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Les premiers humains génétiquement modifiés sont-ils nés ?

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REVUE MÉDICALE SUISSE

WWW.REVMED.CH 12 décembre 2018

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POINT DE VUE

LES PREMIERS HUMAINS GÉNÉTIQUEMENT MODIFIÉS SONT-ILS NÉS ?

A l’heure où ces lignes sont écrites impossible, malheureusement, de trancher entre l’annonce historique, le coup de bluff scientifique ou le coup de sonde diploma- tique. Résumons l’affaire telle qu’elle vient d’être rapportée par les agences de presse internationales. Le 26 novembre 2018, le fil de l’Associated Press 1 faisait vibrer toutes celles et ceux qui s’intéressent à la génétique, à l’éthique et au devenir de l’humanité.

On apprenait alors qu’un chercheur chinois affirmait avoir contribué à la créa- tion des premiers êtres humains généti- quement modifiés – des jumelles nées il y a peu et dont il avait modifié le patrimoine héréditaire avec un nouvel outil puissant,

« capable de réécrire le modèle même de la vie ». « Si cela est vrai, ce serait un pas de géant en science et en éthique. Un scienti- fique américain a déclaré qu’il avait pris part aux travaux en Chine, ajoutant que ce type de modification génétique est interdit aux Etats-Unis car les modifications de l’ADN peuvent être transmises aux géné- rations futures et risquent de nuire à d’autres gènes, ajoutait l’Associated Press. Une ma- jorité de scientifiques pensent qu’il est trop dangereux d’essayer, et certains ont qualifié l’essai chinois d’“expérimentation humaine” ».

On apprenait encore que ce chercheur n’avait pas pour objectif de guérir ou de prévenir une maladie héréditaire, mais bien d’essayer de conférer aux embryons ainsi manipulés une capacité à résister à l’infection par le VIH. Et d’ajouter que les parents concernés ne souhaitaient ni être identifiés ni interrogés – et encore que, pour sa part, il ne dirait pas où cette expé- rience avait été menée. Dans le même temps, aucune confirmation indépendante

de ses dires, aucune publication dans une revue scientifique avec comité de relecture, aucun élément attestant de l’authenticité de telles allégations.

En d’autres temps, sous d’autres cieux, l’affaire aurait été vite classée au rayon des divagations. Tel ne peut plus être le cas.

Quoique déjà parfois présenté comme un

« Frankenstein chinois », He Jiankui n’est pas un inconnu perdu dans ses délires.

C’est un chercheur officiellement affilié à la Southern University of Science and Technology (SUSTech) de Shenzhen. Et il s’est expliqué (succintement) devant ses pairs réunis dans le cadre du « Second International Summit on Human Genome Editing »,2 organisé du 27 au 29 novembre à Hongkong.

Ainsi donc, à l’heure où ces lignes sont écrites une grande prudence s’impose.

Pour autant, comment ne pas préciser que tous les spécia- listes interrogés reconnais- sent qu’une telle percée était attendue – pour ne pas écrire redoutée ? Et tout particuliè-

rement en Chine, depuis les premières rééditions du génome d’embryons humains (officiellement non implantés par la suite) annoncées ces dernières années.

Pour l’heure, on en reste au mode conditionnel. « Lulu et Nana, les premiers bébés génétiquement modifiés, des ju- melles, seraient nées en Chine au cours du mois de novembre. Leur génome aurait été altéré – alors que leur embryon venait d’être formé par fécondation in vitro – afin de désactiver un gène pour leur confé- rer une résistance à l’infection par le VIH » écrit ainsi Le Monde.3 La technique qui aurait été utilisée pour modifier le gé- nome des jumelles, CRISPR-Cas9, est un système facile à mettre en œuvre et peu onéreux, découvert en 2012 notamment par la Française Emmanuelle Charpentier.4 En 2014, Nin- gning et Mingming, les deux premiers singes modifiés par CRISPR-Cas9, avaient vu le jour à l’Université médicale de Nankin. »

La technique avait été appliquée l’année suivante, puis en 2016, par des équipes chinoises sur des embryons humains triploïdes, qui n’avaient aucune chance de se développer en bébés nor-

maux. Il s’agissait déjà d’induire une mutation du gène CCR5 pour s’opposer à l’infection par le VIH. Et les résultats obtenus avaient permis de conclure qu’une telle approche, à supposer qu’elle soit légi- time, était pour le moins prématurée.

« Fondateur de start-up de biotechno- logie, He Jiankui, qui est passé par les Universités américaines Rice et Stanford, avant de retourner en Chine dans le cadre du programme “1000 talents”, semble avoir passé outre ces préventions, observe Le Monde. Il a indiqué à l’Associated Press avoir recruté des couples dont le mari était porteur du VIH par le biais d’une association pékinoise d’aide aux malades du sida. Les spermatozoïdes auraient été isolés, puis fusionnés avec l’ovule, formant un embryon dans lequel un assemblage CRISPR-Cas9 aurait été injec- té. Entre trois et cinq jours de développement, quelques cel- lules auraient été extraites pour s’assurer que l’édition du génome avait bien eu lieu. Au total, seize des vingt-deux embryons obtenus auraient bien été modi- fiés, onze d’entre eux auraient été utilisés dans six tentatives d’implantation, pour une grossesse double, finalement menée à terme. »

Les analyses génomiques auraient ensuite établi que la manipulation n’avait que partiellement réussi. La SUSTech de Shenzhen s’est aussitôt déclarée « pro- fondément choquée » par cette annonce, prenant soin de préciser que ces expé- riences n’avaient pas été menées en son sein. L’utilisation de CRISPR pour modifier des embryons humains « constitue une violation sérieuse de l’éthique académique et des codes de conduite » fait valoir cette université. Les autorités chinoises cen- trales ont quant à elles fait savoir qu’elles avaient demandé aux autorités sanitaires régionales d’ouvrir en urgence une enquête minutieuse pour établir ce qu’il en est des faits rapportés par He Jiankui.

Plus d’une centaine de scientifiques chinois de haut rang se sont publiquement insurgés contre ces expérimentations dans une lettre ouverte,5 mise en ligne sur le réseau social Weibo. Si cette expérimen- tation était « scientifiquement possible », ils estiment qu’elle ne devrait pas être mise en œuvre « sur des êtres humains à cause des incertitudes, des risques, et, plus important, des problèmes éthiques JEAN-YVES NAU

jeanyves.nau@gmail.com

TOUS LES SPÉCIALISTES

INTERROGÉS RECONNAISSENT

QU’UNE TELLE PERCÉE ÉTAIT

ATTENDUE

© istockphoto/didiona

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ACTUALITÉ

WWW.REVMED.CH

12 décembre 2018

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qui s’ensuivent ». « La boîte de Pandore a été ouverte, écrivent-ils. Nous devons la refermer avant de perdre notre dernière chance. En tant que chercheurs biomédi- caux, nous nous opposons fermement et condamnons toute tentative d’éditer des gènes d’embryons humains sans examen sur l’éthique et la sécurité ! »

Cette annonce a également suscité d’innombrables interrogations au sein de la communauté scientifique internationale – ainsi que quelques indignations. Mais, étrangement, c’est moins le principe même de la modification irréversible (et trans- missible) du génome humain que la trop grande précocité du « passage à l’acte » qui est le plus souvent critiquée par les scien- tifiques. Ainsi, pour Jennifer Doudna (UC Berkeley), codécouvreuse de la technique

1 Marchione M. Chinese researcher claims first gene-edited babies. Associated Press November 26, 2018.

2 Second International Summit on Human Genome Editing : www.nationalacademies.org/gene-editing/2nd_

summit/index.htm

3 Morin H. Des bébés génétiquement modifiés seraient nés en Chine. Le Monde du 26 novembre 2018.

4 Nau JY. « CRISPR : se préparer à une révolution annoncée 1-2-3». Rev Med Suisse 2016;12 :666-7 et Rev Med Suisse 2016;12 : 714-5 et Rev Med Suisse 2016;12 :766-7.

5 Rathi A, Huang E. More than 100 Chinese scientists have condemned the CRISPR baby experiment as

« crazy ». Quartz, 26 novembre 2018.

CRISPR-Cas9, si l’annonce chinoise devait être confirmée cela « renforcerait le besoin urgent de confiner l’utilisation des édi- tions des gènes sur les embryons humains à des dispositifs où un besoin médical non satisfait existe, et où aucune autre approche médicale ne constitue une option viable, ainsi que le recommande l’Académie des sciences américaines ».

On se souviendra que dans un entretien qu’elle avait accordé au Monde (21 mars 2016), cette chercheuse estimait que la naissance d’un « bébé CRISPR » était « une quasi-certitude » : « Un jour, cela arrivera, je ne sais pas où ni quand, mais, un jour, je me réveillerai avec cette nouvelle. J’aime- rais que nous ayons alors été aussi bien préparés que possible. » Le 28 novembre 2018, à Hongkong, He Jiankui a annoncé

qu’il allait faire une « pause » dans ses essais cliniques – et ce « compte tenu de la situation actuelle ». Le scientifique a aussi déclaré devoir « présenter des excuses pour le fait que ce résultat ait fuité de façon inattendue » (sic).

Ces lignes sont écrites. Attendons.

INTERPROFESSIONNALITÉ

A propos de l’article :

Arsever S, Tchernin E. Ppratique de l’interprofessionnalité en médecine interne générale en suisse : état des lieux et défis.

Rev Med Suisse 2018;14:1700-3.

C’est avec grand intérêt que nous avons lu l’article des Drs Sara Arsever et Elodie Tchernin « Pratique de l’interprofessionnalité en mé- decine interne générale en Suisse : état des lieux et défis ». Nous félicitons les auteures pour leur fort soutien à la collaboration médecin-infirmière et leur plaidoyer pour l’établissement de la pratique avancée des soins infirmiers en Suisse. L’interprofessionnalité et la pratique avancée sont deux sujets d’actualité impor tants qui sont au cœur de nos préoccupations. C’est pourquoi nous souhaitons amener quelques précisions les concernant.

La collaboration entre médecins et infir mières est certainement un élément clé de la collaboration interprofessionnelle. Néanmoins, et plus spécifiquement dans la gestion des maladies chroniques et les situations de soins complexes, la collaboration médecins-infirmières ne peut pas répondre seule aux besoins de la population. L’inclusion d’autres professionnels de santé (physiothérapeutes, ergothéra- peutes, diététiciennes…), mais

également des patients et de leurs proches, est dès lors indispensable.

Le Chronic Care Model de Wagner 1 ou encore le Transitional Care Model de Naylor 2 illustrent cette complexité, mais sont à ce jour malheureusement peu appliqués en Suisse.

La pratique infirmière avancée (PIA), en anglais advanced nursing practice, est une dénomination générique, qui englobe deux princi- paux rôles infirmiers : l’infirmier-ère clinicien-ne spécialisé-e (ICLS) et l’infirmier-ère praticien-ne spécia- lisé-e (IPS). Il est important de ne pas confondre ces deux rôles qui existent en Suisse, à ce jour. L’Ins- titut universitaire de formation et de recherche en soins (IUFRS) de l’université de Lausanne définit ces rôles comme suit : 3

L’ICLS s’implique d’abord dans le développement clinique sur le plan organisationnel, veillant à améliorer la qualité et la sécurité des soins. Il/elle joue ensuite un rôle de leader transformationnel, notamment en introduisant les nouveaux savoirs auprès des équipes de soins infirmiers. Enfin, il/elle apporte et supervise des soins directs aux patient-e-s et familles dans des situations complexes.

L’IPS se concentre d’abord sur les soins directs aux patients et aux proches, en fonction de son orien- tation clinique et dans le cadre d’un partenariat infirmier-médecin.

Un cadre légal spécifique lui permet notamment de prescrire et inter-

préter des tests diagnostiques médicaux, d’effectuer des actes médicaux et de prescrire des médicaments. Il/elle peut également, dans son champ de compétence, venir en soutien aux équipes de soins infirmiers. Enfin, mais de manière moins perceptible, il/elle peut participer à l’évolution du système de santé.

En Suisse, comme dans d’autres pays, les experts s’accordent aujourd’hui pour exiger un niveau de Master ès science en sciences infirmières d’au moins 90 ECTS pour exercer la PIA.4 Dans l’article d’Arsever et Tchernin, un grand nombre de modèles de soins présentés ne remplissent pas ce critère. Cela ne veut pas dire que des infirmières spécialistes (basé sur de la formation continue) dans des domaines spécifiques n’apportent pas une plus-value au système de santé. Loin de là. Mais il nous semble tout aussi important de ne pas considérer tous les différents rôles infirmiers comme de la PIA. Dans le cas contraire, les compétences des personnes risquent de ne pas correspondre aux compétences requises pour prendre soin de personnes en situation de santé complexes. Les modèles de soins qui comprennent les deux rôles de PIA ont démontré des bénéfices importants pour le patient (en termes de prise en charge longitudinale, d’éducation du patient, de prise en compte de l’environnement bio-socio-psycho- logique, de coordination interpro-

fessionnelle…). Mettre des profes- sionnel-le-s de santé qui n’auraient pas les compétences requises dans ces modèles des soins risque de dimi nuer la qualité des soins et la sécurité des patients. L’intégra- tion des rôles de PIA nous semble donc essentielle pour soutenir l’amélioration des systèmes de soins en Suisse et, pour ce faire, le système de formations univer- sitaires est primordial.

Prs Phil Larkin, Odette Doyon, Manuela Eicher, Antje Horsch, Dr Cédric Mabire,

Pr Anne-Sylvie Ramelet et Dr Gilles Lugrin

Institut universitaire de formation et de recherche en soins, Faculté de biologie et de médecine, Université de Lausanne (UNIL) et CHUV, 1011 Lausanne philip.larkin@chuv.ch

1 Wagner EH. Chronic Disease Management : What Will It Take to Improve Care for Chronic Illness ? Eff Clin Pract 1998;1:2-4.

2 Hirschman K, Shaid E, McCauley K, Pauly M, Naylor M. Continuity of care : the transitional care model. OJIN : The Online J Issues Nurs 2015;20:1.

3 www.unil.ch/sciences-infirmieres/

home/menuinst/masters.html 4 www.sbk.ch/fileadmin/sbk/bildung/

APN/2012_10_29_Eckpunkte_ANP_fr.pdf COURRIER

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