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L Note brève sur l’écologie du droit saisiecomme énonciation

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de distinguer le droit comme régime d’énonciation du droit comme insti- tution. Que les institutions comme la Science, la Religion, le Droit soient indéfiniment mêlées, à la façon des marbres veinés de San Marco dans lesquels aucune figure n’est clairement reconnaissable, c’est entendu (c’est même de ce mélange que fut tiré jadis les intuitions de la théorie dite de l’acteur-réseau). Mais la question de leur vérité et de leurs condi- tions de félicité n’en est pas résolue pour autant, car il y a toujours un régime particulier qui joue le rôle de dominante et qui m’autorise à dire que au Conseil d’État (exemple que j’avais choisi), il se décide j u r i d i- q u e m e n t du vrai et du faux d’une façon qui n’est clairement pas re l i g i e u s e ou scientifique ou technique ou politique. Dans cet ouvrage, je montre , par des exemples fondés sur les déroutements du raisonnement, p o u rquoi un critère de vérité particulier l’emporte sur les autres qui sont présents mais, pourrait-on dire, à titre d’harmoniques seulement.

Pour saisir ce que j’ai appelé «le passage du droit» remplaçons d’abord le mot droit par «enchaînement» pour ne pas le confondre avec l’insti- tution juridique ; intéressons nous ensuite à l’expérience de pensée s u i v a n t e : dans le débrayage énonciatif, comment parvient-on à suivre les déplacements entre énonciateurs, énonciataires et énoncés ? R é p o n s e : c’est impossible puisqu’il est de la nature de l’énonciation d ’ e n v o y e r, c’est à dire de perd re le lien entre celui qui parle et ce qui est dit – y compris bien sûr dans l’énoncé « ego cogito » ou « moi je dis » comme l’ont bien vu des générations de grammairiens et de sémioti- c i e n s .3Cette perte, d’autres régimes en profitent à fond. Par exemple, pour pre n d re le cas le plus frappant, l’énonciation politique dont la véridiction repose sur cette confusion entre celui qui parle, ce qu’il dit et celui qui le fait parler ;4ou bien évidemment, l’énonciation dite «de f i c t i o n » dont la vérité part i c u l i è re repose au contraire sur l’envoi dans des positions ambiguës, inassignables.

Posons-nous donc la question : comment re t rouver les liens entre les d i ff é rents plans d’énonciation, malgré le constant décalage intro d u i t par l’ensemble de tous les envois continuels qui disloquent la conti- nuité des paroles et des actes ? Ou, si l’on veut, comment remonter la pente constamment descendue par les débrayages

é n o n c i a t i f s ? Je crois qu’il n’est pas faux de c o n s i d é rer que l’ensemble des fonctions p e rmettant de re l i e r, re t r a c e r, tenir ensemble, r a t t a c h e r, suture r, re c o u d re ce qui par la n a t u re même de l’énonciation ne cesse de se d i s t i n g u e r, fait partie de cet attachement, que n o t re tradition occidentale a célébré sous le

Bruno Latour Note sur l’écologie du droit comme énonciation p. 34-40 3 5

Bruno Latour

Note brève sur

l’écologie du droit saisie comme énonciation

La théorie du droit alterne souvent entre jus naturalisme (le dro i t ne fait que passer au crayon noir ce qui est déjà en pointillé dans la nature) et le positivisme (le droit est une autoréférence de l’institution par elle-même). Or, un intérêt cosmopolitique peut modifier légèrement cette altern a n c e : la n a t u re en effet ne se présente plus comme ce qui est déjà unifié et rassemblé, mais comme une forme politisée du « p l u r i v e r s ». D’où l’intérêt de re p é rer à nouveau une présence du droit qui est bien « dans le monde » – comme l’avait compris le jus naturalisme – mais qui n’off re aucune forme d’unité, de politique ou de morale.

L’écologie politique, comme nous le savons maintenant, ne porte pas sur la nature mais sur une autre façon de composer les relations en vue d’établir un monde commun qui n’est pas donné d’avance.1E n c o re faut-il pouvoir définir d’une part les êtres qu’il convient de rassem- bler et de re n d re compatible les uns avec les a u t res et, d’autre part, les modes divers de rassemblement. Dans un ouvrage récent d’eth- nographie, je me suis essayé à dégager une telle f o rme de rassemblement, dont le mot de

« d ro i t » permet d’appro c h e r.2Il m’a paru utile

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Je re p rends ici une discus- sion avec La u re nt De Su t ter &

Se rge Gu tw i rth dans le ca d re du prog ramme PAI-phase 5

« Les loyautés du savo i r. Po s i- tions et re s ponsabilités des s c i e n ces et des scient i f i q u e s dans l’ é t at de droit démoc ra- t i q u e» ,financé par l’ É t at Be l g e, Se rv i ce de la politique scient i- fique fédéra l e.Voir leur art i c l e

« Droit et co s m o po l i t i s m e.

No tes sur la co nt ribution de Bruno Latour à la pensée du d ro i t» ,Droit et soc i é t é, n ° 5 6 / 5 7 , 2 0 0 4 ,p p. 2 5 9 - 2 8 9 .

Bruno Latour,Politiques de la nature.Comment faire entre r les sciences en démocratie, Pa ri s, La Déco u ve rte, 1 9 9 9 .

Bruno Lato u r,La fabrique du droit. Une ethnographie du Conseil d’ É t a t, Pa ri s, La déco u- ve rte, 2 0 0 2 .

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1 A . J . Gre i m a s. « An a l ys e

sémiotique d’un discours juri- d i q u e» , in Sémiotique et scien- ces soc i a l e s, A . J . Gre i m a s, ( e d. ) , Le Se u i l , Pa ri s,1 9 7 6 ,p p.7 9 - 1 2 8 . Bruno Lato u r.«Et si l’on par- lait un peu po l i t i q u e ?» Po l i t i x 15 (58), 2 0 0 2 ,p p. 1 4 3 - 1 6 6 .

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Pour compre n d re cette diff é rence entre énonciation et institution, un parallèle sera peut-être éclairant. Si vous lisez un roman, vous n’aure z pas de peine, je crois, à distinguer le cours du récit, ce qui arrive aux personnages, les rebondissements de l’intrigue et, d’autre part, un p roblème toujours sous-jacent à ce que vous lisez et à ce qui arr i v e quand vous racontez à d’autres ce que vous avez lu : « c’est un ro m a n , c’est de la fiction». Autrement dit, pour vous faire comprendre et pour pouvoir lire, il faut qu’il y ait une «clef» de lecture, une forme particu- l i è re d’envoi, qui accompagne tout du long le récit et qui vous perm e t de régler en continu le type de véridiction dont il s’agit, qui diff è re justement de l’histoire elle-même mais qui permet de cadrer le type de vérité attendu de l’histoire (et il s’agit bien d’un type de vérité).

On comprend bien sur un tel cas qu’il existe une diff é rence énorm e e n t re le récit et l’énonciation que j’appelle Fiction. Et pourtant, il va de soi que l’on ne peut pas lire le récit sans être « e n v o y é » – c’est le sens p remier du mot énonciation – par la clef musicale Fiction, sans cela on ne comprendrait rien, (bien que la seule possession de la clef ne donne aucune information sur le récit).

Il en est de même, me semble-t-il, en droit. Ce qui m’a intéressé dans le d e rnier chapitre du livre sur le Conseil d’État, c’est d’isoler l’énonciation D roit ou Attachement, comme il a intéressé les sémioticiens d’extraire l’énonciation Fiction des théories du récit. Mais cela ne veut nullement dire qu’elle e x p l i q u e l’institution juridique, celle qui, avec raison, intéresse les c h e rcheurs en droit (l’institution, dans ce parallèle, joue le rôle de la multi- tude des récits et des théories littéraires étudiés par les narr a t o l o g u e s ) . D’un autre côté, cela ne veut pas dire que l’étude de l’Énonciation d’attachement serait « p e t i t e» par rapport à la « g r a n d e » analyse de l’ins- titution. Le rapport n’est pas, en effet, du petit au grand, mais de la clef de lecture à ce qui est dit ou lu. Je prétends donc avoir extrait (essayé d ’ e x t r a i re) une forme de véridiction inhabituelle et injustement traité (même par les juristes trop habitués à elle) qui donne « tout son sens » à la totalité des actes, textes, institutions que l’on appelle «juridiques».

En ce sens, je prétends avoir off e rt une explication possible à la constante « t a u t o l o g i e » des définitions du droit, tautologie qui frappe autant les spécialistes que les outsiders : la tautologie vient de ce que l’on ne comprend rien à un acte quelconque de l’institution juridique, si l’on n’ajoute pas cette clef de lecture : « attention, ce que vous allez lire ou entendre, c’est du Droit et non pas de la fiction, de la politique, e t c . » Cette clef de lecture est fournie par l’analyse obsessionnelle de l’Énonciation Droit. À ma connaissance (limitée je le reconnais), elle n’avait pas été extraite de façon claire jusqu’ici.

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nom de Droit – en le mélangeant d’abord avec une multitude d’autre s f o rmes de véridiction (c’est le thème de l’âne chargé de reliques qu’il s’agit de débâter).

Qu’il ne soit pas absurde de considérer ainsi le Droit, se voit à ceci que l’on peut en dégager un certain nombre de traits caractéristiques : la notion même de pro c é d u re ; l’assignation, la signature et son

« t re m b l é » si particulier puisqu’elle saute justement par dessus la division des plans d’énonciation ;5l ’ i m p u t a t i o n ; la qualification, le lien e n t re texte et cas (que veut dire être « j o u rnaliste au sens de l’art i- c l e 123 du code » ? ) ; et même des éléments très classiques en dro i t comme la responsabilité (« untel est bien l’auteur de cet acte »), l’auto- rité (« ce personnage est bien habilité à signer les actes), la pro p r i é t é ( « cette personne a bien titre à tenir cette terre »). À chaque fois le D roit – ou plutôt l’énonciation de rattachement – remonte la pente incessamment descendue par la multiplication des envois ou des envols énonciatifs. Ce qui m’autorise à dire que « sans le dro i t » les énoncés seraient tout simplement i n a s s i g n a b l e s. Mais, bien évidem- ment, toute cette remontée reste superficielle puisque le droit n’est pas le tout du monde, il n’est que l’une des façons d’explorer l’altérité de l’être (ce que j’appelle dans mon jargon l’être en tant qu’ a u t re) , mais cette exploration, ce type d’altérité je crois qu’il est important de rappeler à quel point elle reste unique et originale, à quel point il faut refuser de la réduire à tout autre forme de véridiction.

En part i c u l i e r, il est crucial de ne pas faire reposer la vérité du droit sur une s o u rce extérieure qui, étant donné l’état actuel de l’esprit critique, ne peut ê t re que la société et ses rapports de force. Cela ruinerait tout l’eff o rt pour

« o b j e c t i v e r» le droit et compre n d re comment il nous tient. En faisant constamment la diff é rence entre état de droit et rapport de force, que ce soit par une dictature effective ou par la dictature exercée dans les esprits par la sociologie critique, on se contenterait de pre n d re légèrement le mot

« l é g i t i m e r» en croyant avoir dit quelque chose de très pro f o n d .6

Une très belle validation de cet argument est o ff e rte en anthropologie du droit par la compli- cation, solennité, intrication des serments en l’absence de civilisation de l’écrit: les fonctions d’enchaînements sont maintenus, mais le type de preuve, d’archivage, de mémoire manquent, et il faut donc les remplacer par d ’ a u t res formes d’engagements solennels qui remontent la pente que les débrayages ne cessent de descendre.

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B é at ri ce Fra e n ke l ,La signa- ture. Genèse d’un signe, Paris, Ga l l i m a rd, 1 9 9 2 .

Olivier Fave re a u. « L’ é co n o- mie du soc i o l ogue ou pe n s e r (l’orthodoxie) à partir de Pierre Bourdieu»,in Le travail sociologique de Pierre Bour- d i e u.De t tes et cri t i q u e s.Ed i t i o n revue et augmentée, Bernard Lahire, (ed.), Paris, La Décou- ve rte, 2 0 0 1 ,p p. 2 5 5 - 3 1 4 .

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Voilà résumé à grands traits l’argument pro p rement cosmopolitique dans un livre dont je suis prêt, pour le reste, à re c o n n a î t re toutes les faiblesses.

C’est à ce point que mon eff o rt pour débâter l’âne chargé de re l i q u e rejoint les préoccupations de ce numéro .1 0Ne faisons pas porter au dro i t – énonciation et institution – des formes de re g roupement et de compo- sition qu’ils sont sûrs de ne pas pouvoir porter. Impossible par exemple de résister au totalitarisme en s’appuyant s e u l e m e n t sur la fragile barr i è re du droit (sous Vi c h y, le Conseil d’État encaisse sans sourciller les lois sur les juifs faisant pourtant le même « excellent travail » avant et après).

N’espérons pas, de ce point de vue, faire de l’institution juridique une

« m é d i a t i o n » entre le pouvoir et la société car une telle form u l a t i o n confond des formes d’agrégation, de liaison, de contamination, de composition tellement diff é rentes que l’on ne saura plus à quel saint se vouer – on finira comme Pierre Legendre par faire dépendre l’humanité elle même de la Loi (assimilée à la loi du Père chez Lacan…).

De ce point de vue, mais de ce point de vue seulement, je pense que la f o rmulation de t’Hart est probablement fausse : l’institution juridique n’est pas une « m é d i a t i o n » entre d’autres sphères du monde social, pour l’excellente raison que les institutions n’existent pas sous le mode de la s p h è re, du domaine, de la région, mais sous le mode de l’enveloppe – à la Sloterdijk – ou du réseau – à la Ta rd e .1 1Si nous devions étudier, en toute rigueur, l’institution juridique, il deviendrait capital de distinguer dans ce bric-à-brac qui la compose, les types de transmission dont dépend son maintien en l’existence. D’immenses portions de ses réseaux dépendent en fait, pour leur solidité et leur durabilité, de la morale, de la politique, de la technique, de l’économie etc. autant que du type d’attachement et de véhicule du droit « p ro p rement dit ». Le but de ces distinctions étant de ne pas attendre du « c â b l e » droit ce que seul le câble ou le fil politique, par exemple, peut donner. La dénonciation critique se nourrit usuellement de ces absences

de distinction puisque, en face du bric-à-brac, elle a beau jeu de dire : « re g a rdez tout cela c’est

«a u s s i» de la politique, des rapports de force, de la pure fiction. » Eh oui bien sûr, l’institution n’existerait pas sans cela, mais chaque type de transmission, néanmoins, obéit à une form e p a rt i c u l i è re de vérité qu’il faut re s p e c t e r.

Je me suis permis de proposer ce dégagement de l’énonciation droit parce qu’elle est une conséquence directe d’une théorie du social comme association.1 2Imaginez un jeu de Lego

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Cet argument permet peut être de décider s’il y a du droit «partout un p e u » ou s’il existe seulement au tribunal, sous épreuve, dans l’institu- tion dite juridique. Or là encore, le parallèle avec la narratologie peut ê t re utile : il y a de la fiction chaque fois qu’un père se met à dire à sa fille qui ne s’endort pas « il était une fois » et qu’il commence une histoire à dormir debout. Pourtant, on n’a pas de peine à distinguer ces énoncés épars et quotidiens de l’institution littéraire qui concern e r a i t l ’ o rganisation des prix, le rachat du Seuil, les héritiers de Gallimard, la chute de Vivendi, la disparition des critiques, etc. De même, à chaque fois qu’un gamin dit « t’as pas le droit de me piquer mes billes », il engage dans la discussion qui va commencer sur les règles du jeu de bille, un type de véridiction qui suppose une lecture particulière de ce qui va suivre – et qui va être déroutée si la discussion finit par un œil au b e u rre noir… 7P o u rtant, il n’y a là (encore) ni procès verbaux, ni juge, ni avocat en robe, ni code civil etc. Il y a donc bien «du Droit» dans la façon que les enfants ont d’objecter bien qu’il ne s’agisse aucunement d’un rattachement à l’institution juridique.

Cette formulation permet peut-être d’éclairer la question de l’ethno- centrisme de nos conceptions du Droit. Là encore, la comparaison avec la fiction est utile. Il ne servirait à rien de dire que « toujours de tous temps les hommes ont raconté des histoire s» , car la forme originale qu’a prise en Occident la l i t t é r a t u re et en particulier le roman a été étudiée par des centaines d’historiens.8Donc il est à la fois vrai de dire « tout le monde p a rt o u t » et « personne nulle part sauf nous » . Le Droit me semble posséder une forme part i- c u l i è re d’ethnocentrisme puisqu’il est moins d i fficile que pour toutes les autres véridictions de re c o n n a î t re à la fois que « les autres ont aussi du droit» et qu’il est pourtant «différent du nôtre ».9Ce que nous appelons l’originalité du droit de l’État de droit est clairement un hybride de politique, de morale, de re l i g i o n , d ’ o rganisation etc. qui résume la form e européenne du vivre ensemble. En extraire le rôle part i c u l i è rement « a t t a c h a n t » du dro i t dépasse mes capacités d’analyse cosmopoli- tique, mais il n’y aurait pas de sens à résumer tout l’ensemble de l’État de droit par l’expre s- sion «c’est cela le Droit».

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Je laisse de côté ici la ques- tion des règles du jeu et de leur observation, lesquelles dépendent d’une tout autre fo rme d’ é n o n c i at i o n , l’ o rg a n i- sation, et qui répartit ce qui est «à toi» et ce qui est «à moi» c’est à dire les « tours » et les «propriétés». Mon exemple est en ce sens un peu hy b ri d e, car l’ e n f a nt pe u t faire appel aussi aux règles d’organisation et non pas à l’ e n g a g e m e nt ou à l’ at t a c h e- m e nt juri d i q u e.

Thomas Pave l ,La pensée du ro m a n, Pa ri s, Ga l l i m a rd, 2 0 0 3 .

Alain Pottage and Martha Mondy (editors) in Law, Anthropology and the Consti- tution of the Social : Making Persons and Things, Cam- b ri d g e, Ca m b ridge Un i ve r s i ty Pre s s, 2 0 0 4 .

9 8 7

V.A . Ga ra po n ,L’Âne po rt a n t des reliques, essai sur le rituel judiciaire., Paris, Le Centurion, 1 9 8 5 .

t’Hart,Le concept de droit, Bruxelles, Publications des facultés universitaires Saint- Lo u i s, [1961] 1976.

Bruno Latour, Reassem- bling the Social –An Introduc- tion to Actor-Network-Theory, Oxford, Oxford University Pre s s, 2 0 0 5 .

12 11 10

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Stéphanie Hennette-Vauchez

Les rapports entre droit et science au prisme du droit de la bioéthique, ou les larmes du crocodile

Le droit serait vo u é , vis-à-vis de la science, à être toujours « en re t a rd » ? On peut en doute r : juges et législateurs ont le po u voir du « d e rn i e r m o t » et, en re to u r, le monde scientifique n’est nullement autarc i q u e vis-à-vis de modes proprement juridiques d’appréhension du réel.

C’est bien volontiers sur un ton dramatique que sont mis en scène, notamment par les acteurs juridiques eux-mêmes, et part i c u l i è re m e n t au sujet de la bioéthique, les rapports entre droit et science. Le Dro i t serait de facto condamné à n’intervenir qu’a posteriori et donc en re t a rd et ce, alors même que les défis seraient d’une importance telle qu’ils en devien- draient presque incommensurables : «face aux développements les plus récents des sciences de la vie et de la médecine, les réponses du droit sont souvent incertaines et les édifices juridiques parfois fragiles. C’est dû, bien entendu, au caractère radicalement nouveau de certaines questions qui se p o s e n t»1. Or, parmi ces questions, seraient notamment à l’œuvre un boule- versement «de notre conception multiséculaire de la filiation»2, et d’autre s s t ru c t u res fondamentales de la société encore .

Il y a deux interprétations possibles de cette représentation catastrophiste des rapports entre d roit et science médicale : l’une qui y voit une description du réel, l’autre qui s’appare n t e davantage à une posture théorique de mise en g a rde. On peut en effet considérer en pre m i e r lieu qu’elle vise à décrire un état de fait où le d roit aurait cédé à l’impérialisme scientifique,

Stéphanie Hennette-Vauchez Les rapports entre droit et science […] p. 41-52 4 1

qui au lieu de la seule accroche par les quatre plots traditionnels en aurait plusieurs. Imaginez ensuite que chaque attache rende plus facile ou plus d i fficile les autres attaches. Admettez maintenant que certains blocs de ce jeu de Lego un peu particulier s’attachent par la connexion DRO et d ’ a u t res par la connexion POL. Les blocs eux mêmes sont de form e s multiples (comme les récits tout à l’heure). Maintenant lâchez des gamins dans ce jeu. Ils vont pro d u i re des formes – des institutions – d o n t des segments plus ou moins longs seront dits DRO parce que l’attache est de type DRO alors même qu’un bloc donné peut être repris, selon un a u t re segment, par l’attache POL. Dans l’ensemble bigarré produit, on p o u rra dire, selon l’intensité des liens, « là c’est plutôt quand même en g ros du dro i t », « là c’est plutôt quand même du politique ». Ce sera toujours faux bien sûr puisque les blocs sont divers, hétérogènes etc. de couleurs variés, et pourtant ce ne sera jamais tout à fait faux car la

« d o m i n a n t e », pour parler musique, sera bien donnée par un type part i- culier d’attachement ou d’ébranlement ou de contamination.

Une telle approche, assez inhabituelle, je le reconnais, revient à donner un fondement empirique à l’intuition foudroyante de William James :

« Nous devrions parler d’un sentiment de et, d’un sentiment de si, d’un sentiment de m a i s, et d’un sentiment de p a r, aussi spontanément que nous parlons d’un sentiment de bleu ou de fro i d . »13 L’énonciation dro i t est l’une de ses prépositions, aussi directement reconnaissable que le

« s i » ou le bleu. De façon fort étrange, cette a p p roche cosmopolitique, suppose que l’on reconnaisse qu’il y ait « du dro i t », si l’on peut dire, dans le monde.

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William James, Traité de p s yc h o l ogie (traduit par Na t h a- lie Ferron), Les Empêcheurs, Pa ri s, 1892 [2003], p. 1 1 8 .

13

M .Ba rz a c h , «Bi o é t h i q u e :l e s lacunes du droit et les faibles- ses de la démocratie»,Pou- vo i r s, 1 9 9 1 , no5 6 , p.1 3 5 .

R . Ba d i nte r, «Droits de l’homme face au progrès de la m é d e c i n e, de la biologie et de la b i oc h i m i e» ,Al l oc u t i o n ,Co n s e i l de l’ Eu ro pe, 25 mars 1985, re p rod u i te in Acte s,1 9 8 5 ,p.7 9 .

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