0) les savoirs de cette catégorie représentent quand même 10% de ceux abordés, durant les leçons L1 et L2 la proportion chute à environ 4% (L1) et 2% (L2), probablement à cause d’une focalisation de l’enseignant stagiaire sur la gestion des apprentissages in situ. Dans les leçons L3 et L4, cette catégorie revient aux proportions de L0 avec11% pour L3 et 9% pour L4.
Ce que les proportions de ML et de MH nous indiquent (cf.6B), ceci par rapport aux deux autres catégories de savoirs abordés, est probablement le fait que l’enseignement instrumental dans ces leçons de harpe se joue beaucoup plus dans l’interaction in situ5. L’analyse des gestes de définition nous permettra de développer cet aspect (cf.1.2.3). Par ailleurs, la comparaison avec les autres leçons de notre corpus nous permettra également de vérifier s’il s’agit d’une spécificité de cette enseignant stagiaire ou si nous sommes face à une constante caractérisant l’enseignement instrumental avec des débutants.
1.2.2. Distribution des savoirs abordés en fonction des moments dans les leçons
Pour savoir dans quelle conception des rapports entre savoirs techniques et savoirs sur l’interprétation des œuvres la stagiaire se situe principalement, il est possible de faire une analyse descriptive à partir de la distribution des occurrences de chaque savoir par rapport à l’évolution temporelle de chaque leçon. Les histogrammes regroupés dans le tableau Tableau 7 montrent ainsi que dès L0, leçon de référence, la priorité du cours est donnée à des savoirs techniques mais clairement articulés au souci d’aborder également les savoirs sur l’interprétation.
4 La durée moyenne des cours d’instrument est de 50 minutes, celle des leçons données en formation étant de 30 minutes.
5 Cette hypothèse est en lien avec celle abordée en §1.1.1 concernant les feedbacks du formateur
Mili, I. & Rickenmann, R. (2015) La formation didactique des enseignants de musique instrumentale et vocale et leur professionnalisation. Une recherche exploratoire à méthodologie mixte.
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Tableau 7. Harpe. Histogrammes concernant la distribution des savoirs abordés dans les leçons, par minute 0
2 4 6 8
1 3 5 7 9 11 13 15 17 19 21 23 25 27 29
nb. occurrences
minutes
L0-Distribution des savoirs enseignés/minute
0 2 4 6 8 10
1 3 5 7 9 11 13 15 17 19 21 23 25 27 29 31
nb. Occurrences
minutes
L1-Distribution des savoirs enseignés/minute
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18
0 2 4 6 8
1 3 5 7 9 11 13 15 17 19 21 23 25 27 29 31
Nb. Occurrences
minutes
L2-Distribution des savoirs enseignés/minute
0 1 2 3 4 5 6 7 8
1 4 7 10 13 16 19 22 25 28 31 34 37
Nb. Occurrences
Minutes
L3-Distribution des savoirs enseignés/minute
0 1 2 3 4 5 6 7 8
1 3 5 7 9 11 13 15 17 19 21 23 25 27 29 31
Nb. Occurrences
Minutes
L4-Distribution des savoirs enseignés/minute
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19 Cette tendance se vérifie au fur et à mesure que les leçons avancent sur le semestre observé.
Dans L0, de manière assez typique, la leçon aborde tout premièrement des savoirs techniques (MTC), et ceux-ci constituent plus de 55% des savoirs abordés. Cependant, l’on peut également constater que les savoirs relatifs à l’interprétation arrivent relativement tôt, ce dès la 6ème et 9ème minutes et dans un bon tiers de la leçon les savoirs techniques sont en rapport avec l’interprétation des pièces à l’étude. Cette articulation MTC/Mi est encore plus importante dans L1 et L2, leçons durant lesquelles elle apparaît encore plus tôt, dès la 3ème minute (L1) et la 2ème minute (L2) des leçons. Rappelons que la leçon L3 est atypique en ce qu’elle a eu une durée plus importante (42 minutes) et que le temps supplémentaire est essentiellement consacrée à des savoirs concernant la posture interprétative de l’instrumentiste : plus de 60%
de Mi par rapport aux savoirs de technique instrumentale 20% de MTC. Dans cette leçon les savoirs Mi apparaissent associés à du technique dès la 1ère minute du cours, puis seront l’objet principal des définitions enseignants dans deux longs moments (minute 9 à 16 puis 32 à 39).
Concernant l’atypicité de cette leçon 3, il faut noter qu’elle se situe à un moment de l’année (mars) où le travail de l’élève est orienté vers la réalisation de la performance publique, cadre dans lequel la priorité est donnée à l’interprétation des œuvres choisies dans leur globalité.
Cette circonstance peut expliquer la raison de cette prépondérance des savoirs interprétatifs associée en fin de leçon avec de nombreuses injonctions concernant le travail personnel à la maison (MH) entre les minutes 29 et 32 dans l’histogramme L3 du Tableau 7. C’est également une leçon atypique en ce qui concerne la durée (10 minutes de plus que les autres), qui ont été consacrées à une tâche d’improvisation orientée sur le développement de la
« posture d’interprète » de l’élève. Quant à L4, la leçon présente un schéma de distribution très proche de celui de L1 et L2, avec une articulation des MTC et des Mi qui commence dès la 5ème minute et se prolongera de manière proportionnelle presque jusqu’à la fin de la leçon.
Cette distribution des savoirs MTC et Mi abordés dans l’ensemble des leçons semble confirmer l’hypothèse que le schéma d’enseignement est celui du traitement articulé « technique et interprétation ».
1.2.3. Gestes de définition dans les leçons de harpe
D’un point de vue descriptif, on peut constater une évolution du comportement des actions de définition de l’enseignant stagiaire au cours du semestre avec une diminution globale des occurrences, tout en gardant une régularité dans le schéma de distribution des types de définition que l’on repère dans la leçon de référence.
Ce schéma de distribution s’organise autour de la primauté des définitions de tâches qui, à elles seules doublent proportionnellement l’ensemble des autres gestes produits tournent autour du 50% (L0 48%, L1 46%, L2 55%, L3 29%, L4 44%) de l’ensemble des définitions produites : Seulement dans L3, dont nous avons déjà souligné l’atypicité, la proportion de DT
tombe à un tiers (DT 29.2%) et ce sont les définitions discursives qui augmentent de manière significative (Dd 34%). sont plus nombreuses. Les définitions discursives (Dd) et les définitions ostensives (Dp) constituent groupes se distribuant à peu près à part égales autour d’un cinquième des gestes produits (avec l’exception pour Dd en L3 et pour Dp avec seulement 13% en L2). Les définitions à travers des exemples et démonstrations (De+) constituent le troisième groupe, avec une prépondérance des De+, dont la distribution est assez irrégulière qui s’étale entre un maximum de 15.5% en L1 et un minimum de 7% en L3.
Finalement, les gestes de définition à travers des contre-exemples (De-) et de l’usage de métaphores (Dm) sont très peu présents, voire souvent inexistants et tournent autour de 1.5%
des occurrences.
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8. Gestes de définitions dans les leçons de Harpe en nombre d'occurrences (A) et en pourcentages (B)
1.3. Conclusions de l’analyse descriptive sur les savoirs abordés et les gestes de définition dans les feedbacks de harpe
Cette analyse descriptive cherche à contribuer aux éléments de réponse concernant les deux principales questions du projet de recherches:
1. Quelles distinctions et articulations entre les savoirs à enseigner et les savoirs pour enseigner, les formateurs en didactique de l’instrument/du chant font-ils dans le cadre de leurs interventions ?
2. Comment sont-ils didactisés dans les feedbacks sur les leçons données par les enseignants stagiaires ?
0 10 20 30 40
L0 L1 L2 L3 L4
8A. Harpe-gestes définition-toutes les leçons en nb d'occurrences
Dt (définition tâche) Dd : définition discursive De+ : Définition exemple De- : Définition contre- exemple Dp : pointing définitions Dm : définition métaphores
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
L0 L1 L2 L3 L4
8B. Harpe-gestes de définition dans les leçons en pourcentages/leçon
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21 Les constats effectués sur les feedback du formateur de harpe permettent d’avancer un certain nombre d’éléments et d’hypothèses, que l’analyse statistique permettra de confirmer, d’infirmer ou de nuancer.
1.3.1. Un discours sur des principes généraux
Concernant la première question, outre le constat d’une primauté des définitions discursives, que nous avons souligné qu’elle correspond au format général des situations de feedback, se pose la question des visées des discours produits. A cet égard, le nombre assez bas d’occurrences concernant les définitions de tâches adressées à l’enseignant stagiaire nous incite à penser que les discours produits par le formateur ont moins un caractère prescriptif qu’une fonction d’asseoir des principes génériques, des règles d’action, sur les savoirs à enseigner et pour enseigner.
Concernant la deuxième question, dans les feedbacks, l’association très significative des savoirs pour enseigner aux des savoirs à enseigner nous montre le souci du formateur de proposer une lecture d’analyse didactique qui ne reste pas sur un discours général, mais au contraire, qui est associée à une problématisation des contenus effectivement abordées par l’enseignant stagiaire.
1.4. Conclusions de l’analyse descriptive savoirs et gestes de définition dans les leçons de harpe
Cette analyse descriptive cherche à contribuer aux éléments de réponse concernant la deuxième question du projet de recherches, que l’on peut reformuler ainsi :
2. Quels effets observables peut-on repérer dans les pratiques d’enseignement des enseignants-stagiaires ?
Bien que les rapports entre l’activité du formateur et l’activité de l’enseignant stagiaire nécessitent d’une analyse statistique qui permette d’en décrire le bien-fondé d’une éventuelle corrélation et, le cas échéant, de ses caractéristiques, la description quantitative de l’activité enseignante des stagiaires durant les leçons permet d’établir quelques constats et d’orienter les hypothèses pour le travail statistique. Nous en proposons quelques-uns en termes d’effets probables des feedbacks sur l’activité de l’enseignant stagiaire dans ses leçons.
1.3.1. Stabilité d’un schéma de structuration des leçons et des stratégies d’enseignement y associées.
Le maintien d’un schéma de distribution des occurrences sur l’ensemble des leçons observées laisse entrevoir un certain degré de typicité des leçons de cet enseignant stagiaire de harpe.
Les observations ayant commencé au milieu de l’année académique de formation, l’on ne peut pas savoir si cette structure typique est attribuable ou pas au cours de didactique. Par contre, les observations réalisées nous permettent de desceller des effets de l’action formatrice sur l’évolution de cette structure typique.
Les observations qualitatives ainsi que les petites planifications qu’il a remises au formateur montrent qu’il cherche à se conformer dans la structure typique des enseignements d’instruments qui, engageant le corps, s’organisent dans une tripartition échauffement- exercices-interprétation. Les analyses qualitatives des feedbacks montrent que la structure tripartite n’est pas contestée par le formateur, bien qu’il considère que celle-ci n’est pas toujours utilisée à bon escient, comme l’indiquent souvent ses commentaires, par exemple :
(min 4’38).
Formateur : « Je trouve dommage qu’il n’y ait pas ces deux minutes de technique », « je comprends l’urgence mais en même temps cet aspect technique du corps (mime le jeu à la
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22 harpe)… pour moi la technique c’est ça, c’est un moment de penser au corps, à la position du corps, à comment on attrape les cordes, ça aide… de sauter en souplesse (il fait référence au problème technique rencontré par l’élève dans la leçon 3) »
L’inexpérience, mais également le souci de répondre aux injonctions du formateur à travers ses feedbacks, peut expliquer également le fait que l’enseignant stagiaire n’arrive pas à se conformer à la structure prévue, comme c’est le cas notamment de L3, leçon durant laquelle le formateur l’autorise à prolonger de presque 10 minutes pour pouvoir réaliser la tâche d’improvisation prévue dans son programme.
1.3.2. Des effets en termes de progression de l’enseignement
La diminution régulière du nombre d’occurrences sur le semestre indique une nette progression dans sa conduite de l’enseignement, avec une part de plus en plus significative du temps qui est laissée à d’autres gestes enseignants et à des moments d’apprentissage de l’élève débutante. La diminution progressive des gestes de définition indique, en effet, que ceux-ci semblent devenir plus efficaces : l’enseignant a moins besoin de s’étaler en explications gestuelles et discursives pour que l’élève comprenne les tâches et les enjeux d’apprentissage, et peut mobiliser ainsi d’autres gestes enseignants tels que des dévolutions, des régulations de l’activité de l’élève, voire des institutionnalisations des apprentissages en voie d’acquisition.
Certes, les gestes de définition des tâches sont relativement constants d’une leçon à l’autre (44.5% d’occurrences en moyenne), ce qui souligne la persistance du schéma d’activité en termes de stratégies d’enseignement. Mais, par ailleurs, leur diminution en nombre d’occurrences en fonction de l’avancement du semestre montrerait un gain d’efficacité : plus de concision et clarté dans la définition de consignes et apports en contenus, ainsi qu’un déplacement de la focale autocentrée en début sur l’enseignement vers une focale centrée par la suite sur la gestion des processus d’apprentissage. Ce déplacement tend à être également corroboré par un changement important des moments des leçons pendant lesquels il y a une absence significative de gestes de définition6 (cf. Tableau 7) : alors que dans L0 et L1 ceux-ci sont de courte durée et placés en fin de leçon (L0 minutes 28-29 et L1 minutes 26-27), par la suite ils seront soit tout aussi courts mais significativement plus nombreux (L2 minutes 11-12, 17, 19, 25-26, 28 et 30-31 ; L4 minutes 2, 6,8,16, 24,28,30), soit nombreux et plus longs (L3 minutes 2, 6, 10, 17 à 24 !, 26-27, 29, 33,35, 37).
1.3.3. Un enseignement de la technique instrumentale centré sur des œuvres Quant aux types de savoirs principalement abordés l’on peut caractériser l’enseignement dans les leçons de harpe selon un schéma très intéressant qui cherche à articuler apport techniques et apports concernant l’interprétation musicale, bien que seules des analyses qualitatives nous permettraient de mieux qualifier cette articulation. Notons néanmoins que le fait d’introduire ses apports de technique instrumentale à travers des œuvres, par contraste avec des exercices décontextualisés, implique un potentiel d’articulation de ces deux catégories de savoirs. Ceci semblerait être en rapport avec l’articulation savoirs pour enseigner et savoirs à enseigner relevée dans les feedbacks.
Pour finir, comme souligné auparavant, il faut noter une centration assez importante des stratégies d’enseignement sur le moment –même de la leçon, en détriment d’une meilleure préparation de l’élève à un travail autonome s (il n’y a que 7% en moyenne de gestes liés à des DH).
6 Dans la mesure où la manière de coder rend visibles les savoirs associés à un geste de définition, les histogrammes du tableau 6 concernant la distribution des types de savoirs sur la durée de la leçon nous donnent également des indications concernant les moments des leçons durant lesquels l’enseignant a réalisé des actions de définition.
Mili, I. & Rickenmann, R. (2015) La formation didactique des enseignants de musique instrumentale et vocale et leur professionnalisation. Une recherche exploratoire à méthodologie mixte.
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2. Dm : le cas de la définition-métaphore. « Comme la plume que tu souffles… »
Qu’est-ce qui se passe, dans une situation d’enseignement du violoncelle, lorsque le professeur conseille à l’élève de produire un do en ces termes : « … comme la plume que tu souffles et qui part » ? Le but du professeur étant de définir quel type de sonorité l’élève devrait produire sur ce fameux do – techniquement et dans une recherche d’expressivité particulière –, on peut s’interroger sur son choix d’un trope métaphorique. « Comme » introduit en principe une comparaison ou une analogie, sorte d’état premier de la métaphore.
Quand bien même les caractéristiques du son musical présentent des aspects concrets ou mesurables (timbre, attaques, intensité, fréquence, « grain », harmoniques, vibrato, etc.), ce son, labile par excellence, a-t-il besoin d’une qualification comparative ou analogique ? Quand le professeur a-t-il recours à ce type de définition et quand choisit-il un autre mode de définition (exemple à imiter, description des actions techniques à entreprendre…) ?
Le procédé métaphorique entraîne-t-il les acteurs en présence dans un champ particulier (plutôt technique ou plutôt interprétatif) ?
Le trope métaphorique joue-t-il un rôle particulier dans l’enseignement musical ?
Il nous est apparu d’autant plus nécessaire de nous saisir de ces questions que la métaphore est omniprésente dans les indications que compositeurs et éditeurs font figurer dans les textes musicaux destinés aux interprètes.
2.1 La métaphore comme outil à disposition de l’interprète
Dans Choses vues à droite et à gauche (sans lunettes), Erik Satie a placé un Choral hypocrite – composé le 17 janvier 1914. Un choral de 10 mesures à 4 temps pour piano et violon, où ne figurent rien de moins que les 6 indications suivantes :
- « Grave » (au début, et de façon générique), - « la main sur la conscience » (5ème mesure), - « très en dehors » (7ème mesure)
- « large » (9ème mesure »),
- « ralentir avec bonté » (10ème mesure)
- « Mes chorals égalent ceux de Bach, avec cette différence qu’ils sont plus rares et moins prétentieux » (après la double barre).
Il semble difficilement contestable que prédomine le sens figuré ! Autrement dit, on n’a pas, dans ces indications, toujours affaire à une figure métaphorique in præsantia . A cet égard, l’exemplaire le plus significatif est : « la main sur la conscience », inséré entre les deux portées de main droite et de main gauche du pianiste qui, depuis la mesure 5, n’a soudain plus rien à jouer à la main gauche et disposerait donc, concrètement, d’une main à mettre sur…. ce qui n’est pas précisément un organe pourvu d’une matérialité reconnaissable et reconnue….
Si Satie est connu pour l’originalité de ses indications (rédigées sur le modèle des didascalies, de traits d’humour ou d’indications institutionnalisées de caractère – « Grave » ou « En dehors » peuvent en effet être situés dans la proximité des indications de caractère d’usage commun telles que « Pesant » ou « H », qui signifie : voix principale dans un passage polyphonique – ), rares sont les partitions où ne figure aucune trope à l’intention de l’interprète.