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27 octobre 2010actualité, info
en marge
Une masse d’érudition au service d’une longue et passionnante aventure centrée sur la poitrine féminine.1 Et, au final, une som
me de vrais bonheurs de lecture.
Mariage suffisamment rare pour devoir être mis en lumière. Quatre cents pages (ou presque) signées de Marilyn Yalom, présentée par son éditeur français comme une
«universitaire féministe inclas
sable, bilingue et multiculturelle».
Ajoutons que Mme Yalom dirige l’Institut de recherche sur les femmes et le genre de la Standford University.
La place nous manque ici pour exposer l’ampleur du propos, l’originalité des angles, la multi
plicité des incitations à la réflexion.
La place nous manque, et c’est heureux : le sousentendu peut in
citer le lecteur à voir de ses yeux de quoi il retourne. Laissons toute
fois s’exprimer ici Elisabeth Badin
ter, autre féministe jadis inclassable aujourd’hui classée.a «A première vue, quoi de plus immuable que le sein féminin ? N’atil pas toujours eu pour fonction de contenter l’homme et le bébé ?» écritelle dans la courte préface qu’elle con
sacre à cet ouvrage. Nous avons bel et bien lu. Etranges questions qui évoquent le «contentement» et
qui fait le pa rallèle entre l’«hom me»
et le «bébé» ; pauvre bébé ici dé
barrassé de son sexe.
Elisabeth Badinter : «L’histoire qu’en trace Marilyn Yalom, de la préhistoire à nos jours, est infini
ment plus complexe et subtile.
Partant de la question : "A qui ap
partiennent les seins ?" elle donne à voir, selon les époques et les pays, de multiples "propriétaires" qui décident de leur fonction, de leur statut et même de leur forme. Du sein divin de la madone allaitant au Moyen Age au sein éroti que d’Agnès Sorel, du sein domesti
que de la Hollande protestante du XVIIe siècle au sein politique de Marianne torse nu, du sein com
mercialisé par l’industrie du corset et du soutiengorge au sein rongé par le cancer ou torturé par le piercing du XXe siècle, Marilyn Yalom montre que le pauvre sein de la femme a appartenu succes
sivement à l’enfant, à l’homme, à la famille, au politique, au psy
chanalyste, aux commerçants, au pornographe, au médecin, au chi
rurgien esthétique, avant que les féministes n’en reprennent le con
trôle à la fin du siècle dernier.»
«Pauvre sein», vraiment ?
«Reprendre le contrôle» des seins, du moins des féminins (Mme Ba
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dinter semble oublier que les hommes n’en sont pas privés…) et ce par des féministes ? Bigre. Le paradoxe pouvant être contagieux, l’épouse de celui qui, en France, fut à l’origine de l’abolition de la peine de mort, estime qu’en «jetant leurs soutiensgorge à la poubelle»
les femmes se sont dénudées en signe de libération. Je montre mes seins pour que vous ne puissiez plus ne plus les voir. Tartuffe, com
me toujours, appréciera.
Jeter des sousvêtements à la pou
belle ? Des femmes jetant, vérita
blement, les soutiens de leur gorge à la poubelle ? «Ce faisant, elles se sont réapproprié leur poi
trine pour un court moment, poursuit Mme Badinter. Car en vérité, quelle femme aujourd’hui peut se jouer tout à la fois de la mode, de la séduction et de sa santé ? Histoire à suivre, donc, pour mieux comprendre le mon de dans lequel on vit…». Histoires à suivre, indubitablement. Avec cette déclinaison d’actualité con cernant les sombres draps islami ques col
lectivement revendiqués/con
damnés masquant dans l’espace public la totalité des corps des femmes aux yeux du monde.
Et puis ces mots de l’auteure : «La poitrine a été, et continuera d’être, un marqueur des valeurs de la so
ciété . Au fil du temps, elle a porté et rejeté les divers voiles des ten
dances religieuses, érotiques, do
mestiques, politiques, psychologi
ques et commerciales. Aujour d’hui, elle reflète une crise médicale et globale. Nous sommes inquiets pour nos seins comme nous som
mes inquiets pour l’avenir de notre monde.»
Mais l’Occident n’est pas le centre du monde ; et si «pour la plupart d’entre nous, et en particulier pour les hommes» les seins de la femme sont un «ornement sexuel», il n’en va pas de même dans nom
bre de cultures (d’Afrique et du Pacifique Sud) où les femmes va
quent ouvertement poitrine nue ; où dans celles qui fétichisent (en les masquant) la petitesse des (deux) pieds, les (deux) fesses ou la nuque.
Les seins, toute notre histoire
a A en croire un tout récent sondage publié par l’hebdomadaire Marianne (alimen tant un dossier consacré aux «intellectuels qui comptent (vraiment) pour les Français») Elisabeth Badinter figure sur le podium en compagnie de Bernard-Henri Lévy, Luc Ferry et Régis Debray. Aux oubliet tes, ou presque : André Glucksmann, Michel Serres, Michel Onfray, Alain Finkielkraut, Alain Badiou, ou Jacques Rancière.
Bibliographie
1 Yalom M. Le sein, une histoire. Paris : Editions Galaade, 2010. ISBN : 978-2- 35176-069-7.
Combien de temps le Ciel nous tiendra tous – durablement – en joie ?
Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com
une dose létale. Pour l’instant, la loi ne prévoit aucune exception pour les personnes en bonne santé.
Est-ce vraiment la seule solution que la société peut offrir à ces familles
désemparées -
D.R.
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