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L'ÉCONOMIE SOUS-DÉVELOPPÉE

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L'ÉCONOMIE

SOUS-DÉVELOPPÉE

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D. J. DELIVANIS Professeur d'Économie Politique à l'Université de Thessalonique

L'ÉCONOMIE SOUS-DÉVELOPPÉE

Éditions M-TH. Génin

Librairie de Médicis

3, rue de Médicis P A R I S - 6

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AVANT-PROPOS

Quand on étudie les ouvrages des économistes classiques et néo- classiques, on constate que dans leur analyse des phénomènes écono- miques ils ont essentiellement considéré leur apparition en Angleterre.

Il va sans dire que chaque fois qu'on examine un phénomène et qu'on essaie de trouver la théorie qui l'interprètera, on doit poser certaines conditions et tracer le cadre à l'intérieur duquel il se développera.

L'examen des phénomènes économiques limité à l'Angleterre et au cadre physique et social qui était censé y exister ou qui y existait au XIXe siècle, a beaucoup nui à l'économie politique. N'oublions pas que son but ne consiste pas seulement à interpréter les phénomènes économiques qui se sont produits en Angleterre, dans les conditions existant au XIXe siècle, mais les phénomènes économiques généraux, ceux qui se présentent en tout temps et en tout lieu, pourvu que certaines conditions se réalisent. Il me semble que cette attitude des auteurs classiques et néoclassiques a nui au prestige de l'économie politique autant que l'examen des phénomènes économiques supposant que le plein emploi est pour ainsi dire permanent, ou que l'économie y tend « automatiquement », ou encore que les conditions sont toujours normales. En négligeant les frictions inévitables de l'économie sous prétexte qu'elles sont passagères et qu'il est inutile de les examiner, en ignorant les dépressions et les inégalités de développement des différentes régions, les auteurs classiques et néoclassiques ont puis- sament encouragé les hommes d'affaires à ne pas toujours prendre à la lettre les conclusions des économistes, qui ne sont que des théori- ciens.

Une autre raison de cette attitude des gens d'affaires et des hommes politiques à l'égard de la doctrine économique est l'opinion — d'ailleurs démentie par les événements — de certains auteurs, tel que Karl Marx, affirmant que l'économie de tous les pays deviendra tôt ou tard similaire à celle de l'Angleterre, particulièrement à celle de la seconde moitié du XIX siècle. On oublie ainsi les différences du degré de développe- ment, qui peuvent priver de toute utilité les conclusions de la théorie économique, si les conditions fixées par elle ne se réalisent pas, à moins qu'un certain degré de développement économique soit atteint et à moins que la structure économique ainsi que le régime économique ne pré-

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sentent certaines caractéristiques. Il est vrai qu'à cet égard John Stuart Mill mentionne certaines institutions, qui pour une raison quelconque, ne s'étaient pas développées dans son temps en Angleterre. Il en est de même des petits propriétaires terriens et des conséquences écono- miques et sociales de leur existence dans quelques états de l'Europe continentale.

Il est certes superflu de mentionner le tort causé à la théorie écono- mique par l'insistance de certains auteurs à démontrer la coïncidence inévitable de l'intérêt général et de l'intérêt individuel, ou la prédomi- nance des intérêts économiques sur les facteurs politiques et sociaux, ou encore à expliquer tous les phénomènes sociaux par le matérialisme historique. De même, le prestige de la théorie économique a tout à souffrir de son application à analyser et à expliquer les phénomènes économiques dans un cadre juridique et physique irréalisable. Je me permets de mentionner à ce sujet l'analyse économique fondée sur la concurrence parfaite. Cette dernière n'a jamais existé, mais cet état de choses n'a été pris en considération qu'après la publication, en 1933, des ouvrages bien connus de Joan Robinson et de E. Chamberlin.

Mieux vaut tard que jamais.

Il me semble que le premier ouvrage qui ait tenu compte de l'inéga- lité du développement économique est celui de Carey. En effet, cet auteur, en examinant la rente différentielle, rejette l'opinion bien connue de Ricardo sur ses causes et sur l'évolution. Il soutient que, dans les « pays neufs » et en particulier aux États-Unis, la culture des terres avait commencé non pas par les plus productives mais par les moins exposées au pillage et aux épidémies, en particulier à la malaria. Ainsi la rente différentielle se présente sous un aspect différent en fonction du degré de développement d'un pays. Cette mise au point n'a guère été prise en considération par la suite, mais on ne saurait s'en étonner, qu'il s'agisse d'économie politique ou d'autres sciences. Depuis la publication de l'ouvrage de Carey et jusqu'à la seconde guerre mondiale l'idée que les phénomènes économiques et les lois qui les régissent sont influencés par le degré de développement économique, n'a guère eu d'adeptes.

Cette idée s'oppose d'ailleurs à la conception des phénomènes éco- nomiques, qui sont l'objet de notre discipline. On exige qu'ils se présen- tent sous les conditions posées d'une façon uniforme pour qu'ils intéressent la théorie économique. On se demande néanmoins si cela a de l'impor- tance quand « les conditions posées » ne se présentent jamais dans un ou dans plusieurs pays. Il n'y a aucun intérêt à présenter une théorie du pouvoir d'achat de la monnaie sous des conditions de libre échange, d'étalon or et de dépression, quand dans un groupe donné de pays

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existent des contingentements, le contrôle du change, le cours forcé et un degré de prospérité plus grand qu'à l'étranger. Je me permettrai de suggérer que nous nous trouverions alors dans la situation d'un médecin, qui en vertu des instructions en vigueur dans l'hôpital, où il est en fonction, doit appliquer le même traitement au malade ayant 39° de fièvre et à celui qui a 37° l, étant donné que tous deux ont la fièvre et que les instructions sont valables pour quiconque en a. De même que ces instructions auraient dû être amendées pour permettre au médecin d'agir différemment pour ces deux malades, de même, semble-t-il, la théorie économique aurait dû être complétée de façon à pouvoir expliquer l'évolution du pouvoir d'achat de la monnaie dans les deux types d'économie mentionnés auparavant.

Les problèmes économiques particuliers posés exclusivement dans le cas des régions sous-développées, c'est-à-dire pratiquement inexistants dans les autres régions, ont commencé à être examinés dans les publi- cations officielles de certains gouvernements ou d'organisations inter- nationales depuis la seconde guerre mondiale. Les raisons qui ont inspiré l'étude de ces problèmes et les publications les concernant étaient certes exclusivement politiques. La nécessité de modifier ou de compléter la théorie économique est totalement absente des opinions exprimées dans ces publications, ce qui ne doit guère étonner, les auteurs n'étant généralement pas des théoriciens. Ils ignorent et bien souvent se permettent de mépriser la théorie économique. Ils ont simplement pour but d'attirer l'attention sur ces problèmes en vue d'offrir l'aide des pays développés ou d'assurer cette dernière aux pays sous-dévelop- pés. De plus, ces publications ne traitent que de « développement économique ». Sous ce terme, leurs auteurs entendent surtout la création de nouvelles industries ou l'extension et la modernisation de celles qui existent déjà dans les pays sous-développés, sans approfondir la signi- fication ni le processus de ce développement et en passant le plus souvent ses causes sous silence. Il va sans dire que les relations économiques avec l'étranger et à la structure économique du pays en question doivent remplir certaines conditions pour permettre ce développement, c'est- à-dire contribuer à l'augmentation du revenu national et à l'amélioration du niveau de vie de ses habitants.

Après avoir traité du développement en général, ces publications officielles s'occupèrent de plus en plus de l'épargne dans les pays sous-développés. On commença aussi à employer le terme région plutôt que le terme pays. L'intérêt manifesté pour l'épargne vise à trouver des moyens de la mobilisation afin de contribuer au développe- ment. On ne saurait dire toutefois, que le sujet ait été traité dans la majorité des cas avec justesse ou avec connaissance des différences

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avec les régions développées et des problèmes tout particuliers qui se posent dans les régions sous-développées. Malgré cela, il y avait un progrès qui s'est d'ailleurs confirmé, puisque les premiers écono- mistes, s'intéressant à cet ordre d'idées, s'occupèrent justement de ce problème, du moins sous certains aspects.

Mon intérêt pour l'économie sous-développée s'éveilla, il y a pas mal d'années. Différents facteurs l'ont suscité, à savoir, 1° le fait que je vais souvent dans des régions relativement sous-développées et que j'y constate fréquemment combien la théorie dominante est impuissante à interpréter d'une façon satisfaisante plusieurs phénomènes écono- miques des régions sous-développées, 2° le désir de contribuer, dans la mesure de mes forces, à compléter la théorie économique en amorçant une discussion, 3° quelques études que j'ai publiées aussi bien en Grèce qu'à l'étranger sur certains problèmes se présentant dans les régions sous-développées, 4° les travaux pratiques que je dirige depuis quelques années à l'Université de Thessalonique et auxquels participent les candidats à la licence ayant montré une aptitude toute particulière pour les sciences économiques. Depuis l'année académique 1952-1953, nous y traitons fréquemment de ces problèmes.

Après avoir pris une décision de principe j'ai beaucoup réfléchi à la méthode de travail adéquate, au tri et au classement des sujets à traiter, enfin à la langue dans laquelle j'écrirais.

En ce qui concerne la méthode de travail adéquate, j'ai envisagé plusieurs solutions :

En premier lieu, j'avais pensé incorporer dans la troisième édition de mes cours d'Économie Politique en langue grecque, ce que je considère nécessaire pour permettre à la théorie économique d'expliquer les phénomènes économiques indépendamment du degré de développement de la région où ils se produisent. Cette façon de procéder aurait toutefois donné à ces cours trop d'ampleur; ils auraient contenu des points de vue, qui ne sont pas encore généralement admis; enfin l'emploi de la langue grecque ne contribuerait certes pas à leur propagation et à leur discus- sion parmi les économistes non hellènes.

Ensuite j'avais pensé comparer les points de vue soutenus pour chaque problème par la théorie dominante avec ceux qui, selon moi, seraient à même d'expliquer les phénomènes économiques indépendamment du degré de développement de la région où ils se présentent. Cette solution signifiait néanmoins qu'il me faudrait écrire un traité d'Économie Politique, chose nullement indispensable, puisque je voudrais me limiter à la modification de la théorie économique prévalente afin de lui permettre d'interpréter aussi les phénomènes économiques des régions sous-

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développées. Si j'adoptais cette solution, j'envisagerais la possibilité de ne pas écrire en grec afin de faciliter la discussion parmi les écono- mistes ne pouvant pas le lire.

Enfin j'ai pensé réduire le volume de ce que j'ai à exposer et appliquer le système suivant:

1° trier les problèmes économiques traités dans mes Cours d'Écono- mie Politique de première et de seconde année publiés en grec et en séparer ceux qui devraient être modifiés afin que le point de vue exposé, qui selon moi est celui de la théorie prédominante, vaille aussi bien pour les régions développées que pour les régions sous-développées, 2° exposer la théorie amendée, comme nous l'avons expliqué ci-dessus, en prenant en considération la situation de fait des régions sous-dévelop- pées et en évitant tout effort de schématisation,

3° exposer dans l'Introduction les caractéristiques des pays sous- développés, puis dans la première partie, ce qui a trait à la production et à la division du revenu national, dans la deuxième partie ce qui se réfère aux fluctuations économiques, dans la troisième partie enfin ce qui relève de la politique économique et monétaire,

4° écrire en français, solution tout indiquée pour un docteur de l'Uni- versité de Paris désirant rendre ses conceptions accessibles à toute personne pouvant lire une langue aussi répandue que le français.

Par contre, je n'entends nullement examiner les moyens grâce auxquels on essaye de faciliter et d'intensifier le développent écono- mique d'une région sous-développée dans le but d'en faire une région développée. Je ne compte pas aborder ce sujet pourtant si intéressant, en premier lieu parce qu'il n'est pas inclus dans l'économie sous- développée; si j'entendais le traiter, j'aurais dû modifier le titre de l'ouvrage et l'appeler « l'économie sous-développée et son développe- ment »; en second lieu parce qu'il s'agit d'un vaste sujet, dont certaines parties ont déjà été traitées aussi bien dans des publications scienti- fiques que dans des publications officielles; en troisième lieu parce qu'avant d'aborder un sujet aussi vaste et aussi discuté, il faudra faire le tri et la critique des publications qui lui sont consacrées dans plusieurs langues tout en distinguant entre les arguments politiques et sociaux d'une part, économiques d'autre part. Il en découle que ce travail retarderait encore la publication de « l'économie sous-dévelop- pée » qui n'a déjà que trop demandé de temps. Non certes, hélas ! que l'on risque de voir disparaître le type de l'économie sous-développée, mais il vaut mieux en publier enfin l'analyse.

Je me permets de noter que le présent ouvrage couvre un nombre de sujets plus vaste que ceux qui jusqu'à présent ont traité des problèmes

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des régions sous-développées. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai osé après mûre réflexion, l'intituler « l'économie sous-développée ».

Les lecteurs diront si je n'ai pas été trop téméraire. Ma femme, Maria Negreponti Delivanis, a lu le manuscrit, l'a discuté avec moi et a attiré mon attention sur certains passages, sur lesquels elle n'était pas d'ac- cord. Je n'ai pas toujours suivi son avis et je porte seul la responsabilité du texte imprimé. Je la remercie pour son aide, que j'ai beaucoup appréciée.

Thessalonique, le 7 mai 1962. Dimitrios J. DELIVANIS, Professeur d'Économie Politique à l'Université de Thessalonique.

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INTRODUCTION

Depuis l'époque où la notion des régions sous-développées est entrée dans la littérature économique, plusieurs définitions en ont été données.

On emploie de plus en plus le terme région sous-développée. Cette modification tend d'une part à éviter de froisser les habitants et les originaires des pays sous-développés, d'autre part à indiquer que, dans tout pays, certaines parties sont sous-développées. En effet, l'étude plus approfondie du problème a permis de constater que même dans les pays les plus développés et même dans leurs capitales, il y a des secteurs sous-développés, tels que les « slums » ou certaines banlieues.

Plusieurs définitions et plusieurs explications du terme « région sous- développée » ont été données. Ces définitions, qui, bien souvent, ne s'ex- pliquent pas par des considérations scientifiques, sont aisément compré- hensibles si on considère la personnalité et la formation intellectuelle des premiers auteurs qui s'en sont occupés. Il en a été question dans l'avant-propos. Nous allons énumérer ici celles qui semblent les plus intéressantes et celles qui ont attiré le plus l'attention.

a

Une région sous-développée, c'est d'abord une région dont les res- sources naturelles et humaines ne sont pas suffisamment exploitées, d'où, pour ses habitants, un niveau de vie moins élevé qu'il le serait, si l'exploitation de ces ressources était suffisante. La caractéristique du sous-développement n'est donc pas le fait que l'exploitation n'est pas aussi intensive et aussi complète que possible avec les moyens techniques et les connaissances disponibles. C'est l'insuffisance du produit découlant de l'exploitation incomplète qui en est la caractéris- tique. L'insuffisance mentionnée ci-dessus n'est certes pas définie en fonction des besoins pour lesquels il y a, sous les conditions données, une demande dictée par le pouvoir d'achat correspondant, mais en fonction des besoins, dont la satisfaction est considérée dans les régions développées. En effet, l'insuffisance du pouvoir d'achat est justement la conséquence de l'activité économique réduite, qui est due, elle, à l'exploitation limitée des ressources naturelles et humaines disponibles.

Les raisons pour lesquelles l'exploitation des ressources naturelles et

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humaines disponibles est insuffisante n'ont pas d'importance. Il se peut qu'elle soit provoquée par l'absence de capitaux. C'est d'ailleurs l'expli- cation à laquelle on pense en premier lieu. L'expérience récente et les progrès de l'économie politique nous ont néanmoins permis de constater que la pénurie de capitaux à utiliser à l'intérieur du pays peut être neu- tralisée. L'épargne forcée ou le remplacement des fonds thésaurisés par la création de pouvoir d'achat supplémentaire par la banque d'émis- sion, peuvent certes y obvier dans une certaine mesure. Ces méthodes ont, pendant une période assez longue, l'inconvénient de faire baisser le niveau de vie, c'est-à-dire d'intensifier la caractéristique en question du sous-développement.

Le sous-développement peut également être attribué à la difficulté de trouver des travailleurs qualifiés faute de possibilité de se spécialiser ou même des travailleurs non qualifiés. Cette dernière difficulté doit

être attribuée au fait que, surtout dans les pays chauds, le désir d'aug-

menter le revenu est neutralisé bien souvent par une préférence pour l'oisiveté.

Le sous-développement peut également être causé par un coût de production excessif, qui est provoqué, soit par des rétributions trop élevées, soit par un rendement trop faible aux points de vue de la qualité et de la quantité, soit par une fiscalité excessive, soit encore par manque d'économies extérieures (il y a au contraire des « dépenses extérieures » sur une grande échelle).

Il peut enfin être dû à l'incapacité des entrepreneurs. Dans les pays sous-développés, ces derniers sont généralement capables d'exploiter des différences de prix mais non de combiner heureusement les facteurs de production. De plus, ils sont découragés par l'insuffisance de leur prestige social, ainsi que par l'insécurité, qui est assez fréquente dans les régions sous-développées. Cette insécurité est la conséquence de lois spoliatrices à effet rétroactif, de l'incertitude de la situation politique et du fonctionnement peu satisfaisant de l'administration.

Il convient d'indiquer que le sous-développement peut aussi être la conséquence du manque d'équipement, qui ne peut pas être produit sur place ou qui ne peut pas être exploité convenablement, s'il est importé de l'étranger.

b

Une région sous-développée, c'est aussi selon la pensée de N. Kaldor, une région dans laquelle l'agriculteur produit surtout pour la consomma- tion de sa famille et en second lieu pour le marché. Cette division de la destination de la production agricole prouve que dans le pays en

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question la division sociale du travail n'est pas très avancée. Elle prouve également que la population urbaine n'est pas très nombreuse, à moins qu'elle produise elle-même sur des terres lui appartenant, une partie des denrées qu'elle consomme. Il se peut certes que les besoins de la population urbaine soient satisfaits par l'importation de l'étranger, comme c'est en Grèce, dans une certaine mesure, le cas pour la viande.

Cet état de choses montre aussi que l'esprit d'entreprise des producteurs agricoles est très limité. Il s'ensuit que ces derniers se laissent exploiter par des intermédiaires, ce qui certes les décourage dans leurs efforts en vue d'accroître leur production.

Tandis que le précédent critère de distinction des régions sous-déve- loppées est fondé exclusivement sur l'abondance des facteurs de pro- duction disponibles et sur la possibilité de les combiner ainsi que sur la relation de la production disponible et de la production nécessaire pour assurer un niveau de vie satisfaisant aux habitants du pays, le second critère va un peu plus au fond des choses. En effet, il est naturel qu'un agriculteur essaie d'augmenter au maximum sa production.

S'il ne le fait pas, cela signifie qu'il ne désire pas améliorer son revenu, ou qu'il ne veut pas augmenter son labeur, ou qu'il ne croie pas pouvoir obtenir des prix suffisamment élevés pour garantir une augmentation de son revenu, ou encore qu'il aie dépassé le point optimum de la combi- naison des facteurs de production du point de vue de son intérêt per- sonnel.

Toutes ces explications, excepté la dernière, sont des preuves indé- niables du sous-développement de la région considérée. L'apparition de la dernière explication est fort improbable; elle peut en outre être neutralisée grâce au progrès technique, qui ne s'arrête guère. Le main- tien du revenu des agriculteurs à des niveaux peu élevés limite consi- dérablement leur tendance à consommer, à dépenser et à investir, ce qui, certes, réduit l'activité économique de toute la région, dont les habitants envisagent avec scepticisme de nouveaux investissements qui, de leur côté, contribueraient à augmenter les revenus et la consom- mation grâce au mécanisme du multiplicateur.

c

En vertu d'un autre critère, souvent mentionné dans la presse, une région sous-développée est caractérisée par la faiblesse de la consom- mation alimentaire, calculée en calories ou en valeur diététique par habitant, ou par l'importance du nombre d'habitants, par rapport à certains biens durables comme les automobiles, les radios, les réfri- gérateurs électriques, toujours en comparaison avec les chiffres des

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régions développées. Il n'y a pas de doute qu'il en est ainsi dans les régions sous-développées, mais il ne faut pas oublier les erreurs que l'on commet toujours à l'occasion de comparaisons internationales, la nécessité de prendre en considération les coutumes de vie différentes selon les pays et selon les époques, les différences de climat, les préceptes religieux, enfin, l'étendue de la consommation qui passe par le marché et peut être contrôlée. Il s'agit en l'occurrence et pour autant que la compa- raison ait une valeur, des conséquences de la modicité du revenu national et du revenu individuel. Il me semble qu'il serait plus simple de prendre en considération le montant de ce dernier et de classer en conséquence, les différentes régions en régions développées et sous- développées. C'est ce que fait François Perroux en insistant en outre, sur la différence du revenu moyen par travailleur selon les secteurs, différence qui dépend du placement ou du non-piacement de capitaux étrangers dans le secteur en question.

d

On prétend aussi qu'une région sous-développée est caractérisée par le rendement réduit du travail à la suite de la spécialisation limitée, de la paresse et de l'ignorance des travailleurs, et de la combinaison défectueuse des facteurs de production, le tout entraînant un revenu individuel et national limité avec les conséquences défavorables mention- nées dans les alinéas b et c.

Il s'agit là, sans aucun doute, d'une caractéristique digne d'attention.

Il faut néanmoins relever que dans certains cas, par exemple, à la suite d'une guerre longue, même couronnée par la victoire, ou à la suite d'une épidémie, le rendement du travail peut beaucoup baisser dans un pays développé. Cela est arrivé dans les années 1945-1948 dans un grand nombre d'états belligérants de l'Europe Occidentale. Il est impossible de soutenir sérieusement que ces pays étaient passés dans la catégorie des régions sous-développées et qu'après 1949, ils avaient réintégré le sein des régions développées.

Les considérations ci-dessus m'amènent à envisager le point de vue selon lequel la diminution du rendement du travail n'est un critère de sous-développement que si elle est permanente et si le rendement est toujours inférieur à celui qui est atteint dans d'autres pays ou dans d'autres régions du même pays.

e

On prétend également que les régions sous-développées sont celles où le chômage, ou du moins le sous-emploi, est fréquent. Il s'agit là,

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indiscutablement, d'une caractéristique très importante. En effet, les habitants des régions sous-développées ne peuvent trouver d'emploi dans leur profession en dépit de leurs connaissances techniques appro- priées et de leur désir de travailler aux conditions prévalant sur le marché.

Il convient toutefois de distinguer, dans chaque cas, entre ceux qui veulent travailler vraiment sous ces conditions et ceux qui ne sont disposés à travailler que dans un certaine localité, en refusant tout déplacement. Il est aussi indiqué d'examiner s'il s'agit d'un phénomène général ou d'un phénomène n'apparaissant que dans certaines profes- sions, qui sont préférées, soit pour des raisons de prestige, soit pour les avantages supplémentaires qu'elles garantissent. Il me semble donc que le chômage et le sous-emploi caractérisent une économie sous- développée à condition qu'ils soient permanents et qu'ils se présentent dans tous les secteurs de l'économie. Autrement, il se pourrait qu'il s'agisse simplement d'un effet de la spécialisation excessive, du change- ment de profession ou du changement de saison.

Les régions sous-développées sont plus souvent celles où prédomine l'agriculture. On distingue généralement trois cas de sous-emploi agricole. Le premier est celui où la productivité marginale y est au- dessus de zéro. Cela signifie que si un travailleur abandonne l'agricul- ture le rendement total de cette dernière baissera quelque peu. Le second cas est par contre, celui où la productivité marginale atteint zéro.

La disparition d'un travailleur cultivant un champ donné n'affectera nullement la production de ce dernier. Le troisième cas, est celui où la productivité marginale est inférieure à zéro; dans ce cas, un travail- leur de moins dans un champ donné favorisera sa production, parce que la combinaison des facteurs de production sera plus satisfaisante.

Il va sans dire que la constatation de la situation réelle n'est pas aisée.

Nous ne pouvons trouver dans quel cas nous nous trouvons qu'après avoir examiné tous les champs de la région en question au point de vue des rendements et des travailleurs employés. Cela semble plus aisé au premier abord que ce n'est en réalité.

f

On lit et on entend souvent dire que les régions sous-développées sont celles où il n'y a pas d'industrie, ou pas d'industrie lourde. Il me semble que ce critère n'a aucune valeur, d'abord parce que si l'on excepte celles qui sont habitées par des peuplades tout à fait sauvages, il n'y a presque plus de régions sans quelque industrie. D'autre part, faire dépendre l'existence de l'industrie lourde le classement d'une région en région développée ou sous-développée est tout à fait erroné. En effet,

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dans certains pays extra-européens et dans certains pays de l'Est de l'Europe, des industries lourdes ont été créées avec des fonds publics sans tenir aucun compte de leur rentabilité, ni de la qualité ou du coût de production de leurs produits. Cela ne signifie certes pas que ces pays aient accédé automatiquement au nombre des régions développées.

Au contraire, il y a des pays, surtout dans le Nord de l'Europe, qui comptent parmi les plus développés de l'univers, sans pour autant avoir une industrie lourde importante.

g

On enseigne aussi que, dans les régions sous-développées, il existe presque toujours des pressions inflationnistes alimentées, soit par le déficit budgétaire, qui est couvert par les crédits de la banque d'émission, soit par l'excédent de la balance des comptes, quand la conjoncture internationale des exportations s'y prête, soit encore par des crédits accordés par la banque d'émission à l'économie, ou enfin, par l'impossi- bilité d'une fraction plus ou moins importante des débiteurs de rembourser ponctuellement leurs prêts. Il n'y a pas de doute que des pressions infla- tionnistes se font sentir dans chaque région quand on dépasse le plein emploi, ou quand les crédits de la banque d'émission, soit au trésor, soit à l'économie, deviennent excessifs, ou quand la balance des comptes présente subitement un grand excédent. Il s'agit néanmoins, dans le cas des régions développées, de phénomènes passagers, qui se résorbent relativement vite, au moins sous des conditions quelque peu normales.

Nous pouvons donc affirmer que si les pressions inflationnistes dans une région sont quasi permanentes, celle-ci est sous-développée.

h

Les taux d'intérêt sont généralement élevés dans les régions sous- développées et n'ont pas tendance à varier, à moins que des événements extraordinaires se produisent. Il s'agit de la conséquence, dans l'intérêt global, de l'importance de la prime d'assurance et des frais de récupéra- tion des crédits accordés. Ces deux montants ne changent qu'à la suite des événements extraordinaires, mentionnés auparavant.

Il en est de même en ce qui concerne le taux d'intérêt net, c'est-à-dire ce qui reste après déduction de ces deux montants. Lui aussi ne varie pas beaucoup dans les régions sous-développées. En effet, la demande de crédits dépasse toujours l'offre et le seul résultat de la diminution de la demande à la suite d'une dépression est la réduction des « backlogs » de crédits ne pouvant pas être accordés. De plus, s'il s'agit de colonies ou de régions en tutelle, dont les transferts vers la métropole ou le marché

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dominant ne sont pas contrôlés, des crédits affluent du marché dominant ou de la métropole en période de prospérité. Par contre, en période de dépression, des considérations de sécurité poussent les créanciers à transférer leurs avoirs à la métropole ou au marché dominant. On peut donc soutenir que l'offre et la demande de capitaux évoluent sur des voies parallèles et contribuent ainsi à réduire encore davantage les fluctuations du taux d'intérêt global ou net sur les marchés financiers des régions sous-développées sans leur permettre de monter.

i

Une autre caractéristique des régions sous-développées est la mono- culture. On peut employer ce terme de deux façons, avec une signifi- cation différente dans chaque cas. Littéralement, monoculture signifie la culture d'un seul produit ou du moins sa culture sur une si grande échelle que les autres produits n'ont plus d'importance.

Cependant, on emploie aussi le terme de monoculture, quand l'expor- tation d'un ou de deux produits constitue la seule ou la plus grande recette de la balance des payements du pays en question. La monoculture, entendue dans ces deux sens, est sensée être une des caractéristiques des régions sous-développées.

Il faut noter que la monoculture dans son premier sens ne se présente plus dans les états modernes, parce que partout les avantages de la diversification de la production ont poussé à l'abandonner. De plus en plus, l'agriculteur produit tout ce que lui et sa famille consomment et après, seulement, les produits destinés au marché. Ainsi s'explique qu'en Grèce, pays considéré comme pays de monoculture de tabac, plus des deux tiers des superficies cultivées produisent du blé et des céréales, tandis que 4 % des superficies cultivées produisent du tabac.

Par contre, la monoculture, dans son second sens, et particulièrement dans la deuxième variante de ce dernier, existe toujours. On parle de monoculture même quand la moitié de la valeur des exportations (et non pas l'ensemble des postes actifs de la balance des comptes) est représentée par une marchandise. Dans ce sens la Grèce est un pays de monoculture de tabac.

La monoculture, entendue ainsi, est certes une caractéristique des régions sous-développées. Elle est liée à maints désavantages, tels que la division du profit découlant des relations économiques inter- nationales, la dépendance de toute l'économie de la demande d'un seul produit sur les marchés étrangers et de sa production à l'intérieur du pays, l'intensité des fluctuations saisonnières, enfin les suites désastreuses de la saturation, surtout sur les marchés mondiaux, ou de la découverte

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d'un substitut préférable pour une raison ou pour une autre. La mono- culture, même entendue ainsi, ne se présente pas dans les régions développées, où plusieurs secteurs de la production ont été développés. j On prétend que dans les régions sous-développées, la majorité des habitants préfère plutôt les loisirs prolongés à l'acquisition, par un labeur patient et intensif, des moyens de mieux satisfaire qu'aupara- vant ses besoins. En ce qui concerne ce critère, il me semble qu'une distinction s'impose entre les régions sous-développées d'Europe et les pays d'outre-mer.

En effet, en Europe, du moins dans la majorité des cas, les habitants des régions sous-développées veulent améliorer leurs conditions de vie, même aux dépens de leurs loisirs. Néanmoins ils ne savent pas comment s'y prendre et l'éducation insuffisante qu'ils reçoivent ne les aide guère.

En premier lieu se dresse l'obstacle des préjugés relatifs à l'honorabilité des différents emplois. En second lieu, surtout dans les campagnes, on s'oppose dans les familles au travail des femmes. Enfin, le favoritisme, surtout dans l'administration, décourage les plus capables et les plus travailleurs en les poussant plutôt à émigrer. Dans ce cas, seuls les envois d'argent de l'émigré à sa famille sont utiles au pays qu'il a quitté.

Par contre, dans les régions sous-développées des pays d'outre-mer, la préférence pour le loisir, même si ce dernier s'accompagne d'un revenu insignifiant, est assez répandue. Elle a été constatée à maintes reprises dans les régions où des travaux ont été entrepris et où les habi- tants refusent de travailler, en dépit de l'encouragement représenté par l'augmentation de leurs rétributions (1)

Il faut donc conclure que la préférence pour le loisir aux dépens du revenu n'est pas une caractéristique générale des habitants des régions sous-développées.

k

Un autre critère de distinction relevé notamment par N. S. Buchanan et H. S. Ellis consiste dans la différence de longévité et du taux de mor- talité chez les adultes comme chez les enfants, entre les régions déve- loppées et sous-développées. Il n'y a pas de doute que cette différence existe. Elle n'est pas due seulement à la différence des vivres et des

(1) Néanmoins P. Kilby, African labour productivity reconsidered, The Economic Journal 1961, pp. 273-291 soutient sur la base de nouvelles recherches, que cela n'arrive que lorsque les rétributions sont insuffisantes.

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médicaments disponibles par habitant. Elle est également provoquée par la disparité des possibilités de leur utilisation, par l'inégalité des connaissances relatives des experts et surtout des individus ainsi que par certains préjugés ou pratiques superstitieuses. Ces derniers n'étaient d'ailleurs pas inconnus en Europe, il y a quelques siècles. En dépit de l'indéniable progrès de notre époque, des différences persistent quoique à des degrés, que l'on aurait considérés comme incroyables il y a quelques dizaines d'années. l

François Perroux soutient que les régions sous-développées sont généralement des régions dominées. Il estime qu'une région est dominée lorsque, sur une échelle importante, les investissements, qui y sont effec- tués, ne sont pas décidés par ceux qui y habitent, ni influencés par les besoins de ces derniers et qu'ils ne sont pas financés par eux. Par contre, les investissements dépendent des décisions des habitants de la région dominante, qui en même temps se chargent du financement. Il va sans dire que ce sont leurs propres intérêts et leurs propres perspectives qui les guident.

Il n'y a pas de doute qu'à une certaine époque, j'entends avant 1914 et peut-être même après, dans quelques cas, les régions sous-développées furent dans une certaine mesure des régions dominées. Il faut insister sur l'expression « dans une certaine mesure » parce que jamais et nulle part tous les investissements n'étaient ou ne sont décidés à l'étranger et financés par ce dernier. Cela a pu se produire pour certains travaux publics, tels que les chemins de fer, mais certes pas pour le logement et l'outillage des agriculteurs ou des artisans. La domination, ainsi entendue, était et est bien fréquente dans les relations entre métropole et colonie. Il faut néanmoins préciser que puisque, dans la colonie, la circulation fiduciaire y est couverte à 100 % par des avoirs de la colonie à la métropole, c'est la colonie dominée qui en fait, assurait et assure le financement. La domination se manifestait et se manifeste donc pour ainsi dire exclusivement par l'effort visant à en tirer le plus grand avantage. Cet avantage est examiné du point de vue de l'économie dominante en général, de celui de l'intérêt privé du responsable de la décision et de ceux qu'il soutient, qu'il protège ou auxquels il obéit.

La domination n'est donc jamais complète et n'est pas toujours une relation de droit public. Elle peut simplement viser à rendre service

(1) Nous devons à François Perroux une autre définition de l'économie sous-développée sur laquelle je reviendrai dans l'alinéa r.

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à certains groupes de particuliers, qui poursuivent leur propre intérêt, même s'il ne coïncide pas avec l'intérêt général de l'économie domi- nante.

Avec les réserves énumérées et analysées ci-dessus, nous pouvons donc admettre que l'économie sous-développée est dominante. Cette domination des économies sous-développées est aussi causée par la monoculture dans le sens exposé dans l'alinéa i.

m

On prétend également que l'économie sous-développée est celle où il n'existe pas de classe moyenne. Il s'agit là d'un critère plutôt socio- logique qu'économique. En effet, la classe moyenne se compose en grande partie de ceux qui ont pu se créer une situation en commençant très bas et sans avoir eu l'avantage d'un soutien efficace, soit de la part de leur famille, soit de la part d'un autre groupe social. Pour pouvoir évoluer, ou plutôt monter dans l'échelle sociale, ils ont dû déployer une énergie et une application plus grandes que la moyenne, en premier lieu pour s'élever, en second lieu pour se maintenir au niveau atteint.

Tandis que dans les régions sous-développées ce phénomène ne se présente pas sur une assez grande échelle pour jouer un rôle décisif.

Il n'en est pas de même dans les autres régions. Il faut aussi ajouter que dans les régions sous-développées, ceux qui parviennent à faire des progrès ne s'arrêtent pas à mi-chemin, mais entrent tôt ou tard dans la classe fortunée et s'assimilent dans la mesure du possible avec ceux qui sont riches de naissance. Ainsi le progrès n'y donne pas lieu à la création d'une classe moyenne mais à l'inclusion de « parvenus » dans la classe fortunée.

n

Selon C. N. Vakil et P. R. Brahmananand, une région sous-développée est celle où il y a pénurie de vivres. Cette dernière empêche l'emploi des chômeurs, dont la demande effective augmente dès qu'ils sont embau- chés. Si on considère que cette demande sera en premier lieu une demande de vivres plus variés, meilleurs et de plus grande quantité, on ne peut qu'accepter que les deux auteurs ont raison. Ils soutiennent dans cet ordre d'idées que le développement économique exige, en premier lieu, l'augmentation de la production de vivres en obtenant le rendement maximum; en second lieu la prohibition de l'augmentation de la consom- mation des vivres par travailleur. Il n'entre pas dans le cadre de la présente étude d'examiner si ces deux conditions peuvent être réalisées.

Il serait également possible de se procurer de grandes quantités de

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vivres à l'étranger, s'il y existe de grands stocks, si la région sous- développée y dispose d'avoirs suffisants, ou si l'étranger est disposé, soit à accorder des prêts, soit à faire des cadeaux à la région sous- développée.

o

Selon Ragnar Nurkse et Gunnar Myrdal, l'économie sous-dévelop- pée est le résultat de l'action des forces de marché et de certains fac- teurs non économiques dans le cadre d'un processus cumulatif. Ragnar Nurkse se réfère particulièrement à la pénurie de capitaux dans l'éco- nomie sous-développée. La pauvreté provoque la pénurie de capitaux et cette dernière aggrave encore la pauvreté en empêchant de nouveaux investissements. On se trouve ainsi dans un cercle vicieux qu'il n'est pas possible, selon Ragnar Nurkse, de briser sans une intervention extérieure.

Gunnar Myrdal amplifie le raisonnement appliqué par Ragnar Nurkse à l'épargne et explique de la même façon la création et le maintien de l'économie sous-développée. Il se base sur ses constatations, lors de l'examen, en 1944, du problème des Nègres aux États-Unis et lors de l'examen, en 1954, par la Commission économique de l'Europe des économies méditerranéennes et en particulier du sous-développe- ment du Sud de l'Italie, tandis que le Nord s'est si vite et si bien développé.

p

Le Recteur Ugo Papi a d'autre part, fort justement, relevé comme critères de l'économie sous-développée d'une part, la disproportion des différents facteurs de production disponibles, avec pénurie fort marquée de l'épargne dans la grande majorité des cas, d'autre part la difficulté de s'assurer des économies externes suffisantes. Il n'y a pas de doute que ces deux critères soient importants indépendamment certes de leur occurence aussi en dehors de régions sous-développées à la suite d'événements extraordinaires, par exemple, après une grande catastrophe. La différence à relever est que, dans une région sous-déve- loppée, cela constitue la règle.

q

François Perroux a également exposé une autre caractéristique de l'économie sous-développée, à savoir le fait que les coûts de l'homme

(1) Cf. Économie Appliquée 1952.

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ne sont pas couverts. Il n'y a pas de doute qu'il en est ainsi, mais le grand problème à résoudre depuis le commencement du siècle, c'est précisément comment les calculer. Le Professeur André M. Andreadès avait compris dans ce coût la dépense de l'entretien et de l'éducation de chaque être humain et sa contribution nette annuelle au revenu national en fonction du nombre d'années durant lesquelles il pourra le faire. Les résultats ainsi obtenus, pour l'époque d'avant 1914, diffé- raient sensiblement de 140 %, entre la Russie et les États-Unis. Il n'y a pas de doute que les calculs peuvent être effectués avec des données beaucoup plus complètes actuellement, mais ils n'en doivent pas moins pour cette raison, être admis avec quelque réserve (2)

Il me semble avoir suffisamment développé les caractéristiques des régions sous-développées. Ce sont:

1) L'exploitation insuffisante des ressources naturelles et humaines de la région à la suite de la pénurie d'un ou de plusieurs facteurs de production avec, comme résultat, un niveau de vie insuffisant et de toute façon, inférieur à celui qui aurait été atteint si l'exploitation était suffi- sante.

2) La production agricole surtout pour la consommation familiale et fort peu pour le marché.

3) La médiocrité du revenu individuel et du revenu national ainsi que la grande inégalité des revenus individuels.

4) La médiocrité du rendement du travail, s'il s'agit d'un phénomène permanent.

5) La permanence du chômage et du sous-emploi.

6) La permanence des pressions inflationnistes.

7) La permanence du niveau élevé des taux d'intérêt bruts et nets.

8) La monoculture, surtout du point de vue de la balance des comptes.

9) La longévité insuffisante et le taux élevé de mortalité.

10) La domination par une économie étrangère.

11) L'absence de la classe moyenne.

(1) Cf. Cours élémentaire de finances publiques, Athènes 1924, pp. 79-80 (en grec).

(2) On pourrait certes en mentionner d'autres encore, par exemple, la grande différence des conditions de vie des grandes masses de la population urbaine ou rurale, la rapidité avec laquelle on constate dans l'agriculture le rendement décroissant, le pourcentage élevé des travailleurs non qualifiés et la productivité moyenne réduite aussi bien micro que macroéconomique.

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12) L'insuffisance des produits alimentaires.

13) L'incapacité de la majorité des entrepreneurs.

Par contre, je ne considère pas comme caractéristiques des régions sous-développées, l'absence d'industrie lourde ou le sacrifice du revenu au loisir.

(25)
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PREMIÈRE PARTIE

LA PRODUCTION ET LA DIVISION DU REVENU NATIONAL

Dans la première partie, j'examinerai la production et la division du revenu national dans une économie sous-développée. Ainsi dans le premier titre, qui traitera de la produc- tion, le premier chapitre sera consacré aux besoins, le second aux biens, le troisième à la division du travail, le quatrième aux caractéristiques et à la coordination des fac- teurs de production. Dans le second titre, qui étudiera la division du revenu national, le cinquième chapitre analysera les éléments monopolistiques, le sixième les prix et le septième les revenus.

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PREMIER TITRE :

LA PRODUCTION

CHAPITRE I LES BESOINS (1)

Avant d'aborder les problèmes de la production dans l'économie sous-développée je me propose d'y exami- ner les particularités afférentes aux besoins, puisque toute l'activité économique a pour but de satisfaire les besoins. Dans ce but, j'examinerai dans la première section, l'apparition et l'intensité des besoins dans l'éco- nomie sous-développée. Dans la seconde section, j'ana- lyserai la manière avec laquelle les besoins sont satisfaits en économie sous-développée et la division du revenu national qui en résulte.

Première Section :

L'APPARITION ET L'INTENSITÉ DES BESOINS Dans les deux paragraphes de cette section, j'exami- nerai, premièrement, l'apparition, deuxièmement, l'inten- sité des besoins dans l'économie sous-développée.

I

Dans une région sous-développée, les besoins se manifestent plus tard et plus faiblement qu'ailleurs.

(1) Ce chapitre a été incorporé sous une forme abrégée et en grec dans le volume publié par la Société Héllénique des Sciences Écono- miques en l'honneur de son président, le Professeur Dimitrios E. Calit- sounakis, lorsqu'il a été atteint par la limite d'âge.

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Cela s'explique par la modicité des revenus, qui y sont les plus fréquents. En effet, dans une région développée, où les revenus sont en moyenne fort élevés, le nombre de personnes ou de familles, qui ressentiront le besoin d'être chauffées tout en ayant la possibilité d'en assumer les frais, est élevé, dès que la température baisse à l'intérieur des logis, disons à 20 degrés. Ce nombre augmentera encore quand la température des espaces non chauffés baissera, disons à 18 degrés, et peut-être encore plus quand elle atteindra 16 degrés. Par contre, dans une région sous-développée, personne ne pensera au chauffage avant que la température des espaces non

DIAGRAMME N° 1

chauffés n'atteigne par exemple 18 degrés. C'est seule- ment quand leur température atteindra par exemple 12 degrés que la demande de chauffage augmentera

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beaucoup. Nous aurions dans ce cas, deux courbes de demande assez différentes et à des niveaux fort différents.

En effet, si nous plaçons le long de la ligne verticale les températures en degrés centigrades et si nous pla- çons le long de la ligne horizontale les milliers, voire les millions de groupes de familles, de familles ou d'indi- vidus, qui exigeraient le chauffage aux températures correspondantes, d'une part dans les régions dévelop- pées, d'autre part, dans les régions sous-développées, nous aurons le diagramme ci-contre (N° 1).

Il découle de ce diagramme que, dans la région déve- loppée, avec 20° de température, 3.000 demandent le chauffage, avec 18°, 5.000 et avec 16°, 8.000. Par contre dans la région sous-développée personne n'exige le chauffage à 20°, 1.000 à 18°, 2.000 à 16° et 8.000 à 12°.

Il va sans dire qu'il est question de deux régions sans différence de climat, ni de population et où les habitants expriment le même désir de se chauffer, mais néanmoins avec une différence très marquée dans leur capacité de satisfaire le besoin de chauffage des espaces habités.

Cette différence est due à la disparité des revenus puisque par définition une région sous-développée est une région, où la moyenne des revenus individuels est peu élevée.

Il est naturel que ceux qui ont des petits revenus retardent autant que possible le moment d'utiliser le chauffage afin de pouvoir réduire leur dépense.

Il est également caractéristique de ceux qui ont des petits revenus, de ne pas pouvoir prévoir à l'avance leurs besoins et les modalités qui leur permettront de les satisfaire. Il en résulte qu'au moment, où la satisfac- tion ne peut plus être retardée, par exemple en matière de chauffage lorsque la baisse de la température est telle qu'il devient indispensable, l'offre disponible, vu les installations et vu le personnel en état d'y pourvoir

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est nettement insuffisante. Il s'ensuit que la satisfaction des besoins en chauffage des habitants de la région sous-développée n'aura lieu que quand la température aura atteint par exemple 11°. Des files d'attente appa- raîtront. Ce dernier retard combiné avec le premier a pour résultat d'exposer ceux qui ont été privés de chauf- fage à certains dangers, qu'ils auraient probablement évités, s'ils avaient été chauffés plus tôt.

Il va sans dire que, de cette façon, l'utilité découlant de la satisfaction d'un besoin, aussi bien au point de vue de l'individu qu'au point de vue de la collectivité, est beaucoup plus grande. En effet, si on commence le chauf- fage, quand la température est à 20°, l'avantage consiste à ne pas ressentir l'approche de l'hiver, du moins au commencement. Par contre, si on attend pour chauffer que la température tombe à 12°, voire à 11°, la satisfaction qui en découlera sera beaucoup plus grande. Certes on ne peut, ni mesurer, ni comparer la satisfaction plus élevée que l'on ressent d'être enfin chauffé quand la température des espaces habités sera tombée à 12 ou à 11° et l'ennui précédent de ne pas avoir été chauffé pour savoir si la différence est négative ou positive. Il s'agit en l'occurrence de l'application de la théorie mar- ginale.

La modicité du revenu et le retard marqué dans la satisfaction des besoins, qui caractérisent l'économie sous-dé veloppée, ont comme conséquence l'impossibilité quasi complète de parvenir à la saturation des besoins en question. Le niveau de vie en ressent les conséquences, ce qui n'est que trop naturel.

Ces conséquences résultent également du fait que la satisfaction des besoins des habitants d'une région sous- développée est beaucoup plus influencée que dans les régions développées par les coutumes et par la tradition et beaucoup moins par des considérations strictement économiques découlant de la logique.

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