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Léonce. Bourliaguet. Petit - œuf

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Léonce Bourliaguet

P e t i t - œ u f

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P E T I T - O E U F

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de Léonce BOURLIAGUET

" Petit-Oeuf Prix Jeunesse des Nouvelles Littéraires en 1934, a, jusqu'à ce jour, échappé à la publication, et la présente diffusion, assortie de l'autorisation bien- veillante des ayant s-droit , demeure restreinte et hors commerce.

Elle répond au souhait légitime et dès longtemps for- mulé de tous ceux qui, au sein de l 'association des amis de l'écrivain, ont souvent exprimé le désir de le mieux connaître. Dans ces pages, ils ne découvriront point une autobiographie. En revanche, selon leur âge et selon leur expérience passée, ils auront le privilège de revivre in- tensément ou de se confirmer clairement une époque, celle de l'Avant-guerre 14, aussi riche en malaises sociaux qu'en aspirations souvent déçues, l'ensemble traversé par des sautes d'indépendance, d'amertume et d'anticonformisme aussi bien que par de merveilleux attendrissements.

Ils humeront aussi un léger parfum de terroir, impropre néanmoins à enfermer l'auteur dans la cohorte des régiona- listes. Et, comme dans tous les ouvrages édités de Léonce Bourliaguet, qu'ils soient présentés dans la livrée d'un conte enjoué ou celle d'un roman marqué au coin d'un hu- mour souriant, le lecteur sera emporté, la langue aidant, par un courant turbulent et chaud dont ils garderont mé- moire longtemps.

J.J. Nauge Président des Amis Léonce Bourliaguet de Amis de Léonce Bourliaguet

135 Bd M. Berteaux - 95130 -Franc onvi lle Tel 413-75-91

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LA FIENTE D' HIRONDELLE

Petit-Oeuf naquit d'une façon très drôle. Sa mère le f i t au lavoir public. Elle savonnait vigoureusement les flanelles de Maître Delanoix, notaire, lorsqu'elle fut prise des douleurs de l'enfantement. Comme i l était le sixième, i l passa plus ai- sément que ne s'égare dans l ' a i r bleu une fiente d'hirondelle.

Les autres laveuses, en hâte assemblées, le reçurent sur un tas de linge sale où gisaient pêle-mêle les chemises empesées, les mouchoirs , les caleçons de l'officier ministériel et le peplum de sa "dame". On n'eut que le temps de chasser une t roupe de marmots qui s'amusaient à faire naviguer leurs sabots sur l'eau épaissie par le savon.

Ni salves d'artillerie, ni sonneries de cloches, ni rois mages, ni tapis à grandes figures de héros (I), pas même un photographe: sans le linge du notaire, ç'eût été un accouche- ment vulgaire.

On l'emporta à la maison enveloppé dans le fin tissu d'un jupon de Mme Delanoix. Et, trois semaines plus tard, la nouvel- le sensationnelle de son arrivée dans la société fut annoncée dans la presse locale sous la forme suivante :

" Saint-Valer. Démographie. Naissances durant le mois de septembre : dix-sept." Il était exactement le seizième.

Son incorrection eut une conséquence logique : la notai- resse, furieuse d'apprendre à quoi servaient ses dessous, changea de laveuse.

--- LE COQUELICOT

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Quand sa petite peau neuve se fut faite avec la promptitu- de d'un coquelicot qui secoue ses rides dans le vent, i l devint aussi mignon que n'importe quel autre marmot. Il ouvrit sur la monstruosité du chaos deux yeux effarés où brillait de la joie.

Il tenta de faire oublier sa bave, ses pipis sournois et ses cacas fétides par des sourires, des heu! heu! accompagnés de battements de bras, des gazouillis de mammifère qui se croit encore au stade de l'oiseau, en un mot, par toute cette diplo- matie charmante qui réussit si bien aux premiers-nés.

Mais i l venait trop tard, et on n'y prit point garde. Le premier bébé émerveille, le second amuse, le troisième fait fi- gure de plagiaire, le sixième trouve un auditoire blasé.

-1- (I) Naissance de Napoléon, d'après Stendhal

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Les baisers qu'il reçut de maman n'avaient plus rien des fol- les caresses dont elle étourdissait jadis son aîné, Victor ; et si Papa consentait parfois à le prendre dans ses bras, i l ne tardait pas à trouver un prétexte horticole pour le passer à la plus grande de ses soeurs, Anais. Anaïs s'en débarrassait elle- même en chantant à tue-tête dans ses oreilles une mélopée qui tenait du chant des cascades, du tic-tac des moulins et du la- mento des vents ; et elle le berçait à toute vôlée, si bien qu' au bout de deux minutes de résistance énergique, i l finissait par sombrer dans un sommeil fait de vertige et d'abrutissement.

I l eut des fièvres, des diarrhées, des convulsions et des vers. Lors de ses premiers pas, i l f a i l l i t choir dans la clas- sique marmite d'eau bouillante. A dix mois, i l fallut appeler le docteur pour tetirer de son nez le bouton de bottine qu'il y avait malencontreusement fourré. Une semaine plus tard, i l pas- sa si bien sa tête dans une chaise que Papa ne put l'en délivrer qu'en sciant l'un des barreaux.

L'alerte suivante fut plus grave. Maman découvrit qu'il a- vait une excroissance au fond de la bouche, à la base du palais, une espèce de tumeur noirâtre et dure qui semblait le gêner con-

sidérablement. Le vieux docteur reparut, regarda, toucha d'un doigt timide, hocha la tête et dit qu'il fallait attendre l'évo- lution naturelle du mal; qu'il avait d'ailleurs vu ça bien des fois, f i t une ordonnance et s'en fut en promettant de revenir.

Sur quoi, Gabriel ayant gratté plus courageusement dans la bou- che de son petit frere, en ramena une é corce de châtaigne qui s'était par bonheur arrêtée et collée la : une castagno-laryn- gite !

Maman se f i t l'historiographe fidèle de ces menus incidents.

C'est dans le coeur des mères que s'écrivent ainsi, pour tout être humain, les premières pages d'une biographie que la Gloire continuera peut-être. Elle ne mêlait point les souvenirs que lui avait laissés chacun de ses enfants, elle se rappelait avec exactitude l'heure, le jour,la date et l'année. S'il advenait que Papa, effeuillant le calendrier, épelât tout haut quelque éphéméride :

- Cinq avril dix-sept-cent-quatre-vingt-quatorze: E...Exé- cution de Danton et de Camille Desmoulins...

- Oui, disait-elle, la fourchette en suspens, ou le torchon, ou le balai : c'est le même jour qu'en dix-huit-cent-quatre-vingt sept, la perroquet du coiffeur a mordu Victor.

INCIDENTS ET TEINTES CHANGEANTES

Une journée commence comme ça : avant d'ouvrir les yeux, alors qu'on somnole encore, on entend un remue-ménage familier, va-et-vient de Maman, heurts de casseroles, pas sur la route, lointains coups de sifflet, roulement sourd des premiers trains, cris des hirondelles, chants des poules pondeuses, tous bruits que les jours de neige ou de pluie semblent envelopper d'ouate.

L'odeur d'un peu de lait brûlé flotte dans l ' a i r et le rend si sapide que l'estomac s'émeut et s'appétit. Puis, comme si l'on naissait, l'on s'éveille tout à fait. On s'habille en se dispu- tant avec Gabriel qui veut passer les manches trop vite; on r i t

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quand on a mis sa culotte à l'envers. Le petit déjeuner est prêt:

six bols fument sur la table, ornés de dessins qui permettent de les reconnaître. Le plus joli est pour Petit-Oeuf : i l porte un coq tricolore... Sur les douze mains, i l y en a toujours une renverse un peu de sa soupe. Maman se fâche. Ensuite, c'est le dé- part de Victor pour l'atelier, des soeurs pour l'école. Gabriel s'absente aussi quand Maman ne va pas au lavoir.

Alors, dans la maison presque déserte, la petite botte va, vient, fait mille petits pas, pousse des chaises, rampe sous la table, met ses menottes dans le baquet où lave Maman. Premières voluptés, don de l'eau ! Défense de patauger dans la boue ou de traverser la route. A part ça, on peut s'amuser devant la porte de la maison avec du sable, des cailloux, des bâtons, des pailles, des bouts de ficelle, des papiers errants et de vieilles boites rouillées. I l y a beaucoup de jouets par terre. Le soleil du matin est gai : i l caresse les boucles blondes et les petits pois qui sortent de terre avec une égale et légère bonté.

Quand Maman va au lavoir avec sa brouette qui chante, Gabriel

"manque l'école" pour garder Petit-Oeuf. I l l'emmène hors du fau- bourg, sur la grand'route et l'assied au bord d'un talus.

L'herbe est fraîche au derrière, et puis elle se réchauffe toute seule : on est bien, on s'est mis en harmonie thermique avec la planète. On casse laborieusement des tiges. On s'aperçoit qu'il y a parmi elles des bêtes qui marchent et on leur parle sans qu'elles daignent jamais répondre. D'immenses "cocos" passent sur la route. Tout à coup, on constate que Gabriel n'est plus là. Cha- grin, peur, intense sensation d'abandon, larmes. Gabriel revient et dit :

- Qu'est-ce que t'as? Mais chiâle pas! Chiâle donc pas ! Me v'là.

Le mouchoir de Gabriel sec, rèche, est désagréable, i l écorche le nez; mais, après cette petite formalité, on se sent l'esprit plus libre.

L'après-midi, quand i l fait chaud, les choses brillent, trem- blent et tournent. On se croit toujours sur le seuil de la porte et voici qu'on se réveille dans sa panière-lit avec une petite foi- re de quatre ou cinq mouches sur la figure. Le vrai moyen de faire surgir Gabriel, c'est encore de pleurer.

Maman reparaît le soir, et les soeurs, et Papa. La maison s'em- plit et s'anime. La lampe remplace le soleil, On met des assiettes luisantes sur la table. Celle de Petit-Oeuf est en métal; elle re- tentit sous la cuiller, fait de la musique et ne se casse pas quand elle tombe sur le plancher, en vibrant longuement sur elle- même.

La lampe, sous son abat-jour blanc, déverse une lumière éblouis sante. Le monde hostile et lointain commence aux murs où bougent de grandes ombres noires. Là, tout près, rien que des visages amis.

Les soeurs ont souvent dans les mains des objets inconnus, curieux, qu'on désire et qu'on obtient en grognant. La conversation incom- préhensible berce, le tic-tac de la pendule endort, et, le nez sur la table, on se desinteresse peu à peu de toute chose. Comme un grand livre d'images, la création se referme sans bruit. A la ru- desse du bois, au froid de la toile cirée, succède bientôt la molle tiédeur a l i t . La dernière sensation est celle des lèvres de Mam an.

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Le plus beau louis d'or d'un jour de vie, sans qu'on y prenne garde, s'est dépensé tout seul comme un gros sou.

--- PLUIE DE FAVEURS ---

Quand la prière avait été dite comme une musique, soeur Lé- ontine s'extasiait en joignant les mains :

- Oh! que la Sainte Vierge va être contente! Et quelle pluie de faveurs à la petite récréation !

Le quart d'heure était long à venir. Enfin, l'on sortait.

Soeur Léontine se mettait modestement derrière tout le monde et disait:

- Regardons bien la Sainte Vierge et, sans rien dire, prions- la. Son oreille est si fine, si fine, qu'elle entend pousser l'herbe et murmurer notre petit coeur.

Petit-Oeuf regardait Madame la Vierge Marie avec tant d'ar- deur qu'il en oubliait de prier. Le miracle se produisait quand même.

De la niche où elle était debout, au-dessus de la porte de la salle, sans qu'elle ait fait un signe, un geste, un mouvement, grêlaient tout à coup des bonbons. Des bonbons ronds de toutes les couleurs, de petits sucres comme en vendait l'épicier Canol- le à raison d'un cornet pour deux sous. Voici: les friandises du Paradis ressemblaient à celles de Saint-Valer.

La prière cessait net. Une bousculade terrible s'ensuivait.

On ne voyait plus que cinquante petits derrières convulsifs. Les menottes avides picoraient sous les pieds aveugles et sourds. On se relevait écorché, bossué, et i l y avait des pauvres et des ri- ches, comme après toutes les foires d'empoigne sociales qu'on nomme pompeusement : révolutions.

Petit-Oeuf ne ramassait jamais rien. I l était trop soucieux de son équilibre, de sa dignité; et d'ailleurs i l craignait pour ses doigts. Et i l avait pris le parti de rester dans le voisinage de la bonne soeur, tout heureux si quelque rondelle rouge ou bleue , roulant hors de la mêlée, venait s'offrir à son facile effort.

Un jour, i l obtint de la Sainte Vierge une faveur spéciale.

Il se tenait sous l'aile de Soeur Léontine lorsque, avec un grand fracas, tomba près de lui une cylindrique boite de fer blanc. La Vierge l'avait lancée avec une telle force qu'elle avait frôlé la religieuse, qui poussa un cri de frayeur, et Petit-Oeuf l ' a v a i t distinctement vu glisser le long de son ample robe noire. La boi- te sonna sur le sol, le couvercle vola en l ' a i r comme un coq e n colère, le trésor des bonbons j a i l l i t et ruissela. Petit-Oeuf, à quatre pattes, les mains béantes, se précipita. Ses voisins en firent autant. Soeur Léontine, accroupie, éperdue, les repoussant des bras, criait à tue-tête :

-Non! non! La Sainte Vierge ne veut pas ça! Elle vent qu'on partage! La Sainte Vierge s'est trompée ! Laissez! Laissez!

C'est égal, Petit-Oeuf en tenait deux belles poignées. Il se hâta de les fourrer dans ses peches.

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Et, le soir, il conta l'affaire à maman :

-Cette boite, M'man, d'un peu plus, la bonne soeur la rece- vait sur la tête.

Maman sourit. Petit-Oeuf ajouta :

- Mais c'est-il vrai, M'man, que c'est la Sainte Vierge qui lance les bonbons?

Maman sentit que le démon parlait à l'oreille de son fils et elle se hâta de raffermir sa foi chancelante en lui disant que pareille chose était arrivée à une des religieuses qui la gar- daient à l'Asile, lorsqu'elle était petite; la boite, glissante, avait échappé aux belles mains de la Vierge, et la pauvre nonne, moins heureuse que soeur Léontine, l'ayant reçue sur la tête, en était restée étourdie pendant trois jours.

--- LE BOUQUET DE VIOLETTES ---

Victor, l'aîné, était venu au monde sur la fin de l'hiver, en une sombre journée de pluie, décevant Maman, qui eût voulu que son premier naquît au printemps, un matin de soleil, de ciel bleu et de papillons jaunes. Mais, lors de ses relevailles, elle avait trouvé des violettes le long d'un vieux mur tiède où rôdaient des abeilles d'avant-garde. Ce bouquet printanier, encolleretté de quatre feuilles, lié d'un fil blanc, elle l'avait suspendu à la flèche du berceau de Victor ; et Victor avait daigné le regarder de ses yeux troubles où il se reflétait en deux images minuscules et brillantes.Les fleurs s'étaient lentement fanées là, répandant leurs longues queues et leurs pétales flétris dans le berceau où dormait l'enfant : de sorte qu'à quelques jours près, Victor était né sous le signe des violettes.

Maman ayant conté cela plusieurs fois, Victor avait fini par se rappeler qu'effectivement il y avait des violettes au-dessus de sa petite couche blanche. On doutait qu'il pût se souvenir d'un fait datant d'une époque où lui, Victor, n'était "vieux" que de six semaines. Alors, le grand frère faisait des concessions :

- J'avoue, disait-il, que je ne savais pas exactement de quelles fleurs il s'agissait... mais je les revois très bien, là, au-dessus de ma tête...

Avec les autres enfants, la gêne était entrée au logis, et Maman n'avait plus jamais suspendu de violettes à la flèche du berceau. Le berceau lui-même devenait encombrant, c'est dans une panière qu'avait dû giter Petit-Oeuf, une corbeille étroite, poin- tue aux deux bouts, roulée comme un coquillage, dans laquelle avait jadis, voyagé un de ces magnifiques saumons qu'on sert aux noces des gens riches. Certes, Maman avait aimé tous ses enfants et les avait reçus avec une égale tendresse ; mais les soucis poussant dru dans son coeur, avaient étouffé sous leur mauvaise herbe tous les frais rosiers qui le parfumaient. A quoi bon re- cevoir avec des fleurs de petits êtres qui, voués à une dure vie, n'auront jamais le loisir d'en cueillir et d'en respirer?

Cette histoire, toutefois, avait vivement frappé Petit-Oeuf,

et, par une outrecuidante confusion, il avait fini par se mettre

en imagination à la place de Victor. Traitant le droit d'aînesse

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et la vérité historique avec la plus parfaite désinvolture, ce re- jeton tardif en était venu à se rappeler qu'à la flèche de son berceau, Maman, en un geste d'amour charmant, avait suspendu un bouquet de violettes. Il eut le toupet, un jour que Soeur Léonti- ne avait des fleurs sur sa chaire, de lui conter cela; et la bonne soeur avait dit à toute la classe épatée :

-Vous voyez, Jean Poulpinet a eu des violettes dans son ber- ceau, des violettes cueillies par sa maman !

Et le dernier-né-numéro-six s'était rassis, rouge d'orgueil, à demi suffoqué par la tendresse qui gonflait son petit coeur.

Mais, chose bizarre,, il n'osait parler de cette histoire de violettes à Maman devant ses soeurs, ni devant Gabriel, ni surtout devant Victor...

La laveuse rentrait souvent à nuit close. Un soir d'hiver, comme elle tardait à revenir, Petit-Oeuf s'arma de courage, et, tandis que les autres cassaient des fagots pour allumer le feu, i l s'échappa discrètement, sortit sur la route. Il faisait terrible- ment noir; le vent était dur; au loin, pareilles à des yeux de bê- tes inconnues, clignotaient les lumières de la ville; toutes les étoiles tremblaient de froid. Il s'arrêta, sa peur étant plus gran de que son inquiétude, écouta...Personne !... Que faisait Maman? Il se hasarda dans l'ombre. Si la pensée du loup lui était venue, i l serait sans doute rentré précipitamment.

Mais dans le lointain i l entendit une musique familière : le chant de la brouette de Maman. A chaque tour de roue, elle pous- sait un petit cri plaintif, désagréable à tout le monde, doux à ses oreilles. La laveuse arrivait d'un pas ferme qui sonnait sur la route durcie. Elle vit une ombre minuscule et entendit un bêle- ment de chevreau qui disait dans la bise : M'man!

- Petit-Jean, s'écria-t-elle épouvantée, qu'est-ce que t u fais là? Mon Dieu ! Oh! le vilain ! Pourquoi n'es-tu pas resté à la maison?

Et elle l'embrassa, le moucha par habitude, tout attendrie parce-que c'était la première fois qu'un de ses enfants venait l'attendre.

Puis elle dit:

- Mets ta menotte glacée dans la poche de mon tablier, là, sous mon mouchoir, et viens vite !

Et,,reprenant sa brouette, elle le poussa plus vigoureuse- ment. Petit-Oeuf cheminait à grands pas dans ses jupes, trottant presque. C'était le moment de lui parler confidentiellement.

- I l était gros, dis, M'man, le bouquet de violettes?

- Quel bouquet? demanda la laveuse.

- Le bouquet que tu as mis dans mon berceau quand j 'étais petit ?

Maman s'arrêta brusquement, laissa retomber sa brouette , de- meura interdite pendant un court instant ; puis, s'asseyant sur un brancard, elle attira Petit-Oeuf dans ses bras et le couvrit de baisers en disant d'une voix extrêmement changée :

- Oui, mon petit rat, oh! oui, gros comme un chou-fleur !

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LA " BARBOTTE " ---

C'était le printepps, l'été, la bonne saison, la grande foire des fleurs et des insectes. Ml le Létamine disait chaque soir:

- Portez ceci, portez cela demain matin. Gare si on oublie, gare !

Tout d'abord, i l avait fallu apporter des violettes, des coucous qui sont les primevères des prés, des narcisses... On allait chercher des fleurs dans les champs autour de la ville, le long des chemins creux ou gisent de vieux seaux hygiéniques.

Et puis, à la Maternelle, Mlle Létamine faisait là-dessus des leçons de choses. On apprenait que les violettes ont une longue queue, que le narcisse sent mauvais, que la corolle des cou- cous est sucrée, que l'ortie pique et que le chiendent purge Médor. Ces parures de la terre rassemblées par tant de petites mains embaumaient la salle d e classe, surchargeaient les tables et, mi-flétries, jonchaient enfin les travées. On marchait des- sus après les avoir maniées, flairées, dessinées, et la femme de service les balayait en ronchonnant.

Or, coup sur coup, deux réfractaires se révélèrent. Un ma- tin, Petit-Oeuf n'apporta pas de lierre. Le même jour, Zézette n'apporta pas de lierre non plus. Oublis. Deux jours après, en- core eux! Il fallait présenter des mouches : Petit-Oeuf n'avait pas trouvé la boite où les mettre, Zézette n'avait pas pu en attraper.

Alors, Mlle Létamine se fâcha : Poulpinet était un fieffé polisson, quant à Zézette, oH ! la vilaine ! La pauvre chasseres- se pleura de dépit.

Quelques jours plus tard : "Apportez-moi un insecte, une

"barbotte", n'importe laquelle, dit Mademoiselle. Il y en a tant qu'on veut. Mais pas de celles qui piquent, par exemple!

Le lundi suivant, dans la rue des Epinettes où est l'Ecole Maternelle qu'on appelle à Saint-Valer la Sorbonne des Cagas- sous, chacun avait un captif. Au creux d'une boite de pastilles pectorales, Nicot montrait un coupe-doigt que son papa avait fait tomber avec sa casquette ! Mastic transportait une saute- relle verte dans le tunnel obscur d'un cartonnage ayant contenu du macaroni; Ragot avait une cétoine, et Petit-Oeuf, à l'entour d'une bouse cuite au soleil, avait attrapé un noir géotrope qui faisait le mort quand on lui grattait le ventre, immobile, pat- tes raidies et gilet chatoyant.

Seule, Zézette n'avait rien dans sa boite; car elle avait tout de même apporté une boite, probablement pour dire avec plus de vraisemblance que sa barbotte s'était envolée.

- Tu vas voir quel savon !

En effet, elle allait être grondée. Au coin, Mademoiselle, et que je ne vous voie plus !

Tout le long de la rue des Epinettes, la fillette pleurait d'angoisse. Son petit nez retroussé rougissait et ses yeux étaient troubles comme l'azur d'un ciel d'hiver, sans que cela

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personne. On ne la plaignait pas, la poupée trop bichonnée par une maman vaniteuse : ça lui apprendrait à faire la fière ! Et on la laissa à ses larmoiements devant la boutique du charcu- tier.

Mais après avoir hésité, réfléchi, réfléchi, hésité, Pe- tit-Oeuf lui donna son bousier.

I l le lui donna en frémissant d'un émoi heureux parce-qu' i l l'aimait. Aussi bien était-elle digne de l'être. Ses che- veux faisaient penser à la toison des douces brebis noires, ses yeux aux myosotis, ses lèvres aux cerises et sa peau saine au pain doré qui sort du four; quant à ses jambes, elles ne fai- saient encore penser à rien. Elle était toujours bien vêtue, propre et parfumée : évidemment elle n'était point née sous un chou cabus mais plutôt sous de belles jacinthes. Et le plébéien Petit-Oeuf, subissant l ' a t t r a i t cruel de cette enfant aristo- cratique, eut donné son os, sa chair, son sang et son souffle pour obtenir un regard d'elle . Mieux que cela, ayant accepté sans façons la barbotte, elle la paya d'un sourire, déjà conso- lée, presque rayonnante.

Dès qu'on fut assis, Mlle Létamine demanda les barbottes. Zézette donna la sienne d'un air modeste et fut féli- citée. Visiblement, Mademoiselle ne savait pas ce que c'était que cette bête-là. Elle la regarda plus longuement que les au- tres à cause de son joli ventre.

Puis on constata que Petit-Oeuf encore une fois, n'avait rien apporté.

- Au coin ! Faisons-lui les cornes, commanda Mlle Létamine.

Et, tandis qu'il marchait vers le coin infàmant sous le haro joyeux de la classe, Petit-Oeuf coula un regard vers Zé- zette. I l eût aimé la voir toute pâle, triste de son chagrin, le coeur gros de la même peine. Mais, souriante, divinement belle, elle lui montrait les cornes, comme les autres.

FIOR DI SPINA

Il suffisait que M. le Médecin-Inspecteur vînt à l'école pour que la moitié des écoliers rebroussât chemin en voyant sa voiture dépasser leur colonne le long de la rue des Epinettes.

On ne l'aimait pas ! Les enfants ont, comme les animaux, un flair spécial, subtil et sûr, qui leur permet de reconnaî- tre à prime vue les sales types. C'en était un. Grand, rou- geaud, mauvais poil, yeux globuleux, estomac en étrave de péni- che, mains d'étrangleur,voix toujours altière et furi , i l eût fallu pour le caricaturer consentir à le crayonner en beau.

Les instituteurs qu'il accablait de notes interminables, d'or- dres impératifs, vouaient à tous les diables cette invention du maire de Saint-Valer, homme de progrès ; et M. Latruffe, di- recteur, prétendait reconnaître son approche aux paniques du baromètre. C'est pourquoi, des caravanes enfantines qu'il dé- passait dans la rue, seuls, les héros, telle l'armée de Gédeon continuaient de piétiner vers l'école.

I l enfilait une grande blouse blanche, mettait une toque

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et sortait d'une valise de cuir toutes sor tes d'instruments re- doutables, dont le plus curieux était une petite clarinette qui lui servait à écouter le dos des gens.

Ce matin-là, dans la classe enfantine, après avoir réflé- chi un instant de l ' a i r d'un homme qui médite une purge, i l ne fit déshabiller personne et cria :

- Les garçons peuvent rester !

I l se contenta, étant pressé, d'examiner quelques élèves ; la malchance voulut que son choix tombât sur Petit-Oeuf.

Il le palpa, le souleva, le secoua, lui f i t tirer la langue, puis, ayant consulté la fiche No 40, demanda à Mlle Létamine :

- Normal ?

- Mon Dieu... dit Mlle Létamine, embarrassée.

- Non! fit M. le Docteur : front bas et déprimé, regard in- décis, angle facial très réduit ... Dégénérescence alcoolique.

Regardez-moi ça: c'est gros comme un moineau déplumé. Un bel avorton.

Et i l cria dans les oreilles de Petit-Oeuf, tremblant : - Tu diras à ta maman de te faire manger des côtelettes!

Le suivant fut Mastic; celui-là dut mettre son torse à nu.

Il retenait ses chausses de ses bras étiques sur son ventre creux; ses côtes faisaient comme une nasse à goujons.

- Ah! je te reconnais, dit M. le Docteur ; c'est toi l'adé- noïdien, plus un peu de scoliose. Eh bien ! est-ce que ton père t ' a montre à un spécialiste?

- Oui, Mademoiselle, dit Mastic.

- C'est un monsieur qui te parle, sacrebleu ! Et qu'a dit ce spécialiste?

- I l a dit que je n'avais rien.

M. le Médecin-Inspecteur f i t pivoter Mastic si brusquement qu'il laissa échapper ses culottes. On vit ses cuisses de roite- let et toute sa diplomatie secrète.

-A un autre, s'écria le docteur, en rejetant la fiche No 16 qui occupa l ' a i r comme une mouette et tomba au milieu des f i l - lettes amusées.

I l tint à voir ensuite Nénette. I l la trouvait trop grasse.

Sous enveloppe cachetée, i l avait recommandé à la famille de la faire maigrir, en indiquant le régime approprié. Elle souriait peureusement.

I l la toisa en disant entre ses dents:

- Tss! Tss ! Mauvaise graisse! Mauvaise graisse ! Puis, aimable:

- Ma mignonne, est-ce-que tu as peur de moi?

- Nan, dit Nénette.

- Pourquoi dis-tu "nan"? On dit non, en mettant sa bouche comme cela : NON! NON! NON! Répète un peu, voir!

- Nan, dit Nénette.

Et tout son sourire d'enfant maniérée semblait dire:

- T'en fais pas, L. le Docteur, dans quinze ans, je saurai bien la mettre comme i l faut, ma bouche !

Petit-Oeuf parla des côtelettes à ses parents. On mangeait des "nentilles" illustrées d'une salade. Papa se mit en colère

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et dit:

- Des côtelettes? Des côtelettes! Eh ben, tu lui diras, à ton docteur, que c'est du foin qu'il lui faut, à lui, et pis des coups de trique entre deux brancards !

Et, le lendemain, i l lui envoya sa lettre barrée d'un gros mot en cursive galopante.

PAPA

Un soir, Maman comméra plus longuement que de coutume avec Mme Tartelin, l'épicière, et Mme Groland. la boulangère. Au re- tour, i l faisait nuit, l'ombre était mêlée de brume, et quand ils arrivèrent au passage à niveau, la barrière était abaissée, on entendait le roulement sourd d'un convoi.

- C'est le bateau de Papa, dit la laveuse.

Petit-Oeuf n'avait jamais vu le train la nuit. Et le spec- tacle qui s'offrit alors à sa vue fut tel qu'il se serra plus fort contre les jupes de Maman. La machine apparut, enveloppée de fumée, de vapeur et de brume où palpitaient les grandes lu- eurs rouges du foyer. On eût dit qu'elle était en feu. Dans cet enfer roulant, Papa n'était plus qu'une ombre vague, qui, entre- vue le temps d'un éclair, semblait se démener comme celle d'un damné. La locomotive passa en coup de vent, ronflante, soufflan- te et trépidante, semant sur la voie ses escarbilles comme des étoiles; et, sous le défilé vertigineux des grands wagons noirs.

les freins serrés laissaient fuser des gerbes bleues d'étincel- les . Puis, plus rien devant Maman et son petit que l'espace l i - bre où se redressaient les grands bras de la barrière.

Là-bas, au bout des rails vaguement luisants, comme glissant sur l'eau, un fanal, rouge s'enfonçait sans heurts dans la nuit.

Et le bruit du train n'était plus qu'une décroissante rumeur.

- Viens donc ! Tu rêves? dit Maman.

Oui, certes, i l rêvait. I l suivit machinalement, toujours agrippé aux jupes maternelles. Jamais i l n'aurait cru que la belle machine de Papa fût comme ça la nuit, elle qui, en plein

jour, était si magnifique au soleil, dans ses glorieux jets de vapeur blanche, sous le panache noir de sa fumée qui la couvrait comme une chevelure ondulée ou montait, plus droite qu'un grand pin, dans le ciel bleu. Cette masse de ferraille rougeoyante et bruyante, joujou devenu monstre, lui faisait peur maintenant.

Et Petit-Oeuf comprit enfin pourquoi Papa était si noir, pour- quoi i l aimait tant la chopine. Il avait envie de pleurer.

Il y pensa toute la soirée.

Une fois au l i t , tandis que ses frères ronflaient, i l cher- cha longuement le sommeil. L'effrayante vision l'obsédait encore.

Au loin, en gare de St-Valer, deux locomotives en manoeuvre pous- saient des sifflements brefs et comme adoucis, très purs dans le cristal de l ' a i r nocturne ; on eût dit les appels sonores de grosses bêtes amoureuses. Il les écouta jusqu'à ce que le som- meil vînt clore ses paupières.

Il rêva tamponnements, déraillements. Des ponts s'effon- draient, des tunnels s'éboulaient. Papa mourait sous un flot d'eau bouillante; et lui, devenu muet, i l ne savait que tendre les bras et râler d'angoisse, car i l se sentait plus solidement fixé au sol qu'un impuissant végétal.

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Maman, qui ne dormait jamais que d'un oeil et que d'une o- reille, vint voir ce qu'il avait , et le trouva le front moite de sueur, l'oeil stupide et égaré.

- A quoi rêves-tu, mon gros?

Petit-Oeuf bégaya des paroles confuses ; et puis, comme la vue des mamans calme toutes les angoisses de leurs petits, i l chut dans un sommeil profond.

Il ne lui resta plus de son cauchemar qu'un vif désir de revoir son père désir qui veilla comme une petite lampe dans son coeur épuisé. Au matin, i l obtint de Maman la permission exceptionnelle de se lever en même temps qu'elle, alors que ses frères et soeurs emplissaient la chambre de ces grands soupirs qui annoncent que la conscience revient avec la lumière. Du seuil de la maison, i l vit le mécanicien qui rentrait, et, cou- rant à lui, les bras ouverts comme des ailes, i l lui dit, avec un accent inexprimable:

- Papa !

- Déjà debout, mon bonhomme ! s'écria le rude ouvrier.

Mais i l eut aussitôt une autre surprise: Petit-Oeuf rayon- nait d'amour. Pour voir de plus près ce qu'il y avait au fond de ses yeux noisette, Papa l'enleva dans ses grosses mains. Ja- mais aucun de ses enfants ne l'avait regardé avec une telle ex- pression. Et, au bout de son vol plané, le numéro six reçut un terrible et doux baiser, tel qu'en pourrait donner une étrille barbouillée de suie.

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Debout sur le socle, une paysannette pauvrement vêtue, les mains croisées, tient un casque militaire empli de ces fleurs que tout le monde peut cueillir le long des haies. Et cette en- fant est triste, à force de penser toujours à quelque chose d'affreux et d'irrévocable. Le coeur de cette adolescente dolen- te est comme une lanterne des morts. Dans l'hémorragie dorée du soleil d'automne, voyez ces feuilles qui voltigent autour d'elle comme les âmes d'une génération fanée.

Le socle, orné d'une couronne de perles offerte par les pom- piers de St-Valer, porte sur ses quatre faces des plaquettes de

marbre. Les inscriptions sont rendues plus lisibles par un en- duit rouge que la pluie efface peu à peu. Ayez la patience de lire ces noms jusqu'au bout, comme ceux qui les portèrent eurent celle d'attendre dans la boue du front que leurs jeunes vies fussent cueillies par la mort. Vous en reconnaîtrez quelques-uns:

Georges Mai, lieutenant.

Pierre Mastic , Henri Nicot.

Jean Poulpinet, capitaine.

25 FEVRIER 1979 dépôt légal 1er trim. 79

Tous droits réservés.

Diffusion restreinte et hors commerce

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Franconville Tel - 413-75-91

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