• Aucun résultat trouvé

Territorialité et extraterritorialité en droit pénal international

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Territorialité et extraterritorialité en droit pénal international"

Copied!
26
0
0

Texte intégral

(1)

Article

Reference

Territorialité et extraterritorialité en droit pénal international

ROTH, Robert

ROTH, Robert. Territorialité et extraterritorialité en droit pénal international. Revue pénale suisse , 1994, vol. 112, no. 1, p. 1-25

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:46239

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

(2)

Robert Roth, Genève

Territorialité et extraterritorialité en droit pénal international•

1. Introduction

Il y a quelques semaines, la onzième Chambre correctionnelle du Tribunal de Pa- ris prononça enfin le premier jugement au fond2 dans la plus célèbre affaire d'opéra- tion d'initiés que la France-voire l'Europe continentale-a connue à ce jour. Cette dé- cision fut précédée par une suite d'ordonnances er d'arrêts statuant non sur le fond mais sur la compétence des juridictions françaises. Le cas est exemplaire: quelques poids lourds du monde de la finance parisien font acheter entre le 15 et le 17 novem- bre 1988 à la Bourse de New York un paquer substantiel d'actions d'une société améri- caine qui va faire l'objet d'une offre publique d'achat (OPA) le 21 novembre 1988. En analyse sommaire, le seul point de rattachement avec la France est la présence à Paris des acteurs au moment où ils donnent leurs ordres. J'aimerais présenter en préambule du présent article les arguments principaux des accusés pour contester la compétence juridictionnelle française3, arguments qui situeront parfaitement le cadre de l'exposé.

a. Les règles de compétence, telles que l'art. 693 Code pénal français (CPF)-et

·les art. 3-7 CP4- «doivent céder devant la loi française d'incrimination». Autrement dit, le juge français doit d'abord strictement appliquer le principe de la légalité des dé- lits et des peines, avant d'appliquer les règles du droit pénal international.

Texte remanié ct actualisé au 23 décembre 1993. de la conférence donnée le 19 novembre 19931ors du cours de perfectionnement de la Société suisse de droit pénal, à Locarno. Cc travail s'inscrit dans le prolongement d'un séminaire consacré au mème thème lors de l'année universitaire 1993-1994. Mes chaleureux remercie- ments vont aux étudiants de ce séminaire, qui m'ont inspiré maints développements. Ils s'adressent égale- ment à M" Elena Flahaut-Rusconi, Patrick Malek-Asghar ct Peter Pirkl, assistants à la Faculté de droit, pour leurs nombreuses remarques et suggestions.

2 Jugement du 29 septembre 199 3. Six peines de prison allant de deux ans à six mois avec sursis ont été pronon- cées, toutes accompagnées de lourdes amendes (Frs s. 6,2 mio. au maximum) et de la confiscation d'une par- tie des gains réalisés. Un comparse n'a écopé que d'une amende et de la confiscation. Un personnage essentiel dont le rôle exact n'a pas été tout à fait élucidé a été acquitté. Trois condamnés ont fait appel.

3 En particulier, les mémoires déposés par MM. Thé ret et Reipli nger devant la Chambre d'accusation du Tribu- nal de Paris en printemps 1989, résumés dans la Rev. crit. de dr. int. privé I989760ss. La Chambre d'accu- sation rendit son ordonnance le 12 juillet 1989 (ibidem 761 ss), confirmée par la Cour de cassation Je 29 août 1989. Cette dernière juridiction, saisie par un autre inculpé, rendit un second arrêt le 3 novembre 1992, largement commenté dans la doctrine française (cf. Dalloz 1993 jur. pp. 120 ss, avec note Claude Du- couloux-Favard).

4 La matière relève en France du droit de procédure et, dans la majorité des autres o.rdres juridiques, du droit matériel. Cela n'exerce pas d'inAuence sur la substance des solmions apportées aux problèmes soulevés ici (cf. Ham Schultz, Compétence des juridictions pénales pour les infractions commises ~ l'étranger, Rev.sc.crim. 1967 308).

(3)

2

Robert Roth· Territorialité et extraterritorialité en droit pénal international

b. La répression du délit d'initié relève de la.«police économique)). Ce n'est que lorsque l'ordre public national du lieu de résidence du supposé initié est mis en danger que le droit de ce pays peut s'appliquer. Tel n'est pas le cas quand l'opération se réalise

~l'étranger sur des titres cotés~ des bourses étrangères.

Cette plaidoirie pose les questions topiques du débat que j'aimerais ouvrir ici:

quel est le fondement de l'application du droit national? Quels sont les rapports entre territorialité et principe de la légalité? A quelles conditions un pays peut-il étendre sa juridiction ~ des comportements qui se déroulent manifestement pour l'essentiel à l'étranger? J'aimerais mener ce débat en deux temps: d'abord, une brève discussion de principe; en second lieu, une analyse des solutions pratiques qui s'appliquent ou de- vraient s'appliquer aujourd'hui, à l'aide d'une méthode inductive, à partir de cas géné- ralement inspirés de dossiers judiciaires récents, schématiquement décrits.

Plusieurs précisions liminaires s'imposent. En premier lieu, cette analyse se fon- dera essentiellement sur le droit suisse, même s'il m'arrivera de prendre appui sur des législations ou jurisprudences étrangères, essentiellement françaises. Pour assurer l'uni- té de la matière, l'ensemble de mes exemples sera tiré du droit économique au sens large, droit positif et droit désirable confondus. La prochaine adoption définitive par les Chambres fédérales du projet de révision des infractions contre le patrimoine et des délits de faux m'autorise et m'invite à essayer par anticipation d'appliquer les nouvelles dispositions en la matières. Enfin, les développements porteront sur les sources de compétence principales6 et viseront pour l'essentieJ à cerner le contenu actualisé du principe de la territorialité. Je ne déborderai véritablement qu'à une occasion de ce ca- dre, pour examiner l'application du principe de la personnalité passive~ propos de la disposition qui permet de faire le tour le plus complet des questions que soulève cette application, le délit d'initié (ci-dessous ch. V. 3.).

Au commencement était la territorialité. Selon les spécialistes mandatés par le Conseil de l'Europe, celle-ci se définit comme le principe juridique selon lequel un état «peut établir sa compétence sur les actes commis sur son territoire"'· Cette dé- finition en appelle d'autres: que signifient les termes «compétence» et «commer-

5 Cf. FF /99/lll933ss pour le Message. Travaux des Chambres: BO CN 1993 922-952. Les articles dans leur version adoptée par les deux Chambres seront suivis de la ~érence nCP; le projet original du Conseil fé- déral sera cité P-CP.

6 On distingue sources de compétence principales ct subsidaircs. Il existe une source de compétence indiscuta- blement principale, la territorialité. La compétence fondée sur le principe de la protccrion ou de la compéten- ce réelle (art. 4 CP) devrait également entrer dans cene catégorie (cf.joJI Hurtado Pozo, Droit pénal. Partie gé- nérale 1. Fribourg, 1991, pp. 119-121). La nomenclature baigne tOutefois dans un certain Aou.

7 Comiti mropün pour k1 prob~mt1 crimint!J (CEPC), Compétence extraterritoriale en mati~re pénale, Suas- bourg, 1990, p. 8. Comparer avec la défirution traditionnelle, plus •musclée•, de Domudim tk 14lbm, Princi- pes modernes de droit pénal international, Paris, 1928, p.11: le principe •a pour objet l'affirmaùon de la compétence exclusive d'un ~tat. de ses juridictions ct de ses lois propres, li' égard de tous les actes punissables qui ont ~té commis sur son territoire•.

(4)

3 Robert Roth· Territorialité et extraterritorialité en droit pénal international

tre (un acte)"8? Avant de tenter de le faire, il est bon de mettre le principe en per- spective.

'En réalité, au commencement était non pas la territorialité mais l'universallté ou, si l'on veut, la compétence universelle9 • La territorialité est, pour faire bref, un ac- quis du Siècle des Lumières et on ne saurait omettre de citer Beccaria: <<Le lieu du châti- ment ne peur être que le lieu du délit, attendu que c'est là et non ailleurs qu'existe l'obligation de sévir contre un particulier pour défendre le bien public. ( ... ) Les lois punissent le tort qui leur est fait, mais non pas la perversité qui peut inspirer les ac- tionk/" Qui dit Siècle des Lumières et Beccaria dit légalité des délits et des peines. Aus- si, dès l' origine{fa territorialité est davantage liée à la garantie des libertés individuelles qu'à la notion de souveraineté. Avec l'affirmation des états-nations, le XIX• siècle asso- ciera ensuite territorialité er exercice de la souveraineté11Notre siècle reviendra à une conception «garantiste" de la territorialité, aux termes de laquelle «le principe de la ter- ritorialité offre la meilleure protection contre un exercice du pouvoir de punir qui met en question la liberté et la sécurité juridique de l'individu et est de ce fait ressenti comme arbitraire» 12

En cette fin de siècle, la territorialité et sa vocation «garantiste>> paraissent, sous réserve d'inventaire ci-après, s'être définitivement affirmées13Reprenons donc les termes de la définition.

a. En droit pénal, la compétence d'un état basée sur le principe de la territorialité emporte en principe l'application de sa loi nationale. Autrement dit en termes fami- liers aux international-privatistes, il peut y avoir conflit de juridictions mais il ne de- vrait pas y avoir, une fois le for déterminé, de conflit de lois. Le droit étranger ne peut s'appliquer que par renvoi exprès du droit national. C'est bien entendu la réserve de la lex mitiorqui est généralement à l'origine d'un tel renvoi (cf. arr.

5

ch.l, 6 ch.l, 6h;, ch. 1 CP) 1~.

8 Sans oublier la notion de •territoire•, dom les contours nouveaux se décanteront plus bas (ch. V ss).

9 Cf. l'excellente synthèse historique de Gilbut Guillaum~. La compétence universdle. Formes anciennes et nouvelles, in: Mélanges Levasseur, Paris, 1992, pp.23ss.

10 Btccaria, Des délits et des peines, éd. Droz, Genève, 1965. p. 55.

Il Sur ce fondement •naturel• de la territorialité, voir Vital Schwandtr, J.:application de la loi pénale étrangère par le juge national. Rapport suisse, Rev.int.dr.pén. 1960 576.

12 Traduction libre de 0Jkar A. Gtrmann, Rechtsstaatliche Schranken im inrernationalen Strafrechr, RPS 1954 241.

13 Cf. Schultz, op. cit. note 4, p. 311. Sur le rapprochement entre les diverses conceptions en matière de rattache- men<, singulièrement la conception nord-amérie>ine et celle de l'Europe continentale, voir Chrùtophtr L.

Blakdry!Otto Lagodny, Competing National Laws: Network or Jungle?, in: Albin &tr!Otto Lagodny (cds), Principles and Procedures for a New Transnational Criminal Law, Frciburg im B., 1992, pp. 67-69.

14 Cf. Schwander, op.cit. note Il, pp. 577-578. Suries réticences marquées (dans la doctrine sunout) à l'égard de l'applicarion du droit public. étranger, lire jean-Luc Colombini, La prise en considération du droit ~tranger (pénal er extra-pénal) dans le jugement pénal, Lausanne, 1983, pp. IOOss.

(5)

4

Robert Roth· Territorialité et extraterritorialité en droit pénal international

b. La détermination de ce que signifie le «lieÙ de commission de l'acte)) à la lu- mière des art. 3 et 7 CP et des nouvelles dispositions pénales et évolutions jurispruden- tielles sera au cœur de cet exposé.

Rappelons brièvement la définition du résultat, consécutive au revirement de ju- risprudence de 1979 (ATF 105 IV 326): «Une modificatiorr du monde extérieur impu- table à l'auteur et faisant partie des éléments constitutifs de l'infraction.» Après ne s'être pas imposée sans mal, cette définition- et les implications qu'elle comporte, sin- gulièrement sous l'angle du rattachement- continuent à susciter la critique. Sur le plan du principe, ces critiques sont d'inspiration «garantiste»: le hasard joue un rôle ex- cessif dans Je rattachement par le résultat1s. Un auceur d'infraction ne devrait pas être poursuivi ou puni pour violation des règles d'un ordre juridique qu'il n'a pas voulu troubler {ou qu'il n'a pas prévu ou n'aurait pas dû prévoir de troubler, s'agissant d'in- fractions commises par négligence).

A cela s'ajoutent les conflits tk compétmct positifi inéluctablement liés à des résul- tats multiples et disséminés. Le tout amène à considérer avec méfiance des disposi- tions telles que l'art. 7 CP et en tout cas à prôner une interprétation restrictive de celles-ci. Comme nous allons le voir, la pratique et ses nécessités se heurtent parfois à cet impératif de principe.

II. Un abus de confiance «classique»

Cas rf' 1

Un citoyen suisse remet à Genève à un ressortissant d'un pays étranger des bijoux, en le chargeant de les vendre dans un pays du Procht-Orient. Dans les mois qui suivent, les deux personnages u rencontrmt pLusieurs fois, à Genève et à L'itranger; le commissionnairt affirme qu'il est sur la piste de divtrs acheteurs importants. Finalement, lt commission- naire remet Les bijoux en garantie d'une dette qu'il a contractée auprès d'une banque pari- sienne, tout en alimentant le commettant en fausses informations sur ses prétendus clients.

La banqut fua par la suite exécutu la garantit.

1. La démarche que nous allons suivre pour résoudre ce premier cas illustre bien le propos des accusés au procès Pechiney que je citais en exergue: le rattachement est en premier lieu déterminé par une étude soigneuse de la réalisation des éléments constitutifs de J'infraction. La première question est donc de savoir si et à quel mo- ment l'abus de confiance, délit formel, est consommé, autrement dit à quel moment il est «Commis en Suisse)) aux termes de l'art. 3 CP. l:appropriation, élément clef de l'in-

15 Cf. Gmnann, op. cie. noce 12, p. 242; Durmru T~zcan, Territorialir~ ct conflits de juridicrions en droit p~nal international, Ankara, 1983, p. 211.

(6)

5 Robert Roth ·Territorialité et extraterritorialité en droit pénal international

fraction, suppose à la fois un comportement objectivement constatable et une volonté de se comporter en propriétaire, celui-là manifestant celle-ci, puisqu'elle est son

«image réfléchie» (Spiegelbild) 16

Il est évident dans notre cas que l'appropriation est consommée. La détermina- tion du moment exact de cette consommation est importante pour toute une série de raisons, en particulier pour le rattachement. Indiscutable au moment précis de la consommation, celui-ci se fragilise à mesure que le temps s'écoule et que s'accomplis- sent des acres qui ne font que parfaire l'infraction (cf. ci-dessous ch. 2), saufà admettre que l'abus de confiance pourrait se présenter sous la forme d'un délit continu. Cette so- lution présenterait des avantages pratiques certains (sous l'angle de la prescription avant tout), mais elle est difficilement compatible avec la notion d'appropriation 17

En l'espèce, l'appropriation est consommée dès le moment où la chose confiée est remise en garantie à une banque, à l'érranger18Les mensonges subséquents- qui ne sont pas constitutifs d'escroquerie 19- ne font que parfaire l'infraction.

2. Il est arrivé à la jurisprudence française d'admettre que la remise de la chose, point de départ de l'abus de confiance au sens de l'art. 140 ch. 1 al. 1 CP20, sur le terri- toire national pourrait fonder la compétence française21Manifestement inadmissible au regard de la conception helvétique de l'abus de confiance, le raisonnement est inté- ressant parce qu'il ouvre une piste de réflexion dans la recherche de solutions permet- tant de prévenir les conflits de compétence positifs: comme cela a déjà été imaginé dans la doctrine internationale, le rattachement pourrait s'effectuer en priorité au lieu du <<début du commencement d'exécution»22Une telle formule transposerait sur le

16 •Congruence• emre les deux éléments, cf. Martin Schubarth!Peta Albrecht, Kommemar zum schwoizeri- schen Straftechc, Besonderer Teil 2, Berne, 1990, p. 28; Gümer Straunwerth, Schweizerisches Srrafrecht, Be-·

sonderer Teil!, 4• éd. Berne, 1993, pp. 247-248; cf. ATF 118IV 148; PKG 1983, n• 24.

17 Cf. Schubarth!Albrecht, op. cie. noce 15, p. 93. C'est pourtant la solution retenue par la Chambre d'accusa- tion du canton de Genève dans une ordonnance du 22 septembre 1993 (n' 281), qui a inspiré le présent cas.

18 Cf. une étude approfondie d'un cas analogue dans la jurisprudence française, Jean Larguier, Rev. sc. cri m.

1983465-466. Voir aussi JdT 19631ll 158 (Trib. district Lausanne).

19 ATF Il/IV 23.

20 Mème si cene remise n'esc pas nécessairement le fait de l'ayant droit, cf. ATF 721V 150; RJN 1983 94.

21 Cf. Rev. sc. crim. 1980 575. Jurisprudence (ou tentation jurisprudentielle) minoritaire, critiquée par A/frtd

Llga~ La localisation internationale du délit partiellement commis en France, RPS 1971 10; Clauik Lomboù, Droit pénal international, 2• éd., Paris, 1979. p. 31 0; Larguier, op. cit. not<: 18, p. 465 et Pierre- Yves Garttia, Sur la localisation de certaines infractions économiques, Rev.crit.dr.inc.privé 1989671. On souli- gnera qu'à la différence de notre arc. 140, l'arc. 408 CPF énumèrait limitativement les contrats donc le non- respect peut donner lieu à un abus de confiance: l'abus de confiance français était donc défini strictement comme la violarion pénalement sanctionnée d'obligations concraccudles, ce qui peut expliquer la jurispru- dence ici commencée. Le nouvel art. 314-1 supprime ce lien et rapproche la conception française de la nôtre:

l'infraction est désormais caractérisée comme ·détournement d'un bien remis à titre précaire• (Nouveau code pénal, mode d'emploi, Paris, 1993, p. 124).

22 Une manière de résoudre les conflits de compétence positifs envisagée par la doctrine internationale esc de li- miter le rattachement au lieu du •commencement de l'acte ou de l'omission criminels•, cf. Ttzca11, op. cit.

note 15, p. 209.

(7)

6

Robert Roth· Territorialité et extraterritorialité en droit pénal international

plan du droit matérielle principe établi, sur une base judiciaire, par l'arr. 346 ch.2 CP pour les conflits positifs inter-cantonaux de compétence juridictionnelle. Elle serait également proche de la solution retenue en droit international privé23Nous rencon- trerons par la suite d'autres sujets de rapprochem'ent entre cette dernière discipline et le droit pénal international.

Cas rt' 2 (variante du cas rf 1):

Au lieu d'être déposés en garantie, les bijoux sont remis à Paris par le commission- naire à un intermédiaire, qui Les vend à un tiers, en prélevant au passage une commission.

u

resu du produit de la vente est versé sur le compte du commissionnaire auprts d'une ban- que genevoise.

I.:acte constitutif de l'appropriation continue à être accompli hors de Suisse.

Une possibilité de rattachement à ti cre principal avec la Suisse existe pourtant: elle se fonde sur la jurisprudence du Tribunal fédéral, célèbre24 et discutée2s, relative à J'achè- vement (ou épuisement)26Rendue, puis confirmée dans deux affaires d'escroquerie27,

cette jurisprudence admet que la juridiction suisse est donnée dès qu'ont lieu sur sol helvétique des «actes qui aggravent l'atteinte portée au bien juridique lésé et qui contri- buent à assurer J'obtention de J'avantage escompté-à savoir l'enrichissement envisagé -dans une mesure non négligeabb28Les deux décisions s'appliquaient à l'arr. 148 CP, délit matériel de dessein qui comporte par conséquent l'élément subjectif spécial du dessein d'enrichissement illégitime et qui suppose un «résultat" au sens de l'arr. 7 CP. La question que soulève notre variante est de savoir si elle peut être étendue aux in- fractions présentant la première caractéristique mais pas la seconde, à savoir les délits formels de dessein tel que l'abus de confiance.

La réponse affirmative peut se fonder d'abord sur la position radicale d'Arzt19,se- lon laquelle la distinction entre délit formel et délit matériel est dépourvue de perti-

23

24 25 26

27 28 29

Cf. art. 133 ch. 3 LOI P. Surie ranachement a((moirt parle droit applicable au rapport juridique initial {con- tractud en premier lieu, mais qui peut ~gaiement ètre par exemple le lien de filiation), sur lequd se greffi: l'illi·

c~it~. Amlmu Bucht'r, les actes illicites dans le nouveau droit imemation•l pnvt, in: Fra~tçois ~Utmonur (~.).Le: nou•-.au droit intern•tiona.l priv~ suisse, Lausanne. 1988, p. 118.

Cf. les pogcs que lui consacre Ttua/1. op. cit. note 15. pp. 220 ss.

Cf. par exemple Ham Xhulrz., RJB /985 31 et par une juridiction vaudoise dans JdT 1963 Ill 160. Défeose de cene jurisprudence chez Paolo Btmas(oni, Grenziiberschreirende Wirrschaftskriminalitiir. RSJ 1987 77. · Je préfère la première expression (cf Philippt GraiH!n, I.:infraction pénale punissable, Berne, 1993, p. 259) à la seconde (josl Hurtado Pozo, np. cit. noce 6, p. 127). Le: traducteur du Journal des tribunaux parle, lui, d',ac- complissemenc• UdT I974IV 101).

ATF 99IV 121 et 109IV 1.

Traduction du JdT 1974 IV 102.

GiimhtrArr;t, Erfolgsddikc und Tatigkeitsdelikt, RPS 1990 l68ss, qui étudie bri~vement aux 177-1781es incidences de sa proposition sur le droir ~nal international. Dans le même sens, sans d~vdoppemem, Colom- bi IIi, op. cit. noce 14, p. 30.

(8)

7 Robert Roth· Territorialité et extraterritorialité en droit pénal international

nence: elle serait à la fois «flüssig und überflüssi~> (fluide et superflue). Ce qui est déter- minant selon Arzt est qu'une atteinte aux intérêts juridiquement protégés se produit en Suisse, que cette atteinte soit ou non prévue en tant qu'élément constitutif explicite de l'incrimination. Arzt préconise ainsi un recour à la définition du résultat antérieure au revirement de jurisprudence de 197930 ce qu'il reconnaît conduire à une interpréta- tion extensive de l'art. 7 CP, et l'amène à se rallier implicitement à la conception nord- américaine de la <<territorialité objective», suivant laquelle une infraction esc punissa- ble dans un Etat déterminé si «ses conséquences préjudiciables se font sentir dans cet Etat» 31. Cette conception trouve un écho dans la jurisprudence française, rendue sin- gulièrement en matière de délits contre la propriété artistique (art. 425 ss CPF, encore en vigueur pour quelques mois32), qui admet le rattachement là où se produit une ar- teinte aux droits de 1~ personne protégée33.

La position du Tribunal fédéral n'est pas dépourvue d'ambiguïté. Notre Haute Cour dit en effet clairement que <<c'est à partir de cette nouvelle définition du résultat au sens de l'arc. 7 CP (celle de 1979) qu'il sied de raisonner»34Elle Entroduic toutefois, à la suite d'une partie de la doctrine, la notion de <<double résultat», à savoir celui de l'arc. 7 CP, tel qu'il a été défini plus haut, et <<un élément nécessaire au plan de l'auteur, mais pas indispensable comme élément objectif pour la réalisation formelle de l'infrac- tion>>35. Il me paraît plus cohérent de reconnaître un caractère autonome au racrache- ment par l'achèvement: l'acte serait punissable là où se réalise le dessein exigé par la dis- position e~ envisagé par l'auteur. C'est d'ailleurs la démarche qu'inspire un retour aux sources de la théorie appliquée par le Tribunal fédéral, en particulier à Schwander, qui l'élabora à partir de l'arc. 7 ch. 2 CP cel qu'il était interprété avant 1979 (l'arcide date de 1970): puisque la tentative est punissable au lieu où le dessein devait se réaliser d'après l'auteur, le même raisonnement doit valoir a fortiori lorsque ce dernier se réa- lise effeccivementlû.

Dès lors, rien ne s'oppose à l'application de la théorie à un délit formel de des- sein, cela d'autant moins qu'hors de son utilisation en droit pénal international, la no-

30 Cf. ci-dessus, p.4 (ATF 105 IV 326).

31 Commission d~ r!form• du droit du Canad11, La juridiction extra-territoriale, Ottawa, 1984, pp. 9 et 108 ss;

8/akesky/Lagodny. op.cit. note 13, pp. 50ss.

32 Jusqu'à l'entrée en vigueur du nouveau Code pénal voté par le Parlement le 22 juillet 1992, prévue pour le 1" mars 1994.

33 Garlli.,, op. cit. nore 21, p. 677, renvoyant emre autres à un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cas- sation du 7 octobre 1985. Rev. int. dr. aur. 1986 137. Cene jurisprudence est loin de faire l'unanimité, cf. Lombois, op. cit. nore 21, pp. 353-354. Critique par anticipation chez Hans Schultz.

u

lieu de commis- sion, Fiches jur. s. 1210 105.

34 ATF 1091V 3.

35 ATF 109 IV 4.

36 Viral Schwanda, Das Tcrritorialprinzip im schweiurischen Strafrechc, in: Recueil de travaux suisses présen- tés au VIII• Congr~s international de droit comparé, Bâle, 1970, p. 369.

(9)

0

Robert Roth ·Territorialité et extraterritorialité en droit pénal international

ci on d'achèvement a été peaufinée dans une affaire de voP7, soie un délie formel de des- sein. Ainsi, l'abus de confiance pourra également être poursuivi là où l'auteur obtient réellement son enrichissement.

III. Abus de confiance «électronique»; inputmanipulation38

Cas n• 3

En violation des instructions qui lui ont été données, A. employé de la succursale d'une banque suisse à Amsterdam, responsable de la gestion des comptes-clients, transfère à Genève des fonds qui sont immédiatement virés par B., son collègue genevois, sur le compte auprès d'une banque berlinoise de C Les deux opérations sont justifiées par des ordres fic- tifi, émis de Genève et de Berlin.

Dans ce cas, qui ne nous fait pas changer de base légale, l'acte d'appropriation escphysiquementeffectué hors de Suisse (en l'espèce aux Pays-Bas). I..:acce de disposi- tion non conforme aux instructions reçues par l'auteur, constitutif de l'appropriation, se concrétise toutefois par un virement sur un compte en Suisse. I..:infraction s'achève dans un pays tiers. Enfin,l'infraction implique la participation d'un comparse et l'exis- tence d'un bénéficiaire.

Quels problèmes nouveaux (par rapport aux cas précédents) se posent-il? La Suisse n'est tout d'abord pas le lieu de l'enrichissement définitif, mais un lieu d'accom- plissement de l'appropriation et de transition des fonds contribuant à cet enrichisse- mene. En second lieu, nous devons apprécier le cas non pas d'une, mais de trois per- sonnes.

1. Une telle situation invite à faire appel à la théorie de l'effet intermédiaire, par- tiellement reçue par la jurisprudence internationaJe39 et la doctrine suisse40Cerre théorie prend appui sur l'art. 7 de la Convention européenne d'extradition (CEEx), aux termes duquel l'infraction esc perpétrée dans un état lorsqu'elle «a été commise en

37 ATF 98 TV 83.

38 Pour un~ nom~nclarurc des infractions économiqu~s vu~ par un pénalisr~. Robat Roth, La délinquance infor- mariqu~ saisi~ par 1~ droit pénal, SJ 198797 ss. Pour une description de cas, Erwin Zimmali, Compurerkri- minalirac, Kriminaliscik 1987 333-334.

39 Cf. jurisprudence français~ cité~ et comm~nrée par Uga4 op. cie. noce 21. pp.2ss, repris~ dans un arrêt pu- blié R~v.int.dr.au<. 1986137 ec jurisprudence autrichienne citée par Colombini, op. cit. noce 14, p. 30 n. 55.

Exemple (extrême) développé par le premier nommé (Cass. 4 juin 1969): ranachemenr à la France admis pour une infracrion d',.oucrage aux bonnes moeurs• (cf. art. 197 CP), dans laquelle l'auteur avait pris en Fran- ce des photographies •de nudités féminines• (Iic), expédiées ~nsuice en Suède, pays où s'étaie consommée à prop~menr parler l'infraction.

40 Cf. SciJwander, op. cie. noe~ 36. p. 369 n. 6. Contra: Colombini, op. cie. noce 14, p. 30. Nuancé, Sdm/tz.

op. cie. nore 33, p. 7.

(10)

Robert Roth· Territorialité et extraterritorialité en droit pénal international

cour ou en partie sur son cerriroire». Son importance croît à mesure que se dévelop- pent les moyens de commettre les délits à distance et qu'un pays peut n'être qu'un re- lais dans un processus qui doit conduire soit à la consommation, soir à l'achèvement de l'infraction. Elle part d'un constat: le rattachement doit en tout cas être admis lors- qu'un élément constitutif de l'infraction se réalise au moins partiellement dans le pays (en l'occurrence, la Suisse). Il me paraît toutefois difficile d'admettre que tel soit le cas ici: l'appropriation est consommée par le déclenchement du transfere de fonds; sa réali- sation esc concrètement nécess!lire mais, à mon sens, juridiquemen c non pertinente.

Il convient dès lors de prolonger le raisonnement dans deux directions: le ratta- chement par l'effet intermédiaire doit-il être admis lorsque le relais est juridiquement non pertinent, autrement dit lorsque l'événement qui se déroule en Suisse favorise la consommation ou l'achèvement, mais n'entre dans aucun élément constitutif, ni de près, ni de loin (exemples: le transit d'une lettre•• ou l'utilisation du réseau téléphoni- que des PTTH) [l.l])? Quidlorsque le relais par la Suisse se situe entre le moment de la consommation et celui de l'achèvement (en l'espèce l'enrichissement [2.2])?

2.1 Une réponse négative à la première question est peu convaincante. D'abord, la distinction entre fait quj entre dans la définition d'un élément constitutif ec fait in- différent est fragile. Il paraît ensuite incohérent d'admettre le rattachement sur la base d'événements qui prennent place après la consommation de l'infraction (l'enrichisse- ment) et de le nier pour des faits qui se situent en amont de la consommation. Le ratta- chement par l'effet intermédiaire devrait donc être à tout le moins admis aussi long- temps que l'infraction n'est pas consommée43, même si l'auteur commande hors de Suisse des événements qui, eux aussi, se produisent à l'étranger. funsi, tk kge ftrenda,- l'utilisation d'un relais de télécommunications suisse pour transmettre un ordre d'in- vestissement constitutif d'une manipulation boursière affectant un titre coté sur le marché suisse, alors même que l'ordre donné de l'étranger porte sur des achats ou des ventes qui s'effectuent également à l'étranger, devrait être punissable en Suisse44

41 Cf. &luuanda loc.cir. nore 40, qui laisse la question ouve ne.

42 Cf. Nilrlmu &hmid, Srrafprozessuale Fr.agcn im Zusammenhang mit Computerddiktcn, RPS 1993107, qui exclut le rattachcmcnr dans un rd cas. Beaucoup plus ouvertes: la jurisprudence cr la docrrine françaises, cf.IAmboiJ, op.cit. nore 21, p.309.

43 Exemple: un auteur profere des alMgarions fallacieuses d'Allemagne, qui indui.sent en erreur leur dcscina- nirc, alors qu'il se trouve en Suisse. Cdui<i ordonne alors un acre de disposition qui. s'exécutant i l'étranger, lui cause ou cause à un tiers un préjudice, se réalisant également à l'étranger. I.:infracrion devrait pouvoir ètrc poursuivie en Suisse au rirre de l'art. 148 CP. au motif que l'erreur, chàinon intermédiaire dans la cascade d'événemcnrs qui conduisent au préjudice, sc produit en Suisse.

44 Application par anticipation du nouvel arr.I611"CP, adopté par le Conseil des Etats en décembre 1993 (cf. le projet du Conseil fédéral du 24 février 1993, retouché sur ce point, in: FF 19931 1327 ss et 1358). Sur le rattachement des manipulations internationales, voir How Chih

ue,

Market Manipulotion in the US and UK, The Company Lawyer 1993128-129. Comparer avec l'attitude plus restriclivc de la jurisprudence fran- çaise relie qu'elle s'exprime dans l'afro ire P~chincy. ci-dessous V. 1. ·

(11)

lU

Robert Roth· Territorialité et extraterritorialité en droit pénal international

2.2 La même solution s'applique-t-elle quand le relais se situe entre le moment de la consommation et celui de l'achèvement (en l'espèce par l'enrichissement)? Il se- rait logique de l'admettre, par identité de motifs. Ainsi, le rauachement serait admissi- ble sans restriction aussi longtemps que l'infraction n'esc pas achevée.

2. Le comparse agissant en Suisse est-il punissable, alors que l'auteur principal ne le serait par hypothèse pas? Il convient de rappeler que, quelle que soir la parr prise dans la conception er la réalisation de l'infraction, il ne saurait être coauteur de l'abus de confiance, faute de posséder les caractéristiques propres à l'auteur de l'infraction (personne à qui les biens ont été confiés). En tant que complice, donc de participant accessoire, il ne peut, en l'état de la jurisprudence, être poursuivi en Suisse si l'auteur principal ne l'est pas45: sont ainsi appliquées concurremmentles principes d'accessorié- té et de territorialité, ce qui conduit à une solution assez proche de celle de l'accessorié- té extrême46!.:avant-projet de révision du Code pénal de juillet 1993 adopte une ani- tude de non-intervention dans ce débat er renvoie à l'évolution de la jurisprudenc;e47

Le législateur est toutefois parfois tenu d'intervenir, au gré des nouvelles incrimi- nations proposées. Ainsi, si la parcicipation à une organisation criminelle est érigée en infraction autonome (selon l'arc. 260'" du projet du 30 juin 19934R), il est nécessaire de préciser que la participation à l'étranger à une organisation qui «agit ou doit agir en Suisse» est punissable et soumise à la juridiction helvétique (art. 260'" ch. 3)49.

3. Quant au bénéficiaire de l'opération, il se trouve en Allemagne et n'a par hypo- thèse pas de rôle d'instigateur. Son seul statue est celui de receleur 5°. Le rattachement en Suisse est-il possible? La question rappelle celle de la localisation de l'abus de confiance au lieu de la conclusion du contrat initial (ci-dessus II/2). Pour admettre le' rauachement, il faudrait considérer «l'infraction d'origine comme un élément consti- tutif du recel qui lui fait suite» 51 (et admettre la punissabilité de l'auteur principal de l'abus de confiance en Suisse). Comme précédemment, cette extension de compé- tence apparaît déraisonnable en l'absence d'une base légale. Il est à noter que laques- tion est maintenant discutée à propos du blanchissage d'argent (an. 305 b;, CP): l'acte

45 Cf. ATF 104lV 86; 98lV21J; cf.jost Hurtado Pow, op.cit. note 6, p.J32. Jurisprudence critiquée par Ham Sclmlrz, Die raumliche Geltung des schweizuischen Srrafgesenbuches nach der neueren Gerichtspraxis, RPS 1957 313 et idem, Les effets internationaux de la semence pénale. Rapporr suisse, Rev.int.dr.pén. 1963 189, qui propose que le complice soit punissable en Suisse alors même que l'auceur principal ne l'est pas, mais oodc mitiger l'application du droit suisse cr de tenir compte du droit pénal en vigueur au lieu de commis- sion de l'acre principal comme Je font les articles 5 alinéa 1 et 6 chiffre 1 du Code pénal suisse•.

46 La condition d'accessoriété extrême exige que l'auteur principal soir punissable pour que le participant acces- soire puisse l'ètre également, cf. Gmvm, op. cir. nore 26, p. 288.

47 Exposé des motifs, juillet 1993, p. 16.

48 FF 1993111 269ss. Approuvé sans modifications par le Conseil des Etats le 9 décembre 1993.

49 FF 1993 III 295 et 322.

50 Cf.Schubar/h!Aibrecht, op.cit. nore 16, p. 93; par analogie, Paolo Bmuuconi, Grcnzübcrschrcitende Kon- kursdelikte, in: Louis Dal~vts rt aL (éds), Centenaire de la LP, Zurid1, 1989, p. 66.

51 Cf. Larguiu, op. cit. nore 18, p. 464 (qui rejette cette construction).

(12)

Il

Robert Roth· Territorialité et extraterritorialité en droit pénal international

de blanchissage commis à l'étranger mais portant sur des valeurs soustraites ainsi à la justice suisse ne devrait pas être punissable en Suisse 52, sauf à appliquer la notion de ter- ritorialité objective dans son acception la plus large (cf. ci-dessus II, cas n• 2), ce qui ne saurait être admis en Suisse.

IY. Pénétration non autorisée sur un ordinateur/hacking 53 Cas n• 4

R., jeune entrepreneur allemand, s'introduit de Hambourg dans l'ordinateur de la firme BB, installée à Zurich, afin de consulter la liste des abonnés allemands aux périodi- ques culinaires de cette société. Tl proposera par la suite à ces clients une publication du même genre.

Ce quatrième cas nous conduira à une excursion dans le domaine du droit à ve- nir. En effet, le <<hackinf}> est considéré comme le seuiJ54 de la délinquance informa- tique et, plus précisément, de la délinquance contre le patrimoine réalisée au moyen d'instrumenrs informatiques 55. Aussi fait-il l'objet d'une disposition distincte dans la nouvelle mouture du titre deuxième du CP, dont l'adoption définitive par le Parle- ment s'approche à grands pas56.

1. Comme l'arr. 140 ancien (138 nCP57), l'art. 143"" nouveau est en apparence un délit formel de dessein. Le message du Conseil fédéral tire un para]lèle avec la viola-

52 Paolo BernaJCon~ Le blanchissage d'argem en droit suisse. Rapport explicatif avec proposition de révision lé- gislative (nouvel art.305";•), daccyl. Berne, 1986; Chri.troph K Grabtr, Geldwascherei, Berne, 1990, p.165.

53 Voir à nouveau pour la phénoménologie, Zimmtrli, op. cir. nore 37, pp. 338-339.

54 oA rhreshold offence in rhe field of computer crime•, Colt Durham, The cmerging structure of cri minai infor-

mation law: tracing che concours of a new paradigm, Rev.int.dr.pén. 1993 98. Traduction en termes familers au pénaliste suisse: l'incrimination des acres préparatoires à l'arr.143"'• nCP, ainsi qu'à l'arr. 144"• ch. 2 nCP.

voir ci-dessous nore 61.

55 Et mème, plus largement, d'infractions effectuées à l'a.ide d'instruments informatiques dirig~es contre rouees sones d'intérèrs, tels, en l'espèce, la concurrénce (dé)loyale.

56 Le Conseil national a voté une série d'amendements limitée au projet du Conseil fédéral du 14 avril 1991 (FF 199111933ss),lors de sa session de juin 1993 (BO CN 1993 922ss). En matière d'intrusion non autori- sée et de sabotage, l'essentiel rient à la séparation entre le •vol de données• (arr. 143 CP) er le simple ohack- ing• (an. 143"•, ce dernier se déflnissant par le fait qu'il est commis sans dessin d'enrichissement; admettre que l'acrivir~ puisse porter un préjudice flnancier ~l'ayant droit de l'installation n'est pas constitutif du des- sein d'enrichissement illégirime. Le Conseil des Etats s'est rallié à cerre proposition le 9 décembre 1993. Le texte définitif de l'arr. 143';, nCP (probablement 144 dans la numérotation définitive) se lit ainsi: •Celui qui, sans dessein d'enrichissement, sc sera introduit sans droit, au moyen d'un dispositif de transmission de don- nées, dans un système informatique appartenant~ autrui et spécialement protégé contre tout accès de sa part, sera, sur plainte, puni de l'emprisonnement ou de l'amende.•

57 L:art. 140 aCP a subi trois modiflcarions substantielles: 1) conformément à la nouvelle systématique du titre Il (qui commence par l'infraction la plus générale d'appropriation), il est déplacé et devient l'article 138. 2) Suianr la jurisprudence du Tribunal fédéral depuis I'ATF 109 lV 27. les termes •choses fongibles» au ch. 1

(13)

l l

Robert Roth ·Territorialité et extraterritorialité en droit pénal international

cion de domicile 58• Outre le désordre qu'un tel rapprochement induit dans la détermi- nation du bien protégé59, le parallèle n'est pas satisfaisant. Contrairement à la viola- tion de domicile, en effet, l'intrusion visée ici relève de la catégorie des «délies à dis- tance» prise dans une acception large. Classiquemenr, les délies à distance se caractéri- sent par la dissociation, dans le temps er/ou dans l'espace, entre l'action et son résul- tat60. Ici, à supposer que l'infraction reste classée parmi les délies formels, ce sonr les di- vers éléments constitutifs de l'action qui peuvent être dissociés. Dans mon exemple, le

«pirate» s'introduit de Hambourg dans un «ordinateur spécialement protégé>> à Zu- rich. La même question se posera à propos du nouvel arc. 144b;, (144 ch. 2 P-CP) et de l'action d' «effacer des données» 61 .

2. Les obligations d'une politique criminelle efficace et des arguments de droit positif (international) concourent à recommander une attitude ouverte et à faire ad- mettre que le lieu de l'action comprenne celui de l'effraction proprement dite. Il faut en effet, d'une part, éviter que le «cloisonnement de la répression>161 conduise à l'impu- nité; d'autre parr, l'art. 7 CEEx déjà cité incite les tribunaux nationaux à interpréter largement le terme «Commettre».

Cela dit, cette ouverture ne va pas sans inconvénients. Elle mérite d'être limitée, ne serait-ce que dans l'esprit des deux réserves formulées dans l'introduction: éviter le jeu du hasard; prévenir les conflits de compétences positifs. Comme les limitations souhaitables ne peuvent être strictement normatives, l'on esc cemé de faire appel à la technique. Ainsi, il a été avancé que l'action peut être exercée simultanémenc en plu- sieurs lieux seulement lorsque l'opération se déroule en temps réel, c'est-à-dire sans dé- calage de transmission entre le moment où l'ordre est donné et le moment où il esc exé- cuté63. Le défaut d'une telle construction est d'opérer une discrimination fondée uni-

al. 2 som remplacés par •valeurs patrimoniales•. 3) La clause punitive devient identique à celle du vol (réclu- sion jusqu'à cinq ans ou emprisonnement; amendemenr du Conseil national, BO CN 1993 934-935).

58 FF 1993 III 978-979.

59 Cf. Robrrt Roth, Délits informatiques et autres infractions à la technologie de l'information, Rev.inr.dr. pén.

1993 597 ss; BO CN 1993 936 (Mam).

60 Ttzcan, op. cit. noce 15, p. 202; Hans Sclmlrz, EinfUhrung in den allgemeinen Teil des Strafrcchts, 4• éd., Ber- ne, 1982, vol. 1, p. 103.

61 Le Conseil des Etats a détaché dans un arc. 144"• l'arr. 144 ch. 2 proposé par le Conseil fédéral, sans en modi- fier le texte: •Celui qui, sans droit, aura effacé, modif1é ou mis hors d'usage des données enregistrées ou trans- mises électroniquement ou selon un mode similaire sera, sur plainte, puni de l'emprisonnement ou de l'amende.• La sépararion entre dommages à la propriété classiques et sabotages informatiques étaie bienve- nue d'un point de vue systématique. J.:an. 144"'• a été complété par un délit-obstacle réprimant la fabrication, l'importation etc. de logiciels propres à réaliser les dommages visés à l'alinéa précité.

62 Cication de la Cour d'appel de Paris dans l'affaire Péchiney, cf.Rev.crir.dr.inc.privé 1989761-762 63 Cf. Miclul MaJJ!, La délinquance informatique: aspects de droit (pénal) international, in: Le droit criminel

face aux technologies nouvelles de la communication, Paris, 1986, p.297. On peut tirer un parallèle avec la jurisprudence minoritaire qui, en matière d'infractions perpétrées par voie de media, ne recienc la consomma- rion-et donc le ranachement-qu'au lieu d'émission du message (envoi de la publication, présence devam la caméra de télévision ou dans le studio de radio) et non à celui de la réception, cf. RSJ 1967173 (OG ZH).

(14)

13 Robert Roth· Territorialité et extraterritorialité en droit pénal international

quement sur la technique de transmission. L'argument, il est vrai, perd de sa portée avec le perfectionnement continu des réseaux.

Enfin, l'absence du dessein d'enrichissement illégitime dans les deux disposi- tions visant le hackinget le sabotage devrait rendre impossible le rattachement (territo- rial) par l'achèvement. Cette limitation du champ d'application de la disposition est parfaitement conforme à la volonté, exprimée tant par le Conseil fédéral qu'au Conseil national mais imparfaitement réalisée, de respecter en la matière le principe de l'économie du droit pénal M.

3. Cette réserve toute helvétique contraste avec l'inquiétude suscitée par la délin- quance informatique dans d'autres pays. Celle-ci est telle que le.~ mécanismes de capta- tion de compétence, classiques ou rénovés, liés au principe de territorialité paraissent insuffisants aux yeux de beaucoup de responsables et d'auteurs.

I.:

«érosion de la souve- raineté nationale»65 est devenu un des thèmes phares du droit de l'information en voie d'émergence. D'où l'idée, qui s'est répandue rapidement en quelques années66, d' éten- dre le champ de la compétence réelle (ou principe de la protection) 67Dans cette opti- que, les législateurs nationaux seraient invités à modifier l'équivalent de l'art.4 CP en y incluant les infractions informatiques qui (ou lorsqu'elles) mettent en péril les inté- rêts économiques du pays. Cela ne va pas de soi. «Ün peut en effet se demander, écri- vent candidement les experts mandatés par le Conseil de l'Europe, si la notion d'<inté- rêt essentiel> recouvre effectivement les <intérêts économiques>68

Est-il raisonnable d'emprunrer la voie préconisée, malgré leurs réserves, par les experts européens? La limitation aux délits informatiques mettant réellement en dan- ger les intérêtS essentiels de l'économie suisse prise dans son ensemble serait-elle appli-

Contra: l'attitude plus large, sur laquelle on reviendra (note 97), de I'ATF 102IV 35; voir aussi BJP 1985 n• 764 (OG 0\'(1) et Nikln11s Sdnnid, op. cie. note 42, p. 107.

64 Si le dessein d'cnrichissemenc illégitime a été supprimé Hart. 143';, (art. 143 ch. 3 du projet du Conseil fédé- ral, qui exigeait un tel dessein) par le Conseil national~ l'instigation de sa commission, celle-ci a échoué dans sa tentative de limiter l'application de l'art. 144 P-CP (sabotage), en incroduisant la condition selon laquelle l'acte devait avoir •causé à l'ayant droit un préjudice considérable. (débat animé, BO CN 1993 937-940).

Par identit~ de motifs, cette condüion, qui figurait à l'art. 150 P-CP (obtention frauduleuse d'une prestarion sous la forme du wol de temps-machine•) a également été biffée (BO CN 1993 946). Les problèmes de con- cours emre toutes ces dispositions (y compris le nouvel art. 147 CP sur l'utilisation frauduleuse d'un ordina- teur), ainsi qu'avec l'art. 179-"' CP (soustraction de données personnelles, en vigueur depuis le l" juillet 1993) seront for1 d~licats et mériteront d'être rapidement ~tudi~s de manihe approfondie.

65 Ulrich Sitbtr, lnformarionsrecht und Recht der Informationstechnik, NJW 1989 2579.

66 Cf. surtout Comité fllrop!m pour les prob/)mrs crimùttls (CEPC), La criminalité informatique, Strasbourg, 1990, pp. 94-95. Egalement, Massl, op. cit. note 63, p. 297; Jacqtm Francillon, Délits informariques et au- tres infractions à la technologie de l'information. Rapport français, Rev.int.dr.pén. 1.993 316.

67 Sur cc principe en général, CEPC, op.cit. nore 7, pp.l3-14; Hurtado Pozo, op.cir. nore 6, pp.ll9 et 134-136.

68 CEPC, op. cit. note 65, p. 95. Défense d'une conception un peu plus étroite des •intérêts nationaux•, aux Etats-Unis et dans la majorité des autres pays. cf. Christopher L. Blnlwley!Orto Lagodny, op. cit. nore 13, p. 55. Sur les fondements de l'extension de la mise en œuvre du principe de protection, telle qu'elle est réali- s~e parl'arr.4 CP, ATF 1!8 la 142 s.

(15)

14

Robert Roth· Territorialité et extraterritorialité en droit pénal international

cable? Il existe un précédent instructif. L'art. 273 CP (service de renseignements écono- miques) fait partie de la liste de l'art. 4 CP et peut donc être poursuivi en Suisse indé- pendamment du lieu de commission. La doccriné9 et les organes chargés de la pour- suite ou des relations diplomatiques70 tentent de canaliser la répression, soit en restrei- gnant directement le champ d'application de la disposition (poursuite seulement si l'intérêt de la Suisse est réellement menacé et si les personnes privées qui ont intérêt au secret n'ont pas donné leur consentement à sa divulgation), soit en ne faisant valoir, contra verbum legis, l'art.4 CP qu'aux mêmes conditions. La voie d'un élargissement du champ d'application de cette dernière disposition n'est donc pas à recommander.

V. Une opération d'initiés

Cas n" 5

Disposant, en leur qualité de membres du Conseil d'administration de la société P, d'informations confidentielles sur un projet d'OPA lancé par leur entreprise. S. et T. don- nent de Lugano par téléphone l'ordre à leur mandataire new yorkais d'acheter à Wall Street une quantité importante d'actions de la société cible de l'OPA. Le mandataire s'exécute dans la journée. Le jour de la publication dans la presse spécialisée du projet d'OPA, S. et T.

ordonnent à leur mandataire de vendre, toujours à Wall Street, les trois quarts des actions et de transférer le produit de la vente sur leur compte ouvert auprès d'une banque arnakfan- daise.

Etroitement inspiré de l'affaire Pechiney déjà citée (ch. I), ce cas nous permettra de passer rapidement en revue quelques uns des sujets déjà traités et d'élargir le dé- bat7'. La punissabilité éventuelle se fonde bien entendu sur l'art. 1 61 CP, dont le ch. 4 rend les ch.l-3 applicables dans des hypothèses semblables à celle qui est échafaudée

!Cl.

1. Les problèmes de rattachement en application du principe de la territorialité onr été étudiés de manière détaillée par une partie de l'imposante littérature suisse

69 Cf. Gtrmaml, op. cie. noce 12, pp. 246-248; Günttr Strattmvmh, Schweiterisches Scrafrechc, Allgemeiner Teil T, Berne, 1982, pp. 92-93.

70 Aide-mémoire du Dép. fédéral des affaires étrangères remis au conseiller juridique du Département d'Etat des Ecacs-Unis le 6 juin 1983, reprenam des diree<ives du Ministère public fédéral, publié par Lucius Caflisch, ASDI 1984162. Voir sur ces directives, Rlldo/fGtrbtr, Einige Probleme des winschafclichen Nachrichcen- diensces, R.PS 1977 289.

71 Le sujet traité ici nou~ encourage également à diriger exceptionnellement notre regard vers I'Ouesr plutôt que vers le Nord. (;Allemagne sera en elier le derrti<r grand pays industrialisé à adopter une norme pénale relative au délit d'initié, norme en vigueur en France depuis un qua re de siècle. Le projet adopté par le gouvernemenr de Bonn le 3 novembre 1993 (dans le cadre de la nouvelle législation en matière boursière) sera discuté au Par- lement durant le premier semestre 1994.

Références

Documents relatifs

Les atteintes graves à la santé sont généralement causées par des actes criminels mais elles peuvent également résulter d’une décision de s’abstenir comme

Under conditions of T lymphopenia, naive T cells undergo cell division with a subtle change in the cell surface phenotype CD44 expression, termed homeostatic proliferation

L’on remar- que ainsi que les éléments constitutifs du crime terroriste en temps de paix se recoupent avec ceux du crime de terrorisation en temps de guerre, tels qu’ils ont été

Il y a ainsi tensions entre une plus grande pénalisation des viols comme crime de guerre et une difficulté à les faire valoir dans les procédures d’obtention du droit d’asile

- GUELLALI, (A.), « Lex specialis, droit international humanitaire et droits de l’homme : leur interaction dans les nouveaux conflits armés », Revue générale de droit

Troisièmement, la définition du terrorisme la plus reprise dans les conventions existantes, qui est celle suggérée par les États occidentaux pour l’ébauche de la

Troisièmement, la définition du terrorisme la plus reprise dans les conventions existantes, qui est celle suggérée par les États occidentaux pour l’ébauche de la

sur un impératif moral. On ne s'étonnera pas que le droit international pénal, matière d'ordre public et d'intérêts communau- taires propres à l'humanité tout