La Lettre du Pharmacologue • Vol. 30 - n° 1-2 - janvier-juin 2016 | 47
GASTRONOMIE
On n’entre pas dans la Salle à Manger d’Hélène Darroze comme dans un moulin. Il faut tout d’abord s’inscrire suffisamment tôt sur le courriel1 de la maison.
Lequel vous indique la prise en compte de votre réservation en vous donnant quelques consignes : réservation à confirmer 48 heures avant la date prévue, en indiquant un numéro de téléphone où vous serez joignable à Paris.
Salle d’une sobre élégance, éclairage feutré, personnel au point, un maître d’hôtel presque espiègle. Remarque immédiate, le couvert comporte des couteaux soigneusement dispa- rates. Renseignements pris, il s’agit d’un clin d’œil de la patronne à ses origines rustiques.
Dans les Landes (comme ailleurs), le paysan soucieux des bons usages détient son propre couteau dans sa poche, dont il se servira en se mettant à table.
Mais les mets proposés sont, dans leur apprêt, loin de la ruralité gasconne.
Le jeu consiste à choisir sur une courte liste quatre plats et un dessert.
Par exemple, pour débuter, une curieuse huître contenant, outre le mollusque, une prépara- tion mêlant caviar d’Aquitaine et haricot maïs du Béarn. Puis, un foie gras pistaché. Ensuite, un filet de lieu accompagné de légumes croquants, d’une parfaite exécution. Et en point d’orgue, une pièce de bœuf Wagyu.
Wagyu pour Wa, signifiant “japonais” en japo- nais et Gyu, “bœuf” dans la même langue.
Sa viande a la particularité génétique2 d’un
persillage accru, de filaments graisseux striant le muscle. Ceux-ci lui donnent, à la dégusta- tion, une saveur et une tendreté particulières.
Légèrement ferme à l’attaque en bouche, puis fondant sous la dent, sensation inégalée pour l’amateur.
Se méfier des imitations car, jusqu’en 2012, les autorités nippones en interdisaient l’ex- portation. Certains, flairant le filon, se sont, par conséquent, mis à élever des croisements de bœufs de Kobe avec d’autres espèces, en Australie, aux États-Unis3… Mais il n’est de Wagyu que japonais. Les lipidophobes n’auront qu’à s’abstenir. Toutefois, en règle générale, comme aime à le rappeler Paul Bocuse, “pour que ce soit bon, il faut du gras”. La merveille s’accompagne ici d’une purée de pommes de terre à la truffe, une alliance pertinente de suave avec du suave…
Au chapitre du dessert, un savarin à l’arma- gnac, nappé d’un coulis de fruits rouges et d’un nuage de chantilly. Les saveurs de l’en- fance, régressives en diable.
Parlons prix. L’addition se décline ainsi : 90 euros le menu quatre plats – dessert, mais supplément bœuf Wagyu 50 euros, mais supplément savarin 20 euros. Un Château Grand Poujeaux, très convenable, 72 euros.
Pour peu que de petites envies accessoires vous taquinent, je ne sais pas moi, une flûte de champagne, un peu de fromage, un rab de douceurs, un bas armagnac de votre année de naissance, et vous atteindrez un montant
devenu indécent sur la note de frais d’un cadre dit supérieur4. Oubliez les chèques, ils ne sont pas acceptés.
À la même adresse, le Salon d’Hélène, tapas et plats au choix, évidemment moins onéreux.
Se destinant initialement à la gestion hôte- lière, Hélène Darroze fut poussée en cuisine par Alain Ducasse. Celui-ci n’a pas manqué de flair, car elle est devenue l’une des deux seules chefs féminins titulaires de deux étoiles Michelin5, l’autre étant Anne-Sophie Pic.
Le succès venu, elle a repris un autre restaurant à Londres, puis un à Moscou…
Les chefs globe-trotteurs soulèvent toujours la même interrogation : seront-ils aux manettes le jour où vous rendrez visite à leur talent ? Un journaliste lui demandant : “Mais qui dirige la cuisine lorsque vous n’êtes pas là ?”, Paul Bocuse répondit : ”Le même que quand je suis là !”. Tenons-nous le pour dit ! ■
* La Salle à Manger d’Hélène, 4 rue d’Assas, 75006 Paris.
1 www.helenedarroze.com
2 Et non, comme certains l’affirment, sous l’effet d’un massage à la bière aux sons du concerto pour piano et orchestre no 20 de Mozart.
3 Notamment la Snake River Farm, dans l’Idaho.
4 La crise a eu raison du sens de l’hospitalité des industriels.
5 Pas pour son restaurant parisien, mais pour le Connaught, Carlos Place, Mayfair, à Londres.
Les essais en ouvert d’Alex Corton
Alex Corton, gastrologue de garde Restaurant La Salle à Manger d’Hélène*
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