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Moïse ou la Chine ? L'humain est-il réductible au naturel ?

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Academic year: 2021

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HAL Id: hal-01386802

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Submitted on 24 Oct 2016

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Jacques Fantino

To cite this version:

Jacques Fantino. Moïse ou la Chine ? L’humain est-il réductible au naturel ?. Moïse ou la Chine ? En lisant François Jullien : la foi biblique au miroir de la Chine, Nov 2010, Eveux, France. pp.97-102.

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Communication au colloque du Centre Thomas More (Eveux, 19-20 novembre 2010).

Edition : P. David et A. Riou (dir.), En lisant François Jullien. La foi biblique au miroir de la Chine, Paris, Lethielleux, 2012, p. 97-102.

Version avant édition

Moïse ou la Chine ? L'humain est-il réductible au naturel ?

Moïse ou la Chine ? En théologie chrétienne, cette alternative peut être exprimée de plusieurs manières, par exemple celle-ci : le monde comme création ou comme nature ? Partir de l'éclairage apporté par François Jullien

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m'a donné l'occasion de revenir sur des jeux d'oppositions que j'ai déjà abordés par ailleurs, intérieur/extérieur, immanent/transcendant, fermé/ouvert, local/global, et de voir le rôle du croire et de la religion dans ces jeux. Mon hypothèse est que le croire est une attitude qui vise à poser le monde comme création et pas seulement comme nature, et l'être humain comme créateur et pas seulement comme devant s'ajuster au flux des choses. C'est dire aussi que cette attitude engage une conception de l'être humain et du monde qui ne les réduit pas au naturel, c'est-à-dire à ce qu'on pense par le terme nature.

Les affirmations qui suivent veulent étayer cette hypothèse de recherche par le biais du dialogue avec François Jullien.

Un premier intérêt de ce dialogue est de voir comment le détour par la Chine peut nous aider à mieux voir l'originalité de notre socle occidental et de la pensée qu'il a développée. Ce socle est constitué par l'hybridation des traditions philosophiques et religieuses gréco-romaines et judéo-chrétiennes. On pourrait parler aussi de fécondation de la première par la seconde. Un exemple va illustrer cet aspect. Dans le monde hellénistique puis romain, diverses conceptions du monde et du divin coexistent qui peuvent se regroupe en deux ensembles selon qu'elles sont immanentes ou

1 Les œuvres de François JULLIEN qui m'ont guidé dans cette réflexion sont en particulier : Figures de l'immanence. Pour une lecture philosophique du Yi King, Paris, Grasset, 1993 ; Fonder la morale.

Dialogue de Mencius avec un philosophe des Lumières, Paris, Grasset, 1995 ; Traité de l'effcicacité, Paris, Grasset, 1996 ; Du « temps ». Eléments d'une philosophie du vivre, Paris, Grasset, 2001 et, en collaboration avec T. Marchaisse, Penser d'un dehors (La Chine). Entretiens d'Extrême-Occident, Paris,

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transcendantes

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. Le christianisme, issu du judaïsme, va imposer la transcendance du Dieu Créateur. Là, me semble-t-il, se situe la différence : Moïse ou la Chine ?

Tout d'abord un relevé de caractéristiques de la pensée chinoise.

Ce qui frappe et interroge en premier, c'est la logique qui sous-tend cette pensée.

Le monde et la vie sont perçus comme un ensemble de processus qui s'autorégulent dans et par la transformation des choses. Cette transformation assure la continuité de l'exister. De la sorte se trouve posée une cohérence interne articulée autour de deux pôles : ciel/terre ; père/mère ; yin/yang… On voit alors apparaître comme points saillants, des processus et une régulation organisée selon une polarité.

Si on passe de la description des choses à leur compréhension, on découvre qu’il n'y a pas de recherche d'explication, ni de sens (pas de logos, pas de cause) mais un appui sur une cohérence, celle du monde et de la vie, cohérence qui en implique une autre pour l’être humain, celle d’être en phase avec le monde et ses processus.

L'existence vraie est fusion avec le mouvement même de la réalité

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. Toute situation résulte d'un ensemble de processus qui en engage un autre qui constitue à son tour la source, le « fonds des choses »

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, d'où proviendra le moment suivant de ce mouvement sans fin.

En résumé, la conception chinoise a pour objet la situation au sein du monde, elle ne le pense pas de l'extérieur mais de l'intérieur.

Et en Occident ?

Il y a eu en Occident des réflexions du même ordre avec les différents types de panthéisme, par exemple stoïcien. Mais, à y regarder de près, toutes ces conceptions maintiennent quand même une certaine irréductibilité du principe posé comme divin, bien qu'il soit immanent au monde

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. Le principe actif, bien qu'inhérent aux êtres, reste radicalement distinct. Là, se trouve à ce que je vois la ligne de partage entre Occident et Chine. La pensée occidentale considère toujours les choses de l'extérieur, posant par le fait même une ouverture du réel étudié à autre chose. Cette ouverture confirme que l'immanence n'est pas totale, car elle supposerait une fermeture sur soi de la réalité,

2 Voir les études déjà anciennes de André - Jean FESTUGIERE, La révélation d'Hermès Trismégiste, 4 vol., Paris, Gabalda, 1950-1954.

3 On peut voir aussi LIANG SHUMING, Les idées maîtresses de la culture chinoise, Paris, Cerf, 2010, trad. de l'édition de 1987, p. 381

4 Expression reprise de F. Jullien.

5 Voir par exemple Stoïcorum Veterum Fragmenta, 1, 85, 24 ; éd. von Arnim, Berlin-Leipzig, réimpr.

1964.

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c'est-à-dire son autosuffisance. Les couples immanent/transcendant et fermé/ouvert fonctionnent ensemble.

On retrouve cet aspect avec les sciences contemporaines. On pourrait croire à première vue qu'elles présentent une compréhension totalement immanente du réel. En fait, ce n'est pas le cas. La compréhension dynamique, c'est-à-dire temporelle et contingente, des systèmes physiques fait que quelque chose de radicalement nouveau, c'est-à-dire de non prévisible et de non réductible à ce qui précède, peut apparaître tout en étant totalement issu de ce qui existait auparavant, par exemple le passage de la matière inanimée au vivant. La cosmologie contemporaine constitue un autre exemple.

Le modèle standard place à l'origine de l'univers une causalité extérieure, le vide quantique. En résumé, dans la compréhension occidentale, il y a toujours une ouverture possible à quelque chose de nouveau ou à une causalité externe. En ce sens, l'approche scientifique reste d'une certaine manière fondée sur l'extériorité.

Quelle différence entre Chine et Occident ?

Parce qu'elles semblent à l'opposé l'une de l'autre, les conceptions chinoise et occidentale s'interrogent mutuellement. Une première question consiste à comprendre comment en Chine, à l'inverse de l'Occident, s'est élaborée une conception sans causalité. Je pense que la réponse tient au moins en partie au fait que la conception chinoise s'effectue de l'intérieur des processus du monde, tandis que l'approche occidentale envisage et étudie les phénomènes de l'extérieur. Ces deux attitudes (ou postures) sont-elles si irréductibles ? La recherche d'une causalité à l'œuvre, donc extérieure à la réalité étudiée, n'est-elle pas aussi découverte de la cohérence du fonctionnement de cette réalité ? Considérer le mouvement de la réalité comme passage d'une cohérence à une autre, n'est-ce pas aussi suggérer que les limites, le ciel et la terre, conditionnent la transformation et d'une manière la rend possible ?

Il faut aller plus loin dans l'analyse. Tout d'abord, l'opposition extérieur/intérieur, se retrouve dans les couples transcendant/immanent et ouvert/fermé, rencontrés précédemment. Ensuite, l'opposition se double d'une autre dimension, religieuse celle- là. On peut l'approcher à l'aide d'une observation préliminaire. En Chine, il n'y a pas de dieu, et donc il n'y a pas lieu de s'adresser à lui. Il existe cependant toute une dimension religieuse en Chine (pratiques, croyances) et de ce fait il y a une symbolique chinoise.

Il y avait donc au commencement en Chine une religion avec ses mythes et ses symboles. Nous devons reprendre la réflexion à ce moment de l'histoire.

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Au début religion et symbolique vont en effet ensemble, tout en étant distinctes, et participent directement au processus de l'hominisation. Le passage du paléolithique au néolithique est très important

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et il engage une autre étape marquée par l'invention de l'écriture. Puis, bien après, vient l'émancipation de la raison par rapport aux mythes.

Elle s'est effectuée à peu près durant la même période en Chine et en Grèce

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. Lorsque la raison se démarque du mythe, elle est conduite à se définir par rapport à la religion.

Les voies suivies alors en Chine et en Occident bifurquent, parce qu'elles articulent différemment religion et raison. En Grèce, le logos s'émancipe de la religion traditionnelle, il engage une nouvelle manière de connaître et d'agir, une noétique et une politique, fondement de la cité. C'est dans un second temps que la raison revient au divin, dans un mouvement qui va de la philosophie à la théologie. A Rome la raison est classificatrice et ordonnatrice et débouche sur le droit qui concerne lui aussi le politique et la religion. Mais, en Grèce comme à Rome, la raison part du monde pour arriver à la cité, au politique et par lui à la religion. En Chine, la raison s'est investie dans l'éthique sans référence extérieure, mais comme expression authentique de l'humain. La morale fondée sur la raison a remplacé la religion. La ligne de partage entre Occident et Chine, marquée par les couples rencontrés précédemment, intérieur/extérieur, immanent/transcendant et fermé/ouvert, apparaît définie aussi par la place de la religion

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. En Chine, elle n'existe plus, en Occident, il s'agit du christianisme. Cela entraîne deux conceptions du monde opposées, comme système fermé (clos) d’un côté, et comme système ouvert de l'autre, c'est-à-dire un système qui n’est pas d’une certaine manière autosuffisant.

Dans les deux cas, un ordre est affirmé. Dans la pensée chinoise, il est manifeste et ne peut qu'être suivi. En Occident, il est à découvrir et à partir de lui l'être humain peut en construire d'autres. En Chine l'ordre reste naturel, au sens où l'humain authentique ne peut être réalisé qu'en accord avec la nature. En Occident, il existe un ordre naturel des choses, mais il est assumé et transformé par l'être humain.

Moïse ou la Chine : l'enjeu du croire

Au vu de ce qui précède, on constate qu'il n'y a pas de place pour le croire en Chine. L'ordre naturel est autosuffisant et ne requiert pas de s'ouvrir à autre chose. En Occident, même dans la compréhension scientifique, il y a toujours ouverture. L'ordre naturel n'est pas clos sur lui-même. Selon cette conception, l'humain se différencie du

6 Voir le paragraphe suivant.

7 Entre le 9e et le 6e siècle. A ce sujet l'interprétation de LIANG SHUMING doit être rectifiée. Il ne s'agit pas de précocité de la raison en Chine mais de son investissement dans une autre direction, l'éthique, que celle qui a été suivie en Occident.

8 Voir LIANG SHUMING, p. 127-161 et 370-372.

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naturel et laisse la possibilité à diverses attitudes d'exister, dont celle du croire. C'est d'ailleurs le croire chrétien en un Dieu Créateur qui est à l'origine de cette conception : l'être humain, image du Créateur, est en capacité de se donner des projets et de les réaliser.

Si on prend en compte le passage du paléolithique au néolithique

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, la sortie du paléolithique possède une dimension religieuse, l'invention de la transcendance.

Précisons. Il s'agit de la transcendance de l'humain par rapport à son milieu. Au paléolithique, l'être humain est dans une situation d'immanence totale par rapport à la nature où il ne pouvait qu'être soit en harmonie avec elle, soit en affrontement. Le passage au néolithique correspond pour l'être humain à l'ouverture d'un horizon marqué par la verticalité, entre ciel et terre, et l'horizontalité, lieu de l'humain qui peut devenir maître de son environnement. Une double hiérarchisation s'établit, celle du "ciel" sur

"la terre", celle de l'humain sur son environnement. La religion paléolithique est également transformée. Le divin n'habite plus la terre et le néolithique voit apparaître les premières divinités. Symbolique et religion sont intriquées. Le changement dans l'ordre symbolique s'accompagne d'un changement concomitant dans la religion.

Symbolique et religion réalisent la sortie du monde, plus exactement, la sortie d'un monde pour passer à un autre produit par la culture, dans les deux sens du terme, le travail de la nature et le travail de l'esprit

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. C'est dans la constatation de ce mouvement que se greffe bien plus tard l'émergence de la raison autonome et la bifurcation entre les voies suivies par la Chine et l'Occident. La Chine a évacué la religion. L'Occident l'a gardée et le christianisme a apporté une innovation fondamentale en étant, comme l'a montré Marcel Gauchet

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, la religion de la sortie de la religion. Avec deux dimensions, l'ouverture à une altérité (ce qui remplace peut-être la transcendance), qu'elle existe ou qu'elle soit à construire, et la temporalité des choses et des êtres, et donc leur contingence et leur historicité. Ce qui est différent d'une succession d'événements ou d'un enchaînement de situations. En Occident, il n'est pas question de revenir, d'un retour.

En résumé, on aurait deux articulations possibles des ordres naturel et humain.

Selon la première, l'être humain construit son environnement physique et social en fonction des rythmes et des impératifs de la nature. Pour la seconde, l'être humain construit son environnement physique et social en fonction d'un projet qu'il se donne.

9 Voir par exemple les études de : J. CAUVIN, Naissance des divinités, naissance de l'agriculture : la révolution des symboles au néolithique, Paris, CNRS Edition, 1997 ; A. TESTARD, La Déesse et le Grain. Trois essais sur les religions néolithiques, Paris, Ed. Errance, 2010.

10 Ibid., p. 131-133.

11 M. GAUCHET, Le désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Paris,

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J. Fantino

Université Paul Verlaine, Metz

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