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Activité législative en droit civil et droit comparé : vers une approche socio-juridique

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Activité législative en droit civil et droit comparé : vers une approche socio-juridique

COTTIER, Michelle

COTTIER, Michelle. Activité législative en droit civil et droit comparé : vers une approche socio-juridique. In: Hottelier, Michel/Hertig Randall, Maya/Flückiger, Alexandre. Etudes en l'honneur du Professeur Thierry Tanquerel. Entre droit constitutionnel et droit administratif : questions autour du droit de l'action publique . Genève : Schulthess, 2019. p. 79-85

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:123229

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Activité législative en droit civil et droit comparé : vers une approche socio-juridique

MICHELLE COTTIER

*

Professeure à l’Université de Genève

Introduction

Le Centre d'étude, de technique et d'évaluation législatives (CETEL) à l’Université de Genève que THIERRY TANQUEREL a dirigé avec diligence entre 2010 et 2019, a « pour objectif d'approfondir l'ensemble des apports des sciences humaines et sociales à l'étude et à la connaissance du droit. »1 Les recherches de sociologie juridique dans le domaine du droit civil ont une place centrale dans le cadre des activités du CETEL dès sa création en 19752. La présente contribution a le but de renouer avec cette tradition genevoise de sociologie du droit, tout en élargissant la perspective vers le droit comparé, en proposant une approche socio- juridique du droit comparé.

Nous examinerons d’abord les usages actuels du droit comparé de la famille et des successions en Europe dans le contexte législatif (I.). Ensuite nous exposerons les éléments d’une approche socio-juridique du droit comparé (II.), et proposons d’y inclure la comparaison du « droit en action » (A.), du « droit vivant » (B.), des conditions cadres politiques et sociales du droit (C.), et des épistémologies juridiques (D.). Une dernière partie clarifiera l’utilité de l’approche proposée dans le contexte législatif.

* Cette contribution repose en grande partie sur une traduction de : Michelle COTTIER, Interdisziplinäre Rechtsvergleichung. Elemente einer rechtssoziologisch fundierten Rechtsvergleichung am Beispiel des Familien- und Erbrechts, in Christian Boulanger/Julika Rosenstock /Tobias SINGELNSTEIN, Interdisziplinäre Rechtsforschung.

Eine Einführung in die geistes- und sozialwissenschaftliche Befassung mit dem Recht und seiner Praxis, Wiesbaden 2019, p. 109 ss. L’auteure tient à remercier Adriana Schnyder, assistante au Centre d’étude, de technique et d’évaluation législatives (CETEL) de sa précieuse contribution à la traduction de ce texte.

1 Centre d'étude, de technique et d'évaluation législatives (CETEL), Notice d’information no 44, 2014-2017, Genève février 2018, p. 5 (https://www.unige.ch/droit/cetel/files/3715/2786/3689/Notice-44.pdf, visité le 13 janvier 2019).

2 Cf. par exemple Jean-François PERRIN, Sociologie du droit de la famille... à travers une enquête genevoise, Genève 1979 ; Benoît BASTARD, Laura CARDIA-VONÈCHE, Jean-François PERRIN, Pratiques judiciaires du divorce : Approche sociologique et perspectives de réforme, Lausanne 1987 ; Noëlle LANGUIN, Les contacts entre père et enfant à la suite du divorce : document de travail relatif à quelques résultats d'une enquête récente, Genève 1990.

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Michelle Cottier

I. Les usages actuels du droit comparé dans le contexte législatif

En Europe, l’analyse comparative du droit de la famille et du droit des successions est pratiquée aujourd'hui – comme dans d'autres domaines du droit civil – principalement avec deux objectifs. Le premier réside dans le fait que les législateurs nationaux sont à la recherche du « meilleur droit » (« better law ») c'est-à-dire de solutions régulatrices plus adéquates ou innovantes qui peuvent servir d'inspiration à des réformes législatives3. Le second est lié à l'idée d'harmonisation du droit au niveau européen, promue dans le domaine du droit de la famille par la Commission on European Family Law (CEFL). Dans ce contexte, le droit comparé sert à la recherche du « common core », du « noyau commun » du droit civil européen4. Ces objectifs ne sont pas restés sans critiques. Certaines voix font valoir que les spécificités culturelles des différents systèmes juridiques auraient une valeur en soi et que l'adoption d'un

« meilleur droit » et l'unification du droit en Europe mettraient en danger ces différences5, d'autant plus en droit de la famille, qui serait, selon cette perspective, particulièrement marqué par la culture6. Cet argument est contré par l’observation que les influences culturelles sur le droit de la famille, tant conservatrices que progressistes, sont organisées au niveau paneuropéen et ne font donc pas obstacle à l'harmonisation du droit7. D'autres voix soulignent en revanche que l'accent mis sur la culture – même dans sa variante paneuropéenne – rend invisibles les effets distributifs du droit de la famille, c'est-à-dire qu'il masque le fait qu'un droit unifié de la famille peut conduire, quand il interagit avec les conditions-cadres sociales et économiques au niveau national, à une répartition inégale des ressources matérielles entre les membres de la famille, notamment selon le sexe8.

II. Eléments d’une approche socio-juridique du droit comparé

L’approche dominante du droit comparé en Europe est la méthode fonctionnelle. La méthode, telle que décrite par Konrad ZWEIGERT et Hein KÖTZ dans leur manuel influent, consiste à formuler une question initiale, définissant une fonction du droit dans le sens d’un problème juridique pratique devant être résolu par chaque système juridique, et à examiner la manière dont le système juridique étranger résout ce problème.9 La méthode se contente ainsi de

3 Maria ANTOKOLSKAIA, The ‘Better Law Approach’ and the Harmonisation of Family Law, in Katharina BOELE-Woelki (éd.), Perspectives for the Unification and Harmonisation of Family Law in Europe, Antwerpen 2003, p. 159 ss.

4 Katharina BOELE-WOELKI, The Impact of the Commission on European Family Law (CEFL) on European Family Law, in Jens M. SCHERPE (éd.), European family law Volume I. The Impact of Institutions and Organisations on European Family Law, Cheltenham (UK) 2016, p. 209 ss, p. 211.

5 Pierre LEGRAND, Against a European Civil Code, The Modern Law Review, 60(1), 1997, p. 44 ss.

6 Marie-Thérèse MEULDERS-KLEIN, Towards European Civil Code on Family Law? Ends and Means, in Katharina BOELE-Woelki (éd.), Perspectives for the Unification and Harmonisation of Family Law in Europe, Antwerpen 2003, p. 105 ss.

7 Maria ANTOKOLSKAIA, Family Law and National Culture: Arguing Against the Cultural Constraints Argument, Utrecht Law Review, 4(2), 2008, p. 25 ss.

8 Philomila TSOUKALA, Marrying Family Law to the Nation, The American Journal of Comparative Law,58, 2010, p.

873 ss, 907 ss.

9 Konrad ZWEIGERT, Hein KÖTZ, Einführung in die Rechtsvergleichung auf dem Gebiete des Privatrechts, 3e éd., Tübingen 1996, p. 33. L'approche fonctionnelle a déjà été développée au début du XXe siècle et est associée à des noms tels que Rudolf von JHERING, Ernst RABEL, Raymond SALEILLES, Edouard LAMBERT et Roscoe POUND, cf.

Fernanda NICOLA, Family Law Exceptionalism in Comparative Law, American Journal of Comparative Law 2010, p. 777, 792 ss.

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comparer les sources du droit telles que les juristes de culture juridique européenne continentale les définissent : législation, jurisprudence et doctrine. Dans le contexte du droit de la famille et des successions, la méthode fonctionnelle est certes souvent enrichie d’autres sources telles que les analyses de la pratique des cours suprêmes nationales, ou les statistiques disponibles (par exemple le nombre de divorces, ou de personnes vivant en union libre, etc.) 10. A notre sens, se limiter à l’enrichissement ponctuel de la méthode fonctionnelle par d’autres sources restreint de manière importante la compréhension du droit tel qu’il existe dans la réalité sociale dans différents contextes nationaux. C’est pourquoi nous formulerons en ce qui suit les éléments d’une approche du droit comparé basée dans la sociologie du droit.

A. La pratique du droit comparé au-delà du « droit écrit » : Comparaison du « droit en action »

Un premier élément d'une approche socio-juridique du droit comparé consiste à examiner – au-delà du droit écrit et du droit des juristes – le « droit en action », terme que nous devons au juriste américain Roscoe Pound11. Celui-ci entend par « le droit en action » la régularité de l'application des normes par les autorités12. Dans le contexte du droit comparé, il s'agirait donc d'une étude comparative de l'application du droit par les juridictions inférieures dans le but d'obtenir une vue d'ensemble de la pratique juridique dans un grand nombre d'affaires, et non seulement dans les quelques décisions publiées, qui souvent ne concernent pas des situations ordinaires. D'un point de vue méthodologique, l'accès au « droit en action » passe par l'analyse des dossiers et des décisions des juridictions inférieures, par des entretiens avec les différents acteurs de la pratique du droit (avocat-e-s, juges, greffiers/-ères, etc.) et les parties concernées, ainsi que par une observation participative. Le « droit en action » inclut également la question de la négociation des accords contractuels privés « dans l'ombre du droit », comme le titre de l'étude novatrice de Mnookin et Kornhauser13 l’indique.

A titre d'exemple citons les études actuelles qui, à la suite de l’étude de Mnookin et Kornhauser, analysent d’un point de vue comparatif la tendance au règlement extrajudiciaire et privé des conflits relevant du droit de la famille14. Il devient clair que ces « alternatives à la justice », telles que la médiation, ne fonctionnent seulement à la satisfaction des parties concernées (telles que les parties à une séparation ou à un divorce) dans la mesure où la situation juridique dans l'ombre de laquelle la négociation privée a lieu est continuellement clarifiée et développée aux niveaux de la législation et de la jurisprudence15. Cela ne peut réussir, entre autres, que si l'accès au droit est garanti. L'accès à la justice a toutefois été restreint dans de nombreux pays européens à la suite des politiques d'austérité des gouvernements, en réduisant l'assistance judiciaire gratuite et en augmentant les avances des frais de justice, ce qui désavantage particulièrement les parties économiquement plus faibles

10 Cf. BOELE-WOELKI (note 4), p. 212;IngeborgSCHWENZER,Methodological Aspects of Harmonisation of Family Law, FamPra.ch 2003, p. 318 ss.

11 Roscoe POUND, Law in Books and Law in Action, American Law Review, 44, 1910, p. 12 ss.

12 Idem.

13 Robert H. MNOOKIN et Lewis KORNHAUSER, Bargaining in the Shadow of the Law: The Case of Divorce, The Yale Law Journal, 88, 1978-1979, p. 950 ss.

14 Voir les contributions dans Mavis MACLEAN, John EEKELAAR, et Benoît BASTARD (éds.), Delivering Family Justice in the 21st Century, Oxford, Portland (OR) 2015.

15 Jane MAIR, Fran WASOFF et Kirstee MACKAY, Family Justice Without Courts: Property Settlement on Separation Using Contracts in Scotland, in MACLEAN/EEKELAAR/BASTARD (note 14).

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dans les conflits familiaux, c'est-à-dire principalement les femmes et les enfants16. Ainsi, « le droit en action » est en train de devenir de plus en plus le « droit du plus fort ».

B. Utilisations sociales du droit : comparaison du droit vivant

Le deuxième élément de l’approche socio-juridique du droit comparé est l'étude comparative du « droit vivant » (« lebendes Recht ») au sens d'Eugen Ehrlich17. Il s’agit de la pluralité de vies que le droit déploie dans la réalité sociale. Le droit vivant doit être distingué du « droit en action » (« law in action ») dans la mesure où le premier terme utilisé par Ehrlich décrit le développement de normes juridiques dans un contexte de relations sociales plus larges (relations économiques, relations familiales, etc.), tandis que le second terme, employé par Pound, s'intéresse aux résultats de l’intervention d'une loi étatique visant le contrôle social18. Pour Ehrlich, selon la reconstruction proposée par Manfred Rehbinder19, le droit vivant est un droit sociétal (« gesellschaftliches Recht ») situé à un niveau supérieur, suite à sa réaction au droit des juristes et au droit étatique.

La conception actualisée du « droit vivant » proposée ici se doit de soulever la question de savoir comment les normes juridiques (créées au niveau étatique et social) contribuent à façonner les significations culturelles et les pratiques sociales liées aux relations de genre, de parenté et de parents-enfants, et comment, à l’inverse le droit vivant est façonné par l'utilisation des normes juridiques dans les relations sociales.

D'un point de vue méthodologique, les instruments les plus appropriés pour déterminer le droit vivant sous la forme actualisée formulée ci-dessus sont : les entretiens avec des non- juristes et des membres des professions juridiques, ainsi que l'observation participative d'entretiens de conseil juridique, d'audiences devant les instances judiciaires et d'autres interactions en lien avec le droit. Ces méthodes sont les seules à même de rendre compte de la complexité de la formation des relations familiales par le droit. Les études par questionnaire standardisé sur les attitudes de la population à l'égard du droit sont, quant à elles, moins pertinentes. En effet, celles-ci reposent sur des hypothèses de préférences possibles et ne sont donc pas adaptées pour saisir la complexité des réalités socio-juridiques20.

L'étude réalisée en 2000 par Janet Finch et Jennifer Mason, un classique des socio-legal studies sur les pratiques sociales en matière de droit des successions en Angleterre et au Pays de Galles, en est un exemple réussi. Finch et Mason ont mené des entretiens avec des parents de familles recomposées au sujet de leurs considérations sur le sort de leurs biens après leur décès. L'une des observations centrales de cette étude concerne les différentes significations attribuées à l’égalité de traitement de tous les descendants. Finch et Mason démontrent que les parents, en se focalisant sur chaque situation individuelle, s'écartent du principe de la stricte égalité de traitement de leurs enfants – comme on pourrait s’attendre socialement de la part de

16 Teresa PICONTÓ-NOVALES, Access to Justice in Times of Austerity, with Special Reference to Family Justice, in MACLEAN/EEKELAAR/BASTARD (note 14), p. 200 ss; Hilary SOMMERLAD, Access to Justice in Hard Times and the Destruction of Democratic Citizenship, in MACLEAN/EEKELAAR/BASTARD (note 14), p. 243 ss.

17 Eugen EHRLICH, Grundlegung der Soziologie des Rechts, 4e éd., Duncker und Humblot, Berlin [-Ouest] 1989 [1913].

18 David NELKEN, Law in Action or Living Law? Back to the Beginning in Sociology of Law, Legal Studies, 4(2), 1984, p. 157 ss. Salif NIMAGA, Pounding on Ehrlich. Again?, in M. L. M. Marc Hertogh (éd.), Living Law. Reconsidering Eugen Ehrlich, Oxford, Portland (OR) 2009, p. 157 ss.

19 Manfred REHBINDER, Die Begründung der Rechtssoziologie durch Eugen Ehrlich, Duncker und Humblot, Berlin[- Ouest] 1986, p. 74.

20 Voir Michelle COTTIER, Adapting Inheritance Law to Changing Social Realities : Questions of Methodology from a Comparative Perspective, Oñati Socio-Legal Series, 4(2), 2014, p. 196 ss (disponible sous:

http://ssrn.com/abstract=2430733), p. 204.

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parents – au profit d’une égalité de résultats. Ainsi, si les enfants d'une mère ont des pères différents et, respectivement, des situations financières différentes, l'égalité de résultats signifie que l'enfant ayant un père plus fortuné reçoit moins de la mère et vice versa21.

Dans une perspective plus large, la comparaison du droit vivant inclut également le droit non étatique. Il s'agit notamment d'études sur la pratique du droit de la famille au sein des communautés religieuses musulmanes vivant dans des sociétés occidentales, qui développent des structures juridictionnelles parallèles aux juridictions étatiques22.

C. Le niveau macro : comparaison des conditions-cadres politiques et sociales du droit

Un troisième élément tient à l'analyse comparative de l’ancrage macro-social du droit. Dans ce cas, l'accent est mis sur le fait que le droit de la famille et des successions s’inscrit dans un contexte politique, culturel et économique familial plus large23.

Les méthodes de comparative policy analysis sont adaptées à la recherche sur le contexte macro- social. Le droit privé de la famille et des successions est considéré comme une composante de politiques familiales et sociales plus vastes24. Sur le plan méthodologique, cette recherche comparative peut s’avérer complexe, par exemple, en ce qui concerne l’interaction entre le droit civil, le droit social et le droit fiscal, puisque les mêmes fonctions peuvent être remplies par le droit civil dans certains pays et par le droit public dans d'autres, comme le démontre clairement l'exemple de la répartition équitable des avoirs de prévoyance professionnelle accumulés durant le mariage entre conjoints ou partenaires en cas de divorce ou de décès25. C'est précisément pour cette raison que l’analyse comparative des politiques sociales et familiales qui sous-tendent le droit de la famille est également indispensable du point de vue de la méthode fonctionnelle.

Toutefois, un examen du contexte macro-social permet souvent d'expliquer les différences dans l'application de normes identiques en droit de la famille. Ceci peut être illustré par la tendance internationale actuelle à la coparentalité à la suite d’une séparation ou d’un divorce.

Divers systèmes occidentaux de droit de la famille ont introduit une législation qui favorise les décisions dans le sens d'une résidence alternée de l'enfant après le divorce ou la séparation des parents, avec des périodes de garde égales pour les deux parents. Cependant, la mise en œuvre de cet idéal législatif dans la réalité familiale varie selon le contexte macro-social.

En 2006, par exemple, l'Australie a adopté la loi sur la Shared Parental Responsibility, qui introduit la garde alternée comme mode législatif idéal de coparentalité à la suite d’un divorce ou d’une séparation. Malgré une telle réforme législative, la proportion des cas de divorce ou de séparation qui ont abouti à une répartition égalitaire de la garde des enfants a stagné autour des 8 %. La recherche interdisciplinaire menée dans ce pays en droit de la famille explique ce phénomène par une situation particulièrement difficile que rencontrent les parents

21 Janet FINCH et Jennifer MASON, Passing On. Kinship and Inheritance in England, Londres 2000, p. 45.

22 Andrea BÜCHLER, Islamic Law in Europe? Legal Pluralism and Its Limits in European Family Laws, Routledge, Londres 2016, p. 73, et les références citées.

23 Voir également David BRADLEY, Convergence in Family Law : Mirrors, Transplants and Political Economy, Maastricht Journal of European and Comparative Law, 6(2), 1999, p. 127 ss.

24 Mary DALY, M., Kirsten SCHEIWE, Individualisation and Personal Obligations – Social Policy, Family Policy, and Law Reform in Germany and the UK, International Journal of Law, Policy and the Family, 24(2), 2010, pp. 177- 197.

25 Kirsten SCHEIWE, The Costs of Caring for Children Before and After Divorce: Contradictory Legal Messages and Their Gendered Effect, in David G. Mayes/Mark Thomson (éds.), The Costs of Children. Parenting and Democracy in Contemporary Europe, Cheltenham (UK), Northampton (MA, USA) 2012, p. 165.

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Michelle Cottier

sur le marché du travail : les couples séparés ou divorcés ont du mal à trouver les ressources et la flexibilité qui rendent possible un régime de garde alternée/partagée26.

En revanche, au Québec, où il n'existe pas de législation spécifique sur la garde alternée et où la possibilité de résidence alternée de l'enfant (« garde physique partagée ») s'est développée dans le cadre de la pratique judiciaire, la proportion de résidence alternée est plus élevée qu'en Australie, se situant à 20 % environ. Une étude récemment publiée confirme que la garde physique partagée est devenue une norme culturelle au Québec, mais souligne que ce sont plutôt les parents ayant un statut socio-économique et un niveau de formation supérieurs qui peuvent s'organiser autour d’une résidence alternée et d’une coparentalité27. Ces conditions semblent plus souvent réunies au Québec qu'en Australie.

D. La société à travers le prisme du droit : comparaison des épistémologies juridiques

Le quatrième élément d’une analyse juridique comparative interdisciplinaire qu’il y a lieu de souligner est lié aux trois premiers et concerne les épistémologies juridiques, au sens de différentes formes de connaissance juridique, comme éléments de cultures juridiques.28 La question est de savoir comment le droit « pense » la réalité sociale dans différents espaces juridiques29 et sur quelles sources de connaissance il s’appuie. Le but est donc de comparer les différentes pratiques du savoir juridique, en particulier à l’égard des sciences sociales. Sur le plan méthodologique, il s'agit d'une analyse du discours tel qu’il se retrouve dans la législation, la pratique judiciaire et la doctrine dans une perspective de la sociologie de la connaissance30.

Un exemple tiré du droit successoral illustrera ces questions et la pertinence de cette approche méthodologique. Il s'agit des discussions juridico-politiques sur le droit des successions ab instestat, c'est-à-dire sur les règles qui s'appliquent si le testateur n'a pas laissé de dispositions pour cause de mort. Une comparaison des débats qui ont eu lieu dans différents pays montre que la doctrine et la législation partent systématiquement du principe que le droit successoral doit être fondé sur les préférences du de cujus moyen. Cependant, les sources de connaissances utilisées pour déterminer ces préférences varient considérablement. Alors qu’en Angleterre, des sondages sont menés auprès de la population pour déterminer les préférences moyennes31, en Allemagne, on se fonde sur la perspective et l'expérience des professions juridiques, en particulier les avocat-e-s et les notaires, impliquées dans la planification successorale des couches sociales économiquement plus aisées32. Ce constat est en lien avec les caractéristiques de la culture juridique qui, en Allemagne, insiste sur l'autonomie de la science juridique par

26 Bruce SMYTH, et al., Legislating for Shared-time Parenting After Parental Separation: Insights from Australia, Law

& Contemporary Problems, 77, 2014, pp. 109-149, p. 141.

27 Denyse CÔTÉ et Florina GABOREAN, Nouvelles normativités de la famille : la garde partagée au Québec, en France et en Belgique, Canadian Journal of Women and the Law, 27(1), 2015, p. 22 ss, 41.

28 Il s'agit ici d'aspects de la « culture juridique interne », au sens de FRIEDMAN: « Internal legal culture is the legal culture of those members of society who perform specialized legal tasks », Lawrence M. FRIEDMAN, The Legal System: A Social Science Perspective, New York 1975, p. 223.

29 Gunther TEUBNER, How the Law Thinks : Toward a Constructivist Epistemology of Law, Law & Society Review, 23(5), 1989, p. 727 ss.

30 A ce sujet, voir Doris Mathilde LUCKE, Was weiss Recht? Anmerkungen aus der sozialwissenschaftlichen Verwendungsforschung, in Michelle Cottier/Joseph Estermann/Michael Wrase (éds.), Wie wirkt Recht?Baden- Baden 2010, p. 147 ss.

31 Gillian DOUGLAS et al., Enduring Love ? Attitudes to Family and Inheritance Law in England and Wales, Journal of Law and Society, 38(2), 2011, p. 245 ss.

32 Michelle COTTIER, Soziologisches Wissen in Debatten um die Reformbedürftigkeit des Erbrechts, in Michelle Cottier/Joseph Estermann/Michael Wrase (éds.), Wie wirkt Recht?Baden-Baden 2010, p. 213.

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rapport aux autres sciences33, tandis que la culture juridique anglo-américaine est plus ouverte au savoir des sciences sociales34.

Les différences entre les cultures juridiques concernant la réception des connaissances en sciences sociales expliquent aussi pourquoi l'approche ici défendue d’une comparaison socio- juridique se retrouve plutôt dans le contexte anglo-américain qu’en Europe continentale35. Le degré d'interdisciplinarité des sciences juridiques nationales se reflète bien entendu également dans le choix de l’objet et du périmètre de la recherche comparative.

III. L’utilité de l’approche dans le contexte législatif

En quoi la comparaison du « droit en action », du « droit vivant », de l'ancrage macro-social du droit ainsi que des différentes épistémologies juridiques proposées ici, peut-elle contribuer aux objectifs normatifs mentionnés ci-dessus, tels que notamment la réforme du droit national et l'harmonisation du droit européen ?

Dans le contexte des réformes juridiques nationales, un tel droit comparé pourrait conduire à un processus de réforme mieux informé. Par exemple, les expériences étrangères concernant l'impact des politiques d'austérité peuvent attirer l'attention sur le fait que les objectifs normatifs du droit matériel de la famille, tels que la promotion de l'intérêt supérieur de l'enfant ou la compensation des désavantages liés au mariage par le droit de l’entretien, ne peuvent être atteints en raison de problèmes d'accès à la justice familiale. Les résultats de recherches étrangères sur le droit vivant, tels que l’interprétation différenciée de l'égalité dans la pratique de la planification successorale au sein des familles recomposées décrites ci-dessus, peuvent constituer la base des considérations de réforme ; le droit vivant étranger pourrait donc être tout aussi novateur que le droit positif étranger.

Le projet d'harmonisation, de son côté, peut être protégé contre des attentes trop élevées en ce qui concerne l'uniformisation des normes de droit matériel de la famille et des successions par le biais du droit comparé interdisciplinaire. Même si tous les Etats européens introduisaient un ensemble uniforme de règles pour un domaine du droit, les résultats de l'application du droit dans chaque cas individuel varieraient considérablement en raison de pratiques juridiques et sociales, et de conditions cadres familiales et sociopolitiques différentes.

33 Thomas LUNDMARK, Charting the Divide Between Common and Civil Law, New York 2012, p. 101 ss.

34 Ibid., p. 105 ss.

35 Voir par exemple, Joanna MILES, Unmarried Cohabitation in a European Perspective, in Jens M. Scherpe (éd.), European family law Volume I. The Impact of Institutions and Organisations on European Family Law, Cheltenham (UK) 2016. Pour une exception dans les pays germanophones, voir en particulier les travaux de Kirsten SCHEIWE, entre autres Kirsten SCHEIWE, Kinderkosten und Sorgearbeit im Recht : Eine rechtsvergleichende Studie, Juristische Abhandlungen : Bd. 36, Vittorio Klostermann, Frankfurt a.M. 1999 et SCHEIWE (note 25).

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